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Mgr Séraphin Rouamba, archevêque de Koupèla : «nous les évêques, on ne vit pas sur référendum»
Publié le vendredi 26 decembre 2014  |  L`Observateur Paalga
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© aOuaga.com par A.O
Atelier sur l`Etique des droits de l`homme et du développement du Burkina : La commission justice et paix de l`église catholique en conclave
Vendredi 12 avril 2013. Centre Paul Zoungrana. Photo: Mgr Séraphin Rouamba




Vendredi 19 décembre 2014. Peu avant 12 heures, notre équipe de reportage quitte Ouagadougou pour la cité du «Caillou blanc». Tôt le matin, on avait pu obtenir de Mgr Séraphin François Rouamba, archevêque de Koupéla un accord pour un entretien. Vu que le prélat voyageait le lendemain, nous n’avions plus que la journée du 19 pour réaliser notre interview. Une mission expresse est donc dépêchée dans le chef-lieu de la province du Kourittenga.

A 15 heures, nous sommes à la Résidence Emile, siège de l’évêché de Koupéla. Mgr Séraphin François se prête à nos questions qui embrassent aussi bien un volet religieux, fête de Noël oblige, que les questions sur la situation nationale marquée par la démission de Blaise Compaoré et l’amorce de la transition politique dans notre pays. Et sur ce dernier volet, que ce soit la lettre des évêques rejetant le Sénat et la modification de l’article 37 de la Constitution, ou l’insurrection populaire sans oublier la conduite de la transition et les dossiers judiciaires pendants, l’homme d’Eglise s’est exprimé «en toute conscience» car, «plus on aime quelqu’un, plus on devrait lui dire la vérité».

Si le 24 décembre nous vous n’avons proposé que des extraits portant sur la Nativité, aujourd’hui, nous publions l’intégralité de cet entretien exclusif avec Mgr Séraphin François Rouamba.

Pour ceux qui ne vous connaîtraient pas, ce qui serait étonnant, qui est Mgr Rouamba ?

Je m’appelle Mgr Séraphin François Rouamba, archevêque de Koupéla, depuis 19 ans. Je suis né en 1942 et j’ai été ordonné prêtre en 1970. J’ai été baptisé à 12 ans à Manga où j’ai débuté mes études du primaire avant de les achever à Kologh-Naaba à Ouagadougou.

Vous êtes plus connu sous le prénom Séraphin non celui de François…

Pourtant, je voulais d’abord m’appeler François. C’est le curé d’alors qui avait refusé parce qu’il y avait déjà un François dans le village. Comme il n’utilisait pas les noms de famille, le curé voulait savoir à qui il a affaire. Par exemple, quand on dit François de Gnoyida, il sait déjà de qui il s’agit. Agnan de Ouidi ou de Kologh-Naaba, c’est clair.

J’ai donc été obligé d’ajouter Séraphin à mon prénom et suis devenu Séraphin François.

A l’entrée de l’archevêché, il est écrit « Résidence Emile ». Pourquoi cela ?

J’ai voulu cette appellation parce que si vous sortez, vous allez voir un pan de mur qui est en fait les vestiges de la maison du catéchiste Emile Damiba qui fut un des premiers catéchistes et l’un des plus renommés.

Le Naaba Zanré, quand il a été nommé chef à la suite de la destitution de son frère, a accepté sa charge à une condition : que le catéchiste Emile soit un de ses accompagnants. Le Naaba Zanré était chrétien.

Quand vous voyez la cathédrale de Ouagadougou ou même l’ancienne résidence de l’archevêque de Ouagadougou, Mgr Thevenoud a demandé au catéchiste Emile Damiba de venir avec lui en France prêcher et quêter afin d’avoir les fonds pour bâtir ces édifices. Vous voyez, Emile n’est pas un inconnu.

Vous connaissez sans doute ses enfants Pierre Claver Damiba, Béatrice Damiba (ex-présidente du Conseil supérieur de la communication), Joseph Damiba (fondateur de Bélemtissé). La famille Damiba logeait ici sur ce terrain et c’est après qu’elle est allée s’établir à Ouagadougou.

