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« Nous allons construire un appareil judiciaire efficace contre la délinquance économique et financière », Dr Luc Marius Ibriga
Publié le lundi 16 fevrier 2015  |  Notre Temps
Transition
© aOuaga.com par G.S
Transition : un premier projet de charte remis au chef de l`Etat
Lundi 10 novembre 2014. Ouagadougou. Hôtel Laico de Ouaga 2000. Le chef de l`Etat de la transition, lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, a officiellement reçu le projet de charte de la transition concocté par la société civile, l`opposition et les chefs coutumiers et religieux. Photo : Dr Luc Marius Ibriga




Notre Temps: Ces derniers jours, le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) a provoqué l’indignation générale de la population en empêchant la tenue d’un Conseil des ministres. Quelle lecture en faites vous?

Dr. Luc Marius Ibriga: Je pense que c’était très grave. Parce que, comme le disent beaucoup de gens, il s’agit, dans une certaine mesure, d’un coup d’Etat qui ne dit pas son nom. On ne comprend pascomment on peut exiger que le gouvernement soit revu selon les desideratas d’un groupe. On peut formuler des revendications, mais de là à demander le départ du Premier ministre et des militaires du gouvernement qui n’ont pas été choisis par le RSP, mais par le président Kafando, lui-même désigné par les forces vives, on voit bien qu’ici nous sommes dans un processus de coup d’Etat. Le RSP se dit qu’il a la force d’imposer ses points de vue. Je pense que cela est aussi la conséquence d’une certaine impunité.

Car il y a aujourd’hui des gens qui s’imaginent qu’il faut qu’on continue à gérer dans l’impunité les actes qu’ils ont posés.Dans leurs écrits, ils disent qu’ils n’ont rien commis de grave, encore moins un crime. Or l’attentat à notre Constitution est bel et bien consacré. Le peuple burkinabè ne serait pas sorti, s’il n’y avait pas un attentat à sa Constitution.

C’est cela qui conduit dans notre Administration à avoir ces situations de laxisme total où on ne sanctionne personne, malgré les fautes qui sont commises. Donc, nous disons qu’à quelque chose malheur est bon et qu’il faut que chacun réponde de ses actes, parce qu’en République, on doit répondre de ses actes sur la base du droit.

Pour revenir au thème de notre entretien, pourquoi avez-vous donné le bon exemple en déposant le premier la déclaration de vos biens?

A mon avis, il y a certaines fonctions qui ,de par leur nature, nous amènent non pas, à donner l’exemple, mais à appliquer la règle de droit dans sa rigueur.

Le texte sur les contrôleurs d’Etat fait obligation à ceux-ci de déclarer leurs biens au Conseil constitutionnel.

La Charte de la Transition en fait une obligation aux autorités de la Transition. Et cela doit être publié au Journal officiel. Mais, très peu de Burkinabè savent où se trouve le Journal officiel. Si nous, en tant que contrôleur, nous devons veiller à la bonne gestion, à la transparence de la gestion de la chose publique, et à la préservation de la chose publique, nous devons être aussi irréprochable à ce niveau. Et nous devons être le plus transparent possible.

Selon vous, y a t-il une explication au fait que certains responsables traînaient les pieds pour faire la déclaration de leurs biens?

Je ne sais pas si des personnes traînaient les pieds pour faire la déclaration de leurs biens, dans la mesure où je ne suis pas au gouvernement, ni au Conseil constitutionnel. Je crois que la logique d’un gouvernement où il y a la solidarité, la publication devrait se faire quand tous les membres du gouvernement les auraient déposés. Maintenant, une chose est que cela soit fait au Conseil constitutionnel, une autre est que ce soit publié au journal officiel. Peut être que c’est cette procédure qui tarde. Mais il n’y a pas une obligation pour eux de publier dans les journaux de la place. L’obligation juridique est de publier dans le Journal officiel. Il est important que cela paraisse rapidement étant donné le très peu de temps qu’il y a entre la déclaration à l’entrée et la déclaration à la sortie.

Le rapport 2013 de l’ASCE a été remis officiellement au Président du Faso, aux autorités de la Transition. Succinctement, quels sont les dossiers transmis à la Justice par l’ASCE?

Dans ce rapport, il y a un certain nombre de domaines qui sont les plus importants.

Il y a d’abord une constatation majeure qui revient presqu’à chaque rapport. C’est la question de la passation des marchés publics. La passation des marchés publics est aujourd’hui le moyen le plus sûr de dissipation des biens publics.

Il apparait aussi dans le rapport 2013, une autre manière de malversation: ce sont les dépenses non justifiées.Lesdépenses non justifiées atteignent près de 90% des malversations. Tout cela est dû au fait qu’il n’y a pas de manuel de procédure et les gens ne suivent pas les règles. De ce point de vue il faut que l’on fasse en sorte d’avoir un code de contrôle qui soit logique. Que les inspections techniques soient renforcées pour que l’on puisse avoir un contrôle interne qui soit efficace. Que lecomptable soit contrôlé régulièrement. Parce que, quand un comptable n’est pas contrôlé régulièrement, il a souvent la tentation de plonger la main dans la caisse en se disant qu’il pourra rembourser plus tard.

Donc, les dossiers que nous avons transférés en justice, ce sont les dossiers qui dépassent 1 000000 de FCFA. Parce que ça relève du domaine du crime. Quant aux autres dossiers ils pourront être réglés par voie hiérarchique, soit par la restitution ou par des sanctions disciplinaires.

La procédure judiciaire dans un Etat de droit diffère complètement de l’Etat d’exception. Ne craignez vous pas qu’on tombe dans une justice expéditive?

Disons que nous ne demandons pas que l’on aille à l’encontre des droits de procédure. Au contraire, nous disons qu’il faut respecter la règle de procédure pour avoir des décisions qui durent dans le temps.

