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Me Mamadou Traoré: «On n’organisera pas un examen des avocats au rabais»
Publié le lundi 23 mars 2015  |  FasoZine
Barreau
© aOuaga.com par A.O
Barreau du Burkina : entre rentrée solennelle et 25e anniversaire
Jeudi 19 mars 2015. Ouagadougou. Centre international des conférences de Ouaga 2000. Le président de la transition, président du Faso, Michel Kafando, a présidé la cérémonie de rentrée solennelle ainsi que la commémoration du 25e anniversaire du barreau du Burkina. Photo : Me Mamadou Traoré, bâtonnier de l`Ordre des avocats du Burkina




C’est une affaire d’annulation d’examen d’entrée au Centre de formation professionnelle des avocats qui agite l’actualité ces derniers jours et provoquant au passage la frustration de291 candidats à ce test dont le sort est encore inconnu. Si eux, dans un entretien qu’ils nous ont accordé, et publié sur notre site (www.fasozine.com du 17 mars 2015) affirment sans ambages que «Le gouvernement a fui ses responsabilités», Me Mamadou Traoré, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, lui, est «surpris» de la situation. Il nous l’a fait savoir, lorsque nous l’avons rencontré à l’occasion de la rentrée solennelle du Barreau et de la célébration des 25 ans de cette institution qui ont été tenues du 19 au 21 mars derniers.

Fasozine.com: Dans quelles conditions les avocats défendent-ils, aujourd’hui, la veuve et l’orphelin?
Me Mamadou Traoré-Bâtonnier: Cette question renferme deux aspects. Premièrement je dirai que paradoxalement, les conditions matérielles des avocats ont évolué négativement. Lorsqu’au début on a 10 ou 15 avocats qui ont en charge de tous les dossiers du pays, il est évident que les conditions de leur rétribution ne soient pas les mêmes qu’aujourd’hui où il y a près de 200 avocats. Donc, comme on le dit, le gâteau qui était pour 10, est le même aujourd’hui pour 200 et qui sera le même peut-être pour 300 avocats demain. Par contre, sur le plan des conditions légales, je crois qu’après la crise de 1998-1999, le Barreau a eu de nouveaux textes plus conformes aux traités et conventions internationales.

Par exemple?
Vous vous rappelez que l’Assemblée nationale avait adopté une loi où la définition «la profession d’avocat, est une profession libérale et indépendante», était devenue «la profession d’avocat est une profession libérale». Toutes les institutions internationales et tous les Barreaux du monde se sont opposés à cela et le gouvernement a été obligé de reculer. C’est ainsi que le 23 mai 1990, une nouvelle loi a été adoptée, règlementant la profession d’avocat conformément aux standards et aux droits internationaux.

Ce fut un acquis important. Un autre acquis qui concerne les conditions de travail, c’est que cette loi a créé la Caisse autonome du règlement pécuniaire des avocats (Carpa) qui a permis de sécuriser les fonds des justiciables et le travail des avocats. Depuis le mois de juillet 2014, le Barreau a également obtenu deux décrets sur la formation initiale au profit de tous les avocats du Barreau du Burkina. Désormais, tous les avocats doivent avoir effectué 25 heures de formation professionnelle chaque année, faute de quoi ils sont omis du tableau. C’est une avancée très importante parce que l’avocat a une obligation de compétence pour ses clients. Et le deuxième décret, concerne, lui, la création et le statut du Centre de formation professionnelle des avocats que nous demandions depuis. Il existe aujourd’hui et il nous appartient d’en faire une réalité.

Et en matière de formation, qu’est-ce qui est fait de façon structurelle?
Le troisième chantier de notre mandat est, justement, la création du Centre de formation professionnel des avocats. Nous avons obtenu les textes. Mais dans les faits, la première promotion qui devait commencer depuis le mois de janvier 2015, ne l’a pas pu. Cela n’est pas le fait du Barreau puisque pendant longtemps la faculté de droit n’a pas pu désigner les membres du jury. La loi dit que pour ce faire, il faut deux agrégés ou maitres de conférences. Et nous avons été surpris quand la faculté de droit nous a dit qu’il n’y a qu’un seul agrégé en droit privé au Burkina. Nous nous expliquons difficilement comment une faculté qui existe depuis trente ans n’a qu’un seul agrégé.