Quand j’ai été nommé évêque, l’évêché jouxtait la cathédrale. Je trouvais que c’était mal placé. Nous avons demandé à des laïcs de nous chercher un nouveau site. C’est ainsi que ce terrain a été trouvé. C’est un domaine qui n’était pas encore loti. Quelqu’un m’a informé qu’il s’agit de l’ancien domaine du catéchiste Emile. On a dépêché des gens auprès de Joseph Damiba et du chef de Koupela ; tous ont donné leur accord pour que l’évêché soit érigé sur ce terrain. Ils ont dit que cela les honore que l’évêque vienne loger dans leur quartier à Tambèla. Mais en fait, c’est Taam-bèela qui signifie : «il faut aller le saluer» ou «il faut le saluer».

J’ai tenu à honorer la mémoire du catéchiste Emile qui a beaucoup fait pour l’évangélisation, c’est pour cela que j’ai donné son nom à la résidence de l’évêque de Koupéla.

En tant qu’évêque, comment est-ce qu’on se prépare à la Nativité ?

Je crois qu’il faut d’abord se préparer à la Nativité comme tout chrétien. A Noël, on se rappelle la venue du Christ dans notre monde. Dieu qui vient parmi les hommes et qui veut venir à chacun de nous. Il faut d’abord qu’on se prépare spirituellement dès le premier dimanche de l’Avent. Ce temps de l’Avent, permet de préparer l’avènement de Jésus. Le chrétien le fait spirituellement par la confession en essayant d’accueillir les autres sinon on risque de passer à côté en attendant le Christ alors qu’il est déjà là, près de nous.

Il y a aussi pour l’évêque que les occupations ordinaires continuent. Mais on fait comme on peut et on prépare la venue du Seigneur qui est l’une des fêtes les plus populaires de notre religion. On s’efforce de rappeler aux uns et aux autres le sens de cette fête, son importance pour notre Eglise et pour chaque chrétien, mais également son importance pour notre humanité.

Mais concrètement monseigneur, comment passez- vous la journée de Noël ?

Il n’y a pas de prévision. On se laisse vivre. D’habitude, la nuit du 24, je célèbre la messe à la cathédrale. Le 25 j’allais à Tenkodogo qui était la deuxième grande ville du diocèse. Mais depuis que le diocèse de Tenkodogo a été créé, le jour de Noël, je vais célébrer dans une paroisse afin de pouvoir participer à la prière avec d’autres chrétiens. Vous savez que le temps passe tellement vite qu’on aurait souhaité en avoir plus et avoir un peu plus de calme ; mais pour cela, il faudrait aller se faire moine. Autrement, si on accepte le rôle de pasteur et la mission qui nous est confiée, on doit se sanctifier dans le feu de l’action.

Depuis le décès du nouveau cardinal Zoungrana, c’est le premier Noël avec un cardinal, en l’occurrence Philippe Ouédraogo, archevêque de Ouagadougou. Est-ce qu’à cause de cela la Nativité aura une saveur particulière pour les catholiques ?

S’il venait d’être nommé, sans doute. Mais depuis février, il est cardinal, nous avons eu l’occasion de célébrer maintes fois avec lui. On a eu l’occasion de vivre des messes d’action de grâce avec lui. Nous à Koupéla, nous l’attendons pour notre pèlerinage et ça va être sa visite officielle chez nous les 17 et 18 janvier 2015.

C’est sûr que la Nativité sera particulière là où il ira la célébrer car ce sera la première fois. Vous savez que pour une communauté, avoir son pasteur avec soi, c’est toujours nouveau car il ne peut pas être partout à la fois.

Sinon, nous sommes contents de sa nomination. Nous en sommes heureux. Nous voulons que cet honneur que le Saint-Père nous a fait, nous puissions démontrer que nous en sommes dignes. Pour cela, nous devons épauler le cardinal pour son travail au niveau de l’Eglise universelle en se disant que l’honneur est aussi un poids et nous devons pouvoir porter cette responsabilité de l’évangélisation avec lui.

