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Frank Timis, « l’homme qui parle à l’oreille des chefs d’Etat africains », peut-il ressusciter le projet d’exploitation du manganèse de Tambao ?
Publié le lundi 17 septembre 2012   |  Autre presse


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Frank Timis


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Dès la fin de la décennie 1960, deux ingénieurs de l’Ecole nationale supérieure de géologie (ENSG), Pierre Blazy (qui en sera, par la suite, le directeur) et Robert Houot (futur directeur de recherches au CNRS) avaient publié, dans le cadre de l’Ecole nationale supérieure de géologie appliquée et de prospection minière de Nancy, un ouvrage sur la « valorisation du gisement de manganèse de Tambao ». En 1975 avait été créée la Société minière de Tambao (Somitam). Elle associait alors des intérêts publics voltaïques (51 %) et des intérêts étrangers : Tambao Manganese Mine Development (Japon) pour 30 % ; Exploration und Berghan GmbH (Allemagne) pour 9 % ; Union Carbide (Etats-Unis) pour 7 % ; la Société Tambao Manganèse (France) pour 3 %. A la demande des bailleurs de fonds, une étude d’évaluation du projet avait été réalisée (avec beaucoup de retard par rapport aux prévisions) par la Banque africaine de développement (BAD). Il était prévu, alors, un démarrage de l’activité d’extraction à compter d’octobre 1977.

Mais la réalisation du projet d’exploitation était conditionnée à celle d’un chemin de fer permettant l’évacuation du minerai : il fallait relier Tambao, dans l’extrême Nord-Est du pays, à Ouagadougou pour ensuite l’acheminer, toujours par rail, vers le port d’Abidjan. Le projet ferroviaire connaissant les mêmes tribulations que le projet minier, Tambao va rester dans les tiroirs. On sortira bien le dossier, de temps en temps, pour le dépoussiérer mais la conjoncture ne sera jamais favorable à un projet excessivement coûteux en investissements pour un produit brut qui est loin d’être stratégique (le manganèse est principalement utilisé pour la production d’alliages) et qui, surtout, se trouve en surcapacité : la capacité de production actuellement disponible est deux fois supérieure à la demande moyenne annuelle de ces dernières années. Actuellement, quatre pays assurent 90 % de la production mondiale de manganèse HG (le haut grade) : l’Afrique du Sud ; le Gabon ; le Brésil ; l’Australie.

C’est pourquoi Tambao n’intéresse pas les grandes compagnies minières (parmi lesquelles le groupe français Eramet-Comilog) et que la résurrection de ce projet est l’ambition affirmée d’un homme d’affaires qui s’est fait une spécialité de susciter dans les capitales africaines le grand rêve du pactole minier : Vasile Frank Timis. A Tambao, il semble avéré, d’ores et déjà, que le rêve tiendra du mirage (ce qui, à la limite, vaut mieux que le cauchemar ; mais celui-ci n’est pas encore exclu). Le 11 août 2012, Frank Timis (il a fait l’impasse sur Vasile, trop connoté Europe centrale) a donc obtenu les droits d’exploitation du gisement de manganèse de Tambao, promettant d’y investir 650 millions $ (soit 520 millions d’euros) afin d’exporter 1 million T/an, de réhabiliter la voie ferrée Ouaga-Kaya (le tronçon de la « Bataille du rail » cher à Thomas Sankara), de construire une route minière Tambao-Kaya (90 km) ; dans une seconde étape, l’exportation sera portée à 2 millions T/an avec la mise en place d’une voie ferrée Tambao-Kaya afin de créer un « corridor d’exportation tout-rail de Tambao à Abidjan ».

