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Agriculture familiale dans le Sanguié: Un trésor qui se meurt
Publié le jeudi 18 septembre 2014  |  Sidwaya
Afrique
© Autre presse par DR
Afrique de l`Ouest : vers l`institutionnalisation de l`agriculture écologique et biologique




La problématique du financement de l’agriculture au Burkina Faso est une réalité. Bien que l’Etat consente d’énormes efforts dans ce secteur en lui allouant près de 15% de son budget, des entraves financières au développement de l’agriculture familiale persistent dans la province du Sanguié.

Il est 6 heures le lundi 11 août 2014 à Seboun, village situé à 12 kilomètres au Nord de Réo, chef-lieu de la province du Sanguié, région du Centre-Ouest. Le ciel vient de déverser son contenu sur cette partie du «pays des hommes intègres». La pluie menace encore quand nous empruntions une moto, en compagnie de Aristide Bationo, notre guide, pour la découverte de quelques champs. Direction, le champ de Issouf Badolo. En cette saison pluvieuse, la route qui y mène est parsemée de trous, de cassis (dos d’âne) et de flaques d’eau. Après quelques minutes à contempler la verdure, la «danse» des branches et feuilles d’arbres rythmée par le vent, à écouter le chant des oiseaux, nous voilà dans le champ de Issouf Badolo. Environ 47 ans, 1m 80, tête rasée, la barbiche noire, Issouf cultive à Seboun, il y a plus de 30 ans.
Du sorgho, du petit mil et dans un moindre espace, du niébé, sont les semis qu’on trouve dans son champ. Vêtu d’un complet veste de couleur grise et délavée, en compagnie de ses deux filles, M. Badolo laboure son champ à l’aide d’une daba. En dépit du climat glacial, de grosses gouttes de sueur perlent sur son front. Sur ses deux poignets, des «caillots de boues» se sont formés par la sueur qui coule de ses bras.

Un cultivateur croûlant
sous des difficultés

Après les salutations et les présentations d’usage en Lélé (langue locale), nous lui expliquons l’objet de notre visite. «Je suis ravi de votre présence qui permettra de constater de visu, les conditions dans lesquelles nous travaillons», s’empresse-t-il de dire. Une heure après, huit jeunes garçons (l’âge compris entre 14 et 20 ans), le rejoignent. Ce sont les voisins de Issouf Badolo, venus l’aider. «Je cultive ici, depuis plus de 30 ans pour nourrir ma famille parce que je vis uniquement de la daba, ce champ appartenait à mon père», déclare le cultivateur, essoufflé.
Il confie qu’il a des problèmes pour prendre sa famille en charge, parce que sa production ne lui permet pas de vivre conséquemment. Il soutient faire du jardinage avec les cultures de contre-saison pour essayer de joindre les deux bouts. Ses semis ne poussent pas assez, les intrants lui sont indispensables, les animaux de trait et la charrue aussi.
Le cultivateur Badolo dit ne pas pouvoir estimer ce qu’il injecte dans son champ ni ce qu’il y gagne après investissement financier vu que son système cultural est archaïque. Cependant, il sait bien que la scolarité de ses filles lui coûte la somme de 75 000 F CFA. Il souligne que c’est grâce à ces maigres revenus qu’il scolarise ses deux filles au lycée.
De l’avis de Issouf Badolo, labourer au 21e siècle avec la daba, ne permet pas d’engranger de grands rendements. «Je souffre beaucoup parce que je n’ai pas de moyens pour louer un tracteur et les charrues coûtent chers. En plus de cela, je ne fais pas la politique, donc je n’ai pas accès à certaines portes qui pourraient me permettre d’avoir du matériel agricole adéquat. Sinon, j’aurai souhaité ne plus utiliser la daba», lance-t-il.

Du favoritisme dans le partage des intrants agricoles?

