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Sidwaya N° 7672 du 26/5/2014

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Me Hermann Yaméogo, président de l’UNDD: « La démocratie est ménacée par les médias, les réseaux sociaux, les intellectuels… »
Publié le mardi 27 mai 2014   |  Sidwaya


Front
© aOuaga.com par A.O
Front républicain : Assimi Kouanda et Hermann Yaméogo, co-présidents pour 6 mois
Vendredi 14 février 2014. Ouagadougou. Le Front républicain a animé une conférence de presse pour annoncer sa formalisation effective avec l`élection de deux co-présidents et l`élection des membres de sa coordination. Photo : Me Hermann Yaméogo, co-président du Front républicain


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L’homme est un connu du landerneau politique burkinabè. Juriste de formation, il a mené des combats politiques au sein de plusieurs partis dont l’Alliance pour la démocratie et la fédération (ADF) et l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD) qu’il a lui-même créées. Ancien secrétaire général de l’Union nationale pour la défense de la démocratie (UNDD) dans les années 1978 et secrétaire général du Mouvement des démocrates progressistes (MDP) de 1990 à 1998, le fils du premier président de la République de l’ex-Haute-Volta, devenue Burkina Faso, est né le 27 août 1948 à Koudougou. Il est marié et père de cinq enfants. Le 24 avril dernier, l’ancien avocat, député, ministre, s’est prononcé, entre autres, pendant deux heures d’horloge, sur la situation nationale, ses ambitions politiques.

Sidwaya (S.) : Pourquoi Me Hermann Yaméogo observait-il depuis quelques années le silence ?

Hermann Yaméogo (H.Y.) : Ce sont des raisons personnelles et familiales qui m’ont amené à prendre un peu de champ par rapport à la politique pendant quelque deux ans et demi : les circonstances du décès de ma femme. La place qu’elle occupait dans la famille et dans mon engagement politique m’a contraint à prendre ce recul pour des évaluations, des reconquêtes intérieures.

S. : Qu’en est-il de l’enquête sur le décès de votre épouse ?

H.Y. : La procédure suit son cours normal et nous allons vers le bouclage.

S. : Comment avez-vous été approché pour la création du Front républicain ?

H.Y. : La question du Front républicain remonte loin et s’origine de sources multiples. Même sans la formulation conceptuelle actuelle, j’y pensais dès l’avènement du Front populaire après le 15 octobre 1987. Cela ressort clairement dans bon nombre de mes écrits de l’époque. La démocratie consensuelle était déjà en formulation avancée. Qui dit démocratie consensuelle dit pacte transversal, Front républicain… L’idée n’a jamais été par ailleurs absente des propos et des pratiques du président Blaise Compaoré. Nombre de cahiers de la présidence, notamment sous la plume du mythique conseiller Gabriel Tamini, en portent témoignage. Enfin, la récurrence des crises internationales et nationales aidant, d’autres voix sont venues alimenter le courant favorable au Front républicain même si des nuances sont à relever par-ci, par là. C’est le cas de l’UPR de Me Toussaint Coulibaly, de ma bien-aimée petite sœur Juliette Bonkoungou, de Soumane Touré, de Ram Ouédraogo. Mais le Front républicain est une conception qui a mis du temps à voir la délivrance tout simplement parce que dans l’ODP/MT d’alors, puis dans le CDP, beaucoup n’en voyaient pas l’utilité. Pas de valeur ajoutée dans le Front, soutenaient-ils. En fait, d’une certaine manière, le Front républicain tout comme la FEDAP/BC contrariaient la manifestation d’ambitions arrivées à échéance. Les derniers événements survenus au CDP ont alors naturellement créé un espace qui a eu l’effet d’un appel d’air. Tous ceux qui, au dedans comme au dehors, étaient favorables à l’union autour de la résolution des grands enjeux collectifs se sont retrouvés. Et le Front républicain est venu à point nommé comme un fruit mûr après concertations entre les différents géniteurs.

S. : D’aucuns estiment que vous êtes politiquement fini et que vous tentez de remonter la pente. Votre réaction ?

H.Y. : Des gens qui prennent leurs souhaits pour des réalités, ça existe aussi en politique. Mais laissons-les à leurs rêvasseries et avançons. Les Burkinabè, dans leur majorité, savent quel homme politique peut rester 2 ans politiquement absent de l’espace politique et s’y retrouver sous les feux de la rampe quasiment comme s’il en était parti la veille. Ils savent quel politique a une capacité propositionnelle et sait réfréner ses ambitions pour la paix, l’intérêt général, sait influencer, enrichir le débat politique. Vous savez, c’est à ces aulnes que se jugent la présence, la vraie durabilité d’un homme politique. Je pense au fond que votre jugement est fait puisque me voici invité d’honneur de votre prestigieux organe avec plus d’une vingtaine de journalistes pour ce grand jeu de questions-réponses auquel n’est pas invité qui veut !

S. : Etes-vous disposé à faire partie d’un gouvernement, surtout que votre formation politique appelle à un gouvernement d’union ?


H.Y. : C’est vrai que j’appelle à un gouvernement du Front républicain, pour tenir compte des nouvelles réalités et donner une meilleure cohérence politique à l’organe gouvernemental pour les grands combats déjà sur le chantier, mais pas en m’y donnant les premiers rôles.

S. : Pourtant, les statuts de l’opposition interdisent que les opposants fassent partie du gouvernement.

H.Y. : Si c’est le cas, ces statuts sont-ils conformés à la Constitution qui fait des partis, des instruments de droit constitutionnel ayant la liberté de se constituer, d’arrêter leur positionnement en fonction de leur stratégie ? Je ne le pense pas. Ce texte fait partie de ces mauvaises productions législatives qui ont tant nuit à notre démocratie et dont heureusement le toilettage, la réparation sont en cours. C’est le lieu de rappeler que par rapport à un de ces textes scélérats qui obligeait les partis d’opposition à faire allégeance au chef de file de l’opposition, nous avions à l’UNDD dit non alors que beaucoup, tout en critiquant l’entorse à la Constitution, s’y pliaient craignant des sanctions administratives. Veillons maintenant à ne plus faire de lois à la tête du client, pour humilier tel ou tel parti en l’obligeant à des affiliations mal venues, montées de toute pièce. C’est pourquoi, cette idée de chef de file de la majorité me turlupine. Je n’en vois ni la juridicité ni l’opportunité. Cela peut venir contrarier la logique d’un régime qui revendique la rationalisation de ses mécanismes. Le parti au pouvoir a déjà le pouvoir, un chef de file de la majorité, sauf de constituer une espèce de nique au chef de file de l’opposition, ça servirait à quoi ? Ne risque-t-on pas, au demeurant, des conflits entre ce chef de file de la majorité et cet autre, le chef de file du gouvernement, à savoir le Premier ministre ? Il y a aussi en sous-main un glissement vers une bipolarisation, un bipartisme qui ne dit pas son nom. On ne doit pas forcer le bipartisme en démocratie ouverte. A l’UNDD, nous pensons surtout qu’on doit sortir des cadres traditionnels de l’opposition et de la majorité. Face à la crise de la démocratie, les réflexions des hommes politiques et des constitutionnalistes vont de plus en plus vers la recherche d’autres modes de gestion. La démocratie, en effet, connaît une crise de la représentation, elle n’arrive pas à impliquer tous les segments de la vie nationale, elle est aussi en crise car menacée par des médias, des réseaux sociaux, des intellectuels, des responsables de la société civile qui dénient au peuple ses prérogatives souveraines et lui font la concurrence dans l’exercice des marques de la souveraineté. C’est un phénomène grave qui mine la démocratie. Il faut évoluer vers d’autres cadres d’encadrement politiques parce que si la démocratie est en crise, ses instruments de représentation que sont les partis politiques ne peuvent pas être en reste. Situons-nous au-delà de ces cadres traditionnels pour définir les grands problèmes nationaux qui se posent à nous et dont la résolution demande, l’unité, la solidarité. C’est l’idéal qui anime le Front républicain.

S. : En attendant la clarification des textes, où se situe votre parti ? Dans la majorité ou dans l’opposition ?


H.Y. : L’UNDD, depuis son congrès de 2005, est un parti social démocratique qui se prévalant des dispositions de l’article 13 de la Constitution, se situe à l’opposition depuis l’avènement de la 4ème République, bien qu’il ne cultive pas le fétichisme des démarcations, des cantonnements gauche-droite, pouvoir-opposition, les jugeant dépassés.

S. : Tantôt vous êtes de la majorité, tantôt on vous voit dans l’opposition. On a l’impression que Me Hermann Yaméogo ne voit que ses propres intérêts et n’hésite pas à changer de cap ?

