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S’il y a la concurrence, le chômage pourra être résorbé
Publié le vendredi 14 novembre 2014  |  Sidwaya




Voilà 16 ans que Mathieu Ouédraogo est arrivé au Maroc. Après ses études, il s’est lancé dans les affaires. Aujourd’hui, il est à la tête de plusieurs cabinets de transfert de compétences et de technologies. A travers cet entretien, il livre les secrets de sa réussite et plaide pour la fin du monopole au Burkina Faso, si l’on veut lutter contre le chômage des jeunes.

Sidwaya (S) : Qui est Mathieu Ouédraogo ?

Mathieu Ouédraogo. (M.O): Je m’appelle Mathieu Ouédraogo et je vis au Maroc depuis 16 ans. Je suis arrivé dans ce pays après l’obtention du Baccalauréat. A la fin de mes études, j’ai monté mes propres affaires et depuis lors j’y suis.

S : Qu’est-ce qui vous a motivé à rester ici au lieu de retourner dans votre pays comme le font la plupart des étudiants après leurs études?

M.O : J’ai été repéré par mes professeurs à l’université. Ces derniers ont estimé qu’il n’y avait pas de raison que je ne puisse pas réussir au Maroc ou ailleurs. Ils m’ont encouragé et soutenu dans les premiers moments de la création de mon entreprise. Ce sont donc mes professeurs qui ont été la première source de motivation qui m’a retenu dans ce pays. J’ai également estimé que le Maroc, au regard de son état d’avancement et de développement, pouvait servir de plate-forme de transfert de compétences et de technologies. La stabilité du pays m’a rassuré qu’on pouvait y construire son avenir.

S : Quel type de formation avez-vous fait au Maroc ?

M.O : Pour ce qui est de mon parcours, je suis un peu polyvalent. Dans un premier temps, j’ai fait des études en technologies biomédicales, ensuite je me suis inscrit à la faculté de médecine où j’ai fait la bio-statistique, l’épidémiologie et la recherche clinique. A la fin, j’ai fait un master en statistiques et économétrie. Tout ce parcours m’a permis d’avoir un profil polyvalent. Quand je me suis lancé dans la formation et d’autres secteurs d’activités, les choses ont été favorables.

S : Comment est née l’idée de mettre en place une structure pour renforcer les capacités ?

M.O : Au cours de mes échanges avec des cadres qui transitaient par le Maroc ou qui voyageaient en Europe, je me suis rendu compte que ce qu’ils allaient apprendre ailleurs, pouvait se trouver au Maroc dans la mesure où l’enseignement y est très développé. L’expertise marocaine est très présente et très appréciée. Au regard de tous ces facteurs et de la situation de nos différents Etats, je me suis dit qu’on pouvait prendre le Maroc comme pôle de transfert de ces compétences et technologies. Ce pays a les mêmes atouts qu’on trouve en Europe et au Canada.

S : Afrique compétences existe depuis combien de temps ?

M.O : J’ai démarré mes activités à partir de 2004. En dehors d’Afrique compétences, j’ai d’autres sociétés. Le cabinet Afrique compétences est l’avant dernier né. J’ai créé Afrique compétences Burkina en 2012. Au plan juridique, Afriques compétences Maroc existe depuis 2009. Au départ c’était un département qui était au sein d’une autre société. C’est lorsqu’il est devenu une entité à part entière qu’on a procédé à un détachement. Depuis 2009, Afrique compétences est devenue la principale société qui nous rapporte le plus de devises.

S : Combien de personnes avez-vous formées depuis le début ?

M.O : Depuis le début, nous avons formé au total cinq cents personnes. Au cours des premières années, nous étions à une trentaine de personnes. Comme nous étions à notre début, il fallait convaincre les gens. Par exemple, en 2013, nous avons formé trois cents personnes. D’ici à la fin de l’année 2014, nous pourrons atteindre le chiffre de quatre cent cinquante à cinq cents personnes. Notre avantage est que les personnes formées sont des cadres d’entreprises, des personnalités et des officiels. Ces derniers constituent des porte-paroles pour notre cabinet. Quand ils viennent et trouvent une satisfaction en termes de qualité de la formation et d’accompagnement pendant leur séjour, cela fait un plus pour nous.