Lorsque nous avons contacté le président de l’université le 15 février 2015, il a désigné deux professeurs agrégés en droit public, permettant ainsi de mettre en place un jury et l’examen a été programmé. Malheureusement, il y a eu des étudiants qui n’étaient même pas candidats et qui ne sont pas inscrits, mais ont protesté contre. Nous, nous sommes restés sereins, nous disant que l’examen pouvait se faire à tout moment. Mais le ministre en charge de la justice nous ayant dit qu’organiser l’examen d’entrée au centre allait entrainer des débordements dont le Bâtonnier que je suis sera personnellement comptable, l’examen n’a pas pu se tenir.

A qui incombaient les questions de sécurité autour de l’examen?
Dans un Etat de droit, c’est l’Etat qui assure la sécurité de tous les citoyens et de tous les biens. Donc si le gouvernement nous dit qu’il ne peut pas assurer la sécurité d’un simple examen, le Barreau prend acte. Donc dès lors que l’examen sera fait, le centre va être opérationnel puisque nous avons déjà nommé un directeur comme le prévoit les textes. C’est le professeur Jean Yado Toé que nous avons choisi comme responsable de cette importante structure. C’est un enseignant de droit à la retraite, l’un des meilleurs spécialistes du droit commercial, et qui a accepté de nous accompagner, avec les conditions que nous lui avons proposées.

Qu’est-ce qui a réellement coincé pour que l’organisation de l’examen ait été annulée?
Nous sommes un peu surpris qu’il est fait reproche au Barreau de ne pas vouloir recruter et former. Alors que c’est la première fois qu’on a un texte qui dit qu’on peut recruter chaque année dans le cadre d’un centre et que ce centre existe avec un directeur. Ce qu’il faut préciser, c’est que toutes les charges de ce centre sont sur le dos du Barreau. C’est la raison pour laquelle, après concertation, nous avons fixé les frais de scolarité à 750 000 francs CFA sur deux ans. Quand on sait qu’il y a des instituts ici qui forment à coût de millions, on est un peu surpris du mauvais procès qui est fait à l’Ordre des avocats. Du reste, si c’est un problème de coût, nous proposons à l’Etat de payer donc les 750 000 francs CFA par étudiant, ou qu’il en subventionne une bonne partie. C’est pour l’avenir de la jeunesse et donc le développement de notre cher pays. C’est parce que nous sommes des responsables et que nous nous sommes dit que l’Etat a beaucoup de priorités que nous développons des initiatives.

D’ailleurs, nous avons pu fixer ce coût, parce que le Barreau du Burkina a eu l’appui de celui de Lyon avec lequel il est jumelé, l’appui du Barreau de Paris avec qui il a un accord, l’appui du Conseil national des Barreaux français et l’appui de la coopération française. Sans ces appuis, le coût ferait plus d’un million cinq cent francs CFA par an. Donc plus de trois millions de francs CFA sur les deux années. L’excellence et la qualité ont un prix. Les avocats sont dans une concurrence mondiale et il n’y a pas d’avocats locaux. Je profite de l’occasion pour lancer un appel aux responsables politiques afin que la sérénité l’emporte.