H.Y. : Ça pourrait être le cas et je vous répondrais et alors ? Quel est le politique digne de ce nom, qui mène ses actions sans prendre en compte le facteur intérêt, qu’il soit personnel ou partisan ? Mais je vous dirai que jusqu’à preuve du contraire, j’ai toujours pris soin de privilégier l’intérêt national à mon intérêt personnel.
S’agissant du prétendu positionnement de l’UNDD tantôt à la majorité, tantôt à l’opposition, quand vous aurez compris que le parti ne s’interdit aucune appréciation négative ou positive à l’endroit de l’une ou de l’autre, vous aurez tout compris. Ce n’est pas parce qu’une majorité a le pouvoir qu’elle a forcément toujours tout faux ou tout vrai. Ce n’est pas davantage parce qu’une opposition est en quête du pouvoir qu’elle a obligatoirement toujours raison ou tort. Il faut savoir garder en toile de fond que personne ne décidera du positionnement de l’UNDD à sa place, que l’intérêt général est l’intérêt primordial de Hermann Yaméogo. Lorsque les circonstances le commandent et que les conditions s’y prêtent, nous acceptons de faire équipe avec des partis de la majorité dans un gouvernement d’ouverture, d’union ou protocolaire. On y va sans perdre son âme. Cela existe dans tous les pays du monde. En France, le président Sarkozy a fait appel à des socialistes pour leur confier de grandes missions. Le président Obama a eu à défaut de plusieurs, au moins un républicain dans son gouvernement. Dans beaucoup de pays en situation de crise, de modernisation démocratique ou de nécessité, on fait appel à des partis d’obédiences diverses pour faire équipe. Ce n’est pas sorcier à comprendre.

S. : On sent que vous tenez à un gouvernement consensuel. Est-ce cela la solution ?
H.Y. : J’y tiens jusqu’à présent. Je constate que l’évolution va dans ce sens. Dans la plupart des institutions spécialisées des Nations unies, le consensus est devenu un indicateur de bonne gouvernance. Même dans les traités internationaux africains, on parle toujours de consensus de préférence à l’application mécanique de la loi de la majorité. C’est vrai que pour le Mali, l’expérience n’a pas été des plus heureuses, mais j’en vois la raison dans une dérive du consensus vers l’unanimisme. Quand on est dans le cadre d’une démocratie consensuelle, cela ne veut pas dire que tous les partis politiques perdent leur originalité, leur indépendance. On s’entend sur un minimum consensuel. Au-delà de ce minimum, chacun garde sa liberté. Or au Mali, c’est l’unanimisme qui a tué la différence. Ce n’est pas cette forme de démocratie consensuelle que je défends. Je trouve qu’il y a une complexification des données de la vie politique, économique et sociale actuellement dans tous les pays du monde. Ce n’est pas dans l’individualisme, ni dans la compétition libérale effrénée que l’on peut régler ces problèmes qui vont se renforçant. C’est plutôt en développant la solidarité, en allant vers ce qui nous unit. Le consensus est une obligation historique sans laquelle les Etats vont aller s’affaiblissant.

S. : Chaque fois que vous êtes dans le gouvernement, certainement que vous faites des propositions pour éviter les crises mais on a l’impression qu’on se retrouve toujours à la case-départ. Qu’est-ce qui prouve que cette fois, vos propositions permettront de sortir définitivement le pays des crises politiques ?

H.Y. : Votre question, beaucoup la formulent de façon plus abrupte : « A chaque fois, c’est quand ça ne va pas que tu es bon. On se sert de toi et quand les choses reviennent à la normale, on te jette au rebut et re-bonjour les tracas ». L’épisode du gouvernement protocolaire d’où l’opposition a été débarquée sans ménagement après avoir pris des risques énormes à aider à la pacification après les événements de Sapouy, est souvent cité à cet égard. Beaucoup incriminaient Blaise Compaoré estimant qu’il a toujours été le maître d’œuvre de ces faits d’ingratitude. D’autres au contraire, renvoyaient la faute à ses collaborateurs immédiats qui, ayant à l’époque la réalité du pouvoir, en profitaient pour éliminer les personnes susceptibles de leur faire ombrage le moment venu. Quoiqu’il en soit, avec la nouvelle donne, on pourra facilement trouver réponses à ses interrogations. Ce qui nous préoccupe, c’est que la nouvelle offre politique et sociale portée par le Front républicain se concrétise. Je ne vois pas du reste comment stabiliser de façon durable la situation sans investir dans le social en particulier.

S. : Est-ce qu’en réalité ce n’est pas parce que le gouvernement se retrouve dos au mur ?

H.Y. : Le gouvernement se trouve dans une continuité. Pendant la "crise Justin Zongo", les refondateurs ont exigé des réformes structurelles portant notamment sur le social. L’idée a fait son petit bonhomme de chemin pendant le CCRP. Depuis et particulièrement à la faveur de la crise actuelle, des contributions (dont certaines ont été prises en compte par le Front républicain) qui visaient le social ont été faites au chef de l’Etat. Le gouvernement ne fait que poursuivre la réalisation combinée de son programme et de la prise en compte des nombreuses suggestions faites au président du Faso. Mais je reconnais que la crise en elle-même, les changements et autres saillies constatés dans le monde politique créent une évolution historique vers une gestion du pouvoir beaucoup plus sociale.

S. : Dans votre vie d’homme politique, vous est-il arrivé de signer un pacte avec le président Blaise Compaoré, du vivant de votre père, comme certains le pensent ?

H.Y. : Eternelle et délicate question qui a la vie dure. Même s’il y avait eu ce genre de pacte, par nature synallagmatique emportant de part et d’autre des contractants, droits et obligations (ce qui n’est pas vérifié), ce ne serait pas convenant pour moi, pour la mémoire de ceux qui ne sont plus et pour celui qui est là, d’en faire la révélation avant terme.

S. : Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous vous êtes allié à Blaise Compaoré et au CDP à des moments où la lutte de l’opposition pouvait aboutir à des possibilités de changements politiques dans ce pays ?

H.Y. : Je range ce propos au compte des attaques méchantes qui, pour ne pas manquer à mon endroit, ne m’ont jamais empêché de vivre. Quand j’observe parfois le spectre politique burkinabè, je ris sous cape de certaines méprises. Beaucoup pensent que c’est en insultant, en vilipendant un adversaire à longueur de journée qu’on finira par avoir sa peau. Voyez le résultat en ce qui me concerne. A mon avis, si vous voulez une arme plus efficace, prenez celle du silence méprisant et souverain qui fait tomber dans l’oubli, que redoute le politique accompli. Bref, pour en revenir à votre changement contrarié, pour moi, le vrai changement que je vois dans les opportunités offertes par la crise ne se résume pas exclusivement à un changement d’hommes mais aussi de politique ; le contexte offre une occasion de réunir un Front républicain, de rassembler des partis pour lutter contre des périls globaux... Et je me suis, à l’instar de beaucoup de Burkinabè, senti concerné. Dans tous les cas, reconnaissez que s’il doit y avoir le changement dont vous parlez, ce n’est pas la petite prise de position de Hermann qui y changera grand-chose. On n’arrête pas la mer avec les bras, n’est-ce pas ? Ceci étant, je mettrai mes capacités restées intactes au service de l’idéal du Front républicain. J’ai, pour illustrer cette détermination au meeting du Front républicain à Bobo, parlé de moi comme d’un chef de bandits. La formule a fait folrès, provoquant ici l’hilarité mais faisant là aussi des gorges chaudes. Je saisis l’occasion pour mieux contextualiser mon propos dont je ne renie rien quant au fond. Le Burkina Faso connaît une floraison de “bibéssé” (Ndlr : enfants terribles ou bandits, en langue moore) depuis que faire de l’opposition est devenu une promenade de santé. Avec Soumane Touré (seul homme politique au Burkina Faso à m’en imposer par le nombre et la durée de ses incarcérations, son courage, la fermeté dans ses engagements…), nous en rigolons souvent, nous rappelant que comme pour les prophètes, Christ avait prévenu que des faux, il en viendrait. En veux-tu ? En voilà. Soumane Touré disait que le moment venu, on devrait demander à chacun de produire son CV de bandit de village pour juger sur pièce. Et franchement là, je partais d’un éclat de rire, devant cet humour bien “touréen”. Ceux qui se prennent pour des foudres de guerre, n’ont qu’à donc faire attention avant de rouler des mécaniques. Nous autres, nous connaissons la vraie épreuve du feu. Je dirai, n’en déplaise à Wolé Soyinka, pour terminer que le tigre ne clame pas sa tigritude, c’est vrai, mais que sans faire mentir sa nature, de temps en temps, il devrait le faire pour éviter de bondir sur sa proie, ou pour apprendre l’humilité aux tigrons. C’est dans ce sens que se placait mon propos.