Aujourd’hui, le côté profane de Noël a pris le dessus sur le côté religieux et spirituel. Qu’est-ce qui explique cela ?

C’est clair que le côté profane, le côté commercial ont pris le dessus dans beaucoup d’endroits. Je ne m’explique pas cela. Mais c’est une fête de la Nativité avec l’enfant qui naît et ça suscite beaucoup de tendresse mais cela n’appelle pas forcément le commerce. Mais on constate qu’il en est ainsi.

Et c’est un effort que les chrétiens doivent faire chaque instant pour se resituer et replacer cette fête dans leur foi et rappeler à ceux qui voudraient le savoir la nature profonde de cette fête de Noël, Dieu qui entre dans l’histoire des hommes, et l’homme qui accueille Dieu, qui montre qu’il est capable d’accueillir Dieu. Les Latins diraient dit : homo capax Dei (l’homme capable de Dieu). C’est-à-dire que l’homme est heureux d’accueillir cet amour de Dieu en lui et quand on accueille cet amour, il faut savoir le donner.

Il faut que nous fassions un effort pour que le côté profane ne prenne pas le dessus.

Et même avec nous chrétiens, quand il y a une fête, il y a le côté festivité : la nourriture, la boisson et s’il n’y a pas ça aussi la fête ne sera pas belle. C’est vrai qu’il faut cela mais il faut à chaque fois que nous réajustions les choses pour resituer cette fête à sa vraie place et pouvoir dire à ceux qui vivent avec nous ce que c’est que Noël.

Est-ce que ça n’affaiblit pas la foi des croyants ?

Les chrétiens doivent faire l’effort de vivre Noël dans son vrai sens. Mais si d’autres avec eux profitent du côté festif puisqu’ils ne partagent pas la même foi, moi je trouve que c’est une bonne chose. Et on devrait faire en sorte que Noël soit vraiment la fête du partage. On vit ensemble, il y a une fête, on doit être heureux de partager ce que nous sommes et ce que nous avons avec ceux qui n’ont pas la même foi que nous.

On devrait faire en sorte que la fête ne soit pas entre ceux qui ont une capacité financière, mais il faut faire attention à ceux qui n’ont pas grand-chose, les plus démunis, les malheureux pour qu’eux aussi puissent sentir que la naissance du Christ qu’on fête leur apporte quelque chose et qu’on songe à eux. Parce que cette fête doit être la fête du partage, la fête pour tout le monde et pas seulement la fête pour ceux qui ont les moyens.

Quel est votre message particulier à l’occasion de la Nativité cette année ?

Vous savez, nous ne sommes pas des extraterrestres. Nous sommes situés, nous sommes dans un pays qui a un contexte donné et je sais que vous êtes comme moi et que vous vous demandiez comment on allait fêter la Nativité cette année. Quand on a vu ce que nous avons vécu, on s’est demandé comment tout cela va se terminer.

Ç’aurait certainement pu se terminer mieux mais ça s’est terminé de la sorte et je crois que nous devons remercier Dieu que les dégâts aient été limités.

Maintenant, j’ai peur qu’on ne divise le pays entre ceux qui sont de ce côté et ceux qui sont de l’autre côté et qu’on pense que nous pouvons valablement construire notre pays, nous qui étions d’un côté et que les autres ne le peuvent pas. Vraiment si on veut faire ça, moi j’ai bien peur que nous n’allions pas loin. Donc j’aurais voulu qu’ensemble nous puissions dans le pardon, la réconciliation pouvoir aller d’un même pas pour construire le Burkina nouveau que nous voulons.

On savait tous que 2014 serait l’année la plus longue au Burkina avec les risques de turbulences sociopolitiques. Comment avez-vous vécu ce cheminement jusqu’à l’insurrection ?
D’abord au niveau de notre conférence épiscopale, nous avons voulu que notre communauté catholique vive ces évènements et cette période dans la foi et dans une ambiance de prière parce que c’est ce que nous avons de mieux à faire pour notre pays. Prier pour que le Seigneur sache que nous nous confions à lui et que nous savons que, comme on le dit, si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que peinent les maçons. Nous avons voulu que cela se fasse dans la prière. C’est pour cela que dans les communautés chrétiennes, nous avons institué des moments de prière et à un moment, il y a eu comme un relâchement mais on a exhorté les gens à continuer la prière parce que l’avenir est incertain. C’est dans ce cadre que j’ai passé cette période comme les autres, dans la prière.

