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Fusion du ministère de la justice et du ministère des droits humains : « un magistrat n’est pas forcément un technicien des droits de l’homme »
Publié le lundi 8 decembre 2014  |  Le Pays




L’auteur du point de vue ci-dessous attire l’attention des autorités de la transition sur ce qu’il considère comme des « risques de dérives » liés à la fusion du ministère de la Justice et celui de la Promotion des droits humains .

Les membres du gouvernement de transition ont été rendus publics le dimanche 23 novembre 2014 après, semble-t-il, de longues et houleuses tractations. Tous les regards et analyses se sont axés sur trois éléments de ce gouvernement : la cumulation du poste de Président et du ministère des Affaires étrangères par Son Excellence Monsieur le président du Faso, la cumulation du Premier ministère et du ministère de la Défense par Son Excellence Monsieur le Premier ministre et la nomination de Monsieur Adama Sagnon, jadis procureur du Faso et acteur incontournable dans le dossier Norbert Zongo, au portefeuille du ministre de la Culture et du tourisme. Ces trois éléments ne pouvaient pas, certes, passer inaperçus mais devraient-ils pour autant cacher tout autre, surtout auprès de nos éminents analystes ? En tout cas, c’est l’impression que j’ai eue : les droits de l’Homme semblent avoir été abandonnés à leur propre sort. La fusion du ministère de la Justice et du ministère des Droits humains ne semble préoccuper aucun analyste ; et pourtant, il y a de quoi.
Dans un premier temps, nous n’avons pas beaucoup évolué par rapport à la vision des dirigeants de la IVe République qui ont toujours subordonné le ministère en charge des Droits de l’Homme au ministère de la Justice.
Lorsque contraint de rechercher les voies et moyens du respect des droits de l’Homme par le Rapport du Collège de sages qui devait sortir le pays de la crise engendrée par l’assassinat de Norbert Zongo et de ses trois compagnons, le Secrétariat d’Etat aux droits humains qui avait été créé en 1999 fut d’emblée rattaché au ministère de la Justice. Ce rattachement semblait suivre cette vision qui voudrait que justice et droits de l’Homme soient apparentés. En 2002, remettant en cause cette vision de proximité de la justice et des droits de l’Homme ou pour séduire les instances internationales des droits de l’Homme, on créa un ministère à part entière chargé de la promotion des droits de l’Homme.
Mais en dépit de la création du ministère de la Promotion des droits humains en tant que ministère plein et autonome, il est resté un arrière-plan du ministère de la Justice au sein duquel magistrats, principalement, étaient nommés aux différents postes de responsabilité. Du ministre aux directeurs généraux en passant par les directeurs centraux et les conseillers techniques, tous ont été des magistrats. Telle est encore la réalité aujourd’hui d’ailleurs. C’est vrai, de 1999 à 2008, il n’existait pas encore de personnels spécifiquement formés pour exercer les droits de l’Homme. Mais doit-on considérer dans ce cas que seuls les magistrats étaient les seuls habilités à exercer les droits de l’Homme ? Mais alors, et les autres juristes du pays, n’ont-ils pas de connaissances en droits de l’Homme ? La question n’est pas à poser, puisque le ministère de la Promotion des droits humains était créé pour récompenser des magistrats. Sinon, comment comprendre que le ratio des magistrats par habitants au Burkina Faso soit si faible pendant que des magistrats abandonnent tribunaux et cours pour se sucrer davantage dans des administrations de la Fonction publique ?
En 2011, avec la crise socio-militaire qui a secoué le pays et qui a conduit à la dissolution du gouvernement Tertius, pour le reconstituer, le ministère des Droits humains sera encore fusionné avec le ministère de la Justice avec pour ministre monsieur Jérôme Traoré. D’accord, sa parole ne vaut pas son pesant d’or mais là, le désormais ex-Premier ministre Luc Adolphe Tiao avait raison de lier la crise socio-militaire au mépris des droits de l’Homme qui s’était instauré dans la gouvernance de nos institutions.
Comme pour dire que justice et droits de l’Homme ne font pas beau couple, la fusion des deux ministères ne va pas durer. Au lendemain de sa nomination, le ministre des Droits humains séquestre et tabasse un pauvre mécanicien. Conséquences : remaniement du gouvernement ; le ministère en charge des droits humains est dissocié du ministère de la Justice pour devenir ministère des Droits humains et de la promotion civique.
De tous les cinq ministres qui se sont succédé à la tête du département des droits humains dans ses différentes mutations, seul un n’était pas magistrat, à savoir le professeur Albert Ouédraogo et depuis le gouvernement de transition Madame Joséphine Ouédraogo.