S : Quels sont les domaines de formation ?

M.O : En réalité, nous sommes en quelque sorte un centre de coordination. Nous intervenons dans tous les domaines, c’est-à-dire du secrétariat au top management en passant par la gestion des projets, la gouvernance administrative, l’informatique. Nous répondons à toutes les sollicitations qu’on nous adresse. Nous intervenons à tous les niveaux. Lorsqu’un client exprime un besoin, nous avons nos consultants qui examinent sa demande. S’il se trouve que parmi eux, il n’y a personne qualifiée pour rendre le service, nous nous adressons à une compétence extérieure pour assurer la formation.

S : Quels sont les domaines les plus sollicités ?

M.O : Les domaines les plus sollicités sont la gouvernance de l’administration publique, la gestion des projets, les études d’impact environnemental et social, le partenariat public-privé, tout ce qui est marché public, le contrôle médical des prestations sociales. Nous avons une centaine de thèmes que nous vendons au cours de l’année et cela marche très bien.

S : Est-ce que vous avez un retour ?

M.O : Nous avons un retour à travers les personnes qui reviennent nous voir. C’est parce qu’elles ont été satisfaites à la première sollicitation qu’elles reviennent vers nous. En termes d’évaluation, lorsque nous repassons là où nous avions donné des sessions de formation, les gens expriment une entière satisfaction. La bataille qui reste à mener aujourd’hui, c’est de consolider et de maintenir le cap pour ne pas décevoir tous ceux qui nous font confiance.

S : Est-ce que parfois, vous n’avez pas le sentiment, face au comportement de certains stagiaires que la formation Afrique compétences est utilisée comme un prétexte pour arriver au Maroc et vaquer à d’autres occupations ?

M.O : Lorsqu’on observe certains comportements, on remarque que des stagiaires de certains pays viennent aussi pour découvrir le Maroc. Pour les cadres burkinabè qui viennent chez nous, leur priorité est de retourner chez eux avec une formation de qualité. Les gens ne viennent pas en priorité pour des congés, mais nous nous arrangeons pour leur trouver des cadres de distraction durant la formation. C’est ce qui permet d’agrémenter leur séjour.

S : De quels pays, en général, viennent les stagiaires ?

M.O : Les stagiaires viennent, en général, des pays d’Afrique francophone au sud du Sahara à savoir du Sénégal, du Mali, de la Mauritanie, de la Guinée Conakry, du Burkina Faso, du Niger, du Togo, du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Tchad, du Cameroun, du Gabon, de la République démocratique du Congo et du Congo Brazzaville. Au Maroc, nous avons un département qui est bien introduit et qui propose des formations pour les entreprises qui y sont installées. Nous travaillons également avec l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi qui contribue à résorber le chômage au Maroc.

S : On sait que vous n’êtes pas seul dans le domaine de la formation. Il y a d’autres cabinets qui proposent la même chose que vous. Mais qu’est-ce qui fait la particularité d’Afrique compétences?

M.O : Quand on prend le cas du Maroc, il y a près de trois mille cabinets de formation et de conseils. Mais il n’y a qu’une centaine de cabinets qui sont tournés vers l’Afrique subsaharienne. Il y a une dizaine d’années que nous sommes arrivés sur le marché, mais nous nous démarquons des autres par notre manière de manager. Nous innovons en permanence. Nous avons un modèle qui est très apprécié des stagiaires. Lorsque nous recevons un stagiaire pour une formation, nous l’accompagnons durant son séjour en lui proposant d’autres activités d’ordre récréatif. En même temps que nous l’occupons avec la formation, nous essayons aussi d’agrémenter son séjour.

S : La dernière fois, il a été aussi question d’accompagner des structures pour atteindre un certain nombre de niveaux de qualification, d’obtention de normes. De quoi s’agit-il au juste ?