Ces derniers moments, j’ai été appelé pour un peu accompagner le cardinal qui était seul parce que le président de la conférence épiscopale (Mgr Paul Ouédraogo, archevêque de Bobo-Dioulasso n’était pas disponible), et j’ai pu participer à certaines rencontres, à des échanges et à des réflexions. J’ai donc été un petit peu mêlé à ça aussi.

Justement lors de cette phase des évènements, il était question qu’un évêque, en l’occurrence celui de Bobo-Dioulasso, devienne le président de la transition…

De toute façon, ça ne m’a jamais effleuré l’esprit qu’un évêque puisse diriger la transition. Quand les gens en parlaient, je savais pertinemment que ce n’était pas possible. J’étais persuadé que parmi nous, aucun évêque ne pouvait accepter…

…Même s’il y avait l’unanimité autour de lui ?

L’unanimité ? Ce n’est pas une question de référendum. Nous on ne vit pas sur référendum. Ce n’est pas parce que cent pour cent de personnes ont dit ça que nous acceptons.

Nous connaissons les principes de l’Eglise catholique et nous connaissons aussi notre pays ; nous savons qu’il y a des laïcs, des civils bien formés capables de diriger ce pays et nous en sommes persuadés. Franchement, je trouve que c’est la solution facile, parce qu’on n’a pas confiance entre nous, d’aller prendre quelqu’un dans le clergé.

Personnellement, moi je trouve que l’évêque doit rester à son poste de pasteur, qu’il prie, qu’il donne son avis sur la marche du pays et des évènements. Il n’a pas plus de lumière que les autres mais il se doit, en toute conscience, de dire ce qu’il pense chaque fois que de besoin.

La conférence épiscopale ne s’est jamais réunie sur cette question quand la rumeur devenait persistante ?

Non, non. En fait, nous avons une réunion extraordinaire sinon on ne s’est jamais réuni pour ça ! On en a entendu parler mais parmi nous, il n’a jamais été question qu’un évêque devienne président. Ça ne m’a jamais effleuré l’esprit qu’un évêque puisse accepter une telle responsabilité car je trouve que ce n’est pas sa place.

On sait que la conférence épiscopale avait commis un pamphlet mettant en garde le président Compaoré. A l’époque, certains avaient estimé que l’Eglise sortait de son rôle, qu’en pensez-vous en tant que pasteur ?

D’abord quand vous dites un pamphlet, je ne suis pas d’accord parce qu’on n’a pas sorti un pamphlet. Nous étions réunis à Fada N’Gourma en assemblée plénière ordinaire des évêques. A l’époque, la question persistante sur le Sénat et la probable modification de l’article 37 se posait. Alors nous nous sommes dit, nous ne sommes pas là pour ça mais est-ce que nous pouvons, en tant que pasteurs, nous rassembler, parler des choses de l’Eglise, de nos diocèses et puis nous lever pour nous en allez alors qu’il y a des questions sérieuses qui se posent pour l’avenir du pays ? Si nous faisions cela, nous ne jouerions pas notre rôle. Puisqu’une question se pose, c’est normal que nous aussi nous puissions dire notre position. On a juste dit que si le pays prenait cette voie, ce ne serait pas la voie sage pour la paix et pour bâtir notre pays. Nous n’avons pas dit que nous voyons plus clair que les autres. Nous parlons en conscience et nous nous devons de dire ce que nous pensons.

Si on s’était trompé et qu’en fait on passait outre et que malgré tout il y avait la paix, nous aurions remercié le Seigneur.