S. : Hermann Yaméogo rêve-t-il d’être président du Faso ?

H.Y. : Je ne suis pas comme certains hommes politiques qui pensent qu’il faut avoir le pouvoir, ne serait-ce que pendant 5 mn et faire la grande révérence. Je suis un homme beaucoup plus attaché à des convictions, à des idées qu’à l’exercice du pouvoir lui-même. Ne devient pas président qui veut. Comme le disait le président Maurice Yaméogo, il ne faut pas que chacun se lève le matin, ajuste devant le miroir sa cravate et se dise admiratif : "ma foi, je suis plutôt un bon présidentiable, je ferai un bon calife à la place du calife" ! Ce n’est pas aussi simple. Pour connaître les difficultés qui s’attachent à cette fonction, je la respecte et la regarde avec humilité.

S. : Est-ce à dire que Hermann Yaméogo n’est pas présidentiable ?

H.Y. : Je ne mets pas la fonction présidentielle au- delà de tout. Je ne dis pas, c’est moi ou rien. Je ne dis pas qu’il faut faire un coup d’Etat pour avoir le pouvoir. Je n’appellerai pas à une guerre civile. Mais si la formation politique devait constituer la voie royale pour le pouvoir, j’en aurai depuis, assumé les responsabilités. J’ai reçu cette formation des plus grands, et mon ami et frère Alex Bamba me le rappelle souvent en me disant : « attention, toi Hermann avec Félix Houphouët Boigny et Maurice Yaméogo, tu es un enfant de la balle ».

S. : Vous semblez appeler à une prise de conscience du président du Faso par rapport à la gestion du pouvoir. Est-ce que vous en avez discuté personnellement ou bien ce sont des prétentions ?

H.Y. : Nous en avons parlé. Je l’ai écouté et j’ai analysé ses propos avec ma liberté de penser. L’homme, ça c’est certain, a l’obsession d’un départ maîtrisé du pouvoir. J’ai cru percevoir en lui, un besoin physique, un besoin moral d’avoir quelque distance avec le pouvoir pour connaître l’autre vie d’après. Mais j’ai aussi senti sa préoccupation sur le comment réussir cela. Et je comprends ! L’armée est au pouvoir de fait depuis 1966. Des circuits ont été créés. Il y a une nomenklatura qui s’est constituée. Cette situation ne doit pas être minimisée. Il faut la mettre en relation avec d’autres situations que l’on connaît en Algérie, en Egypte, en Birmanie où ils en sont arrivés à donner des quotas aux militaires à l’Assemblée et au gouvernement, parce qu’ils tiennent compte des réalités. A mon avis, Blaise Compaoré ne peut pas se lever un beau matin comme ça et puis lancer comme ça à la cantonade, « ciao, ciao, je m’en vais. Débrouillez-vous les gars ».

S. : Voulez-vous dire par là que le président Compaoré va partir en 2015 ?

H.Y. : Je ne dis pas 2015. Mais la conviction que j’ai, c’est que c’est quelqu’un qui pense beaucoup plus à comment partir, comment consolider les institutions, comment préserver les acquis. Dans combien de temps, je ne le sais pas. Comme Mélégué (Ndlr : Mélégué Traoré, ancien président de l’Assemblée nationale), je n’ai pas le sentiment que c’est un homme qui veut mourir au pouvoir.

S. : D’aucuns disent qu’après une vingtaine d’année au pouvoir, il y a un problème si c’est maintenant qu’il doit se préoccuper de consolider les institutions ?

H.Y. : Les institutions sont des créations humaines. Elles évoluent. Il faut en tenir compte dans la gouvernance. Je voudrais aussi vous demander de tenir compte des défections au sein du parti au pouvoir et des crises qui l’ont obligé à revoir ses programmations. Il est clair que tous ceux qui sont partis étaient des présidentiables, des gens sur qui il aurait pu compter pour faire cette transition. Il faut reconstruire à partir de zéro. L’enjeu est tellement important que ce n’est pas en un an que le président peut trouver les hommes et le circuit qu’il faut, pour assurer une transition qui préserve les institutions, la paix sociale, voire sa propre personne.

S. : Vous êtes donc d’avis avec ceux qui disent de lui accorder un bonus ?

H.Y. : Je suis tout à fait pour la transition constitutionnelle. Notre Constitution a besoin de plus qu’un ravalement de façade. On ne peut pas prétendre rechercher la consolidation des institutions sans se préoccuper de leur toilettage ou de la refondation des organes de l’Etat ; toute chose qui oblige de s’engager dans un processus de révision constitutionnelle ou de renouvellement de nos institutions. Je suis un fervent adepte du constitutionnalisme. Et je m’en explique à l’appui de quelques évocations historiques. A l’époque du CNR ( Conseil national de la révolution) mis en place après le coup d’Etat contre la 2ème République (1970-1974), nous avons travaillé en harmonie avec les syndicats pour un retour à une vie constitutionnelle normale. Ça nous a conduit à la 3ème République. Ce même combat, nous l’avons mené sous le Front populaire. Personne ne voulait ou n’osait en ce moment parler de Constitution. C’était comme un propos contre- révolutionnaire et tout le monde avait en mémoire que c’était sous le CNR, une incrimination qui pouvait coûter très cher. Et comme Blaise Compaoré et son régime disaient à l’époque être venus pour approfondir la Révolution, on pesait encore les mots. J’ai cependant pris le risque de parler de retour au constitutionnalisme. J’étais regardé comme un malpropre à chaque fois que j’en parlais dans les journaux, les instances du Front populaire. J’ai eu des problèmes et on m’a même retiré mon parti parce que je disais qu’il fallait revenir dans la légalité, régir le fonctionnement de l’Etat par une Constitution. Ce n’était pas facile. Nous sommes tout de même arrivés à la 4ème République. Aujourd’hui, on en est à un stade où l’on sent un déphasage constitutionnel, une rupture de consensus autour des lois. Comment Blaise Compaoré qui dit vouloir consolider les institutions peut-il le faire sans régler les causes multiples de disharmonies institutionnelles qui plombent quelque peu la Constitution ? C’est alors que je me prononce pour une transition constitutionnelle pour ne pas uniquement régler la question de l’article 37, mais aussi celles intéressant le Sénat, le référendum, la nature du régime, la peine de mort, le choc environnemental… La transition constitutionnelle emporte, si besoin, prolongation de mandat. Je me dis ici que l’opposition, affiliée au Chef de file de l’opposition, a peut-être raté le coche en éconduisant de cette façon, le président Jean- Baptiste Ouédraogo. En politique comme dans la vie, il ne faut pas tout vouloir d’un seul coup, on peut avancer à petits pas. On peut prendre une chose et continuer la lutte pour en obtenir une autre à la façon des syndicalistes. Il demandait au bénéfice du chef de l’Etat, deux ans pour préparer la transition. Il aurait fallu d’abord garder le secret total sur cette offre qui, soit dit en passant, semblait jeter aux pertes et profits le Front républicain, la FEDAP /BC, prendre au mot Jean-Baptiste Ouédraogo et appeler en couverture dans la médiation, la communauté internationale pour avoir des garanties sur la gestion de ces deux années. On aurait pu accepter les deux ans, mais s’assurer une maîtrise du gouvernement et des institutions, notamment du Sénat à mettre en place. Cela aurait pu permettre que la gestion au cours de la transition revienne beaucoup plus à l’opposition qu’au pouvoir. Je suis aussi pour une transition de sorte que l’homme puisse se ménager une sortie honorable. L’expérience montre qu’il ne faut jamais, humiliation à l’appui, acculer un homme dans ses derniers retranchements surtout quand il a encore la réalité du pouvoir d’Etat entre les mains. Même la chèvre de M. Séguin, las des harcèlements du loup, a fini par lui faire courageusement front. Je crois, pour ma part, qu’il revient à Blaise Compaoré d’assurer une double transition au niveau des institutions et du parti au pouvoir pour que la relève puisse se faire dans de bonnes conditions. En refusant le “lenga” (Ndlr : l’offre, en langue moore) et en le mettant en dérision dans la rue, on a raté une sacrée occasion à mon avis.

