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Albert Ouedraogo, ex-président du TOCSIN : « Nous sommes en train de jouer avec le feu »
Publié le jeudi 5 mars 2015  |  Le Pays




Il fut successivement, ministre des Enseignements secondaire et supérieur puis celui des Droits humains et de la promotion civique courant 2011. Plus connu sous le sobriquet de «Albert Tocsin», du nom de son ONG, le TOCSIN. Pr. Albert Ouédraogo n’est plus à présenter au public burkinabè. Enseignant de littérature orale africaine à l’Université de Ouagadougou, communicateur et consultant émérite, il ne manque pas d’exprimer, sans langue de bois, son point de vue sur un sujet donné. Toujours ouvert, l’homme qui fait parler de lui en ce moment, à travers son œuvre intitulée : « Démocratie et cheffocratie ou la quête d’une gouvernance apaisée au Faso », publiée le 14 juin 2014, et sa position sur le vote des Burkinabè de l’étranger, était l’invité de notre rédaction, le 27 février 2015. Au cours de l’entretien que nous avons eu avec lui, il n’est pas allé avec le dos de la cuillère pour donner son point de vue sur les questions liées à l’actualité socio-politique du pays. A l’entame de l’entretien que nous vous livrons, Pr. Albert Ouédraogo parle non seulement de son passage au gouvernement, mais donne aussi son avis sur les débats en cours au Burkina. Lisez !
Le Pays : Quelle activité menez-vous actuellement ?
Albert Ouédraogo : Je continue l’activité que j’avais cessé d’exercer à savoir enseigner à l’université de Ouagadougou et faire des recherches. Pas plus tard que l’année dernière, j’ai fait sortir une œuvre intitulée : « Démocratie et cheffocratie ou la quête d’une gouvernance apaisée au Faso ». Sans vouloir dire que le livre était prémonitoire, nous avons vu que pendant toute la situation insurrectionnelle et même post-insurrectionnelle, le Mogho Naaba n’a pas cessé d’être une plaque tournante de médiation et de re-médiation de faits nationaux. Cela prouve, quelque part, que nous avons tous intérêt à bien revisiter nos valeurs traditionnelles pour ne pas les jeter à la corbeille parce qu’un jour, nous aurons à les chercher avec difficulté. En plus de cela, je continue mes activités dans la société civile. A une date récente, j’étais encore président du Conseil d’administration du TOSCIN.
« Je n’ai jamais milité dans un parti politique »
En ce moment, je suis le secrétaire chargé du groupe des thématiques et du suivi des politiques dans le Conseil national des organisations de la société civile. Il y a une semaine de cela, je suis devenu le nouveau secrétaire général de la Société racine pour la réhabilitation des traditions orales.
Que répondez-vous à ceux qui disent que votre passage à la tête du ministère des Enseignements secondaire et supérieur (MESS) a été un échec ?
Je dirais que ce sont des gens qui n’ont rien compris de la situation dans laquelle se trouvait le pays quand je suis arrivé à la tête de ce ministère. Si certains pensent que mon passage à ce ministère a été un échec, je souhaiterais que ces derniers me donnent des actes concrets de cet échec, parce qu’on ne peut pas parler d’échec sans évoquer d’indicateurs. Quand je suis arrivé à la tête de ce ministère, ce n’était pas du fait de mon militantisme. Je n’ai jamais milité dans un parti politique encore moins assisté à un meeting politique, d’autant plus que je n’ai même pas de carte de membre d’un parti politique. Si on a éprouvé le besoin de m’appeler à ce ministère, c’est parce que justement la crise venait de là. Nous avons vu que tout était parti de Koudougou où l’élève Justin Zongo avait trouvé la mort. L’école s’est embrasée et il n’y avait plus d’école. Il n’y avait plus d’enseignement. Pire, il n’était pas évident qu’en fin d’année, les examens puissent se dérouler. C’est dans ce climat d’incertitude que j’ai été appelé à la tête du MESS. Pour rappel, j’ai été le premier membre du gouvernement à remettre pied à Koudougou, alors que l’Etat n’y était plus. De conciliation en conciliation, nous avons pu renouer le dialogue avec les élèves, avec les étudiants et avec les enseignants. Au finish, nous avons pu faire en sorte que l’école redevienne un espace où on enseigne, où on écoute et où on apprend. A la fin de l’année scolaire, les examens se sont déroulés et les résultats, par moments, ont été meilleurs que les années précédentes. Au regard de tout cela, si les gens estiment toujours que mon passage au MESS a été un échec, je me demande si ces derniers savent ce que c’est qu’un échec.
« Il y a des corrompus aussi bien dans le gouvernant que dans la société civile »
De mon point de vue, il était question de revenir remettre l’école sur pied et de faire en sorte que les cours reprennent dans les établissements car, à ce moment, beaucoup d’élèves avaient déserté l’école et étaient dans la rue. La critique n’est pas facile. Contrairement à ce qu’on croit, il y a beaucoup qui sont dans l’incapacité de faire des critiques constructives. Il ne faut pas confondre critique et criticisme. Pour pouvoir critiquer, il faut avoir un peu plus de maturité et être capable de prendre une certaine distanciation par rapport aux choses.