Comme ce cultivateur, Azarata Kanzié, une quinquagénaire, travaille dans son champ à Koukouldi, un village situé à environ 15 km au Sud de Réo, dans le département de Ténado. Assise sous un karité avec ses quatre enfants (trois garçons et une fille, âgés de 11 à 17 ans), du tô délayé avec de la poudre de néré, c’est le menu du dejeûner pour cette famille après 5 heures de dur labeur. Un instant passé en compagnie de Mme Kanzié permet de comprendre sa douleur. Elle confie que son mari est décédé, il y a de cela 10 ans, et son champ lui permet de s’occuper des enfants. «Je cultive du niébé parce que ça marche bien chez nous», dit-elle.
Jardinière de circonstance, la veuve Kanzié cultive du chou, de la tomate, des aubergines, etc. Avec les revenus de la vente de ses excédents, elle arrive à subvenir, tant bien que mal, aux charges familiales. Mais, son souci demeure le manque d’intrants et de semences améliorées pour améliorer ses récoltes. «Notre monde est gouverné actuellement par la politique et le favoritisme. Moi je ne connais aucune autorité locale et je n’ai pas droit à tout ce que le gouvernement donne. Sinon, je sais que si je gagnais une charrue et un bœuf, mes deux garçons pouvaient labourer le champ sans problème», avoue-t-elle, toute émue.
Azarata Kanzié n’arrive à scolariser que deux de ses enfants faute de moyens, en l’occurrence sa fille et un garçon. La distribution des intrants et des semences n’est pas liée à la coloration politique, selon le Directeur provincial de l’agriculture et de la sécurité alimentaire du Sanguié, Marcellin Clément Zagré.

Insuffisance d’intrants
et de semences

Même si ces deux paysans pensent que c’est à cause de leur appartenance politique qu’ils ne reçoivent pas les intrants et les semences subventionnés, il y en a qui les reçoivent, mais qui les trouvent insuffisants. C’est le cas du président du groupement agricole «Buldi», Bali Bationo, de Ekoulkouala, village situé à environ 10 kilomètres de Réo, par ailleurs conseiller villageois.
Un tour dans son champ, situé autour de sa cour aux environs de 17 heures, le 13 août 2014, permet de constater qu’il cultive du riz, du maïs, du mil, du sorgho, du niébé, des oignons... Sur les lieux, ses enfants s’attèlent à débarrasser le mil des mauvaises herbes. Il soutient que son champ a une superficie d’environ sept hectares. Il fait aussi de l’élevage de bovins, d’ovins, de caprins et de la volaille. Pour lui, le gros problème de son groupement réside dans l’acquisition de l’engrais et des semences.
«Sincèrement, l’engrais et les semences sont insuffisants. Il y a des variétés de semences qui sont très bonnes et ces variétés ne profitent pas à tous les producteurs. Nous achetons souvent les 5 kg de maïs à 7500 F CFA, ce qui n’est pas évident pour tous les paysans. Et même cela, il m’a fallu user de relations personnelles pour pouvoir m’en procurer. Ce qui fait que nous réalisons d’énormes pertes qui ne sont pas sans conséquences sur la qualité de vie de nos familles», déplore M. Bationo.
Pour lui, l’insuffisance de l’engrais est liée au fait que certaines personnes, qui ne sont pas agriculteurs, trompent la vigilance des agents d’agriculture, prennent l’engrais subventionné et le revendent en détail à des prix exorbitants. «Je travaille chaque jour pour pouvoir subvenir aux besoins de ma famille. En 2012, j’ai eu du bon engrais que j’ai mis dans mon champ de maïs. J’avoue que j’ai réalisé un bénéfice de 75000 FCFA qui m’a permis de payer la scolarité de mes enfants. Cela veut dire que si nous n’avons pas ces intrants et équipements agricoles, nos enfants n’iront pas à l’école et la conséquence serait l’accroissement de la pauvreté», confie ce cultivateur. Il ajoute qu’à défaut de l’engrais chimique, il utilise la fumure organique qu’il trouve aussi riche. Et de révéler qu’il y a sur le marché de l’engrais de mauvaise qualité ou qui n’est pas adapté aux semences et les détruit.
«Nous ne savons pas comment cela se fait, mais il y a du mauvais engrais qui entre dans la province. L’engrais utilisé, par exemple, par les cotonculteurs, n’est pas adapté au mil, au sorgho encore moins au chou, mais il se trouve que cette qualité est vendue ici», regrette Bali Bationo.
Même ton chez la présidente du groupement féminin d’agricultrices «Sono Nye» (c’est bien d’aimer), Augustine Kanyala, dont l’association est forte de plus de 70 femmes. Pour elle, la lutte contre la pauvreté dans la province doit passer obligatoirement par une transparence dans la gestion des équipements et produits destinés aux pauvres. Elle estime que les femmes sont marginalisées dans la distribution des intrants. En plus de ce traitement «injuste» à leur égard, Augustine Kanyala dénonce le fait que les terres qui sont autour du barrage de Seboun, aient été reparties sans tenir compte de la gent féminine. «J’ai demandé une petite portion avec les personnes qui sont sur le site, mais je n’ai rien eu. Aucune femme n’a un champ autour du barrage et ce n’est pas normal», martèle Mme Kanyala, frustrée. Outre ce constat, elle dénonce la mainmise des autorités communales sur la distribution des produits et équipements agricoles.
«L’agriculture ne fait pas partie des secteurs gérés par la mairie. Ce que nous savons, ce sont l’éducation et la santé qui sont sous la coupe de la mairie», dit-elle. Elle affirme avoir un champ de maïs, d’arachide et de niébé, mais n’arrive pas à avoir de l’engrais. «Quand je demande l’engrais, c’est la croix et la bannière parce qu’il y a trop de magouille dans la gestion. Pourtant, c’est avec cela que je nourris et scolarise mes enfants et petits-enfants», se plaint-elle.

