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Ouverture du dossier Thomas Sankara : Le Burkina joue sa crédibilité
Publié le vendredi 27 mars 2015  |  Le Pays
La
© Autre presse par DR
La tombe de Thomas Sankara




C’est un pas de plus dans le dossier Thomas Sankara. En effet, le Premier ministre, ministre de la Défense, Yacouba Isaac Zida, a donné l’ordre de poursuite à la justice militaire et un cabinet d’instruction a déjà la charge du dossier. Cela marque une étape en ce sens que, ces derniers temps, l’opinion avait assisté, quelque peu médusée, à un certain cafouillage dans ce dossier. Les autorités de transition semblant faire plus dans le populisme que dans l’action réelle. A présent, la famille du président assassiné et ses sympathisants, sont quelque peu rassurés que les autorités de la transition ont dépassé le simple cadre des effets d’annonce, des discours. Le cabinet d’instruction devra donc se mettre à pied d’œuvre. Et il aura certainement du pain et du savon sur la planche. Car, s’il est vrai que cette ouverture du dossier Sankara marque un certain épilogue, elle constitue aussi et surtout le début d’une autre étape qui s’annonce visiblement mouvementée.

Les anciens du CNEC devenu RSP, devraient pouvoir contribuer à apporter des réponses
En effet, de gros nuages sombres menacent cette éclaircie dans le dossier du père de la révolution du 4-Août 1983. Ces nuages sont à rechercher dans la nature et les acteurs du régime de la Transition et dans l’existence dans l’armée burkinabè, surtout au Régiment de sécurité présidentielle (RSP), de hauts gradés qui pourraient avoir le sommeil trouble dès que commenceront les investigations. Il y a aussi les craintes liées aux relents diplomatiques du dossier, mais aussi à l’indépendance du Tribunal militaire même. En ce qui la concerne, la transition pourrait travailler à refiler expressément la patate chaude au président qui sortira des urnes en octobre 2015. Mieux, elle pourrait se rendre auteur de manœuvres qui n’aident pas à l’éclatement de la lumière. Car, force est de reconnaître que les militaires ont toujours l’essentiel du pouvoir entre les mains, dans cette transition.

Et le fait que les hommes politiques vont bientôt entrer en campagne fait courir le risque que les militaires aient plus de champ libre pour imposer ce qu’ils veulent dans la conduite de ce dossier comme dans bien d’autres. Car, la campagne électorale aura certainement l’effet de briser l’accalmie, la cohésion actuelle entre les partis politiques, chacun étant préoccupé par son élection et par la manière de faire des coups bas à l’autre. Le Premier ministre Zida relevant d’une « confrérie » qu’est l’armée, pourrait se laisser convaincre qu’il vaut mieux protéger son corps.

Une telle attitude du Premier ministre pourrait être, du reste, étroitement liée à la crainte relative à l’activisme potentiel de certains hauts gradés de l’armée en général et du RSP en particulier. En effet, des chefs du RSP d’hier et d’aujourd’hui doivent en savoir beaucoup sur ce dossier. Des éléments comme le général Gilbert Diendéré et le colonel Boureima Kéré, ont été et sont certainement toujours proches de celui à qui le crime a profité, à savoir Blaise Compaoré. Et on peut raisonnablement penser que des officiers de leur rang, à la place qu’ils occupaient et aux fonctions qu’ils ont exercées après le coup d’Etat de 1987 jusqu’à la chute du régime de Blaise Compaoré récemment, ont au moins des informations qui peuvent donner des éclaircissements sur ce dossier.

Difficile de se convaincre en tout cas que ces sécurocrates du premier cercle du pouvoir de Blaise Compaoré, ne savent rien de ce qui est arrivé à leur frère d’armes, Thomas Sankara, en ce jeudi noir du 15 octobre 1987. En rappel, la sécurité du président Sankara était à l’époque assurée par l’ancêtre du RSP, le premier bataillon du Centre National d’Entraînement Commando (CNEC). Le service de communication du RSP l’a d’ailleurs redit dans son mémoire en défense face à la levée de boucliers qui avait fait suite à son mouvement d’humeur du 4 février 2015.