Que retenez-vous de votre passage au gouvernement ?
Ayant été membre du gouvernement, j’ai eu l’occasion d’être à la fois celui qui était à l’extérieur et l’intérieur. Je peux dire que cela apporte une certaine maturité, parce que nous vivions souvent dans une sorte de bipolarité où ceux qui étaient dans le gouvernement pensaient que ceux qui sont dans la société civile sont des ramassis de personnes aigries qui n’ont pas la capacité d’apporter leur contribution à la construction de l’Etat, tandis que ceux qui étaient dans la société civile pensaient que ceux qui sont dans le gouvernement sont des voleurs, des incapables et des corrompus. Il faut avoir la capacité de faire une bonne analyse pour savoir qu’il y a des corrompus aussi bien dans le gouvernant que dans la société civile, car la question de la valeur et celle de l’intégrité ne se mesurent pas au fait d’être dans la société civile ou dans le gouvernement. C’est une question personnelle parce que si vous êtes intègres dans la société civile, vous pouvez continuer à l’être dans le gouvernement et vice-versa. Ce que je peux retenir, c’est qu’il y a la solidarité gouvernementale qui veut que lorsque les décisions sont prises, même si vous n’êtes pas d’accord, vous vous aligniez derrière ladite décision. Mais avant qu’une décision ne soit prise, vous avez votre mot à dire et en fonction de l’argumentaire que vous allez avancer, il est possible de faire changer les choses. Par exemple, lorsqu’on a voulu relire la loi portant liberté d’association, j’ai été de ceux qui ont trouvé que le texte qu’on nous proposait était liberticide. Donc, je l’ai souligné en Conseil des ministres et le document a été retiré.
Si c’était à refaire, accepteriez-vous de faire partie du gouvernement de Blaise Compaoré ?
Je ne suis pas de ceux-là qui pensent qu’un gouvernement est lié à un individu. Je suis par contre de ceux-là qui pensent qu’un gouvernement est l’incarnation à un haut niveau de la direction d’un Etat. Un gouvernement n’appartient pas à un individu, fût-il Blaise Compaoré. C’est le gouvernement du Burkina Faso. De ce point de vue, je n’ai aucun regret, aucun état d’âme, d’avoir participé et d’avoir apporté ma contribution au moment où le pays était en situation de grande difficulté. Je ne suis pas allé au gouvernement où tout allait très bien. Je n’ai pas été nommé dans le gouvernement au moment où il fallait venir tirer les bénéfices d’une certaine gloire. Je suis arrivé au gouvernement où certains pensaient même à rendre leur démission, parce que tout n’allait plus. Ici, la leçon que l’on peut retenir sous forme d’interrogation est la suivante : « Lorsque le pays est en danger, doit-on accepter les sacrifices ou pas ? » Mon entrée au gouvernement a été comme une mission de sauvetage parce qu’à ce moment, nos institutions étaient en difficulté, la démocratie avait mal, la confiance était rompue et l’on se demandait où allait le pays. Donc, participer au gouvernement à ce moment-là constitue pour moi un acte de sacrifice.
Pourquoi avez-vous démissionné du TOCSIN ?
J’ai démissionné du TOCSIN pour des convenances personnelles, car on était arrivé à un moment où je sentais que nous n’étions plus sur les mêmes ondes d’appréciation des choses. En pareil cas, il faut savoir quitter les choses avant que les choses ne vous quittent. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut nécessairement s’accrocher à tout, contre vents et marées. Je ne suis point du tout indispensable et quand je ne suis pas d’accord avec quelque chose, je le dis et j’assume les conséquences qui en découleront.
Avez-vous pris la dernière sortie du TOCSIN comme un désaveu, surtout quand on sait qu’elle est intervenue juste après la vôtre, et qu’elle a pris le contre-pied de votre position qui était favorable au vote des Burkinabè de l’étranger aux échéances électorales à venir?
Je dirais que ma démission est une suite logique des évènements qui se sont déroulés tel que vous êtes en train de les décrire.
Etes-vous en bons termes avec l’actuel président du TOCSIN?
L’actuel président du TOCSIN est un ami et ce n’est pas une question de rapport interpersonnel. C’est une question de principe et de point de vue. Rien n’a changé et rien ne changera par rapport à nos accointances personnelles.
Vous parlez de principes. De quels principes s’agit-il ?
Il s’agit des principes de droit, du respect de l’Etat de droit, de la parole donnée, de la Constitution et de la Charte de la transition.
Est-ce cela qui justifie le fait que vous tenez tant au vote des Burkinabè de l’étranger, alors que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a démontré que techniquement, cela n’est pas possible ?