En fait, c’est parce que ce que vous avez dit ne plaisait pas à certains, surtout ceux du pouvoir, que des voix se sont élevées pour dire que vous n’étiez pas dans votre rôle et que votre déclaration était politique…

Vous savez, c’est toujours comme ça. Moi je suis évêque depuis seulement 19 ans et prêtre depuis 43 ans. J’étais à Ouagadougou et quand le cardinal Paul Zoungrana sortait un message, c’était souvent un message attendu mais en même temps redouté par certains. Puisque si on dit un mot sur telle situation, ou il est contre nous ou pour nous ; c’est ce que chacun cherche. Qu’est-ce que le cardinal a dit ? Ah, il a dit ça-là, donc c’est contre un tel… Dans son histoire, l’Eglise est habituée à cela. Si l’Eglise cherche à contenter les gens, elle sort de son rôle. Elle doit pouvoir dire en conscience ce qu’elle pense même sur la chose politique. Dire ce qu’on pense de ceci ou cela ce n’est pas faire de la politique.

Mais c’est sûr, ce n’est pas possible de dire ce que vous pensez sur une question délicate sans heurter quelqu’un. Alors si nous voulons être adulés, on se tait, on ne dit rien mais dans ce cas, vous êtes pasteur de quoi et de qui ?

Est-ce le fait de n’avoir pas médité le sermon des évêques qui a perdu la brebis égarée qu’était Blaise Compaoré ?

Après notre message, c’était devenu plus difficile pour nous d’avoir une audience avec le président. Notre principe est que chaque fois que la conférence des évêques se réunit à Ouagadougou, nous demandons toujours une audience avec le président parce que c’est souvent à l’occasion du nouvel an. A chaque fois, nous demandons une audience pour lui présenter nos meilleurs vœux. Mais c’était devenu difficile d’obtenir l’audience. Mais nous avons eu l’occasion de rencontrer le président une fois. Nous, on ne voulait pas parler de notre message car ce n’était pas l’objet, mais c’est lui-même qui en a fait cas. Ce jour-là, on a fait une photo avec le président sur le perron de Kosyam et après on nous a donné la photo ; pourtant avant, on faisait la photo mais on ne nous remettait rien.

Qu’est-ce qu’il vous a dit au sujet de votre message ?

Il nous a dit que quand on a tout mis pour construire un pays et faire ce qu’on peut, on veut être sûr que l’avenir est serein pour le pays.

Que lui avez-vous répondu ?

On lui a dit que la stabilité peut être dans une personne mais la stabilité peut être aussi dans un régime. On a causé simplement. Vous savez, il y a certains qui pensent que nous voulons faire des leçons aux gens alors que ce n’est pas le cas car nous ne savons pas plus que les autres, mais nous devons dire aux autres ce que nous pensons. Il faut que les gens s’attendent à ce qu’on leur dise ce qu’on pense d’eux. Plus on aime quelqu’un, plus on devrait lui dire la vérité. C’est notre principe.

Je sais qu’il y a des chrétiens qui étaient furieux contre nous. C’est normal puisque les catholiques ne sont pas d’un côté seulement.

Il y avait une rumeur qui a couru et selon laquelle vous faisiez partie des évêques les plus durs contre le régime Compaoré. En avez-vous eu vent ?

Ah bon ! Ah bon ! Je n’en ai pas eu vent. Il y a eu une autre transition où moi j’ai…

… On va y revenir …

…Oui mais je voulais vous donner peut-être la source de cette rumeur…

Ok allez-y alors.

J’ai été président du Comité de concertation et j’ai eu à présider certaines structures pendant la transition de 1991 qui nous a permis de passer d’un régime d’exception à un régime d’Etat de droit. J’ai travaillé avec les gens de tous bords. Les Halidou Ouédraogo et bien d’autres.

A l’époque, un jour on a accusé Halidou d’avoir fait telle ou telle chose. Moi j’ai dit que je suis le président de ce groupe, nous travaillons ensemble et je n’ai jamais entendu une seule fois Halidou dire ce vous êtes en train d’affirmer. S’il l’a dit, c’est peut-être ailleurs mais pas ici.