M.O : Afrique compétences a un département de conseils et d’accompagnement aux entreprises et aux administrations. A ce niveau, nous accompagnons les entreprises dans tout ce qui est actualisation ou définition de leurs plans stratégiques. Nous les accompagnons aussi vers la certification qualité ISO 9001 version 2008 et dans la restructuration des ressources humaines. Nous faisons au préalable des audits sociaux. Nous faisons également la mise en place de la comptabilité. Nous travaillons en étroite collaboration avec d’autres cabinets marocains très reconnus qui ont fait leurs preuves. Quand je prends le marché de la SONATUR qui était d’une durée de treize mois, nous l’avons exécuté avec un retard de trois jours. Cela a été très apprécié de tous les acteurs. Nous avons d’autres marchés au Burkina. Nous venons d’acquérir un autre marché, le CEGECI, au Burkina. Il vient d’être publié dans le journal des marchés publics. Il y a encore deux ou trois marchés qui sont en cours d’être publiés, où nous sommes en tête. Ce sont de telles situations qui nous permettent de prouver que nous sommes capables de faire les choses correctement et dans les délais requis.

S : Y a-t-il d’autres Burkinabè vivant au Maroc et qui s’illustrent positivement comme vous ?

M.O : Il est vrai que les Burkinabè qui travaillent au Maroc ne sont pas très nombreux. Il y en a une trentaine qui y travaille et qui sont légalement établis. Ces Burkinabè occupent des postes de responsabilité. Ils sont très appréciés dans ce qu’ils entreprennent et les Marocains leur font confiance. On compte parmi eux des entrepreneurs. Il y a quatre ou cinq qui sont à la tête de cabinets privés et qui font la fierté du Burkina Faso.

S : Comment vous sentez-vous ici au Maroc, en tant qu’expatriés ?

M.O : Honnêtement, je considère le Maroc comme mon deuxième pays. Depuis que je suis dans ce pays, on parle du racisme, mais ce qui est important, c’est de savoir s’intégrer. Lorsque l’on entretient des préjugés, il va de soi que face à certains comportements, on ne puisse qu’y voir du racisme. Dans mes rapports avec les autres au quotidien, je me départis des préjugés et des considérations racistes. Quand vous respectez quelqu’un, il vous rend la pareille. J’ai toujours privilégié le respect des autres. Du moment où je suis appelé à vivre dans ce pays, il me revient de réussir mon intégration. Je n’oublie pas non plus d’où je viens. J’investis de mon mieux au Burkina Faso dès que je le peux.

S : On sait qu’il y a beaucoup d’étudiants burkinabè au Maroc. Est-ce que vous avez des retours d’informations par rapport à leur comportement ?

M.O : Le Burkina envoie des étudiants au Maroc depuis 1993 ou 1994. Pour ce qui est de mon cas, j’y suis arrivé en 1998. Sur une cinquantaine d’étudiants que nous étions, nous avons réalisé un taux de réussite de 100% en première année. En deuxième année, 99% de succès. Nous remarquons le même sérieux dans les études pour les autres promotions. Ce qui fait qu’à l’Agence marocaine de coopération internationale, les Burkinabè sont très respectés parce qu’ils sont des travailleurs. Dans toutes les universités, les Burkinabè sont les majors de leur promotion et distancent toujours leurs condisciples avec un écart de 2 de moyenne. Cela montre que le niveau de base, c’est-à-dire le Baccalauréat burkinabè est un diplôme de qualité. Et en plus, nos étudiants sont sérieux et travailleurs. Malheureusement, depuis un certain temps, nous constatons que certains étudiants qui arrivent au Maroc n’ont pas été sélectionnés sur la base du mérite. Ils y sont arrivés grâce à leurs relations. Il y a, peut-être, 50% qui viennent dans ce pays parce qu’ils sont méritants, le reste a été tout simplement été recommandé. Cette situation a fait baisser les performances de nos étudiants, néanmoins nous gardons toujours une côte de respect absolu. Il faut souligner que l’enseignement privé s’est développé et les enfants de familles aisées y vont le plus souvent. Parmi eux, il y a des travailleurs, mais il y a aussi des fainéants. Je connais des étudiants qui ont arrêté les études et sont devenus des fumeurs de drogue. La police a arrêté certains et l’ambassade du Burkina au Maroc était obligée d’intervenir pour leur libération. Ce sont ces comportements qui ternissent l’image de nos étudiants. Il y a environ huit cents étudiants burkinabè au Maroc. Il n’y a que quelques-uns qui s’écartent du droit chemin. Dans l’ensemble, les étudiants burkinabè sont les plus appréciés de toutes les nationalités qui sont au Maroc.