Je suis surpris que vous dites que je tiens tant au vote des Burkinabè de l’étranger. Je n’y tiens pas, parce que je ne suis pas un Burkinabè de l’extérieur. A la limite, que des Burkinabè de l’étranger votent ou pas, qu’est-ce que cela peut me faire à titre personnel ? Mais, j’estime que cela est inscrit dans notre loi fondamentale. J’estime que cela se trouve dans notre code électoral et est inscrit dans notre Charte de la transition. Les premières autorités garantes de ces documents sont les autorités de la transition. Lorsqu’une autorité se met en situation de ne plus respecter les textes qu’elle est censée incarner, cela me pose un problème. J’espère que vous n’avancerez pas l’argument selon lequel il n’y a pas eu de consensus par rapport à ce sujet. Un droit n’est pas un acte consensuel. C’est un acte qui est posé. On le respecte ou on ne le respecte pas. Si on le respecte, on est dans le droit. Si on ne le respecte pas, on est dans l’illégalité juridique. Si ces éléments n’étaient pas inscrits dans notre loi fondamentale, je serais peut-être en train de faire le lobbying ou le plaidoyer tel que je l’avais fait depuis plus d’une dizaine d’années. Mais de nos jours, il s’agit de voir jusqu’à quel point, les autorités sont incapables de respecter leurs propres textes. C’est aussi simple que cela.
Beaucoup de Burkinabè de l’étranger, en l’occurrence ceux de la Côte d’Ivoire, ont reconnu, même si c’est avec un pincement au cœur, ces difficultés qui ne leur permettent pas de voter. Un commentaire ?
En tant que journaliste, je suis sûr que vous avez le sens de la critique qui vous permet d’analyser et ne pas être comme le citoyen lambda qui pense que tout ce qui vient de là-haut, est vrai. Beaucoup de financements ont été octroyés et beaucoup d’activités ont été menées pour permettre à la CENI de se rendre à l’étranger pour mettre en place ses démembrements. Le plus difficile avait été fait car près de 80% du travail est déjà fait. On me parle d’une transition particulière qui fait qu’on ne peut pas associer les Burkinabè de l’extérieur aux échéances électorales prochaines. Comparaison n’est pas raison, mais, le Mali était dans une transition plus houleuse que le Burkina Faso. Cependant, les Maliens de l’étranger, pendant ce temps, ont voté et ce n’est pas le seul cas. La Côte d’Ivoire aussi était dans une situation de transition, mais cela n’a pas empêché les Ivoiriens de la diaspora de voter. Je souhaiterais qu’on me trouve d’autres arguments plutôt que ceux qu’on avance à présent.
Certains ont estimé à tort ou à raison que les choses avaient été faites en amont pour que Blaise Compaoré remporte avec succès ces élections. Autrement dit, tout avait été préparé pour que ces votes ne soient pas sincères. Au regard de cela, est-ce qu’il n’est pas de bon ton de faire attention, surtout quand on sait que l’ancien ambassadeur du Burkina dans ce pays, Justin Koutaba, est un proche de Blaise Compaoré?
Faire attention ne signifie pas aller à l’encontre de la loi. Cela ne signifie pas qu’on peut violer ses propres textes. Je ne suis pas un simple observateur de la vie nationale. Même si je ne suis pas un homme politique, je sais néanmoins comment les choses fonctionnent. Dans ce pays, si on doit mettre de côté tous ceux qui sont proches de Blaise Compaoré, vous risquez de ne pas laisser grand monde dans ce pays, à commencer par les gens de la transition. Certains pensent que comme Blaise Compaoré réside présentement en Côte d’Ivoire, les élections ne pourront pas se dérouler dans la transparence. Ils pensent que ce dernier pourra instrumentaliser nos compatriotes vivant dans ce pays. Est-ce que c’est en Côte d’Ivoire seulement qu’il y a des Burkinabè ?
Mais, c’est dans ce pays-là qu’il y a la plus forte communauté Burkinabè !
Si on ne veut rien faire, on peut toujours trouver des arguments. Pourquoi pense-t-on qu’il faille nécessairement qu’on aille dans le sens de permettre à tous les Burkinabè de France et de Côte d’Ivoire de voter ici et maintenant ? Quand on commence, on le fait avec les moyens du bord. Au fur et à mesure, on affine, on précise et on peaufine. On dit que c’est dans le souci de faire voter tous les Burkinabè de l’étranger. Je dirais que c’est impossible parce que personne n’a réussi à faire en sorte que tous les Burkinabè de l’intérieur puissent voter. Si le vrai problème est la présence de l’ancien président du Faso en Côte d’Ivoire, au nom de quoi va-t-on pénaliser tous les Burkinabè qui ne sont pas en Côte d’Ivoire ? Il ne faut jamais prendre un acte isolé pour frapper toute une communauté. A ce moment, on n’est plus dans un Etat de droit et j’estime que pour cette question du vote des Burkinabè de la diaspora, la transition aurait pu faire un geste pour dire qu’elle est pour ce vote. Quitte à dire, au regard des difficultés qui s’imposent, voilà ce qu’elle peut faire pour traduire sa bonne volonté. Même si la transition avait choisi, ne serait-ce que deux pays, cela aurait été extraordinaire.
A ce moment, les Burkinabè des autres pays qui ne sont pas concernés se sentiraient lésés...
Non, l’argument que vous avancez fera que même en 2020, les Burkinabè de l’étranger ne voteront pas.
Etes-vous sûr qu’ils ne pourront pas le faire en 2020 ?
Je ne suis pas sûr mais ce n’est pas la première fois que le vote des Burkinabè de l’étranger a été reporté. On l’a reporté en 2010, en disant que ce serait en 2015. On est en train de le reporter pour 2020. Il n’y a jamais deux sans trois.
« Nous sommes en train de jouer avec le feu »