C’est après cet épisode que j’ai appris que j’étais contre le pouvoir. Ç’a m’étonne parce que j’ai des amis partout. Et je suis étonné que quelqu’un puisse valablement penser que je suis contre un tel ou un tel. Mais si je crains cela et que je ne dis pas ce que je pense, alors mieux vaut aller chercher ailleurs que de rester parmi les pasteurs du Seigneur. Sinon j’avoue n’avoir jamais entendu ce que vous dites. Peut-être qu’ils parlent mais font en sorte que je n’entende rien.

Vous y faisiez allusion ; vous avez effectivement à l’époque présidé, au débat des années 90, le Forum de réconciliation nationale qui s’est avéré mort-né. Qu’est-ce qui a vraiment tué le projet dans l’œuf ?

J’avais déjà présidé pas mal de choses avant. Quand le forum est venu, nous avons formé un groupe qui était composé de tous les partis. Ils étaient tous là. J’ai d’abord dit que je ne voulais pas être dedans. On m’a exhorté d’entrer en me disant que c’est le comité provisoire et que c’est pour faire le règlement intérieur. C’est ainsi que j’ai accepté et on a commencé les travaux.

Mais qu’est-ce qui a tué le forum ? C’est l’article 13.

Et que disait cet article ?

En fait, ça portait sur la retransmission en direct des débats. Pourtant, apparemment tout le monde semblait d’accord. C’est aussi à ce moment que le président Compaoré a remis leurs biens aux anciens dignitaires Maurice Yaméogo, Saye Zerbo... Quand on a appris ça, on a dit que c’est très bien.

Quand on a dit qu’il faut retransmettre les débats, il y en a qui ont dit non et ont milité pour des travaux à huis-clos arguant que les journalistes feront leur travail de reportage.

Certaines autorités étaient là avec nous et faisaient partie des plus durs. Mais avec la décision du président de remettre les biens des anciens dignitaires, nous avons senti que beaucoup ont changé de position.

Il était question de rencontrer le président, mais certains étaient pour que j’aille tout seul le voir puisque des camps étaient formés et chacun se surveillait. On m’a dit que si je vais seul, le président Compaoré pourra vraiment dire ce qu’il pense.

Finalement on est allé à deux pour exposer la situation. Et lors de la rencontre, le président a décidé de suspendre le forum.

Donc c’est uniquement la question de la retransmission qui a noyé l’affaire ?

C’est principalement la question de la retransmission en direct qui a bloqué le forum. On n’a pas été plus en avant. On avait dit qu’on allait reconsidérer les choses depuis 1960 et non se limiter à une période récente de notre histoire. Mais avec cette fourchette de temps, beaucoup de gens qui pensaient qu’ils allaient échapper se sont retrouvés mis en cause. Cela a aussi contribué à bloquer les choses.

Mais vous savez, moi je ne connaissais pas les politiciens qui étaient là. C’est après qu’on m’a dit, monsieur l’abbé, vous ne pouviez pas réussir car nous on se connaît parce qu’on sait qu’un tel et untel, des gens qui étaient dans le même parti hier, sont aujourd’hui dans des partis différents qui s’affrontent. Finalement, j’ai vu que beaucoup n’avaient pas intérêt à ce que ce forum se tienne.

Mais malgré ce forum mort-né, moi je me dis qu’il a produit beaucoup plus de fruits que des forums qui ont eu lieu.

Pourquoi dites-vous cela ?

Parce qu’il a permis aux uns et aux autres de se tester et de voir leurs forces. Les gens qui se croyaient forts ont compris qu’en fait, ils n’étaient pas assez forts parce que les clivages avaient eu lieu. En effet, des gens se sont rendu compte qu’un tel qui semblait être avec nous, n’est plus avec nous… Des gens que je voyais ensemble m’ont demandé de ne plus le faire mais de venir les voir individuellement. J’ai rencontré les uns chez Gérard Kango Ouédraogo, j’ai rencontré Hermann Yaméogo qui m’a dit : «viens chez nous, on est ensemble mais on n’a pas forcément la même vision». Quand j’ai vu ça…

Pour moi donc, même si le forum n’a pas eu lieu, il aura au moins permis aux uns et autres de tester leurs forces et de comprendre qu’ils n’avaient pas intérêt à aller plus loin.