Pas de suivi

Les autorités communales tiennent un autre langage. «La mairie ne s’ingère pas dans la distribution des intrants et des semences. Il y a un comité composé d’un représentant de la direction de l’agriculture, du CVD, de la Chambre régionale d’agriculture, qui est mis en place et la mairie ne fait qu’apporter un soutien de suivi. Les intrants et les semences sont distribués par une structure privée qu’est l’Association des grossistes et détaillants distributeurs d’intrants agricoles (AGRODIA)», rassure le bourgmestre de Réo, Anicet Bazié.
Le chef de Service de l’aménagement et des productions agricoles (SAPA) de la région du Centre-Ouest, Félicien Louba Dakio, soutient que des efforts ont été faits pour cette campagne agricole 2014-2015. «Depuis 1988, c’est la première fois que nous avons reçu autant d’engrais à savoir 1047,7 tonnes. Soit le double de notre dotation habituelle», laisse-t-il entendre. Il dit que les équipements et produits agricoles que sa direction reçoit sont composés de charrues, de houes-manga, de charrettes, de semoirs, de motopompes, de pompes à pédales, de buteurs bovins… d’engrais (NPK, Urée, DAP), d’animaux de trait, etc. que la direction s’évertue à redistribuer suivant la liste des personnes vulnérables établie par le comité de sélection des bénéficiaires.
La promotion de l’agriculture de subsistance passe aussi par la sensibilisation des paysans. Et pour que cette sensibilisation soit effective, il faut des agents agricoles sur le terrain à travers des accompagnements pour la mise en œuvre des bonnes pratiques agricoles, estime M. Bationo.
«Au moment où il y avait les encadreurs agricoles, tout était bien suivi et nous avions de meilleurs rendements du fait de leurs conseils. Maintenant, pour qu’un agent d’agriculture vienne dans ton champ, il faut lui payer 2000 FCFA pour son carburant. Alors que beaucoup d’entre nous ne maîtrisent pas les bonnes pratiques agricoles. Quand nous essayons de comprendre pourquoi il faut débourser cette somme, ils répondent qu’avant, ils avaient des bons de carburant et que maintenant, on ne leur donne plus rien», révèle Augustine Kanyala.
Le Directeur régional de l’agriculture et de la sécurité alimentaire de la région du Centre-Ouest, Rimyallodo Paul Tiemtoré, se justifie par le manque de financement pour le fonctionnement de l’administration. «Notre souci est que toutes les familles arrivent à manger à leur fin. Mais, à l’impossible, nul n’est tenu. Nous n’avons que deux véhicules à notre disposition, nous souffrons de frais de fonctionnement du fait de notre budget insignifiant», précise M. Tiemtoré.
Embouchant la même trompette, le chef du service administratif et financier de la région du Centre-Ouest, Henry Coulibaly, confie qu’en 2013, la direction régionale a fonctionné avec un budget de 13 millions 545 mille francs CFA et la même somme pour l’année 2014. «L’enveloppe est insuffisante», fait-il remarquer.
Selon lui, n’eût été l’apport des Partenaires techniques et financiers tels le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Projet riz pluvial (PRP)..., l’achat de certains équipements causerait d’énormes difficultés de gestion administrative. De son côté, le directeur provincial de l’agriculture du Sanguié, Marcellin Clément Zagré, tout en reconnaissant les efforts du gouvernement dans ce secteur, plaide pour plus de personnel administratif.