On vous sent très pessimiste. Si on ne devait retenir que la France et la Côte d’Ivoire comme vous le dites, est-ce qu’on ne frustrerait pas les Burkinabè vivant dans les autres pays ?
Je ne suis pas pessimiste mais je suis malheureusement réaliste, parce que je ne sais pas si vous observez les frémissements dans les réseaux sociaux. Si vous le faites, vous vous rendrez compte de comment notre pays devient de plus en plus xénophobe et de plus en plus intolérant. Il faudra qu’on fasse très attention, parce que notre pays est en train de se radicaliser. L’ébullition extrémiste est en train de gagner du terrain. Malheureusement, les membres du gouvernement de la transition ne font rien pour arrêter ce type de discours dangereux. Certains n’arrêtent pas de dire que nos compatriotes de l’étranger ne connaissent rien de ce pays et qu’ils ne sont pas, à la limite, des Burkinabè. C’est tout cela qui pourrait nous amener vers une cassure réelle entre Burkinabè de l’extérieur et ceux de l’intérieur. Je ne veux pas être un oiseau de mauvais augure, mais c’est ce qui a amené le Rwanda dans le génocide en 1994. Ce que je dis est suffisamment grave. L’exclusion des uns fait le lit des rébellions. Nous sommes en train de jouer avec le feu, car nous ne pouvons pas considérer les 10 millions de nos compatriotes de l’extérieur comme un détail.
Si ces compatriotes ont pu attendre depuis longtemps pourquoi ne pourraient-ils pas attendre encore 5 ans ?
Quand on est dans les droits humains, on fait toujours la part entre celui qui viole et celui qui subit. Celui qui viole les droits humains n’a aucun ressentiment et ne soufre aucunement de ce que l’autre peut subir en un ou deux ou 5 ans. Une seconde de violence est énorme.
« Il n’y a pas d’élections divines sur cette terre car les hommes politiques ne sont pas des anges »
Pendant longtemps, nos compatriotes n’avaient pas eu le sentiment qu’on ne voulait pas réellement qu’ils votent, jusqu’à ce que de pression en pression, une loi soit prise. Dès lors qu’on a voté la loi, pourquoi sa mise en œuvre doit-elle être différée ? Lorsqu’une loi a été adoptée, elle doit être effective. Pendant que les uns proposent qu’ils attendent 5 ans, pourquoi ne pouvons-nous pas repousser les élections à venir en novembre 2016 pour permettre aux membres de la transition de mieux se préparer pour les organiser? Je suis sûr que lorsqu’une décision sera prise dans ce sens, certains seront prêts à se sacrifier pour que cela n’ait pas lieu. Les gens ont peur des fraudes, mais est-ce qu’il y a déjà eu des élections sur cette terre qui soient totalement transparentes ? A cette question, je répondrais par la négative, car même dans les pays les plus avancés comme les Etats-Unis d’Amérique, on n’en trouve pas. Il n’y a pas d’élections divines sur cette terre car les hommes politiques ne sont pas des anges. Aucun homme politique ne va organiser des élections en pensant qu’il va les perdre. Chacun l’organise en cherchant à instrumentaliser les militants. Qu’est-ce qui vous fait croire que ceux que vous pensez qu’ils ont des mains propres au Burkina, ne peuvent pas instrumentaliser les citoyens ? La question ne doit pas se poser en termes de fraudes. Je ne discute pas de politique mais de droit. En matière de droit, il faut laisser la liberté à tout un chacun de faire son choix et que l’on s’assure que le choix se fait dans la transparence et dans l’équité. S’il y a des doutes à ce niveau, je me demande ce que la CENI fait. Si cette institution est incapable d’organiser des élections propres, à quoi sert-elle ? Comment les gens peuvent-ils présager qu’avec la CENI, certains pourront faire des bourrages d’urnes ou de la manipulation ? Si tel est le cas, c’est qu’au sein de la CENI, il y a des personnes qui ne sont pas crédibles.
Quelles sont les difficultés qui se posent pour la mise en place du statut des chefs coutumiers ?
A mon sens, les difficultés sont internes et externes. N’oublions pas que notre pays est né de la colonisation française et que la plupart de nos institutions sont des copies plus ou moins améliorées ou réajustées de ce que la France a mis en place comme institution républicaine. Lorsque le colonisateur est arrivé en Afrique, il a vécu la présence des chefs coutumiers comme un obstacle, jusqu’à ce qu’il parvienne à les instrumentaliser. C’est à ce moment qu’il a commencé à collaborer avec eux. Au moment des indépendances, l’heure était plutôt à la doctrine socialiste, communiste, marxiste. Au nom de la liberté, on a éprouvé le besoin de classer le monde en deux : les dominants et les dominés, les exploiteurs et les exploités. On avait classé les chefs coutumiers parmi la société qui exploite et on les qualifiait de société féodale, contre lesquels il fallait s’insurger pour lutter contre les populations. Cela est devenu la ligne directrice des pensées de nos politiques et de nos intellectuels, à telle enseigne qu’au sortir des indépendances, le Mogho Naaba Koubri avait commis l’erreur de vouloir prendre d’assaut le Parlement. Cela s’est soldé par un échec. A ce moment, il se trouvait qu’il y a eu une sorte de braquage entre la première république de Maurice Yaméogo et la chefferie, singulièrement la chefferie du Mogho Naaba. Cela est allé en dents de scie, car il y a eu des moments où des chefs se sont retrouvés en harmonie avec le gouvernement. Par exemple, le cas du Ouidi Naaba qui s’est retrouvé ministre de la Santé. Cependant, il y a eu des moments où la chefferie a eu maille à partir avec l’Etat, surtout pendant la Révolution de 1984 à 1987. En ce temps, il y a eu beaucoup de stigmatisations à l’égard de tout ce qui avait trait à la chefferie, jusqu’à ce qu’on arrive au référendum pour adopter la Constitution en 1992. C’est à l’issue de cela que les anciens révolutionnaires ont éprouvé le besoin de se rapprocher des chefs coutumiers pour avoir des bases électorales. C’est ce qui a amené les chefs coutumiers à faire de la politique. Cela s’est fait timidement, jusqu’à ce que les chefs coutumiers commencent à se rendre compte que lorsqu’ils sont instrumentalisés par les politiques, ils sont laissés pour compte à la fin. Au début, ils acceptaient d’être ceux qui rassemblaient leur peuple derrière les hommes politiques. Mais, au finish, ils se sont dit pourquoi ne pas être candidat aussi aux élections. C’est ainsi qu’on a commencé à avoir des chefs qui sont devenus des maires et des députés. Aujourd’hui, la politique politicienne est entrée dans la chefferie. Cela n’est pas si étonnant, dans la mesure où la chefferie en elle-même est politique. C’est la colonisation qui est venue enlever sa dimension politicienne à la chefferie. Avec ce qui arrive, on s’est rendu compte qu’il y a une certaine nuisance, dans la mesure où les chefs coutumiers politiques perdent une certaine autorité. Ils ne sont plus des rassembleurs et parfois, leurs points de vue sont contestés par certaines personnes. C’est pourquoi j’ai proposé qu’on désarme politiquement les chefs coutumiers en vue de les ramener aux rôles de rassembleurs, de pacificateurs, pour créer l’unité au niveau de leur communauté et de leur pays. Une étude a été menée dans ce sens et la question des chefferies est revenue. Les chefs coutumiers, en ce temps, avaient proposé de construire leur statut. Jusqu’aujourd’hui, ce document n’a pas vu le jour. Cela, pas parce que les chefs sont incapables de le concevoir, mais parce que, tout simplement, nous sommes dans un pays multiculturel. Les chefferies sont circonscrites à des espèces et à des entités culturelles bien définies, sans qu’il n’y ait forcément de rapport de soumission, d’allégeance les unes par rapport aux autres. Donc, la première difficulté est que les chefs coutumiers n’ont pas d’allégeance les uns par rapport aux autres. La deuxième difficulté est que le statut que les Mossé auraient à réfléchir avec leur chef, n’engagerait pas les Gourmantché, ni les Samo ou encore moins les Gourounsi, parce qu’ils n’ont pas les mêmes réalités culturelles. Pour réussir cette mission, il faut qu’il y ait une bonne volonté politique du gouvernement. Vous savez que certains disent qu’on a constitutionnalisé la chefferie coutumière. Mais, je vous renvoie à notre Constitution. Nulle part, il n’est écrit le mot « Chef » dans ce document. Donc, c’est un manque de volonté politique, parce qu’on a voulu continuer de considérer les chefs coutumiers comme des citoyens ordinaires, alors que ces derniers ne le sont pas. Il faudra qu’on fasse attention car on n’a pas seulement les chefs culturels. On a aussi des chefs cultuels, notamment les chefs des masques, les chefs des bois sacrés, les chefs des terres, etc. Tous participent à la protection de notre patrimoine et nous ne devons pas bâtir notre démocratie en les ignorant. Je prends l’exemple du Ghana où la chefferie a été constitutionnalisée. Dans ce pays, la chefferie est une institution de la République. Au Ghana, vous avez un collège de chefs au niveau local, régional et national. Il n’est pas possible d’avoir deux chefs dans un même village dans ce pays, car il y a un collège qui est là et qui décide de celui qui mérite d’être chef. En contrepartie, les chefs ne peuvent pas faire la politique. Si un chef commet une faute, on le démet simplement.

