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Kénédougou : à la traque des présumés sorciers
Publié le vendredi 12 septembre 2014  |  Sidwaya




Dans certaines sociétés, la sorcellerie est un héritage ancestral ou parental, le plus souvent transmis de génération en génération.
Sa pratique supposée vraie ou fausse est une triste réalité dans les villes et campagnes du Burkina Faso. A Mahon, dans la province du Kénédougou, la population vit dans la psychose depuis un certain temps, car des enfants, en transe, détectent et « désarment » des présumés sorciers.
Un phénomène qui prend de l’ampleur dans la province, avec à la clé, des incompréhensions, la fuite et la division des familles.

Avril 2014 à Mahon, un village situé dans la commune rurale de Kangala à 40 km de Orodara, chef-lieu de la province du Kénédougou. La saison sèche bat son plein. C’est la période de forte canicule. Dans cette partie du pays, la population vit dans une psychose due à un phénomène d’accusation de sorcellerie.
Les auteurs de cette pratique sont des enfants. Ils entrent en transe et s’organisent en bande pour mener une chasse aux sorcières. Ces mineurs, majoritairement des filles, seraient dotés d’un pouvoir magique exceptionnel dont eux seuls détiennent le secret. A Mahon, on les appelle les «envoyés de Dieu » car dans toutes leurs opérations, ils ne prononcent que le nom de Dieu.
Tout a commencé le mardi du 8 avril 2014, tôt le matin aux environs de 5 heures. Elève en classe de 3e au Collège d’enseignement général (CEG) de Mahon, Notio Kadidiatou Traoré entre en transe. Elle se met à crier, à pleurer et à faire des dénonciations et des révélations au sujet de sa mère qui souffre d’une longue maladie. Ainsi, elle accuse TS, un homme qui serait à l’origine de la maladie de sa maman parce qu’il l’aurait envoûtée.
Incomprise au départ, on croyait à une plaisanterie de sa part. Et pour prouver la véracité de ses propos, la jeune fille a confié que le présumé sorcier détient par devers lui, des objets maléfiques qu’il utilise pour attenter à la vie de sa mère. Et d’ajouter que ces objets se trouvent dans son champ. C’est ainsi qu’elle s’est rendue dans ledit champ où elle a trouvé les objets accrochés à un arbre, les a pris et ramenés au village. Toute chose que TS aurait reconnue.
Le père de la jeune fille Amidou Traoré raconte : «Quand Notio est entrée en transe, son comportement était bizarre.
J’ai eu l’impression que c’était un début de folie. La crise a duré un bout de temps puis elle s’est calmée. Lorsqu’elle a repris les cours, elle a encore chuté. Impuissant devant cette situation, je me suis rendu à Sokouraba avec elle pour voir le pasteur afin qu’il prie pour elle. Celui-ci a fait de son mieux mais la fille est restée dans cet état».
Djibril Traoré, l’oncle de Notio renchérit : « elle pleurait, criait et ne cessait d’appeler le nom de T.S, le sorcier présumé. Les gens ont accouru. Après leur départ, nous avons appris par la suite qu’une autre fille est entrée en transe et se comportait de la même manière que Notio. Et chaque jour que Dieu fait, le nombre de victimes de ce phénomène s’accroît ».

