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Dialogue politique : la lecture de Etienne Traoré
Publié le lundi 29 septembre 2014  |  Partis Politiques
Etienne
© Autre presse par DR
Etienne Traoré, homme politique et enseignant d`université




"Du dialogue initié par le Président Compaoré : peut-on trouver des solutions justes à des problèmes mal posés, qui plus est, par un arbitre lui-même joueur ?". Tel est le titre initial de cette tribune du professer d'université et homme politique Etienne Traoré sur le dialogue politique entre la majorité présidentielle et l'opposition à l'initiative du chef de l'Etat.


Le Président Blaise Compaoré a enfin décidé de dialoguer avec son opposition, ce qui n'est pas une mauvaise chose, encore moins un aveu de faiblesse. Le dialogue est un des meilleurs moyens de civiliser et donc de mieux humaniser les rapports humains en général et politiques en particulier. Il faut alors se féliciter de cette initiative. Cependant, c'est regrettable qu'il ne s'agisse encore que d'un dialogue INDIRECT entre le Président (à travers sa majorité ) et son opposition, un dialogue excluant de fait la Société civile, pourtant une incontournable partie prenante dans la crise et un renfort déterminant pour l'opposition. Ce dialogue devrait l'intégrer pour mieux tenir compte d'autres dimensions de la crise, autres que politiques.
Mais une chose est de vouloir le dialogue politique pour résoudre une crise, une autre est de le réussir par des conclusions consensuelles et bénéfiques à toute la Nation, si l'on ne sait d'abord réunir quelques importantes conditions de son succès : une confiance minimale entre les protagonistes; un médiateur indépendant, accepté par tous; une grande objectivité ainsi qu'une justesse dans les façons de poser et répondre aux questions querellées. Or, pour ce cas, ces conditions, à mon avis, sont très insuffisamment remplies. En effet :
S'agissant de la confiance réciproque, je ne peux que constater sur le terrain qu'elle est assez faible : l'opposition soupçonne le pouvoir de vouloir lui tendre un piège et surtout de ne jamais respecter ses engagements pris dès les crises passées. Elle en sait bien des choses depuis le rapport du " Collège de sages", aussitôt classé quand la crise consécutive à l'assassinat odieux du journaliste patriote Norbert Zongo a baissé d'un cran ! Le pouvoir soupçonne l'opposition d'être " pressée " de le renverser pour régler des comptes. N'aurait-il pas fallu des mises en confiance réciproques avant que ce dialogue, qui sonne comme un ordre de rassemblement militaire, ne soit convoqué ?
S'agissant du médiateur ou facilitateur, ici c'est le Président Compaoré qui arbitre un match entre sa propre majorité et son opposition. Qui peut croire en son impartialité ? Aucune personne intelligente! On est donc en présence d'un arbitre-joueur qui se présente pourtant comme un facilitateur, introduisant des réunions avant de " se retirer " alors que ses yeux, ses oreilles et ses avocats de la mouvance présidentielle restent dans la salle. Par ailleurs, les questions à l'ordre du jour (principalement la révision de l'article 37 et secondairement la mise en place du Sénat) le concernent personnellement, lui qui recherche un lenga ou même un autre et unique mandat de 5 ans. Le Président Compaoré est bel et bien ici juge et partie et est disqualifié pour jouer au facilitateur. Il a aussi frauduleusement transformé le problème qui existe réellement entre lui et l'article 37 de notre Constitution en un problème entre majorité et opposition, se dégageant ainsi de toute responsabilité ! Nous savons tous comment, à l'instar d'autres présidents africains qui ne veulent quitter le pouvoir que pour le donner en héritage familial, notre Président, sa famille et leurs obligés à divers niveaux, ont commis des concitoyens pour orchestrer à coups de millions des manifestations pour dire " oui au référendum" et défendre une dynastisation du Pouvoir d'Etat, en décrivant Blaise comme l'homme providentiel irremplaçable ! Je reste donc convaincu que