« Lorsqu’un mensonge dure plus de 40 ans, il faut la considérer comme vérité »

Au Burkina Faso également, il arrive qu’on démette des chefs ?

C’est assez rare, mais dans le fonctionnement normal de cette institution, des situations comme cela existent. Mais, dans le cas du Ghana, cela se fait au niveau républicain, à l’intérieur du collège des sages où toutes les entités sont représentées et pas seulement les Ashantis. Cela a l’avantage de faire en sorte que l’on puisse faire évoluer les mentalités, les pratiques et les visions. Les questions de la lutte contre l’accusation en sorcellerie ou l’excision peuvent être confiées aux chefs qui, à l’intérieur de leur collège, vont voir quels mécanismes mettre en place, dans chaque culture, pour faire évoluer les mentalités. A ce moment, les populations ne verront plus cela comme des décisions qui viennent de la haut et qu’elles n’apprécieront pas. Quoi qu’on dise, aujourd’hui, nos chefs ont encore une certaine crédibilité auprès de leurs populations. Cette crédibilité peut donc aider à faire évoluer les mentalités. La chefferie a été combattue pendant la colonisation, l’indépendance et sous la révolution, mais elle est toujours là. Dans la Charte de Kourakafougan, Soundiata Keïta disait que lorsqu’un mensonge dure plus de 40 ans, il faut le considérer comme vérité. Nous ne pouvons pas considérer la chefferie, au Burkina, comme étant un épiphénomène. En outre, il faut que la conception évolue. Les chefs, ce ne sont plus ces anciens qui sont analphabètes, qui n’ont pas voyagé, qui ne sont pas instruits ou qui ne sont pas diplômés. Les choses ont changé et, dans la chefferie, vous avez tout ce que l’on peut considérer comme étant la matière grise. Il y en a qui sont médecins, ingénieurs, professeurs d’université, opérateurs économiques… qui se mettent aussi à l’heure de l’internet. Donc, il nous appartient de ne pas continuer à avoir une mentalité passéiste par rapport au chef traditionnel. Les derniers évènements de notre pays nous prouvent à souhait que si la chefferie n’existait pas, il aurait fallu la créer. Les 30 et 31 octobre 2014, si le Mogho Naaba avait été officiellement inféodé à la politique partisane, où serions-nous aujourd’hui ?