Mais est-ce que ce n’est pas aussi parce que le pouvoir n’avait pas vraiment envie que la vérité se fasse ?

Quand vous dites le pouvoir, on a l’impression que la vérité qui allait être dite concernait seulement ceux qui étaient au pouvoir à l’époque. Or il y a des gens qui n’étaient pas à l’époque au pouvoir mais qui ont été au pouvoir à un certain moment. Et comme on a dit que c’était depuis 1960, alors il y a beaucoup qui allaient se retrouver dedans. Donc le fait de remonter jusqu’à 1960 a coupé les ailes à certains. C’est ce que je pense, c’est mon analyse.

Pensez-vous que si ce forum était allé jusqu’au bout ça aurait permis au Burkina d’éviter certains travers qu’on a connus par la suite ?

Pour se réconcilier, il faut d’abord admettre qu’à un moment donné on ne partageait pas le même point de vue. Qu’on dise clairement pourquoi et quelles sont les positions des uns et des autres ? Vous savez que beaucoup de choses se sont passées, il y a eu des morts, etc. On doit pouvoir dire la vérité, que chacun reconnaisse son fait et on se réconcilie.

Si on avait accepté cela, je pense que notre histoire aurait été autre. C’est mon point de vue.

Mais quand on reprend l’histoire du Burkina, il y a tellement de zones d’ombre. Quand je vois des gens qui crient fort qu’il faut la vérité sur ceci, je me demande combien de morts et d’assassinats avons-nous eus au Burkina ?

On a l’impression que pour certains, il y a des vies qui comptent et d’autres ne sont absolument rien. Il y a des morts, des dizaines de morts dont personne ne parle et pendant ce temps on parle que du cas d’un tel ou d’un tel. Pourquoi on ne parle pas des autres vies fauchées ? Eux aussi sont des hommes. Comment peut-on assassiner des gens et personne n’en parle ? Aujourd’hui, il y a une sorte de fixation…

…Oui mais il s’agit de victimes emblématiques…

Oui, mais à force de chercher des emblèmes et tout, si on laisse les autres dans l’ombre ce n’est pas bien. La vérité voudrait qu’on parle aussi des autres et ceux qui crient fort vont se raviser en disant que si c’est ça, il vaut mieux qu’on se pardonne parce que chacun a quelque chose à se reprocher.

Donc c’est bien les cas emblématiques, mais de temps en temps quand même comptez avec les autres même s’ils ne sont rien à vos yeux, pensez qu’eux aussi sont des hommes et que la valeur de la vie humaine pour Dieu et pour nous chrétiens, ne dépend pas de son intelligence, de son pouvoir. Non, si vous tuez un homme, vous avez tué un homme. Nous les hommes, c’est normal, on dit c’est emblématique, c’est emblématique, mais Dieu, quel emblème vous avez auprès de Dieu ? Vous êtes quoi ? C’est des hommes qu’il a créés à son image. Nous trouvons qu’il faut respecter toute vie humaine.

Parmi les grands chantiers de la Transition figure la commission Vérité-Justice-Réconciliation. Vu que vous avez une certaine expérience en la matière, seriez-vous prêt à reprendre du service si on vous le demandait ?

Vous savez, au sein de la conférence épiscopale, nous sommes nombreux. Nous sommes une vingtaine dont 16 évêques en exercice et au moins 5 évêques émérites. C’est bon et nous nous connaissons. Moi je sais qu’il y a des sages parmi nous et c’est bon qu’eux aussi puissent apporter leur pierre. Je sais qu’ils peuvent apporter beaucoup.

Mais comme je vous l’ai dit plus haut, on a beaucoup de valeur parmi les laïcs, les civils ; donc évitez d’aller chercher tel ou tel religieux car d’autres pourraient faire le travail.

Et puis la transition, quand on regarde, il y a tellement de choses à faire seulement en un an…

Justement, comment jugez-vous les premiers pas de la transition qui est amorcée au Burkina depuis déjà un mois ?