le peuple n'est pas divisé à propos de l'article 37, mais qu'il s'agit en fait d'une résistance contre l'article 37, initiée et organisée d'abord par le Président et sa famille qui sont prêts à s' acheter très chèrement un référendum pour modifier l'article 37 en leur faveur. On me dit que le Chef de l'Etat ivoirien (proche ami de notre Président) pourrait être saisi comme médiateur extérieur et cette fois de façon officielle. Mais celui-ci a déjà vainement essayé de convaincre l'opposition d'accorder un «lenga au Président Compaoré . Que peut- il dire de nouveau ? Et au regard de l'implication de notre Président dans la crise ivoirienne, nombre d'opposants ne tarderaient pas à l'identifier à un nouvel arbitre-joueur au profit de la majorité présidentielle.
S'agissant enfin de la feuille de route en trois questions, voici ce que j'en pense:
La première question est ainsi libellée : " Légalité de la révision de l'article 37 de la Constitution ?". C'est d'abord une question fermée (celle à laquelle on répond par oui ou non) qui n'est certainement pas la bonne forme pour engager un dialogue ouvert. Ensuite, de façon vicieuse, la réponse est clairement suggérée par la question quand on sait que cet article 37 est bel et bien révisable puisqu’il n'est pas sanctuarisé (rendu non révisable par notre Constitution de juin 1991). Là, on ne peut donc répondre que par oui. Il s'agit donc en l'occurrence d'une question bien orientée, une question attrape-nigauds, une question-piège intentionnellement posée en ces termes. Cette façon de camper uniquement sur une légalité évidente est fort insuffisante car elle occulte la DETERMINANTE ET INCONTOURNABLE HISTOIRE DE L'ARTICLE 37 : fruit d'un laborieux consensus national en 1991, il a été réinstallé en 2000 pour contribuer à résoudre la crise née des crapuleux assassinats de Norbert Zongo et ses compagnons. Quelle est alors l'opportunité, pour qui veut la paix, l'alternance politique et la stabilité politique, de réviser un tel article qui a si justement contribué (et contribue toujours) à la paix et la stabilité politique dans notre pays ? Aucune opportunité ! Rien, absolument rien ne justifie une révision de l'article 37 si l'on tient compte de ses avantages acquis ainsi que des intérêts supérieurs de la Nation.
La deuxième question est ainsi formulée : " Si oui, par quelle voie consensuelle ? ". Cette interrogation traduit, quant au fond, l'objectif de la première : amener l'opposition politique à tirer une conclusion logique (participation à la révision) de la réponse évidente à la première question-réponse et piège. Ici, s'exprime un abus logique consistant à déduire de la légalité d'une révision la nécessité de cette révision. Dit autrement, de la légalité de révision de l'article 37 on ne peut pas déduire qu'il faut le réviser automatiquement et maintenant !!! Et si c'est pour changer cet article, source de paix, de stabilité et garant de l'alternance politique en son contraire, en levant le verrou limitatif du nombre des mandats présidentiels, alors il ne s'agit même plus de sa révision mais de sa suppression dans son fond. Cet éventuel article 37 nouveau mettrait donc dangereusement en cause les acquis de l'article 37 ancien à savoir le consensus, la possibilité d'alternance démocratique (pierre angulaire d'une démocratie qui n'est pas une monarchie ou une autocratie), la paix sociale et la stabilité politique. Briser l'article 37 actuel, en préférant une majorité référendaire partisane à un consensus national, constituerait une régression démocratique, une chute et un déficit de légitimité.