Sont-ce les hommes qui étaient commis à la tâche de sa protection qui auraient délibérément trahi la confiance du président du Faso d’alors ? Ou bien les éléments du premier bataillon ont-ils été seulement incapables de défendre conséquemment Thomas Sankara en faisant face avec efficacité à l’agresseur ? Qui peut être un tel agresseur ? A-t-il agi de son propre gré ou sur ordre ? Avec un ou des soutiens ? Il est évident que les anciens du CNEC devenu RSP, devraient pouvoir contribuer à apporter des réponses à ce questionnement et par voie de conséquence, à la manifestation de la vérité dans cette affaire. Il y a des craintes à ce niveau, tant le RSP aujourd’hui fait figure d’épouvantail pour la démocratie en général au Burkina et pour la justice dans ce dossier comme dans celui de Norbert Zongo en particulier.

A ce qui se dit, les ennuis du Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, ne seraient pas étrangers à sa volonté de faire ouvrir ce dossier. Et sa tentative de s’émanciper de cette pieuvre qu’est le RSP s’est soldée, pour lui, par les soucis que l’on sait. Les revendications du RSP quant aux nominations à sa tête ont été purement et simplement exécutées par la transition. Dans un tel contexte, le peuple a de quoi douter. En tout cas, on imagine bien que le RSP fera des pieds et des mains pour que certains de ses chefs ne soient pas mis en difficulté. Cela constitue un risque évident pour une issue heureuse de cette affaire.

Cette affaire revêt une envergure internationale

Quant à la crainte relative à l’indépendance et à l’intégrité de l’instruction et du jugement, elle n’est pas non plus moins fondée. Comme on le sait, il est difficile de trouver des gens au Burkina Faso, d’une certaine expérience professionnelle, qui n’ont pas côtoyé le régime Compaoré, voire pactisé avec lui. On se demande donc si le juge d’instruction et l’ensemble des juges qui se pencheront sur ce dossier, seront des oiseaux rares qui n’auront pas traité avec le régime Compaoré et qui n’ont surtout rien à perdre dans cette affaire. Il faut l’espérer. N’aurait-on pas pu, dans le cadre d’une procédure exceptionnelle, confier le dossier à des hauts gradés de l’armée à la retraite, qui ne se préoccupent plus de promotions et autres ?

Cela contribuerait peut-être à avoir des juges plus libres et plus libérés dans leur travail. L’opinion craint en tout cas que l’instruction et le jugement de cette affaire puissent souffrir d’insuffisances provoquées. Si cela devait arriver, ce ne serait, bien entendu, pas de nature à calmer la soif de vérité et de justice de l’opinion dans son ensemble, encore moins les ayants droit du « capitaine peuple ».
Or, il est notoire que cette affaire revêt une envergure internationale. D’abord parce qu’une certaine responsabilité de pays comme la Côte d’Ivoire, la France et les Etats-unis d’Amérique, est régulièrement citée dans ce dossier.

Si cela est vrai, c’est une autre difficulté que le tribunal militaire aura à surmonter, car on imagine bien les pressions de ces pays. Mais aussi et surtout parce que Thomas Sankara a une dimension qui dépasse le Burkina et l’Afrique. Le Comité des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations-Unies a déjà épinglé le Burkina sur sa mauvaise gestion de la plainte de la famille Sankara. La Justice burkinabè avait donc été décriée. Cette justice dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est malade et au chevet de laquelle des acteurs sont réunis actuellement. Ces états généraux de la Justice burkinabè devront trouver le remède pour remettre sur pied ce grand malade. Et la qualité du traitement des dossiers lourds comme celui de Sankara permettra de juger de la guérison ou pas du patient. En tout cas, avec cette ouverture du dossier Sankara, ses partisans qui sont aux quatre coins du monde, ont les yeux braqués sur la justice burkinabè. Autant dire que le Burkina joue sa crédibilité dans ce dossier.

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