Comme nous soutenons tous la transition, on se réjouit d’abord de ce qu’ils font. Mais on se pose des questions, surtout moi qui ne suis pas très versé en politique. J’avais pensé que le pouvoir était là pour préparer des élections crédibles, transparentes où tout le monde pourrait se retrouver pour bâtir le Burkina nouveau. Apparemment, il y a beaucoup de chantiers qui sont ouverts et c’est un travail titanesque pour un an. Est-ce qu’on ne risque pas de se retrouver en novembre 2015 en se demandant quand est-ce qu’on va organiser les élections ? Moi je croyais que les élections étaient un des grands chantiers sur lesquels on attendait la transition. Il y a ce chantier dont ils ne parlent pas beaucoup pour le moment mais je crois qu’ils vont le faire. Je constate qu’il y a ce chantier mais il y a beaucoup d’autres qui sont ouverts. Je leur souhaite beaucoup de courage et de lucidité pour les mener à bien. Mais on dit que qui trop embrasse, mal étreint. Sinon on les encourage parce qu’on veut qu’ils réussissent car ce serait catastrophique s’ils échouaient. On leur souhaite beaucoup de courage et peut-être qu’ils peuvent recentrer les préoccupations et voir ce qu’on peut faire en ce laps de temps si court et préparer l’avenir de façon sereine.



Monseigneur, ces derniers temps ont été marqués par beaucoup de déclarations et d’actes, ce que certains ont appelé «la gouvernance de la rue» ; cela ne fait-il pas peser quelques dangers sur la marche de la transition ?



Mais je crois que les responsables savent que la rue ne peut pas gouverner un pays. Je le pense et je suis persuadé qu’ils le savent car toutes les décisions ne peuvent se prendre dans la rue et par la rue. Il y a un évènement qui s’est passé (ndlr : l’insurrection populaire) et on sait que c’est parce que le peuple s’est levé comme un seul homme que certaines choses ont été possibles. Si on ne fait pas comprendre à ce peuple qu’on est de son côté et qu’on travaille pour lui, il y en a qui peuvent penser autre chose. Mais je reste persuadé que les responsables savent que la rue ne peut pas gouverner un pays.

Vous savez, la foule, on parle du peuple c’est bien. Quand vous voyez dans notre religion le Christ qui entre triomphalement à Jérusalem et les gens qui scandaient «Hosana ô fils de David». Quelques temps après, c’est cette même foule qui crie, «Crucifie-le, crucifie-le» parce qu’il y a des gens qui étaient devant pour dire qu’il a fait ceci, il a fait cela. Nos gouvernants doivent faire des choix judicieux en voyant dans quelle direction aller.



Justement, en tant qu’évêque, quels genres de conseils pouvez-vous prodiguer aux autorités pour une transition apaisée ?



Quand quelqu’un donne des conseils, c’est comme si lui il sait dans quel sens aller et il conseille à un autre d’aller dans cette direction. Pourtant, tous nous sommes là et on voit ce qui se joue, on se pose des questions : est-ce qu’en faisant ceci on atteindra tel but ?

Selon les déclarations des uns et des autres, on a dit qu’on allait essayer d’aller sans exclusive, que chacun puisse apporter ses qualités pour la construction de la Nation et du Burkina. Je crois que les responsables en sont conscients. Mais quand quelque chose est tout brûlant, le raisonnement n’est pas souvent très clair.

Alors il faut qu’ils prennent leur temps, aller calmement pour arriver plus sûrement. Mais un an c’est trop peu et donc on est tenté d’aller vite. Vous voyez tous les chantiers qu’ils ont ouverts…

C’est sûr que nous les soutenons et nous voulons qu’ils réussissent parce que leur succès serait notre succès à tous. Et s’ils échouaient, ça serait grave pour nous. Ce que je dis, c’est ma façon de voir les choses. Sinon je n’ai pas de conseils pertinents à donner à des politiciens. Non, je n’en ai pas.



Propos recueilli par
San Evariste Barro
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L`Observateur Paalga N° 8221 du 27/9/2012

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