S. : Qu’avez-vous proposé au président du Faso, pour les deux ans de la transition ?

H.Y. : Nous n’en sommes pas là. Mais d’une manière générale, l’UNDD par rapport à la situation a formulé plusieurs propositions. Nous avons d’abord pensé à une Assemblée nationale constituante. Dans tous les pays du monde, lorsqu’il y a une crise institutionnelle, une disharmonie entre les gouvernants et les gouvernés, un refus d’acceptation des institutions qui peut conduire au blocage de l’appareil de l’Etat, on réinterroge le peuple. On va à une nouvelle légitimation populaire. Je me dis que si on élit une nouvelle Assemblée, qui en plus d’être nationale est constituante, elle statuera sur les questions comme celles de l’article 37, du Sénat et toutes celles en litige. C’était la façon la plus démocratique de sortir de cette crise. Mais si ce n’est pas possible, on recourt au référendum. Cela dit, le référendum autour du questionnement sur l’article 37 ne nous convient pas parce qu’il est trop personnalisé, à la limite provocateur. Par l’interprétation forcément abusive que l’on en fera, le référendum reviendra à demander : voulez-vous que Blaise Compaoré reste ou qu’il s’en aille ? Or la loi a fortiori constitutionnelle, n’est pas personnelle mais générale. C’est pourquoi nous disons qu’il faut s’engager dans une transition constitutionnelle, qui, globalement, pose le problème des changements à apporter à la Constitution, voire celui de son renouvellement. Le président peut en formuler la demande et entrer en transition constitutionnelle. Des exemples de par le monde existent. Et aucune démocratie au monde ne peut abjurer une telle démarche.

S. : Comment comptez-vous justement vous faire entendre dans ce rouleau compresseur du Congrès pour la démocratie et le progrès ?

H.Y. : La transition constitutionnelle est notre point de vue mais nous n’avons pas le pouvoir. Nous pensons que pour sortir de la crise, s’il y a référendum, il ne doit pas être axé sur le seul article 37, car cela pourrait exacerber les passions et baigner la campagne dans la violence. Il faut reconnaître que nous avons une Constitution qui est vieillotte, mais il y a une procédure pour la changer et en accepter le fait. Si on prend la question de l’article 37 comme un problème parmi tant d’autres dont on confie le questionnement au peuple, la pilule passera mieux. C’est une proposition mais elle peut être écartée au profit du questionnement centré sur le oui ou non au déverrouillage. Certains préfèrent cette option pour sa clarté même si ses accents plébiscitaires sont patents. En somme, à la guerre comme à la guerre, qu’importe le vin, pourvu qu’on ait l’ivresse ?

S. : Voulez-vous dire que ce débat est mené au sein du Front républicain ?

H.Y. : Il n’est pas mené en tant que tel mais nous en parlons surtout entre partis de l’opposition. Mais c’est le président seul qui a la prérogative constitutionnelle d’activer le référendum. Nous jouons de pression pour qu’au moment de décider, il fasse une formulation qui nous mette un peu à l’aise. A ce sujet, il y a des gens qui veulent faire croire à l’opinion que le référendum est anticonstitutionnel. Mais l’interprétation de la Constitution n’est pas exclusive. Elle n’est l’apanage de personne. Les constitutionalistes, les praticiens du droit que sont les avocats, les notaires…, les politiques, les opérateurs économiques, le citoyen lambda peuvent s’y adonner. Beaucoup de constitutions sont du reste élaborées quasiment sous la dictée d’hommes politiques. Dès lors qu’une disposition est contenue dans la Constitution, on ne peut pas dire qu’elle est anticonstitutionnelle. C’est le cas du référendum. La deuxième chose qu’il faut expliquer est que la Constitution burkinabè est une copie conforme de celle qui fonde la 5ème république française. Le référendum prévu à l’article 11 de la Constitution française et 49 de celle burkinabè, vient du général Charles de Gaulle qui a estimé que la politique exclusivement laissée aux partis politiques, faisait le jeu de l’instabilité et empêchait de gouverner dans le calme et la sécurité. Pour échapper au jeu des partis politiques, il a imaginé entre autres procédures, l’article 11 qui lui permet d’être en connexion avec le peuple et de poser certaines questions en passant par-dessus les partis qui sont à l’Assemblée. A l’époque, il y a eu un débat en France par rapport à ce principe de référendum présidentiel et surtout de sa mise en œuvre pour réviser la Constitution. Parmi les critiques les plus véhéments, il y avait un certain François Mitterrand. Ce dernier a estimé qu’utiliser le référendum pour modifier la Constitution était anticonstitutionnel. En effet, dans la constitution française, c’est article 89 qui traite exclusivement de la révision et pour lui, faire appel à un autre article pour réviser la Constitution, était frauduleux. Mais leur combat n’a pas abouti parce que De Gaulle a révisé la Constitution dans le cadre du processus de décolonisation pour faire élire le président au suffrage universel et pour la révision du Sénat. Ses successeurs lui ont emboîté le pas jusqu’à François Mitterrand. La boucle dès lors était bouclée ; tant et si bien que ce dernier a fini par admettre que le référendum était un mode de révision de la Constitution au même titre que l’article 89. Chez nous, il y en a qui reprennent à leur compte ce vieux débat doctrinaire. Mais il s’agit là d’un combat d’arrière-garde. Les raisons qui ont fait accepter l’article 11 comme mode de révision de la Constitution française peuvent être appliquées à notre article 49. Par ailleurs, en adoptant notre Constitution en 1991 avec son article 49, la France avait déjà eu recours plusieurs fois à son patron, l’article 11, pour réviser sa Constitution. On savait donc très bien à quoi s’en tenir. L’esprit de la loi ne peut pas ici donner matière à controverses. Et les termes de l’article 49 sont clairs : le président du Faso peut sans limitation de temps de domaine soumettre au référendum "tout projet de loi portant sur toute question d’intérêt national". Qui peut dire aujourd’hui avec sérieux que le divorce dans la Nation au sujet de l’article 37 n’est pas une question d’intérêt national ? Le chef de l’Etat est donc libre de recourir à cet article pour réviser la Constitution. Notre seul problème, encore une fois, est comment faire en sorte qu’on n’ait pas le malaise de se dire qu’on va vers un plébiscite.

S. : L’UNDD va-t-elle se retirer du Front républicain si le chef de l’Etat ou le CDP reste accroché à la révision de l’article 37 ?

H.Y. : Il y a plusieurs possibilités. Si c’est formulé de cette façon sans compromis, on peut voter contre ou refuser de participer aux élections et poursuivre la réalisation d’autres objectifs qui existent dans le Front républicain. D’ailleurs, nulle part, les textes du Front républicain ne traitent du déverrouillage de l’article 37. Mais le Front républicain aborde par contre des questions sociales dont on n’a jamais parlé au Burkina Faso. L’article 37, le Sénat et le référendum sont des questions politiques qui n’ont pas d’incidence dans le panier de la ménagère, par contre celles relatives au salaire, à l’emploi, à l’éducation, à la santé, aux femmes, aux jeunes ....sont des problématiques essentielles qui peuvent connaître des engagements de traitement structurel à la faveur de la crise. Pour terminer, depuis la 3ème République, nous sommes pour la limitation du mandat présidentiel. Mais légalistes et républicains, nous reconnaissons que la Constitution n’interdit pas la révision de l’article 37.

S. : En tant qu’un des pères de la Constitution actuelle et grand juriste, pourquoi participez-vous au Front républicain si vous êtes contre la modification de l’article 37 ?