A Mahon, les enfants qui entrent en transe et qui «traquent» les sorciers, sont en majorité des élèves du primaire dont l’âge varie entre 6 à 14 ans. Parmi eux, figurent aussi quelques élèves du secondaire. Malgré leur jeune âge, ils sillonnent les artères et les concessions du village, à la recherche de prétendus sorciers et malfaiteurs. Lorsqu’ils aperçoivent ou trouvent un présumé sorcier, ils l’interpellent ou passent souvent par la manière forte pour l’arrêter, au cas où ce dernier manifeste un refus. Les «sorciers» interpellés sont dépossédés de tous leurs objets maléfiques. Ensuite, ils sont conduits au «quartier général» des enfants où ils subissent un interrogatoire. A cette occasion, certains inculpés font des révélations sur le nombre de personnes tuées et dévoilent aussi leur mode opératoire. Dans des témoignages filmés et enregistrés à l’aide de téléphones portables, certains d’entre eux reconnaissent effectivement les faits qui leur sont reprochés par les enfants. Selon une source proche des enfants, les noms de certaines personnes décédées récemment dans le village ont été cités par d’autres présumés sorciers, qui disent être les auteurs de leur mort. Les objets retirés par les enfants sont entre autres, des gourdes, des bagues, des gris-gris, des queues et crânes d’animaux, des têtes d’oiseaux, des cauris, etc.
Le phénomène est source d’incompréhension et de division entre les familles. Des personnes sont accusées de sorcellerie, violentées et humiliées. Parmi les victimes, certaines ont préféré simplement et purement quitter le village. C’est le cas de la mère de K.M qui se trouve présentement en Côte d’Ivoire pour avoir semble-t-il, attenté à la vie de son propre fils. A ce sujet, K.M explique sans gêne qu’il est tombé gravement malade, et qu’il a reçu des soins au CSPS de Mahon. «Un matin, j’étais assis autour d’un grand feu de bois, tout désespéré. De passage, les enfants m’ont vu et sont venus vers moi. Ils m’ont frotté avec de l’huile d’onction. Et c’est là qu’ils m’ont fait savoir que c’est ma mère qui est à l’origine de mon mal. Elle était absente et les enfants m’ont chargé de lui demander de les attendre à son retour, parce qu’ils ont besoin d’elle», a-t-il expliqué. A son retour, a-t-il poursuivi, quand elle a appris que les enfants sont venus la chercher, elle a disparu de la cour, et c’est quelques jours après qu’on aurait appris qu’elle est en Côte d’Ivoire. «Dieu merci, j’ai eu la vie sauve grâce à ces enfants», a dit K.M.

Comment les sorciers sont-ils identifiés ?

A la question de savoir comment les enfants arrivent à identifier les sorciers, la réponse de Abou Coulibaly, élève en classe de 6e au CEG de Mahon est sans équivoque : «C’est une mission de Dieu que nous sommes en train d’accomplir. Sinon, ce n’est pas nous-mêmes qui agissons de notre propre gré ». Et, «lorsque nous entrons en transe, nous sommes guidés par un esprit saint qui nous montre le chemin des maisons habitées par les sorciers », explique le jeune garçon. Une fois chez le sorcier, ils s’arrêtent devant sa concession, prient et lui ordonnent de leur remettre l’objet maléfique qu’il détient par devers lui et qu’il utilise pour tuer les gens. «Même si c’est dans le sous-sol, Dieu nous dit de rentrer enlever la chose», martèle Abou Coulibaly. Et de conclure que Dieu les a envoyés en mission à Mahon pour assainir le village. La plupart des personnes accusées de sorcellerie que nous avons approchées se refusent à tout commentaire. Sauf S.T, une vieille femme et K.T, un homme âgé qui ont accepté partager leurs mésaventures. «J’étais assise un soir chez moi en train de décortiquer le néré. Soudain, j’ai aperçu un groupe d’enfants se diriger vers moi. J’ai cru qu’ils venaient pour m’aider. Arrivés, ils ont commencé à crier et m’ont ordonné de faire sortir tous les objets de protection que j’ai par devers moi. Je leur ai dit que je n’étais pas sorcière. Mes objets me servent de protection, mais ils n’ont pas voulu me comprendre. C’est ainsi qu’ils ont retiré tous les objets de protection que j’avais et m’ont ensuite conduite dans leur coin pour un interrogatoire. A dire vrai, je ne suis pas une sorcière», a-t-elle avoué. Quant au vieux K.T, il a également nié les faits qui lui sont reprochés. «Je ne suis pas un sorcier, les enfants sont en train de mentir sur moi», a-t-il déclaré. Pourtant, selon les enfants, au cours de l’interrogatoire, le vieux K.T a avoué avoir tué beaucoup de personnes dont ses propres enfants.

