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Albert Ouédraogo à propos du report du vote des Burkinabè de l`extérieur : « A quoi ont servi toutes les missions de la CENI à l’extérieur ? »
Publié le mercredi 28 janvier 2015  |  Le Pays
Littérature
© aOuaga.com par A.O
Littérature : Pr Albert Ouédraogo dédicace son premier essai
Samedi 14 juin 2014. Ouagadougou. Le professeur d`université et ancien ministre Albert Ouédraogo a dédicacé son premier essai intitulé «Démocratie et cheffocratie ou la quête d’une gouvernance apaisée au Faso»




L’auteur du point de vue ci-dessous est loin d’être un inconnu, au regard des hautes responsabilités qu’il a occupées dans ce pays. Albert Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un défenseur des droits des Burkinabè de la diaspora. Il revient sur la décision prise par les autorités de la transition d’ajourner le vote de nos compatriotes de l’extérieur. Selon lui, ce n’est ni plus ni moins qu’une « forfaiture » que la transition est en train de commettre. Pour cela, il demande l’implication du médiateur mandaté de la communauté internationale, Macky Sall, pour que les autorités de la transition reviennent sur leur décision. Lisez donc !

Le Burkina est un pays qui compte plus de dix millions d’âmes à l’extérieur, du fait d’une histoire coloniale qui a voulu faire de ce territoire juste un réservoir de main d’œuvre pour des pays jugés plus riches et plus stratégiques. C’est au nom d’une telle considération que le territoire fut démantelé pour être distribué entre les colonies du Soudan, du Niger et de la Côte d’Ivoire, durant une quinzaine d’années (1932-1947). Outre une telle violence coloniale visant à détruire les identités nationales, il faut ajouter la barbarie de l’impôt de capitation et les travaux forcés qui ont obligé des milliers de Voltaïques à choisir l’exil pour la survie de leurs familles restées au pays. La politique de développement des colonies du Sud a conduit l’administration coloniale à organiser la déportation de milliers de Voltaïques vers les plantations des colons français installés en Basse Côte d’Ivoire.

Même après la reconstitution de la colonie, obtenue au prix d’une volonté des forces vives (syndicats, intellectuels engagés et autorités traditionnelles, etc.) de refuser le destin funeste colonial, l’enclavement et le manque d’intérêt pour le territoire ont accentué le dépeuplement et poussé les Voltaïques vers les pays côtiers. C’est ce qui explique que 90% des Burkinabè de la diaspora se trouvent concentrés dans les pays de la CEDEAO.

« Notre pays était passé expert en médiations de tous ordres »

En dépit de leur exil, les Voltaïques, aujourd’hui Burkinabè, continuent d’entretenir la flamme patriotique et se sentent concernés par tout ce qui touche leur pays. Ils participent de tout leur cœur au développement et au rayonnement du pays, en dépit des conditions souvent pénibles dans lesquelles ils sont obligés de vivre pour économiser, afin de se montrer dignes et utiles à leurs parents restés aux villages. Dans toutes les familles burkinabè, l’on récense des dizaines, voire plus, de membres présents depuis fort longtemps au Ghana, en Côte d’Ivoire, au Niger, au Mali, au Bénin, au Togo, en Guinée, au Sénégal, en Mauritanie, au Soudan, au Gabon, etc. Aucun évènement majeur ne survient au Burkina, sans que la diaspora ne se sente concernée et ne participe à l’effort commun. Qu’il s’agisse des grandes périodes de sécheresse de 1974, des inondations, de la mobilisation en faveur des Etalons, de la dernière catastrophe aérienne ou de l’insurrection des 30 et 31 octobre, des délégations de la diaspora ont toujours effectué le déplacement au pays, pour apporter leur soutien nécessaire aux efforts de la nation.

Combien sont-ils les Burkinabè de l’intérieur qui ont souffert dans leur chair leur appartenance nationale ? Aucun ! Ce qui n’est pas le cas des milliers de Burkinabè de la diaspora qui doivent affronter souvent l’hostilité et des actes de rejet de l’autre, du fait de leur nationalité. Autrement, il n’est pas faux d’affirmer qu’être Burkinabè de la diaspora, ça se mérite! Pourtant, malgré tout le dévouement et tous les actes de loyauté envers la patrie, tout porte à croire qu’au pays des Hommes intègres, les régimes se suivent et se ressemblent. Hier, le CDP montrait de la frilosité par rapport à la question du droit de vote des Burkinabè de l’extérieur. Mais après les efforts de la société civile véritable et de certains partis politiques, l’on est parvenu à desserrer l’étau et le parlement, en 2010, a adopté le texte de loi consacrant le droit de vote des Burkinabè de la diaspora. Néanmoins, la joie fut de courte durée, car alléguant le fait de la facture exorbitante de la CENI pour le vote des Burkinabè de l’extérieur, le régime a préféré se déjuger, en rejetant aux calendes grecques un tel droit.

C’est alors que la présidentielle de 2010 n’a concerné que les compatriotes résidant au Burkina ou pouvant effectuer le déplacement pour rejoindre le territoire national. Pourtant, notre pays était passé expert en médiations de tous ordres et nous organisions avec brio les sorties de crises de pays tels le Mali, le Togo et la Côte d’Ivoire, avec à la clef la participation de leurs diasporas aux élections devant consacrer le choix de leurs Présidents respectifs. Il est ahurissant de constater qu’en plein XXIème siècle, il existe encore sur notre planète, des pays qui dénient le droit de vote à leurs compatriotes, du fait de leurs lieux de naissance ou de résidence. Et c’est fâcheux de voir que le Burkina, pays du capitaine Thomas Sankara, figure parmi le peloton de tête de tels pays !