H.Y. : Refaisons un peu d’histoire pour tenter de régler définitivement des questions de cette nature quelque peu captieuses à mon goût. Pour la rédaction de la Constitution de la quatrième République, comme partis d’opposition, il n’y avait que le MDP, que j’avais créé, l’ODPMT et quelques éléments de la société civile à la commission constitutionnelle. Les représentants du MDP à cette commission dont El hadj Hamadou Dabo, avaient posé comme condition le consensus sur toutes les dispositions en discussion. Les choses allaient bon train jusqu’à l’article 37, à son évocation. Les travaux de la commission ont été bloqués pendant au moins 15 jours parce que l’ODPMT voulait que le mandat présidentiel soit de 7ans renouvelable à souhait et le MDP, qu’il soit de 5 ans, renouvelable une fois. A l’époque, c’est le président qui avait proposé un compromis accepté par toutes les parties prenantes : 7 ans, renouvelable une fois. A la faveur de la crise suite à l’affaire Norbert Zongo, un gouvernement protocolaire avait été mis en place. L’ADF/RDA que je dirigeais a revendiqué le retour à la limitation du mandat qui avait été libéralisée avant la fin du premier septennat (1997). Ce qui sera fait en 2 ans. C’était en pleine activité du Collectif (Ndlr : Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques). Alors que les membres dudit regroupement cantonnaient la lutte à l’impunité, nous avons décidé d’y adjoindre les réformes politiques. Les autres partis politiques ayant refusé de participer aux discussions sur les réformes au profit de la position intransigeante du Collectif, nous avons continué et pu obtenir, un certain nombre d’avancées. Ils sont venus à deux ou trois jours de la fin des travaux, au moment où les tractations étaient finies. Minoritaires, nous n’avons pas pu obtenir de sceller l’article 37 au nombre des matières insusceptibles de révision car par la suite, le parti majoritaire a fait jouer la loi du nombre, en faisant voter la limitation du mandat mais sans le verrouillage. Si les autres partis avaient participé aux discussions, au moment où leur venue était si désirée, et s’ils avaient comme condition de leur participation demandé le verrouillage, c’était le jackpot .Ils sont arrivés sans conditions pour valider un travail déjà fait. Je dirai enfin que le règlement du différend sur l’article 37 ne doit pas faire peur. Des référendums négatifs, il en existe (la Suisse non comptée). Depuis celui de 1922 en Suède sur la prohibition de l’alcool, en passant par ceux français de 1967 avec le général De Gaulles au sujet de la réforme du Sénat (que le peuple français en refusant l’a conduit à mettre à l’exécution son engagement à démissionner en cas de rejet), jusqu’au "non" de 2005 sur la Constitution de l’Europe dont Jacques Chirac avait demandé l’approbation aux Français. Ces exemples, le sentiment souvent partagé que le référendum est une acclamation peut conduire au même rejet chez nous. Les antiréférendum qui assurent avoir le peuple avec eux auraient gagné à éviter des options pouvant conduire au clash, pour s’investir dans les garanties électorales et l’obtention de la promesse que Blaise Compaoré démissionnerait en cas de référendum négatif comme De Gaulle.

S. : A propos du bonus de deux ans auquel vous êtes favorable, nous sommes en avril 2014, vous ne pensez pas que cette transition apaisée peut commencer maintenant pour prendre fin en novembre 2015, au lieu d’ajouter deux ans qui peuvent être sources d’instabilité pour notre pays ?

H.Y. : Je crois qu’il y a un risque à insérer la transition dans ce délai, qui est un délai normal, un délai constitutionnel. Il faut être prudent dans ce domaine. Qu’est-ce que ça coûte 2 ans, si après on a la tranquillité, si on a une transition qui préserve la sécurité au Burkina Faso ? Dans notre pays, des facteurs belligènes en raison d’une transition non maîtrisée existent. S’agissant de la sous-région et disons même de la région, elle est marquée par des irrédentismes, des intolérances politiques, ethniques, religieuses grandissantes qui, rajoutées au chômage et autres demandes sociales non satisfaites ou insuffisamment satisfaites, constituent des bombes à retardement. Il fut un temps où la démocratie s’appréciait en sa capacité à avoir un contenu social et économique. Aujourd’hui, elle doit s’apprécier comme je l’ai relevé à travers d’autres paradigmes : sa faculté à procurer, à préserver la sécurité collective, l’environnement... La Libye, le Niger, le Nigeria, le Mali… connaissent des situations qui nous conseillent beaucoup de patience, de prudence dans nos choix politiques. Nous sommes dans un environnement en instabilisation continue nous obligeant à sérier nos priorités en intégrant cette réalité que sans sécurité, il n’y a pas de démocratie. Nous devons en harmonie avec la communauté internationale gérer ce défi commun pour pacifier au mieux notre transition.

S. : Qu’adviendrait-il si aux termes des deux ans, le président Compaoré refusait de partir ?

H.Y. : Justement comme je le disais, si on avait pris les garanties au plan international, au niveau de la CEDEAO, de l’Union africaine, de l’Union européenne, des Nations unies, le problème ne se poserait pas. Mais nous avons raté le coche. Maintenant, il faut craindre que les prétentions ne soient plus à minima. Quoiqu’il en soit, nous sommes dans le travail d’une transition apaisée. Cela commande en sus des demandes politiques à solutionner, des offres sociales qui réaniment la confiance nationale.

S. : Mais est-ce que ça sera fait avant que cette transition n’arrive ?

H.Y. : Ma conviction est que si nous sommes pour le "tekre" (le changement), il faut que nous soyons aussi raisonnables et patients. Il ne faut pas que nous ne voyons que Kosyam au point d’en être obnubilés. On peut être à Kosyam et ne pas y faire deux ou trois bons mois. Donc, je me dis que tout le monde doit se mettre d’accord. Si on fait cette transition, on mettra nos intelligences, nos relations, ainsi que tous les moyens dont nous disposons pour avoir des garanties électorales, la démocratie et le pays y gagnera.

S. : Vous reconnaissez donc que c’est d’abord le président Compaoré qui est le premier concerné. Finalement, l’opposition qui a exigé un mandat du parti au pouvoir, le CDP, avant toutes négociations qui puissent aboutir aux propositions dont vous parlez, n’avait-elle pas raison ?

H.Y. : On ne peut pas admettre que le chef d’un parti arrive à une rencontre et qu’on se fasse le plaisir de lui exiger un mandat de quelqu’un d’autre qui, du reste, ne fait pas partie des instances statutaires de son parti. Cette question de mandat n’est pas du tout un argument juridique fiable. Et quand vous allez à une discussion, n’attendez pas la deuxième ou la troisième rencontre pour relever des préalables. Il y a en procédure, un principe d’évocation des pré-litiges au seuil du procès. On a affaire ici à une application mécanique de la mise en cause de la responsabilité du dirigeant ou du gestionnaire de fait (ou occulte), parce qu’il s’immisce ou interfère dans la vie de la société. Mais comparaison n’est pas toujours raison.

S. : Le Front républicain a été créé pour défendre la paix. Quelle sera sa démarche ?

H.Y. : Contexte oblige, défendre d’abord la Constitution car si nous disons que nous sommes en démocratie, le premier pilier de cette démocratie à défendre est la Constitution. On constate que cette Constitution est là, mais fait objet de contestation, de refus d’obéissance. Refuser la mise en place du sénat, le recours au référendum, la révision de l’article 36 et l’article 37, cependant que ces points ne sont pas interdits par la Constitution tout au contraire, puisque leur articulation est constitutionnalisée, est une rébellion à la Constitution. Si on doit la contester, il y a des moyens légaux pour le faire et ces moyens sont encore inscrits dans la Constitution. Aujourd’hui, au niveau de la marche de nos institutions, il y a un divorce et il faut éviter que cela nous conduise à l’épreuve de la force, à un blocage de l’appareil d’Etat, à la guerre civile. Car s’il y a ce blocage, les effets seront multiples aux plans politique, économique et social. Et si la croissance chute et que l’activité économique est ralentie, le système sera paralysé. Donc dans cette situation, il faut chercher une voie pour en sortir. J’y reviens encore et toujours, on a vu des exemples, où face à une paralysie ou menace de paralysie, il y a eu un coup d’Etat. En 1974 quand Joseph Ouédraogo et Gérard Kango Ouédraogo partaient à Koudougou pour voir le président Maurice Yaméogo parce que l’échéance de l’élection présidentielle arrivait à terme et que le président de la République pourrait être élu au suffrage universel direct au même titre que les députés, les tractations ont pris le pas sur la conduite des affaires de l’Etat, faisant encourir au pays une paralysie de ses institutions. Le président Lamizana s’est fait son 18 brumaire, son coup d’Etat. En France, depuis les deux Napoléons, il y a eu plusieurs cas du genre. Il y a en qui aimeraient que la situation chez nous pourrisse jusqu’à la paralysie pour qu’ils voient un changement par la violence. Si à Dieu ne plaise c’était le cas, le Burkina Faso reculera encore de plusieurs années. Donc, allons à la consultation du peuple, trouvons les moyens de faire en sorte que ça soit propre, unissons nos efforts pour cantonner la formulation du questionnement et là, nous sortirions pacifiquement de la crise. Donc voici notre lutte au plan politique, respecter la Constitution, respecter la consultation du peuple parce que vous ne pouvez pas dire que vous êtes démocrate et républicain soumis à une Constitution, que vous êtes respectueux de ses commandements et refuser qu’il y ait consultation du peuple. C’est pourtant ce que nous observons et qui accentue la crise de la démocratie dont je parle tant ! De plus en plus, vous voyez des intellectuels, des médias, des réseaux sociaux qui, brûlant la politesse au peuple, se substituent à lui pour parler, affirmer ce qui doit être fait. Le politique est de plus en plus en retrait. Pour ces intellectuels et une certaine presse, il ne faut pas consulter le peuple parce qu’il est immature ou qu’il ne comprend pas, il va se faire rouler dans la farine. On est dans quel système alors ? Ou on est en démocratie ou on ne l’est pas. Si nous sommes en démocratie, c’est le peuple qui décide. Donc le Front républicain s’intéresse à cette crise conjoncturelle en misant sur l’arbitrage populaire. Mais le volet social de la mission du Front républicain n’est pas moins fondamental.