Un quartier général pour les opérations

Les enfants traqueurs de sorciers à Mahon ont une base en plein cœur du village qui leur sert de quartier général. C’est à cet endroit qu’ils se retrouvent quotidiennement pour mener leurs «opérations». Cette place sert de lieu de prière, de délivrance et de guérison. Ces enfants, a-t-on appris, guérissent «au nom de Jésus». Ainsi, beaucoup de personnes affirment avoir été guéries ou sauvées grâce à ces enfants. C’est le cas de Maïmouna Konaté. «Une nuit, j’ai piqué une crise bizarre. Du coup, j’ai perdu ma voix. A l’école, quand le professeur me parle, j’entends, mais je ne peux pas parler. Quand j’ai approché ces enfants, ils m’ont dit que j’ai été envoûtée par ma marâtre. Ainsi, ils ont prié pour moi et j’ai retrouvé la santé », révèle-t-elle. C’est aussi chez ces enfants que Télémon Traoré dit avoir retrouvé l’usage de ses jambes : «Depuis le 1er janvier 2014, jusqu’au 18 avril, je ne pouvais pas marcher sans l’aide d’un bâton. Mais Dieu merci, les enfants ont pu me sauver».
Ces enfants décidés à démasquer les sorciers qui perturbent la vie des populations à Mahon sont contestés dans certains milieux. Selon une certaine opinion, les gamins agissent sur des preuves, voire des informations non fondées. C’est l’avis de Mariam, rencontrée dans un restaurant de la place. «Je ne fais pas confiance à ces enfants. Ils mentent sur des gens. Sinon, comment comprendre que des enfants de bas âge puissent accuser de vieilles personnes ou leurs parents, de sorcellerie. C’est une manipulation d’autrui», estime-t-elle.

La chefferie traditionnelle approuve

Malgré les avis divergents sur la question, la chefferie traditionnelle de Mahon salue l’action des enfants dans la traque des sorciers. Selon le chef de terre de Mahon, Namblé Grégoire Coulibaly, c’est un signal fort dans l’histoire du village. «Nous attendions cela depuis fort longtemps », dit-il. Et, de poursuivre que l’histoire des sorciers à Mahon est un peu liée aux génies. A ce niveau, il précise : «Mahon, est envoûté, c’est triste, mais il faut avoir le courage de le dire. L’école A a été construite depuis 1964, mais dans le village, il y a peu de cadres fonctionnaires. En plus de cela, les quelques fonctionnaires qui ont eu la chance d’accéder à la retraite ne vivent pas longtemps. Il en est de même pour la diaspora de Mahon. Chaque année, on enregistre de nombreux cas de décès et d’échecs scolaires. Il ne faut pas non plus occulter les maladies. Le CSPS est envahi par les malades en permanence». C’est pourquoi, dit Namblé Coulibaly, les vieux ont entrepris des sacrifices pour ramener la paix dans le village. A en croire le chef de terre de Mahon, l’action des enfants s’inscrit en droite ligne des sacrifices des vieux. Le président du Comité villageois de développement (CVD) de Mahon, Salif Traoré, confirme l’effectivité du phénomène dans le village. Selon le chef de terre et le président du CVD, les vieux à l’unanimité saluent le combat mené par ces tout-petits contre les sorciers. De son côté, Julienne Traoré pense que l’avènement de ce phénomène est une bouffée d’oxygène pour le village. Depuis qu’il a commencé, il y a moins de décès et de maladies dans le village, argue Julienne Traoré. Pourtant, pense l’infirmière chef de poste de Mahon, Habibata Sanou, ce phénomène de sorcellerie n’a pas de rapport avec la fréquentation du CSPS. «Nous traversons une période morte. La situation est générale dans tout le district sanitaire de Orodara», affirme-t-elle.