Justement, trouvez-vous normal qu’un chef de gouvernement se retrouve chez un chef coutumier lorsque celui-ci estime que sa vie est menacée ? C’est le cas de ce qui s’est passé récemment avec le Premier ministre Yacouba Isaac Zida.

Lorsque la vie de quelqu’un est en danger, je me garde de juger les actions qu’il met en œuvre pour la conserver. C’est une question de survie et en matière de survie, je parlerais un peu comme la perdrix qui dit que : « La vie est préférable aux œufs ». De ce fait, lorsqu’on surprend la perdrix sur ses œufs, elle préfère les abandonner tout en se disant qu’elle pourra, plus tard, en pondre d’autres. Donc, je ne jetterai jamais la pierre à quelqu’un qui, dans un réflexe de survie, mène une action donnée. En plus, l’acte du Premier ministre Isaac Zida n’est pas un acte isolé. Vous ne pouvez pas ne pas inscrire cet acte dans la continuité des journées insurrectionnelles des 30 et 31 octobre 2014. Tous les généraux qui ont voulu se faire proclamer chef d’Etat ont défilé chez le Mogho Naaba. Les différents partis politiques et la société civile ont défilé également chez le Mogho Naaba. Je ne dirai pas que c’est la place de la Révolution, mais c’est comme le pendant de la place de la Révolution, quand on regarde la manière dont les choses se sont déroulées. Tout cela se justifie parce que lorsque vous êtes en situation de crise, il faut, à un moment donné, trouver un espace apaisé et non participant de la belligérance, afin de pouvoir reconstruire votre vie d’ensemble. Contrairement à la place de la révolution, c’était plutôt chez le Mogho Naaba qu’on pouvait trouver cet espace apaisé.

« Les dieux des autres ne pourront pas nous sauver »

J’estime donc que ces mouvements chez le Mogho Naaba étaient intelligents, car cela pousse les chefs à continuer à préserver leurs palais pour qu’ils demeurent des espaces où l’on peut construire un minimum de consensus social. N’oubliez pas non plus que le nom de guerre de Sa Majesté Mogho Naaba c’est « Baongo ». Et, « Baongo » veut dire le marécage, le lieu où converge tout ce qu’il peut y avoir de bon ou de mauvais, dans un environnement donné. Le marécage reçoit tout. Pour justement dire qu’il faut de tout pour faire un monde. Le marécage ne trie pas ce qui est bon de ce qui est mauvais, mais il pense plutôt que tout cela participe de la vie en communauté car, dans la vie en communauté, il y a du bon, du moins bon et aussi du mauvais. Au regard de son nom de guerre, son palais ne peut être qu’un espace d’acceptation des uns et des autres, pour peu que vous vouliez le rencontrer. Dieu merci, ces espaces-là, le Burkina en a beaucoup, aussi bien au niveau local qu’au niveau régional, même si ce n’est pas le cas d’abord au niveau national. Ce qui s’est passé lors des journées insurrectionnelles et la récente sortie du Premier ministre, doivent nous interpeller. Faire comprendre que lorsque vous êtes en situation de danger, ce à quoi vous vous accrochez pour vous en sortir est considéré, dans la tradition, comme le « Teng Kougri ». Il y a beaucoup de choses que nous faisons en tant qu’Africains, mais qui sont en réalité du cinéma et du mauvais cinéma. Il y a des choses en quoi l’on croit pour se faire plaisir et pour se faire bien apprécier des autres mais qui, en réalité, ne sont pas l’essence de notre vérité. L’essence de notre vérité c’est le réflexe que nous avons au moment où nous nous sentons en danger ou au moment où la vie d’un de nos proches est menacée. C’est ce réflexe qui constitue notre verité. Malheureusement, nous préférons nous chatouiller nous-mêmes pour rire.

« Le Burkina est malheureusement à la croisée des chemins »

Nous renions certaines valeurs comme croire en nos ancêtres, car nous nous disons que cela ne fait pas politiquement correct ou que cela ne fait pas évolué. Je veux bien l’admettre, mais je suis plutôt pour ceux qui pensent que les dieux des autres ne pourront pas nous sauver. Si nos propres dieux ne nous sauvent pas, ne comptons pas sur les dieux des autres. C’est dire que nous ne pouvons pas construire notre développement en pensant qu’il faut renier tout de nos cultures. Ayons donc le courage de revisiter nos traditions, nos trésors humains vivants, afin qu’un jour, ils puissent nous aider à continuer à vivre ensemble. Le Burkina est malheureusement à la croisée des chemins et si nous sortons de cette logique et que nous nous inscrivons dans la logique de la rue qui pense qu’il faut ostraciser, qu’il faut diaboliser ou qu’il faut penser que certains Burkinabè méritent d’être plus Burkinabè que d’autres, cela est grave. Qui peut dire qu’il a le monopole de décider qui est un vrai Burkinabè et qui ne l’est pas ? Si on laisse faire ce genre de chose aujourd’hui, demain, un autre viendra dire que celui qui parlait auparavant n’est pas burkinabè et que c’est lui qui en est un. C’est comme cela qu’on construit les cassures sociales, préparant ainsi les situations de conflits armés ; ce que je ne souhaite pas à mon pays. Si, jusque-là, on n’est pas arrivé à ce stade, c’est parce qu’on est toujours parvenu à donner la possibilité à celui qui a trébuché de se remettre et de continuer le combat du développement avec les autres.

« Je rêve qu’on nous permette de pouvoir avoir un civil comme président »

Quel commentaire faites-vous de la candidature des militaires à la prochaine présidentielle ?