Dans un second temps, le gouvernement de transition à aussi fusionné le ministère des Droits humains et le ministère de la Justice. Je ne voudrais pas polémiquer ; cette option peut se comprendre aisément : à la recherche de nos repères sabotés par le pouvoir de Blaise Compaoré, acculé de partout, tant au plan national qu’international et par le temps imparti pour cette transition, il faut mettre en place un minimum d’organisation pour tracer les sillons pour demain. Mais lorsque demain arrivera ou comme il est prévu de réfléchir au cours de la transition sur nos institutions, réfléchissons sérieusement au sort des droits de l’Homme pour éviter de tergiverser comme l’autre.
La fusion du ministère de la Justice et du ministère des Droits humains est-elle la meilleure formule pour espérer un meilleur devenir des droits de l’Homme au Burkina Faso ? Peut-être ! Peut-être pas ! Pour moi, c’est moins la fusion des deux ministères ou leur scission qui m’inquiète que le devenir des droits de l’Homme.
La fusion peut-être la meilleure forme, peut-être pour la transition. Peut-être même au-delà de la transition. Mais alors, les décideurs ne doivent pas perdre de vue que la justice est un droit de l’Homme et qu’un droit de l’Homme n’englobe pas les autres, ne cache pas les autres, ne méprise pas les autres. On parle de justice avec l’avènement des droits de l’Homme dans les années 1945. Avant cette date, la justice était la justice du plus fort tant sur la scène internationale qu’à l’intérieur des Etats. Et voilà ce que cela a engendré : les atrocités de tous genres telles les guerres, les dictatures avec droit de vie ou de mort du souverain sur le sujet…
Les décideurs ne doivent pas perdre de vue qu’un magistrat n’est pas forcement un technicien des droits de l’Homme. Les magistrats humbles l’ont compris et l’ont même soutenu. Ceux d’entre eux qui aiment les droits de l’Homme se sont fait former. On ne peut pas alors leur denier la qualité d’acteur, de technicien des droits de l’Homme. Si les magistrats étaient d’emblée des techniciens des droits de l’Homme, nos tribunaux regorgeraient de décisions de justice qui visent les conventions des droits de l’Homme. L’on me dira que les motivations sont fonction des défenses présentées par le justiciable ; je répondrai qu’il y a dans les conventions des droits de l’Homme, des normes d’ordre public que le juge se doit de relever d’office. Non, les magistrats n’ont pas le monopole des droits de l’Homme. Ils n’ont d’ailleurs le monopole du droit que dans les tribunaux. D’accord, il est nécessaire de définir ce qu’est un technicien des droits de l’Homme, et il apparaît même impératif de le faire. Mais en attendant que le législateur le fasse, je reste convaincu qu’un technicien des droits de l’Homme est celui-là qui a été formé pour connaître la technicité spécifique et propre des droits de l’Homme.
Nos décideurs doivent comprendre que nombreux sont nos magistrats qui, au lieu d’être des serviteurs des droits de l’Homme, s’octroient des statuts de dieux, de demi-dieux ou de super-hommes, et cela même au-delà des tribunaux. De telles conceptions ne sont pas de nature à faire progresser les droits de l’Homme surtout quand il s’agit de travailler avec des corps de statuts moins privilégiés toujours relayés au second rang, traumatisés sinon terrorisés, acquiesçant à tout.
Les décideurs ne doivent pas perdre de vue que la procédure judiciaire est, à bien d’étapes, jalonnée de risques de violations des droits de l’Homme. Regardez par exemple la procédure d’enquête préliminaire : l’officier de police judiciaire, dans sa détermination à confirmer ses hypothèses, use souvent de méthodes et moyens défiant tout esprit des droits de l’Homme. Les services judiciaires sis au quartier Wemtenga de Ouagadougou ne nous ont-ils pas servi de cadavre dans ce pays ? Un cousin d’un ministre des droits humains n’y a d’ailleurs pas lui aussi laissé sa vie ? Des garde-à-vue n’ont-elles pas été oubliées dans des locaux de la police pendant des mois ? Les violences et les humiliations ne sont-elles pas monnaies courantes dans les commissariats de police et autres lieux de détention ? Ne fait-on pas sortir des détenus dans les préaux des commissariats, en tenue d’Adam et Eve, sous le regard de citoyens venus légaliser des papiers ? La remarque est d’autant vraie que des voix se sont élevées au Burkina Faso pour demander que soit assisté, dès l’enquête préliminaire, le prévenu. C’est donc dire que le pouvoir devant arrêter le pouvoir de sorte qu’il n’y ait pas d’abus. Les acteurs des droits de l’Homme doivent servir de contre-propositions pour ne pas dire de contrepoids au pouvoir judiciaire.
J’interpelle les autorités à réfléchir sérieusement sur le sort des droits de l’Homme car aucune démocratie n’est possible, aucune paix n’est accessible sans un véritable engagement dans la réalisation des droits de l’Homme.

Zakaria BAYOULOU
Conseiller en droits humains
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