Panique et psychose chez les enseignants

L’école est la plus touchée par ce phénomène, et le directeur du CEG de Mahon, Marc Bonkoungou explique qu’au début, on avait pensé que cela prendrait fin aussitôt. Mais au fur et à mesure, reconnaît-il, le phénomène a pris de l’ampleur et de nombreux élèves du CEG en sont victimes, allant parfois jusqu’à entraîner des abandons scolaires. Certains élèves n’ont pas pu faire les épreuves sportives et même écrites du BEPC, session 2014. A l’école "A" de Mahon, Drissa Traoré, un enseignant, explique que la situation est insupportable. «Chaque jour, c’est la panique à l’école, car les élèves victimes de transe leur font des révélations», avoue Drissa Traoré. Et de poursuivre : «Ils disent que l’école est hantée par trois génies. Les élèves me confient qu’il y a des gens qui m’en veulent dans le village et qu’ils ont même envoûté ma moto pour que je fasse un accident. J’ai donc fait une semaine sans monter sur la moto». A l’école "B" de Mahon, la situation est encore pire. Là-bas, une enseignante a été accusée de sorcellerie par les élèves. Il s’agit de Mme O.A. Son témoignage : «Un groupe d’élèves a voulu me badigeonner d’huile. J’ai décliné l’offre. Les élèves ont voulu me forcer. Aussitôt, j’ai informé l’inspecteur qui m’a conseillée de prendre attache avec le président de l’APE pour gérer le problème. C’est donc le président qui est venu les chasser ».
Et d’ajouter qu’ils s’en sont pris à sa fille qui est élève au CEG de Mahon, en voulant la frapper. Face à cette situation, les enseignants des deux écoles se sont rendus à la Direction provinciale de l’éducation nationale (DPENA), sise à Orodara pour rencontrer la première responsable, Suzanne Sibidé. Ils ont exprimé leur ras-le-bol face à la situation qu’ils vivent à Mahon, et souhaitaient tous quitter le village. La DPENA s’est finalement rendue à Mahon le 5 juin 2014 pour rencontrer les enseignants. Mahon n’est pas le seul village du Kénédougou à vivre ce phénomène.Natindougou, Niampédougou, Bakaribougou, Lanfiéra, Diolé, Kotoura, Imatoro, Koloko, Kangala et Sifarasso sont aussi concernés.

Le pasteur de Sokouraba mis à l’index

Pour de nombreuses personnes, le phénomène des enfants en transe doit avoir un lien avec les prêches du pasteur de Sokouraba, Louis Ouattara. En effet, ce pasteur fait des miracles, des délivrances et des guérisons. De l’avis de certains habitants, ces enfants sont ses adeptes. « L’homme de Dieu » que nous avons rencontré à Sokouraba s’en défend pourtant. «Je ne suis ni de près ni de loin impliqué dans cette histoire de chasse aux sorciers», déclare-t-il l’air serein. Pourtant, certains enfants ont laissé entendre qu’ils fréquentent souvent l’église du pasteur de Sokouraba. En réponse, Louis Ouattara estime que son église est la maison de Dieu qui est ouverte à tout le monde. Et pour prouver son innocence, le pasteur Ouattara a laissé entendre que ces dernières années, de nombreux établissements scolaires du Burkina Faso vivent des cas de crises d’hystérie.
Les enfants disent avoir déjà reçu la visite des autorités locales, notamment le préfet du département de Kangala, le commissaire de police de Koloko et une délégation des vieux du village de Mahon. Ces autorités administratives et coutumières leur ont prodigué des conseils et les ont invités à éviter la violence dans leurs opérations. Le message semble avoir été entendu, car les enfants ne rentrent plus dans les concessions des présumés sorciers. Ils sont à leur base, et les intéressés se cachent nuitamment pour venir remettre leurs objets maléfiques. Le lundi 19 mai 2014 à Kangala, à l’initiative du maire de la commune, Guédjima Traoré, une rencontre s’est tenue sur le sujet. Elle a réuni entre autres, le préfet et le maire de Kangala, l’inspecteur et conseiller de la circonscription de base, les pasteurs de Sokouraba, Kotoura et de Kangala, les différents responsables des structures éducatives de Mahon, ainsi que des représentants dudit village. Au terme des échanges, il a été proposé de «poursuivre la concertation à tous les niveaux, afin d’apaiser les esprits et mettre fin à ce phénomène qui divise les familles».

En pareille situation, les plaintes et les interpellations ne manquent pas. A Mahon, suite à une plainte déposée en justice par le parent d’une des victimes de sorcellerie, certains enfants impliqués dans cette histoire ont été interpellés, puis déférés à Orodara où ils ont séjourné à la Maison d’arrêt et de correction. Parmi ces enfants figurait la première fille à être entrée en transe, Notio. Les premiers interpellés dans ce phénomène de chasse aux sorciers ont été relaxés et bénéficient présentement d’une liberté provisoire. Mais aux dernières nouvelles, six enfants du village de Diolé et le pasteur Louis Ouattara de Sokouraba ont été à leur tour interpellés par la gendarmerie de Orodara.

Apollinaire KAM
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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