S. : Comment allez-vous vous prendre pour réussir votre mission ?

H.Y. : Il faut faire en sorte que les Burkinabè aient la conscience que l’Etat fonctionne pour eux, que l’Etat est comme une société dans laquelle ils sont tous actionnaires .C’est pourquoi nous luttons pour une nouvelle offre politique et sociale qui mette en étude entre autres, la création d’une banque des femmes parce qu’il est de plus en plus question d’autonomisation des femmes, on fait beaucoup de bruit autour de cela, mais s’il y avait une banque des femmes, spécialisée dans le financement de leurs activités, ça aiderait beaucoup plus à cette autonomisation. Ça fait des années que nous luttons pour cela. L’Inde en a créée. En Côte d’Ivoire, l’idée gagne en application concrète avec le soutien de l’Etat, comme de la BCEAO. Chez nous, s’il y a également le concours de l’Etat et le soutien des institutions internationales, ça peut aussi s’opérationnaliser. Qu’on généralise également dans la foulée, les plateformes multifonctionnelles qui, dans les villages, créent des possibilités d’emplois et permettent aux femmes d’avoir une certaine autonomie. Cette politique alliée à celle des pôles de développement peut aider à une croissance plus soutenue, mieux répartie au plan géographique et mieux partagée. Concernant les jeunes, qu’on crée aussi une banque dans le même esprit d’aider à financer leurs projets. Cela est aussi faisable. Nous souhaitons également l’audacieuse option de la politique du salaire vital, lequel est différent du salaire minimum. On considère encore une fois l’Etat comme une grande entreprise où chacun est actionnaire et on donne un salaire à chaque Burkinabè en âge de travailler quelle que soit sa position. Cela existe et s’est expérimenté aux Etats-Unis dans quelques Etats, au Canada, en Namibie, au Koweït. C’est l’un des moyens les plus implacables pour combattre le chômage. On peut même le faire à titre expérimental, en prenant une seule province. On donne un salaire à tous ceux qui sont en âge de travailler. On a constaté en Namibie qu’avec ce système, qu’il y a en qui achetaient des moutons, des chèvres pour élever et qui ont employé une ou deux personnes. Ça aide à combattre le chômage et à préserver l’environnement. Nous disons aussi que par rapport à la compétition du budget, il faut sortir des normes traditionnelles pour évoluer de plus en plus vers un budget plus social. Ce sont des éléments qui préoccupent certains d’entre nous au Front républicain, au-delà des questions purement politiques. Nous y voyons la voie idéale qui garantisse une stabilité durable par une politique novatrice de transferts sociaux.

S. : Tout cela semble très beau pour être vrai, quand on sait que le Burkina n’a pas de ressources. Avec quels moyens comptez-vous réaliser tout cela ?

H.Y. : Si pour de tels projets, des Etats ont pu avoir la participation des partenaires, celle des bénéficiaires avant de mettre la main à la pâte, pourquoi ne pourrions-nous pas aussi en faire autant ? L’adage populaire ne dit-il pas que vouloir c’est pouvoir ? Les prouesses humaines ne sont-elles pas à l’origine de la plupart des utopies ? Un nommé Thomas Sankara en faisait la démonstration au jour le jour dans ses propos et actions.


S. : En ce moment, les deux ans de bonus du président Compaoré vont-ils suffire ?

H.Y. : Les actions prévues par le Front républicain ne sont pas enserrées dans les seules limites de la mandature de Blaise Compaoré. Lui, il fera ce qu’il pourra et d’autres prendront le relais pour cette bataille au long cours dans le continuum de la vie nationale.

S. : Il y a déjà des fonds d’investissement pour les femmes et les jeunes ; est-ce à dire que ces fonds ne sont pas efficaces ?

H.Y. : Certes, il en existe ! Mais on peut mener une réflexion d’ensemble pour plus d’efficacité. C’est en cela aussi que je parle de réflexion d’ensemble sur les plateformes multifonctionnelles. Ça marche dans les villages où elles sont implantées. Pourquoi ne pas encourager la généralisation ?

S. : Il y en a qui pensent que le Front républicain a été créé pour barrer la voie au MPP. Quelle est votre réaction ?

H.Y. : Cela me met un peu en boule d’entendre ça. Une chose pour laquelle on s’est battu pendant des années et aujourd’hui une situation postérieure se crée, et on fait des amalgames. Combien de fois avons-nous parlé de démocratie consensuelle, internalisée, de pacte transversal entre les partis politiques et avec même des textes fondateurs à l’appui .Ceux qui connaissent l’histoire de ce pays ne peuvent pas dire que le Front républicain a été créé par rapport à un parti qui vient de naître.

S. : Avec les démissions au CDP, vous positionnez-vous désormais comme dauphin dans le cadre du Front républicain ?

H.Y. : Tout ce dont je suis certain, c’est que le prochain président viendra du Front républicain. Y aura-t-il entente sur un candidat unique dès le départ ou après des primaires ? Le temps nous situera.

S. : Etant donné que le Front républicain ne se réclame pas comme un parti politique, comment allez-vous vous y prendre ?

H.Y. : Oui, le Front républicain n’est pas un parti politique mais il peut non seulement agir avec l’éfficacité qu’on reconnaît aux groupes de pression, mais constituer aussi une machine politique extraordinaire. En tant que tel, il peut évoluer dans des directions insoupçonnées et grandement influencer des positionnements politiques et électoraux.

S. : Comment se manifestent les rapports de force en termes de présence de chaque parti au sein du Front républicain ?

H.Y. : Les partis sont venus parce qu’ils adhérent à l’idéal du Front républicain. Il n’y pas eu de critères particuliers ni de décompte de voix.

S. : Est-ce qu’il y a des poids lourds qui tapent également à la porte ?

H.Y. : C’est relatif. Il y en a qui s’annoncent et qui étaient tenus pour des poids lourds dans certains partis.

S. : A défaut d’un candidat du Front républicain à la présidence, lequel du MPP ou de l’UPC souhaitez-vous voir à Kosyam ?

H.Y. : Je n’ai pas encore envisagé ces probabilités.

S. : Est-ce que les départs au sein du parti au pouvoir étaient prévisibles ?

H.Y. : Oui. Nous avons même préventivement parlé, démonstrations à l’appui, de crise nationale doublée de crise de gouvernement au plus chaud de l’affaire Justin Zongo. Après la persécution de partis comme le nôtre, les querelles internes au parti au pouvoir, somme toute de positionnement, ont pris le dessus. Cela s’en ressentait au niveau notamment des structures de base et du retour aux regroupements d’antan ULCR, UCB, GCB…

S. : Simon, Roch et Salif étaient-ils comptés parmi les prêts à partir ?

H.Y. : Je ne saurais répondre à cette question même si de notoriété publique, on parlait déjà dans certains cercles, d’agendas cachés qui expliqueraient la création de la FEDAP/BC. Sorte de fortin pour amortir le grand choc à venir !

S. : Les démissionnaires sont partis parce que disent-ils, il n’y avait pas cette possibilité d’alternance.

H. Y. : Peut-être qu’ils ont été trop impatients. C’est vrai que la propension du chef de l’Etat à travailler dans le silence qui est proverbiale, a rongé leurs nerfs et eu raison de leur endurance à supporter le déficit de communication. Un de ses anciens Premiers ministres avec lequel je parlais de cet attrait pour le repliement sur soi m’a dit : « Hermann, c’est vrai, mais comme jusqu’à présent ça lui réussit si bien, on va dire quoi ? ». Souvent dans mes écrits, je le titille en lui demandant d’être proactif, d’accepter qu’en assumant le pouvoir pour le peuple, il a à son égard une obligation d’information. Donc, je comprends que compte tenu de ce tempérament, certains aient pu perdre patience. Mais je ne peux m’empêcher de me poser des questions sur la cristallisation de la demande d’alternance au sein d’un même parti au pouvoir. L’alternance est généralement une revendication de l’opposition.

S. : Pensez-vous qu’après 27 ans, il aurait fallu encore de la patience pour les démissionnaires ?

H.Y : Je pense seulement qu’il eut mieux valu maximiser les chances d’un règlement interne avant de rompre les amarres.