Pour ficeler le paquet-cadeau, Timis s’est engagé à faire réaliser l’étude de faisabilité d’un barrage hydro-électrique sur le Beli (rivière au Nord de Tambao) : il faudra de l’électricité et de l’eau pour extraire le manganèse. Pas nécessaire de dépenser beaucoup d’argent pour cette étude. En janvier 1970, l’Orstom, sur financement du Fonds spécial des Nations unies, avait mené une étude hydrologique de cette rivière qui n’est, au mieux de sa forme, qu’une suite de mares ; elle en avait conclu qu’elle pouvait être aménagée dans une perspective… pastorale. Rien d’autre. Il est certain que, quarante ans plus tard, la situation hydrologique de cette rivière ne s’est pas améliorée. Timis devrait aussi assurer le bitumage de l’axe Dori/Gorom-Gorom/Tambao (une bonne centaine de kilomètres), construire des écoles, des centres médicaux, installer des points d’eau et distribuer des bourses de parrainage pour les enfants de la région. Timis ne cultive pas pour rien son image « d’empereur d’Afrique de l’Ouest ». Il peut tout faire…

Alors que des groupes miniers multinationaux se sont intéressés à Tambao sans jamais donner suite, Timis argumente que son projet peut aboutir dès lors qu’il « a l’oreille » d’entreprises chinoises qui pourraient y être associées. Il est vrai que la Chine est importateur de manganèse ; mais Pékin a déjà étudié des investissements directs dans des projets miniers en Afrique centrale (notamment au Gabon) et en Afrique de l’Ouest (particulièrement en Côte d’Ivoire). Plus encore, le ralentissement de l’activité économique mondiale, la nouvelle crise de la sidérurgie et la surcapacité de production de manganèse sur le marché international ne plaident pas en faveur d’investissements nouveaux dans le secteur.

S’ajoute à cela la personnalité de Frank Timis. Pas encore quinquagénaire (il serait né en 1963), Vasile Frank Timis est originaire de Borsa, localité des Carpates, au Nord de la Roumanie, non loin de la frontière avec l’Ukraine. Sans formation professionnelle réelle, il va aller chercher fortune sur la côte Ouest de l’Australie, du côté de Perth. Il va s’y adonner au transport routier, conduisant lui-même le seul camion exploité. Il ne faudra pas longtemps pour que Timis fasse parler de lui.

D’abord auprès de la police et de la justice pour consommation de drogue. Ensuite, dans le monde du business : à trente ans, il est à la tête de sociétés minières australiennes dont on connaît mieux les raisons sociales que l’effectivité de l’activité. Il est associé avec des membres de sa famille mais aussi avec des personnalités roumaines qui s’adonnent avec frénésie, depuis la chute de Ceausescu, au trafic d’influence affairo-politique ; parmi elles, le fils du sénateur du Parti démocrate, Teodor Hauca, responsable de la commission économique mis en cause dans quelques scandales qui vont lui coûter sa carrière politique. Timis va s’intéresser à l’or puis au pétrole, multipliant les sociétés, les montages financiers et les connexions avec des responsables politiques roumains (parfois controversés) qui lui permettront de se faire ouvrir les portes de la Chine (solidarité « stalinienne » sans doute) qui, à l’instar de Timis, entendent annihiler la position dominante des grandes compagnies minières et sidérurgiques.

Plus qu’un entrepreneur, Timis est un apporteur d’affaires qui sait jouer les illusionnistes, acheter à crédit et vendre cash et, surtout, un parfait connaisseur de la nature humaine : tout homme a son prix, il s’agit seulement de savoir lequel ! Sa force réside dans son hyper-réactivité ; les commentateurs évoquent ses « cinq avions privés », ses séjours dans les suites des « palaces » locaux, ses déjeuners dans les meilleurs restaurants de Piccadilly Circus – il est installé à Londres – son « jaillissement » qui l’a fait surnommé « Gusher », ses relations d’affaires à l’instar de celle qu’il a initiée avec Lord Anthony St John, un beau gosse anglais qui a épousé une ex-miss Angleterre, élevé et formé au Cap, en Afrique du Sud au temps de l’apartheid, avocat et homme d’affaires présent dans une quantité de sociétés un peu partout dans le monde et notamment en Afrique ; il n’est pas certain, d’ailleurs, que sa relation avec Timis soit au top depuis l’affaire de Regal Petroleum (condamnation à Londres à 725.000 euros d’amende pour diffusion d’informations erronées) dans laquelle le Lord était mouillé.

Timis va émerger sur la scène africaine avec son implantation en Sierra Leone. Il a vite compris que, sans autre ressource que son entregent, les pays qui sortaient d’une guerre civile étaient plus à même de croire aux miracles que les autres.

Jean-Pierre BEJOT

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