Rappelez-vous ce qui s’est passé sous le Conseil national de la Révolution. Il y a eu des procès qui n’ont pas respecté la procédure. Par la suite, il y a eu des requêtes et le juge a donné raison. Parce que, sur le plan procédural, il y a eu un certain nombre de procédures qui n’ont pas été respectées.

Ce que nous demandons, c’est que l’on construise un appareil judiciaire qui permette d’exploiter et de lutter efficacementcontre la délinquance économique et financière.

Parce que nous pensons qu’aujourd’hui notre appareil judiciaire n’a pas les compétences nécessaires pour véritablement traquer la délinquance économique et financière. C’est pour cela que nous proposons qu’au niveau des cabinets d’instruction on puisse constituer des pools d’experts autour du juge d’instruction,pour l’aider à instruire le dossier en attendant que l’on spécialise des magistrats dans ce domaine. Cela est nécessaireparce que partout on se rend compte qu’on ne peut plus se contenter de la justice généraliste. Avec leur recrudescence, des fléaux comme le terrorisme, le grand banditisme, la délinquance économique etc. exigent que l’on ait des juges spécialisés. Nous devons travailler en synergie avec les gens donc il faudrait que nous ayons en face de nous des gens, qui comprennent notre manière de travailler et qui permettent véritablement que les dossiers que nous leur transmettons soient jugés avec une certaine célérité. Parce que véritablement, cela a un impact sur les travailleurs. En ce sens que s’il n’y a pas de décision qui dissuade par rapport à la dissipation du bien public, des gens continueront à tenter les malversations en se disant que le risque n’est pas grand, lors qu’il faut que le risque soit véritablement grand pour servir de leçons aux autres.

L’ASCE, sous la direction du Dr. Luc Marius Ibriga, quelle ’’révolution’’ va-t-elle subir, quand on sait que vous êtes un fervent défenseur du droit et de la justice sociale?

Non, il n’y a pas de ’’révolution’’. Ce n’est pas l’individu qu’il faut voir. J’ai dit aux contrôleurs, aux travailleurs de l’ASCE, que je suis un maillon dans la chaîne de l’ASCE. Ce n’est pas Luc Ibriga qui va venir révolutionner l’ASCE, mais c’est l’ensemble des travailleurs de l’institution qui fera en sorte que l’ASCE soit une structure qui jouera pleinement son rôle. Mais j’ai aussi des idées par rapport à l’avenir de l’ASCE.

Dans ce sens, je pense qu’il est bon de relire les textes qui l’organisent pour assurer l’autonomie de l’ASCE et faire en sorte qu’elle ait les moyens pour conduire les investigations. Vous savez que si vous êtes une institution de ce genre et dans le cadre du budget, on régule vos lignes budgétaires, cela peut freiner votre capacité d’agir convenablement, puisque vous vous retrouvez dans des situations où vous n’avez pas les moyens de votre politique.

De même, il n’y a pas de statut des inspecteurs techniques, et nous pensons qu’il faut quedans une grande réforme du code de contrôle, on puisse créer un statut des inspecteurs techniques qui permette que les gens fassent carrière et qu’ils ne considèrent pas l’inspection comme étant un ’’garage’’. Si on veut véritablement que le contrôle soit efficace, il faut d’abord qu’au niveau de l’inspection, les inspecteurs techniques, qui sont dans les ministères, soient efficaces et fassent le premier boulot de l’audit interne et l’ASCE viendra pour le contrôle externe.

En outre, l’ASCE doit se spécialiser dans la détection et la dénonciation des faits de corruption. Cela nécessite aussi la formation des ressources humaines de l’ASCE. Voici quelques pistes que je voudrais engager, mais je ne sais pas si j’aurai le temps de le faire.

L’insurrection populaire a engendré un phénomène social nouveau au Burkina; des revendications et des contestations tous azimuts dans l’Administration publique, l’autorité de l’Etat n’est –elle pas mise à l’épreuve?

Non! Je pense qu’il faut se réjouir. Parce que si vous lisez la presse, il y a quelques mois ou années, on se plaignait qu’il y a absence de citoyenneté active, c’est-à-dire des citoyens qui s’intéressent à la gestion de la chose publique et qui prennent position par rapport à ces choses publiques.

L’une des avancées de l’insurrection populaire, c’est que les Burkinabè ne veulent plus accepter pour argent comptant ce qu’on leur dit.

Mais le problème, c’est que l’insurrection vient après une longue période où les attentes sociales étaient très grandes. L’un des déficits du régime Compaoré, c’est l’absence de démocratie sociale. A savoir que les richesses étaient mal réparties et aujourd’hui, les uns et les autres ont une attente très vive par rapport au changement de leurs conditions de vie et de travail. Donc, c’est tout à fait normal que les uns et les autres remettent en cause un certain nombre de comportements de l’ère Compaoré.

Que ce soit dans les sociétés minières ou dans certaines entreprises, il y a des injustices criardes. Bref, ce sont des questions qui concernent le social et qui doivent se résoudre dans le cadre de la négociation sociale.

Docteur, quelle devrait être selon vous la nouvelle gouvernance du Burkina après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre?

Il faut que ce soit une gouvernance vertueuse, qu’il y ait la transparence, qu’on utilise les biens de l’Etat pour le plus grand nombre.

Dans le rapport 2013, on constate qu’il y a presqu’une centaine de milliards de Fcfa qui a été dissipée. Pourtant, cela pouvait servir à résoudre le problème de l’énergie, la construction des écoles, etc. Le respect du bien public doit être véritablement un élément pour la suite. Sinon, on continuera de faire du saupoudrage et dans ce saupoudrage, personne ne sera content et nous allons faire du surplace.
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