S : Est-ce qu’il y a un cadre de rencontre de la diaspora burkinabè au Maroc ?

M.O : Nous avons un cadre de rencontre dénommé l’Association des Burkinabè résidant au Maroc. Nous nous retrouvons tous les trois mois en assemblée générale. Au cours de ces rencontres, nous passons en revue toutes nos préoccupations et les divers. Nous entreprenons également des initiatives pour trouver des cadres de distraction entre nous. Lorsqu’un de nos compatriotes traverse des moments difficiles, nous nous arrangeons pour le soutenir. Nous nourrissons également l’ambition, à l’avenir, de venir en aide aux plus démunis, à des écoles au Maroc et au Burkina. Les étudiants sont également regroupés au sein d’une structure appelée Association des étudiants stagiaires burkinabè au Maroc. L’Association a des sections dans des villes marocaines. Chaque année, les étudiants se retrouvent dans le cadre des activités culturelles.

S : Qu’est-ce que les formateurs vous donnent comme retour d’informations quant à la qualité des Burkinabè qui viennent au Maroc pour des sessions de formation ?

M.O : J’avoue que tous les stagiaires reconnaissent le niveau très élevé de leurs condisciples burkinabè. C’est une marque de considération qui montre que nos compatriotes viennent au Maroc avec la ferme volonté de réussir leur formation. Et cela nous confère une certaine sérénité et fierté. Présentement, nous avons une délégation de Burkinabè qui suit une formation sur la modélisation du budget. Mais les Burkinabè se distinguent par rapport aux autres délégations venues d’autres pays. Ils suivent bien la formation et l’assimilent sans difficulté.

S : Avez-vous gardé le contact avec le pays ?

M.O : Je suis très fréquent au Burkina. Pratiquement, chaque mois, je viens voir ma famille, régler mes affaires et rendre visite à mes clients dans le souci de consolider mes relations. D’ici à peu de temps, je serai au Burkina pour conclure des affaires.

S : Quelle image avez-vous du Burkina en étant à l’extérieur ?

M.O : J’ai fait beaucoup de prospections dans les pays de la sous-région. Lorsqu’on parle du Burkina Faso, c’est toujours en termes positifs. Les gens apprécient le niveau de développement de notre pays qui n’a pas accès à la mer. Si je pars du Maroc pour porter un regard sur le Burkina, je suis jaloux et souhaite voir aussi mon pays atteindre un tel niveau que le royaume chérifien. Néanmoins je reconnais qu’on n’est pas allé sur les mêmes bases et on ne peut pas attendre cela du Burkina dans l’immédiat. Lorsqu’on fait une rétrospection sur vingt ans, il faut dire que du point de vue des infrastructures, il y a eu un progrès même s’il reste beaucoup de choses à faire. De l’extérieur, nous pouvons dire que le pays fait des efforts en dépit des ressources qui sont rares. Nous avons la chance d’avoir un pays stable favorable au climat des affaires. On voit qu’il y a aussi une liberté d’expression, les gens disent ce qu’ils veulent sans être inquiétés. Mon souhait est qu’il y ait toujours la stabilité dans le pays pour que nous puissions espérer le développement.

S : Que dire pour conclure ?



M.O : Mon vœu le plus cher, c’est d’encourager la jeunesse à aller vers l’entreprenariat et ne pas tout attendre de l’Etat. Quand je prends le cas du Maroc, le tissu économique est très développé autour du privé. Je souhaite qu’une telle réalité se développe au Burkina Faso, que la jeunesse puisse s’auto-employer. Mais il faut travailler à faire avancer les choses en brisant les monopoles qui empêchent les bonnes volontés d’entreprendre. S’il y a la concurrence, le chômage pourra être résorbé dans notre pays. Quand je prends mon cas, je suis parti de mon village pour arriver là où je suis actuellement. Alors, je sais qu’il y a des gens comme moi, qui ont la volonté de réussir, mais il faut qu’un minimum de conditions soit réuni. Quand on observe aujourd’hui l’évolution du monde, nous voyons que tout le monde se rue vers l’Afrique. La jeunesse ne doit pas laisser notre continent entre les mains d’autres personnes, alors que nous pouvons développer notre propre expertise pour avancer.


Interview transcrite
par Karim BADOLO
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