S. : Vous avez parlé de garanties. Aujourd’hui, qu’est-ce que le peuple peut reprocher à Blaise Compaoré ?

H.Y. : Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais comme je le disais tout à l’heure, dans beaucoup de secteurs importants, il y a des garanties que lui-même doit donner. Il y a quelques dispositions à prendre. Cela se voit dans d’autres pays. Par exemple, quand Abdou Diouf devait partir du pouvoir, il y a eu des choses qui se sont négociées avec Wade et la communauté internationale. II faut intégrer cette dimension dans nos Etats et ne pas croire que par le simple fait des élections, les choses vont se stabiliser.

S. : L’immunité n’est-elle pas synonyme d’impunité ?

H.Y. : L’immunité peut opérer uniquement en interne. On l’a vu avec Charles Taylor qui eu des assurances mais qui, un beau matin au saut du lit, a été transféré à La Haye. Il y a des garanties qui peuvent s’y ajouter. Pour moi, le plus important est dans le renforcement des institutions et la sécurisation de certains éléments de l’Armée.

S. : Faut-il accorder l’immunité à certains ?

H.Y. : Je pense qu’historiquement, c’est une nécessité pour toute société organisée. Dans les sociétés les plus démocratiques, il arrive à un moment où on peut faire beaucoup plus de mal que de bien en faisant une fixation sur la sanction. L’amnistie, par exemple, est apparue en droit comme la conséquence d’une nécessité sociale. Parfois, il faut amnistier pour préserver la cohésion sociale. Les Nations unies ont favorisé de telles options plus d’une fois, en particulier au Liberia, en Côte d’Ivoire. Dans ce cas, si nous pouvons prendre certaines mesures, faisons-le pour préserver la quiétude de notre société.

S. : En Côte d’Ivoire par exemple, il y a eu des garanties, mais on est arrivé à la guerre ?

H.Y. : Oui ! Mais il faut en retenir la leçon que la guerre doit être l’ultima ratio, que les garanties n’ont pas été appliquées telles qu’elles devraient l’être. Parce qu’à l’époque, il y avait toujours des mésententes, beaucoup de sollicitations de l’opinion internationale et la guerre est venue comme en Libye en rompre le cours .Si on avait continué à discuter, on n’en serait peut-être pas arrivé au pire.

S. : A l’issue des élections, il y a eu des propositions faites à Laurent Gbagbo qui a tout rejeté.

H.Y. : Nous n’allons pas refaire ici le monde. Il faut seulement se souvenir pour l’histoire qu’il demandait aussi le recomptage.

S. : Vous avez soutenu Gbagbo au moment de la crise, est-ce que vous le regrettez ?

H.Y. : Votre responsable (Ndlr : DG des Editions Sidwaya) m’a présenté comme quelqu’un qui a ses convictions et qui les assume. Je vous renvoie à la pertinence de ses observations. Laissez-moi donc assumer dignement mes amitiés et préocupons-nous de raffermir les liens entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Il ne faut rien faire pour contrarier la réconciliation que j’appelle de tous mes vœux dans ce pays. Le pouvoir n’y est pas opposé, le FPI (Front populaire ivoirien) non plus. Avec Affi N’Guessan (Ndlr : leader du FPI), j’en parle souvent directement ou par l’entremise de notre représentant en Côte d’Ivoire, Dominique Gnissi. Je souhaite que la Côte d’Ivoire, à travers ses premiers responsables, engage des négociations franches avec le FPI afin de retrouver une paix définitive qui conjure le retour aux démons du passé. L’UNDD a officiellement demandé à la facilitation de reprendre du service, pour comme on dit, terminer le boulot. C’est tout dire.

S. : Aviez-vous des preuves que le Burkina Faso soutenait la rébellion ivoirienne ?

H.Y. : Nous n’en sommes plus là et il ne faut pas m’amener à reculer dans des débats qui n’aident ni en interne ni en externe.

S. : Comment vous sentez-vous aujourd’hui devant Blaise Compaoré ?

H.Y. : On parle normalement de nos familles, de la politique nationale et internationale, de la vie, sans contrainte. Et si vous voulez parler de Gbagbo, il ne m’a jamais fait grief de l’amitié que je revendique avec lui. Il sait que je ne suis pas fait du moule de l’ingratitude, ni porté à renier des amis dans l’adversité.

S. : Quand aviez-vous échangé avec le président Compaoré pour la dernière fois ?

H.Y. : Ah ! Est-ce que je vais vous le dire ? Cela fait peut-être 2 mois à peu près.

S. : Certains responsables du MPP ont vu leurs passeports annulés. Votre commentaire sur cette décision de l’autorité ?

H.Y. : D’emblée, je pense que dans ce cas de figure, il faut se référer aux règles en la matière. Il faut souligner que nous sommes en politique. J’ai moi même souffert de cette mesure comme d’autres aléas liés à mon positionnement à l’opposition. Scission, déstabilisation et retrait de parti, débauchage de députés, de militants, brimades sur les fonctionnaires, les opérateurs économiques qui me soutenaient, vols qualifiés de mes suffrages pour me réduire électoralement à ma plus simple expression aux yeux de l’opinion nationale et internationale. Lynchage médiatique, emprisonnement et j’en passe. Même si c’est avec des bleus à l’âme, j’ai survécu.

S. : Le Burkina Faso connaît un boom minier. Comment le pays peut-il tirer le maximum de profit de cette ressource non renouvelable ?

H.Y. : D’après ce que j’entends dire, c’est comme si nous étions en orbite pour devenir un scandale géologique. Je pense qu’on peut construire notre développement sur le secteur minier. Mais il ne faut pas se voiler la face. Vous avez parlé de ressources non renouvelables et dont parfois on n’a pas encore trouvé de substituts, ce qui aiguise les convoitises internationales. Nous devons accroître la solidarité nationale, régionale et africaine pour nous protéger au mieux des chocs prévisibles. L’émergence peut être très vite une réalité grâce à ce boom. Quand on parle même du salaire vital, il ne peut pas venir seulement des financements internationaux, il peut venir aussi de ce secteur. Sachons aussi les exploiter avec parcimonie, respect pour l’environnement et dans le sens du bien commun.

S. : Faut-il réviser les contrats avec certaines sociétés ?

H.Y. : Sans jouer les fiers à bras avec ce sujet, il faut savoir négocier des plus grandes marges et ne pas engager inconsidèrement des combats pour lesquels nous pourrions être en manque d’armes d’appui nationaux comme internationaux. Si nous sommes soudés et organisés, nous pourrons avancer dans ce sentier parsemé de pièges qui peuvent nous engager dans les travers d’une recolonisation.
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S. : Pensez-vous que nous avons la marge de manœuvre du moment où nous n’avons que la matière première seulement ?

H.Y. : On peut rééquilibrer cela par la coopération. Il y a des pays qui ont une coopération moins aliénante que d’autres, et des technologies plus adaptées. On peut aussi diversifier les relations comme cela se fait en Guinée Conakry actuellement. Vous voyez comment Alpha Condé a des problèmes parce qu’il essaie de revoir les contrats. La coopération Sud-Sud est ici un secteur à privilégier.

S. : Beaucoup d’initiatives, notamment les pôles de croissance, visent à attirer des investisseurs au Burkina Faso. Le pays a-t-il trouvé la solution pour son développement ?

H.Y. : Quand on se base sur l’appréciation des bailleurs de fonds, c’est le sentiment qui se dégage. Du point de vue de la gestion au plan économique, le Burkina s’en tire relativement bien. Les pôles de croissance et de développement ont encouragé dans certains pays une diversification de l’industrialisation et de l’urbanisation. Chez nous, on sent en plus de ces possibilités, une action sur l’exode rural.

S. : Quel est votre sentiment par rapport à la justice burkinabè ?

H.Y. : Depuis le CCRP, les choses bougent. Ce sont des secteurs-clés qui peuvent plomber notre développement. Au niveau de la justice, il faut travailler à ce qu’il y ait beaucoup plus de tribunaux, de maisons d’arrêt, mais, il faut travailler à ce qu’il y ait une certaine indépendance entre le parquet et le ministère. Il ne faudrait pas que le parquet soit toujours aux ordres. Il faut que le premier responsable du conseil supérieur de la magistrature soit élu pour gérer dans les meilleures conditions d’indépendance, la carrière des magistrats. Ce sont des choses qui sont difficiles à faire. Même en France, on n’en est pas encore là. Ce sont des réformes qu’il faut faire et les allier aussi avec une meilleure rémunération des magistrats parce que c’est un domaine où la tentation de corruption est trop forte.

S. : On parle de corruption de la justice, pourtant on n’a jamais vu un magistrat aller en prison. Qu’est-ce qui se passe ?