Les étudiants burkinabè ne sont pas différents des étudiants Maliens, Ghanéens ou Français. La vie est dure pour tout le monde et il faut qu’on s’organise et qu’ils aient les moyens pour faire face à leurs besoins dès lors qu’ils sortent avec un emploi. Le directeur du centre était même prêt à prendre langue avec la banque des avocats pour que ceux qui seraient admis au centre puissent bénéficier d’un prêt d’honneur ou d’étude. Il ne faut pas faire croire à nos jeunes ce que les choses ne sont pas. On n’organisera pas un examen au rabais. Cela n’est pas du tout dans leur intérêt. Rien n’est acquis, mais pour ceux qui ont de la volonté et de l’engagement, rien n’est impossible. Et notre jeunesse doit avoir ce discours de vérité.
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Pensez-vous que les avocats du Burkina ont les compétences nécessaires pour défendre des dossiers hors de nos frontières?
Les avocats burkinabè vont à Abidjan (Côte d’Ivoire, NDLR), à Dakar (Sénégal, NDLR) ou à Lomé (Togo, NDLR), pour certains, dans le cadre de procès avec le port, les livraisons de marchandises en droit commercial, en droit des affaires ou en droit de la responsabilité en cas d’accident de la route. Et c’est la raison pour laquelle, il faut que les avocats burkinabè soient formés et la formation ne peut pas être du fait du hasard ou effet à la chance. Pourquoi les avocats n’ont-ils pas la formation de deux ans comme auditeur de justice qu’ont les magistrats? C’est pour mettre fin à cette anomalie que nous avons créé le centre.

Et nous voulons que les avocats aient une formation pendant deux ans, parce qu’on n’apprend pas la pratique professionnelle, ni la gestion du cabinet, ni la déontologie, ni l’éthique, ni la plaidoirie, etc., à l’université. Seule une école d’avocat peut apprendre cela aux futurs avocats. C’est ce centre également qui va assurer la formation continue et qui permettra aux avocats d’être spécialisés. C’est à cette seule condition que les avocats burkinabè iront au-delà des pays de l’Uémoa et même vers des gros dossiers de l’Etat burkinabè, avec des armes conséquentes. Les cabinets qui assistent l’Etat du Burkina dans les gros dossiers n’ont pas des avocats dotés de deux têtes. Ils sont à ce niveau parce que ce sont des avocats formés. Il n’y aura pas de monopole, il faut donc qu’on forme.

Quel sera votre plus grand regret à la fin de votre mandat?
La mauvaise nature des rapports entre les avocats et des magistrats. Je dis bien des magistrats parce que nous avons d’excellents rapports avec les hautes juridictions et les magistrats des tribunaux autres que celui de grande instance de Ouagadougou (TGI). Je crois que cela procède d’une incompréhension inacceptable entre deux professions qui partagent les mêmes objectifs de sécuriser, pacifier, harmoniser les rapports sociaux et humains dans le cadre de l’Etat. Que ceux-là qui sont chargés de la justice, soient dans un combat de chiffonniers, peu importent les responsabilités, c’est une grande tristesse pour moi.

Que n’ai-je pas fait, que pouvais-je faire de plus pour éviter cette situation? Je crois qu’il faut sortir le plus rapidement possible de cette situation qui n’honore pas notre justice. Même que ma propre personne a été traduite devant le Tribunal correctionnel de Ouagadougou. C’est quand même une première que certains magistrats ont salué mais pour moi c’est une honte. Et qu’un jeune avocat soit condamné à six mois d’emprisonnement, pour moi c’est une douleur indicible; que les travaux de réaménagement du siège du Barreau qui est une fonction juridictionnelle pâtissent de la mauvaise qualité de ces rapports avocats-magistrats, etc., je crois que c’est une méconnaissance qui doit être corrigée.

Votre plus grande satisfaction?
Je vais peut-être vous surprendre, mais malgré toutes les avancées que nous avons obtenues, je n’ai pas de grande satisfaction. Je me suis assigné des missions dont certaines ont pu être accomplies. Modestement, je pense que j’ai ouvert des chantiers et que ceux-ci doivent être poursuivis par l’ensemble des avocats. Je sais que la fonction de Bâtonnier est très prenante quand on veut bien faire. Je souhaite bon vent au futur Bâtonnier. Je ne saurais finir mon propos sans dire merci, du fond du cœur à tous mes collaborateurs, qu’ils soient au niveau du bureau de l’Ordre ou de mon cabinet, et à tous mes confrères avocats qui ont cru en moi et dont le soutien ne m’a jamais fait défaut tout le long de mon mandat. Grâce à eux, je ne regrette pas d’avoir osé ce pari qui m’a éloigné des affaires de mon cabinet durant ces trois années. Le chemin a été souvent jonché d’embûches, mais le sacerdoce fut exaltant.

Par Morin Yamongbè
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