En tant que démocrate, ce que je peux dire, c’est que les militaires sont des citoyens à part entière. A ce titre, pour peu qu’ils prennent les dispositions légales leur permettant de ne plus être dans les rangs, ils peuvent être des candidats aux élections présidentielles. Mais, dans le cas précis, mon rêve est de voir le Burkina être dirigé, après la transition, par une personnalité qui n’a jamais porté la tenue. Je rêve qu’on nous permette, ne serait-ce que pendant 5 ans, de pouvoir avoir, enfin, un civil, au sens plein du terme, comme président. Cela nous permettra de penser que le Burkina est aussi une démocratie qui n’a pas besoin, forcément, d’avoir à sa tête un homme qui nous donne l’impression qu’on doit se mettre en rangs et marcher en rangs serrés. Pour les élections à venir, j’aspire à ce que cela soit une réalité, sans que je ne m’inscrive dans un ostracisme concernant les militaires. C’est simplement un souhait personnel. Un rêve de voir le Burkina s’aligner sur les autres démocraties africaines et de voir qu’après le Mali, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Sénégal, nous avons un président qui n’ait pas été un militaire ni de près, ni de loin.

Qu’est-ce que vous avez comme reproche vis-à-vis du pouvoir kaki qui puisse vous amener à rêver de voir plutôt à la tête du Burkina, un civil ?

Vous savez, nous sommes ce que nous sommes et nous sommes ce que notre formation fait de nous. Si vous mettez un religieux à la tête de votre Etat, il va vous promettre le paradis ou l’enfer et il va vous gérer de façon religieuse. Il dira qu’il parle au nom de son livre et qu’il a toujours raison et à un moment donné, il se sentira tellement proche de Dieu qu’il se prendra pour le porte-parole de Dieu. A ce moment, tout ceux qui vont essayer de le contredire seront vus comme Satan. Et cela, c’est sa formation qui l’y aura poussé. Lorsque vous prenez un militaire, sa formation veut qu’il pense que tout est une question de garde-à-vous. Il suffit que la hiérarchie donne un ordre pour qu’il soit exécuté sans murmure. Et, la contradiction au sein des militaires ne se résout pas souvent par le dialogue mais par les armes. Cet aspect des choses est lié à leur formation. Si vous mettez également un homme politique à la tête du pays, il va le gérer par des intrigues politiques. Mais, je préfère les intrigues politiques à toutes les autres situations ; c’est le moindre mal.
Je préfère les intrigues politiques aux fatwas et aux autres, avec des sanctions qui peuvent même aller après votre mort. S’agissant de la question militaire, il faut l’avouer, nous avons souffert sous beaucoup de régimes d’exception. C’est pourquoi je rêve d’un peu d’oxygène me permettant de pouvoir, enfin, être sous un régime « normal ». C’est un peu ce rêve que j’avais pour la transition, si le Premier ministre n’avait pas été militaire.

Donc vous n’êtes pas pour le tandem militaro-civil ?

Non ! Je crois que, dans une république, il faut que les rôles soient clairs. La défense de la République à l’armée et la gestion du pouvoir aux civils. Il y a des mélanges qui sont assez explosifs. Vous avez parfois suivi avec moi, la difficulté que ce tandem avait pour se mettre en place. Lorsque vous avez été chef de l’Etat, même si cela a duré quelques semaines, et que vous revenez comme Premier ministre, cela nous rappelle bien des choses. A ce moment, le côté civil est difficile à faire prévaloir. Mais vous savez que toutes les transitions sont bancales, c’est pourquoi d’ailleurs on les appelle ainsi. Ce ne sont pas des situations normales. Donc, à situation anormale, on peut souffrir d’un attelage pas toujours normalisé.

« Pendant longtemps, nous nous sommes alignés sur le dictat de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) »

Depuis un moment, les choses à l’université de Ouagadougou ne vont pas très bien. Vous qui n’êtes pas étranger à l’enseignement supérieur, quel commentaire pouvez-vous faire de la situation chaotique en milieu universitaire et quelles solutions proposez-vous ?

C’est une question de volonté politique et de maturité des acteurs du système éducatif. Je veux parler des enseignants, des étudiants, des parents d’étudiants, du personnel technique et ouvrier et de la tutelle politique. Si ces acteurs ne parlent pas le même langage et ne regardent pas dans la même direction, il y aura toujours des couacs. C’est pourquoi il est salutaire que les états généraux de l’enseignement aient lieu. Il faut qu’ensemble, après avoir diagnostiqué les maux de notre système éducatif, nous ayons le courage de trouver la thérapie, en faisant le sacrifice et faire ce qu’il faut. Pendant longtemps, nous nous sommes alignés sur le dictat de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) de sorte que nous avons sacrifié notre enseignement supérieur. Et nous continuons à en payer le prix. Nous avons préféré mettre l’accent sur l’enseignement de base, oubliant que l’enseignement de base est alimenté par l’enseignement supérieur. Ainsi, l’enseignement supérieur a été négligé, techniquement, structurellement, infrastructurellement et même en ressources humaines. De nos jours, lorsque vous cherchez un docteur à l’université, c’est la croix et la bannière. Tout simplement parce que, pendant un moment, l’Etat avait arrêté de financer les bourses pour le 3e cycle. Ceux qui sont partis sur la base des sacrifices de leurs parents, ne tiennent plus à revenir à l’université. Ils sont 3 ou 4 fois mieux payés ailleurs, à l’extérieur ou dans des structures de la place qu’à la Fonction publique. Il n’est pas facile de trouver des géologues, de nos jours, à l’université.