H.Y. : A ce que je sache, il y a des dossiers en cours et comme ce sont les magistrats qui jugent les magistrats, ce n’est pas simple.

S. : Le gouvernement a pris, le 24 mars dernier, des mesures sociales pour soulager les populations. Mais le changement n’est pas très visible dans la vie des populations ?

H.Y. : C’est tout de même toujours bon à prendre. Il ne faut certes, pas relâcher la pression mais il est bon de savoir que pour ces dernières mesures, il y a eu des problèmes avec les bailleurs de fonds. Ils ont failli fermer le robinet. Il faut toujours jouer de persuasion pour leur montrer la nécessité d’aller plus en avant.

S. : La médiation burkinabè au Mali est aujourd’hui vue d’un mauvais œil par les autorités maliennes. Blaise Compaoré a-t-il eu tort d’avoir porté la charge du médiateur désigné de la CEDEAO ?

H.Y. : Il n’a pas eu tort pour plusieurs raisons. Parce que lui-même, il a une expérience en la matière. Aussi, il a été sollicité par les instances internationales jusqu’aux Nations unies. Et nous sommes voisin du Mali, si on laisse une situation d’insécurité gangrener le Mali, nous serons touchés. Ça va commencer par Bobo-Dioulasso et ainsi de suite tout le reste du pays sera touché. Même avec ça déjà, il y a eu des conséquences à l’Ouest. Mais je trouve peut-être qu’il aurait mieux fait de prospecter la voie d’une médiation domiciliée à Bamako. Il l’a déjà fait au Togo, moi j’y étais, je suis resté quelques mois là-bas pendant la crise en tant que président du comité de suivi. Si cela avait été fait, ça allait tempérer, atténuer certaines frustrations. Sinon, il n’a pas eu tort de s’impliquer. Actuellement, aucune médiation, même si il y avait transfert de médiation vers d’autres pays, ne peut se faire dans la méconnaissance du rôle du Burkina Faso. Même si c’est en arrière-plan, il faudrait toujours tenir compte de notre expertise et de notre point de vue.

S. : Pourquoi alors, la mise en œuvre de l’Accord de Ouagadougou pose problème avec l’arrivée des nouvelles autorités ?

H.Y. : Je pense qu’il ne faut pas s’attarder sur cet aspect des choses. Même l’Algérie a affirmé l’incontournabilité du Burkina Faso. Et alors que les djihadistes semblent reprendre du poil de la bête, je ne vois pas comment le Burkina pourra encore longtemps souffrir d’ostracisme.

S. : La Côte d’Ivoire retrouve de plus en plus sa stabilité. Est-ce qu’aujourd’hui on peut dire que la communauté internationale a eu raison de revendiquer la victoire pour le président Alassane Ouattara ?

H.Y. : Vous faites une fixation qui ne me semble pas anodine sur la Côte d’Ivoire. Sachez que je me réjouis que ce pays frère gagne en stabilisation. Pour autant, je n’ai jamais beaucoup approuvé que la communauté internationale nous impose ses choix politiques.

S. : Les partisans de Gbagbo continuent de clamer son innocence ; n’est-ce pas un rêve que de réclamer sa libération immédiate ?

H.Y. : Je pense que partout où les Burkinabè le pourront, ils devraient cultiver un langage d’apaisement. Pour moi, la libération de Gbagbo pourrait lui permettre effectivement d’emboîter le pas de la reconstruction nationale dans la réconciliation.

S. : Le transfert de Blé Goudé est donc une erreur de la part du gouvernement ivoirien ?

H.Y. : Je n’ai pas à juger des actes de souveraineté du gouvernement ivoirien. Je trouve seulement que la CPI est en meilleure position pour jouer d’apaisement, pour aider les retrouvailles en Côte d’Ivoire et pour favoriser d’une manière générale sa meilleure crédibilisation.

S. : Nous avons l’impression que vous n’êtes pas très satisfait de la manière dont les médias gèrent les situations de crise ?

H.Y. : Oui. J’ai parlé avec certains responsables de médias qui reconnaissent eux-mêmes, qu’il y a une tendance dans certains organes au Burkina Faso à se faire politique à la place des politiques et plus grave, à décider à la place du peuple. Ce constat que j’ai développé ne concerne pas d’ailleurs le seul Burkina. Il y a là une dérive grave qui peut porter préjudice à notre système de gouvernance. Certains avaient déjà annoncé que les choses étaient pliées et que Kosyam était déjà tombé. Mais depuis quelque temps, ce jugement qu’ils ont vendu au plan international est remis en cause. C’est une faute d’avoir surpassé le peuple pour décider à sa place.

S. : Au-delà des frontières africaines, on voit qu’il y a des problèmes. On voit que l’Ukraine a perdu une partie de son territoire. Comment appréciez-vous cette situation ?



H.Y. : Comme je disais tout à l’heure, je fais un parallèle entre la Libye, l’Ukraine et la Syrie. Il y a toujours une tentation de certaines puissances occidentales de croire qu’elles ont le monopole de la vérité, de la démocratie et d’encourager en sous-main peut-être des crises et même des guerres qui se révèlent désastreuses. Qu’il s’agisse de la Libye, de la Syrie ou de l’Ukraine, je pense qu’il aurait plutôt fallu privilégier le dialogue. Aujourd’hui, où se trouve l’Ukraine ? Ecartelé, parcellarisé en situation d’atomisation. Ça a servi à quoi de faire des missions, de prendre parti, de soutenir ? En Syrie également c’est la même chose, on a préjugé de la force même des puissances occidentales, on s’est engagé en finançant des rebellions et on a livré le pays aux djihadistes, causé des morts inutiles, détruit une partie du riche patrimoine historique du pays. Pareil pour la Libye.

S. : Me Hermann est avant tout un avocat. Est-ce que vous avez du temps pour vos activités d’avocat ?

H.Y. : Il y a eu une année où, le pouvoir étant ce qu’il est, il a été décidé qu’un ministre ne pouvait pas avoir de cabinet. J’ai fermé le mien. Et maintenant, depuis que la législation a évolué, je n’ai pas rouvert.

S : D’où tirez-vous vos ressources ?

H.Y. : Je tire mes ressources de plusieurs sources : des écrits, des loyers que notre père nous a laissés. J’ai un établissement secondaire, le Cours Placide à Koudougou. Je m’en sors bien et puis j’ai des enfants qui sont établis aux Etats-Unis et en France et qui y travaillent. Ils ne manquent pas de penser à leur père.

S. : Est-ce que la famille Yaméogo a pu récupérer le fameux fonds qui était dans une banque suisse ?

H.Y. : Non, toujours pas. Nous y travaillons mais j’avoue que ce n’est pas facile.


S. : Quels sens donnez-vous aux mots suivants :

H.Y. : La Constitution : c’est comme une coutume. Quelque chose à laquelle on ne doit pas déroger parce que c’est elle qui organise la vie en collectivité.

La politique : c’est la façon de gérer la société, la collectivité au mieux des intérêts de tous.

L’alternance : c’est le mouvement de la vie. L’alternance existe dans tous les domaines, dans les saisons, dans le secteur économique, politique. C’est la nouvelle sève qui vient et qui permet de perpétuer la vie en commun et les institutions.

L’opposition : c’est l’expression d’un droit à la différence. Parce que dans une société, il ne faut pas qu’il y ait de l’unanimisme.

La majorité : la loi du plus grand nombre.

L’argent : une commodité à maîtriser pour ne pas en souffrir outre mesure quand elle vient à manquer.

La trahison : c’est l’arme des faibles. Quand tu es fort et que tu crois en tes idées, tu n’as pas besoin de trahir. Ce sont les faibles qui trahissent.

L’amitié : c’est une chose qui vous permet de supporter les meurtrissures de la vie.

S. : Avez-vous un dernier message à partager avec les Burkinabè ?

H.Y : L’essentiel a été dit. Je voudrais encore en appeler au sens du compromis qui a pétri l’âme de notre patrie pour savoir jusqu’où ne pas aller trop loin dans cette crise que nous traversons. Des exemples dramatiques de pays qui n’ont pas su cultiver ce compromis sont là pour nous rappeler à nos devoirs patriotiques historiques. Je voudrais aussi remercier Sidwaya qui m’a fait l’honneur de cette invitation que je n’oublierai jamais. Bon vent au journal, à cette véritable industrie, à tout son personnel, aux journalistes en particulier qui y pétrissent au quotidien dans la pâte de la conscience professionnelle, des vertus citoyennes et républicaines pour la pérennité de notre Nation.

La Rédaction

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