La dernière question est ainsi livrée : " Quelle convergence de vue pour l'installation du Sénat ?" C'est tout simplement un appel à l'opposition pour contribuer à l'installation d'un Sénat dont elle a toujours contesté et refusé l'opportunité. Elle instaure aussi un diktat dans la mesure où telle question sous-entend que tout débat sur cette opportunité est désormais et unilatéralement clos. Cette question-diktat trahit d'ailleurs l'esprit général de ces interrogations : tout ce qui est inscrit dans la Constitution étant tout naturellement légal, comme la possibilité de révision et le Sénat, il faut s'en tenir à cela et exécuter. Dès lors, on peut légitimement se demander pourquoi encore un dialogue politique puisque les divergences politiques et d'interprétation sont et doivent être ignorées, oubliant d'ailleurs que la loi, en démocratie, n'est que la résultante d'une majorité ou d'un consensus politique! Il aurait été plus honnête de faire une mise au point en ces termes : " la révision de l'article 37 et le Sénat étant inscrits dans la Constitution, sont ainsi légalisés. Tout parti républicain doit contribuer à cette révision et à cette mise en place du Sénat". Si les choses étaient aussi simples, il n'y aurait pas de Crise. Telle interprétation réductrice de la Constitution et ne tenant pas compte des réalités politiques et sociales ne peut en aucun cas permettre de trouver des solutions justes à la présente crise.
Vus donc l'esprit et la formulation des questions, j'ai tendance à croire en une ruse de notre Président Compaoré pour gagner du temps afin de : soumettre le calendrier de notre Constitution consensuelle (délai 2015) à son propre calendrier (au-delà de 2015); changer son statut de locataire de Kosyam (palais présidentiel) en statut de propriétaire du même lieu !!!! La présente feuille de route appelle pratiquement l'opposition à se renier et son géniteur pense ainsi probablement l'affaiblir et la diviser. Et puis, les questions sont trop orientées, elles ressemblent à des pièges, elles sont mal posées et donc non pertinentes au regard de la genèse de la crise et leur auteur recherche plutôt sa survie politique que l'approfondissement de notre processus démocratique. Les réponses à de telles questions, encore une fois, ne peuvent pas résoudre la crise. Selon moi, si l'on veut véritablement et objectivement la juguler, il faut poser deux questions plus fondamentales et pertinentes : " 1- pourquoi y a-t- il la crise ?; 2- pourquoi notre Président ne veut pas respecter le calendrier constitutionnel ?
À ces questions aussi claires que justes les réponses sont vite trouvées : d'abord, la crise est née du refus du Président de quitter ses fonctions en 2015 comme l'exige la Constitution. Sa demande (par médiateurs interposés) de lenga ou d'un mandat unique jusqu'en 2020 ne sont que les effets de ce refus (donc cause originelle de ladite crise). Et quand on veut guérir un mal, il faut le traiter par ses causes (le refus) et non par ses effets (révision de l'article 37 et installation d'un Sénat). Si la cause est ainsi diagnostiquée, alors tous les protagonistes se tourneront vers le Président pour lui poser la deuxième question à laquelle il se fera le devoir de répondre en énumérant les raisons de sa résistance opposée à une importante disposition constitutionnelle. A partir de là, tous les protagonistes vont apporter consensuellement des solutions idoines dans le respect de la Constitution qu'il a lui-même juré, non pas de modifier, mais plutôt de défendre dans son fond et dans sa forme actuels.
Enfin, je crains fort que ce dialogue indirect n'échoue tant les conditions minimales de son succès ne sont pas réunies. Telle perspective pourrait accroître la crise et pousser notre Président Blaise Compaoré à vouloir passer en force comme le lui demandent ses faucons les plus égoïstes, les plus immatures et les plus insensés. Dans ce cas de figure, tous les démocrates et patriotes devront retrousser les manches pour courageusement défendre notre processus démocratique ainsi en déviation vers un système dynastique et patrimonial. Les résultats obtenus seront à la hauteur des sacrifices consentis et toute lâcheté sera sévèrement punie par l'histoire de notre vaillant peuple. Que Dieu protège le Burkina Faso. Mais que personne n'oublie ce juste mot de sagesse du Professeur Ki-Zerbo :" Dieu n'aide pas ceux qui restent couchés".

Étienne Traoré

Université de Ouagadougou

28 septembre 2014

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