Un moyen de lutte contre
la migration

Dans la province du Sanguié, bon nombre de paysans trouvent que la petite agriculture nourrit son homme, pourvu qu’on y mette les moyens. C’est ce que pense Innocent Badolo, cultivateur à Ekoulkouala. De ses dires, il ressort que les jeunes du village ne recherchent plus l’Eldorado parce qu’il leur suffit d’avoir un champ, du matériel et des intrants.
«Actuellement, nos jeunes ne voyagent plus parce qu’ils ont tous des champs et des jardins, mais aussi des noyaux d’élevage qui leur permettent de manger et de se marier», se réjouit M. Badolo. En plus de retenir les jeunes sur place, l’agriculture de subsistance les met à l’abri de l’orpaillage. «Nos jeunes ne partent plus sur les sites d’orpaillage, car ils trouvent leur compte dans les champs et c’est moins risquant. Quand un paysan est muni de matériels modernes de production, il ne peut qu’accroître ses rendements. Nous avons des enfants qui partent à l’école et nous avons besoin d’argent. Donc nous demandons à l’Etat d’augmenter le financement alloué aux agriculteurs, notamment les semences, les motopompes, les engrais, les animaux de trait…», souhaite Innocent Badolo.
Bali Bationo veut que l’Etat mette à leur disposition les semences avant le mois de juin. Parce que, dans cette période, il se trouve qu’il y a des paysans qui ont déjà biné et attendent les graines. «Si l’Etat peut faire un effort pour que les semences nous parviennent plus tôt, cela va beaucoup nous aider», affirme M. Bationo.
Une situation que le chef du Service de l’aménagement et des productions agricoles (SAPA) de la région, Félicien Louba Dakio, regrette également, mais il souligne que le problème se situe au niveau de l’analyse des semences qui prend un peu de temps. «Nous sommes conscients que les semences et les intrants arrivent en retard. Normalement, au plus tard le 15 mai, les semences devraient être retirées des magasins. Il faut dire que pour pallier cette situation, l’Etat a ouvert deux autres laboratoires d’analyse des semences en plus de celui de Ouagadougou, à Bobo-Dioulasso et à Fada N’Gourma, mais malheureusement, les semences arrivent tard», corrobore le SAPA.

Accroître les moyens

L’agriculture de famille est un domaine dont le financement contribuera fortement à lutter contre la pauvreté dans cette province. Issouf Badolo propose que les intrants et les animaux de trait soient effectivement distribués aux paysans indigents et non pas en fonction de l’appartenance politique. Tout comme Augustine Kanyala, Bali Bationo souhaite que le suivi, la distribution et tout ce qui concerne l’agriculture soient attribués sans réserve à la direction provinciale de l’agriculture et de la sécurité alimentaire. «Les agents d’agriculture doivent être honnêtes et ne pas se laisser manipuler par les politiciens. Les paysans aussi doivent jouer leur partition, en ne revendant pas l’engrais qu’on met à leur disposition. Nous souhaitons aussi que l’Etat revoie la subvention à la hausse, parce qu’il n’est pas permis à n’importe quel producteur d’acheter une charrue à 90000 FCFA ou de se procurer un animal de trait comme un bœuf à 37500 FCFA ou un âne à 11 250 FCFA», souligne Bali Bationo.
Par ailleurs, il propose qu’on ramène les encadreurs d’agriculture en nombre suffisant, afin de mieux suivre les champs et booster la production. Il souhaite, tout comme le cultivateur Issouf Badolo, que le gouvernement travaille à moderniser l’agriculture, en la dotant de moyens de labour et de jardinage plus adaptés.
Le SAPA, Félicien Louba Dakio, suggère que l’Etat réoriente sa politique de financement de l’agriculture, en tenant compte de l’agriculture de famille. Il estime que les paysans doivent d’abord être sensibilisés aux bonnes pratiques agricoles. «Pour la petite agriculture, on n’a pas besoin de grands espaces, donc pour un quart d’hectare de maïs bien entretenu, un producteur peut récolter une tonne. Je trouve aussi que les paysans doivent opter pour les pompes à pédale qui coûtent moins cher (6000 FCFA) par rapport à la motopompe dont les 60m3 font 288 750 FCFA», conseille M. Dakio. Bien soutenue, l’agriculture de famille peut contribuer à la lutte contre la pauvreté. C’est pourquoi l’année 2014 a été déclarée année internationale de l’agriculture familiale par la l’Organisation des Nations unies (ONU).
Cette décision a été prise pour galvaniser certains Etats, en l’occurrence ceux en voie de développement, à accorder plus de financement au grand nombre d’agriculteurs afin qu’ils sortent de la pauvreté.


Gaspard BAYALA
gaspardbayala@yahoo.fr
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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