Où sont-ils passés ? Dans les sites miniers et autres ?

Bien sûr ! Il faut donc que nous ayons le courage d’affronter notre réalité et de dire que l’enseignement supérieur mérite un plan Marshal sur une durée d’au moins 5 ans, où on va mettre à la disposition de l’enseignement supérieur, une masse monétaire assez importante pour avoir des ressources humaines et des infrastructures adéquates. Ce n’est pas normal qu’on continue d’écrire, à l’université, avec de la craie et que, souvent, on trébuche au contact des câbles des micros. Il faut donc un véritable plan Marshal pour l’enseignement supérieur. On reproche tout au système Licence master doctorat (LMD), mais la question n’est pas là, parce que nous ne pouvons pas nous décrocher du système mondial. Il faut que nous nous donnions les moyens de nous battre à armes égales avec le système mondial. Lorsque le plan Marshal sera mis en place, il faudra ensuite mettre en phase les différents acteurs pour que nous nous accordions pour déterminer la part de sacrifice que chacun peut faire, pour nous permettre de sortir la tête de l’eau. Sinon, pour l’heure, nous avons la tête sous l’eau et chaque crise qui vient, nous enfonce davantage. Posez-vous la question de savoir pourquoi, dans les universités privées, il n’y a pas autant de crises. C’est parce que dans cet univers, chacun se sent concerné. Les parents ne se contentent pas de dire aux enfants d’aller simplement à l’université et que « Dieu les pousse ». Ils tiennent à voir ce que les enfants font. C’est vrai que cela est propre à une certaine frange de la société et aux moyens à développer. Je pense aussi que l’enseignement supérieur privé et supérieur public devraient travailler ensemble, avec l’appui de l’Etat. Cela a déjà commencé. Actuellement, les meilleurs enseignants se trouvent dans les universités publiques et la plupart des cours, dans le privé, c’est nous qui les dispensons. Mais cela va évoluer certainement et dans les années à venir, le privé sera plus performant, car il va attirer les meilleures performances.

« L’homosexualité a toujours existé dans toutes les sociétés humaines »

La question de l’homosexualité fait débat de nos jours. En tant que sociologue, quelle lecture faite vous de cette situation ?

Très souvent, les Africains ont tendance à penser qu’ils sont tellement singuliers que ce que les autres font, n’a rien à avoir avec eux. Mais, on oublie de rappeler que si l’Afrique est le berceau de l’humanité, c’est que toutes les dérives sont venues de l’Afrique. Les différentes déviations sont venues aussi des premiers humains qui ont vécu en Afrique. Je puis donc vous affirmer que l’homosexualité a toujours existé dans toutes les sociétés humaines et continue d’exister. Maintenant, que l’on condamne l’homosexualité, que l’on désapprouve ou que l’on prenne ses distances par rapport au phénomène, je peux le comprendre. Mais, même en Europe où on tolère et où on légifère sur l’homosexualité, il y a quelques siècles auparavant, on y tuait les homosexuels. Ce n’est pas particulier, c’est une évolution des sociétés. Dans mon livre intitulé « Démocratie cheffocratie », où j’évoque la question des droits sexuels, une enquête a été faite à Réo. Cette enquête a révélé que l’homosexualité a toujours existé là-bas, et qu’il y a même une appellation des homosexuels dans la langue locale. Donc, j’invite les uns et les autres à plus de tempérance. Il y a des gens qui sont homosexuels, parce qu’ils sont nés homosexuels. Et si vous leur jetez la pierre, ce n’est pas pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils sont. C’est exactement comme être raciste. Tant que vous êtes condamnés pour ce que vous êtes, cela pose problème. On peut vous condamner pour ce que vous faites parce que vous avez le libre choix de vos actions. Mais dans le cas de l’homosexualité, c’est une question de plaisir. Chacun à ses penchants sexuels. Si vous êtes un homme, que vous êtes hétérosexuel et qu’on vous demande de faire des rapports avec un autre homme, cela vous pose problème. Parce que c’est une violence que l’on serait en train de vous faire. Il en est de même pour quelqu’un qui est homosexuel. Qu’est-ce que l’on fait pour être hétérosexuel ? On ne passe pas un concours pour l’être. On nait hétérosexuel. C’est exactement la même chose pour les homosexuels. C’est difficile à comprendre, mais en termes de droits humains, on ne se met pas seulement du côté des dominants. On apprend aussi à se mettre du côté des minorités et de ceux qui subissent la violence. On a vu des homosexuels faire plaisir à l’opinion, en se mariant à des femmes. Mais cela n’a pas porté fruit, car ils sont obligés de sortir parce qu’ils n’ont pas du plaisir avec leur femme. C’est comme si on obligeait un hétérosexuel à avoir des rapports avec un homme. La question du plaisir sexuel est une question privée. Tant que les deux partenaires sont consentants et qu’il n’y a aucune violation, cela ne me regarde pas. Tant que le problème n’est pas de nature à choquer l’opinion publique, cela ne me dérange pas. Mais, ce que je peux dire, c’est de faire attention à la dérive. Pour ma part, je suis donc un peu modéré. Qui met au monde les homosexuels ? Ce sont les hétérosexuels. Mais est-ce pour autant qu’il faut les condamner ?

Propos recueillis par la rédaction et retranscrits par Mamouda TANKOANO et Adama SIGUE
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