Mais à quoi ont servi toutes les missions de la CENI à l’extérieur et qui ont coûté des millions de francs au contribuable ? Après l’échec de 2010, les commissaires de la CENI ont effectué toutes les missions possibles et imaginables à la rencontre des Burkinabè d’Afrique, d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Si d’aventure, de telles missions n’ont servi à rien, il s’agit d’une dilapidation de biens et l’on est en droit de demander à la CENI de rembourser les sommes décaissées. Le Président de l’institution a toujours clamé que le vote des Burkinabè de la diaspora est une question politique et non une difficulté technique.

La CENI a donc toutes les compétences pour implémenter un tel vote. Alors, qu’attend-elle pour donner de la voix, au moment où les hommes et les femmes politiques de la transition recherchent un certain consensus pour faire valoir un droit inscrit pourtant dans la loi. Pour faire valoir un droit, point n’est besoin d’un consensus. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une forfaiture que la Transition est en train de commettre et une violation de la loi, tout comme le CDP l’avait fait avant elle.

« Prenez votre destin en main et faites du bruit auprès de toutes les ambassades et de tous les consulats du Burkina »

Malheureusement, plus rien ne sera comme avant demeure un slogan creux et n’engage que ceux qui ont la naïveté de le croire, du moins en ce qui concerne le droit des Burkinabè de la diaspora.
Si la Transition qui est censée être conduite par des hommes et des femmes au-dessus de calculs politiciens, se montre incapable de donner un tel droit aux Burkinabè de l’extérieur, alors, il faut absolument désespérer de la volonté réelle des Burkinabè de mener une politique d’inclusion et de tolérance. Le panafricanisme dont veulent s’auréoler les dirigeants de la Transition passe, à notre sens, par la capacité de ne point discriminer les nationaux. Mais tout porte à croire que les Burkinabè de la diaspora sont considérés comme des étrangers dont on devrait se méfier. Dans ces conditions, quel est le crédit qu’il faut accorder aux autorités qui prônent l’intégration régionale au sein de l’UEMOA ou de la CEDEAO. Commençons à intégrer la diaspora burkinabè et notre discours pourrait acquérir une certaine lisibilité.

Nous demandons aux Burkinabè de l’extérieur de cesser de considérer que le vote est une faveur que les politiques peuvent ou non leur accorder. Il s’agit d’un droit inaliénable, consacré par la loi. A l’instar du peuple américain qui s’est battu pour ses droits civiques, il revient aux Burkinabè de la diaspora de se lever et de réclamer leurs droits, rien que leurs droits et tous leurs droits de vote. Prenez votre destin en main et faites du bruit auprès de toutes les ambassades et de tous les consulats du Burkina à travers le monde, pour exiger vos droits de citoyens. Cessez de quémander ce que la Loi vous reconnaît, et intentez des procès contre tous les régimes politiques qui vous refusent un tel droit. Déposer des plaintes contre l’Etat devant les tribunaux du Burkina, de l’UEMOA et de la CEDEAO, afin que le droit soit dit !

C’est l’occasion pour nous d’interpeller le comité de médiation de la CEDEAO, afin de lui rappeler qu’aucune élection fondée sur l’exclusion ne peut être source de sortie de crise et de paix durable. Ainsi, d’exclusion en exclusion, on finira par construire les murs de l’apartheid contre soi. Certains signaux de la Transition sont plus qu’inquiétants. Après avoir suspendu des partis politiques dont on ne partage pas les vues (heureusement la désapprobation fut telle que la mesure a été levée), ne voilà –t--il que des voix s’élèvent pour dénier à certains Burkinabè de l’intérieur le droit d’être candidats à la présidentielle à venir ? Toutes les arguties avancées dans ce sens ne traduisent que la frilosité d’une couche sociale qui a en horreur la démocratie véritable qui consacre pourtant le principe d’un homme, une voix. Comme on le voit, l’exclusion génère l’exclusion et fait toujours le lit de toutes les formes de gouvernance violente et non inclusive. A cette allure, nous risquons de voir un jour des voix s’élever pour denier le droit de vote à certaines catégories sociales, du fait de leur handicap, du fait de leur ignorance, du fait de l’appartenance sexuée, etc.

Nous interpellons le Président Macky Sall afin qu’il ne se fasse pas le complice d’une telle forfaiture, car au Sénégal, les Sénégalais de l’extérieur ont contribué à l’avènement des changements qui ont vu son accession à la tête du pays de la Teranga. Le Burkina Faso n’est pas moins méritant que le Sénégal, le Mali, le Togo, le Bénin ou le Ghana qui ont tous permis à leurs diasporas de se sentir membres à part entière de leurs communautés nationales, en participant au choix du premier magistrat. En choisissant d’agir autrement, les médiateurs de la CEDEAO porteront la lourde responsabilité d’avoir cautionné l’exclusion de plus de dix millions de Burkinabè présents dans les pays de l’UEMOA et de la CEDEAO, et qui attendent depuis plus de cinquante ans que l’on leur reconnaisse leur citoyenneté.
Ouagadougou, le 25 janvier 2015

Albert OUEDRAOGO
Maître de conférences de lettres
Université de Ouagadougou
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