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L’Observateur Paalga N° 8546 du 28/1/2014

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De l’article 37 : Le député Alexandre Sankara à sa «grande sœur» Juliette
Publié le mardi 28 janvier 2014   |  L’Observateur Paalga


Juliette
© Autre presse par DR
Juliette Bonkoungou


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Comme il fallait s’y attendre, la tribune de Juliette Bonkoungou sur la situation nationale, parue dans notre édition du vendredi 24 au dimanche 26 janvier 2014, a suscité et continue de susciter moult commentaires. Par la présente, le député UNIR/PS Alexandre Sankara répond à sa «grande sœur» Juliette, objectant que si aujourd’hui il y a une pression sur Blaise Compaoré pour qu’il quitte le pouvoir, c’est bien celle de la loi et non de «gens». Pour lui, autant le Burkina Faso a survécu à bien de ses chefs d’Etat, autant il survivra au président Compaoré.


Annoncée par le journal L’Observateur Paalga dans sa parution du jeudi 23 janvier, votre tribune était très attendue le vendredi 24, surtout après la démission de vos ex-camarades du CDP dont on annonçait pourtant que vous devriez faire partie.

Après avoir parcouru votre déclaration, j’ai senti le besoin de vous dire ce que j’en pense. Non pas que j’aie la prétention de vous faire de leçons. Non. Votre tribune n’est en réalité qu’un prétexte pour moi pour vider le trop-plein de ressenti et la colère qui gronde en moi.

Oui, j’enrage, Madame, de savoir que, pour vous, il y a des gens qui «pressent le président Compaoré de quitter le pouvoir au terme de son mandat présidentiel».

Madame, s’il y a quelqu’un qui le presse de quitter le pouvoir, c’est la loi, notre loi fondamentale que nous avons tous votée en 1991 et que lui-même a promulguée.

Personne ne le presse de quitter le pouvoir. Tous lui demandent simplement de respecter la loi.

Oui, Madame, j’enrage de savoir qu’aujourd’hui «nous sommes confrontés à la question de savoir si, pour le bien commun, nous voulons une succession apaisée qui ne porte pas atteinte à la cohésion sociale ou si nous voulons au contraire une succession mal préparée, dans un environnement tendu, voire chaotique».

De quelle succession préparée et apaisée parlez-vous ? Qui est responsable de la mal préparation de la succession du président Compaoré ? Si le président Compaoré n’a pas ou a mal préparé sa succession, cela ne regarde que lui et son parti, le CDP. C’est un problème interne au CDP et non celui de l’Opposition, encore moins du peuple.

Le pays doit-il prendre feu parce que monsieur Blaise Compaoré a mal préparé sa succession ?



«Le Burkina survivra au président Compaoré. C’est certain !»



Le 3 janvier 1966, a-t-on permis à feu Maurice Yaméogo de préparer sa succession ? La Haute-Volta n’en a pas moins survécu.

Le 25 novembre 1980, Lamizana a-t-il eu le temps de préparer sa succession ?

Le 2 novembre 1982, Jean Baptiste Ouédraogo a-t-il demandé à Saye Zerbo s’il était prêt à partir ? La Haute-Volta a-t-elle pris feu pour autant ?

Le 4 août 1983, Jean-Baptiste Ouédraogo avait-il fini ses chantiers ? Certainement pas. La Haute-Volta a-t-elle disparu de la carte de l’Afrique pour autant ?

Le 15 octobre 1987, Blaise Compaoré, pour qui vous demandez de lui permettre de préparer sa succession, a-t-il laissé la moindre chance à son frère et ami Sankara pour préparer sa sortie ? Le Burkina Faso a survécu à ce drame par la volonté, le courage et la dignité de son peuple.

En novembre 2015, qu’il ait préparé ou non sa succession, Blaise Compaoré partira. Ça, c’est certain. Le Burkina Faso lui survivra. Ça aussi, c’est certain.

Vous l’avez si bien dit, «nous, nous passerons, mais le Burkina restera». Blaise partira et le Burkina restera.

Oui, Madame, je fulmine de constater que vous pensez que «le départ de Blaise au terme de son mandat et conformément à l’article 37 de la Constitution se fera contre son gré».

Madame, c’est contre votre gré que vous respectez les feux rouges ? C’est contre votre gré que vous partirez à la retraite ? La loi est dure, dit-on, mais c’est la loi.

Je ne décolère pas de savoir que nous devons cajoler monsieur Blaise Compaoré pour qu’il accepte de respecter la loi.

Blaise Compaoré n’est ni un enfant qu’on flatte pour retirer l’objet dangereux avec lequel il s’amuse pour qu’il ne se blesse pas avec, ni non plus une «pognèrée» qu’on séduit avec toutes les flatteries dans l’espoir qu’elle nous dise enfin «oui, j’accepte».

Non Madame, Blaise Compaoré, président qu’il est, est avant tout un citoyen comme vous et moi et le premier devoir d’un citoyen, c’est de respecter la loi.

Il faut le lui dire. C’est ce discours qui doit lui être tenu et pas autre chose.


«Blaise n’est pas une pognèrée qu’on doit flatter pour qu’elle dise oui»


Enfin, Madame, je fulmine de m’entendre dire que «le Burkina Faso est devenu, en Afrique, un pays qui compte» parce que notre pays a fait des progrès dans le domaine «économique et diplomatique grâce au leadership incontesté du président Compaoré qu’aucun esprit objectif ne peut nier».

Sans être pour autant un esprit non objectif, je ne partage pas votre analyse des avancées économiques et diplomatiques de notre pays encore moins sur le prétendu leadership de notre cher président fondateur. On a certainement construit des échangeurs. Les duplex poussent également comme des champignons dans Ouaga 2000. On roule aussi carrosse dans nos grandes villes. Mais pourtant on est 173e pays sur 175. Pourquoi ? Parce que Blaise Compaoré nous a certainement tout apporté. Mais malheureusement, il nous a aussi volé ce qui compte le plus : l’intégrité, la fierté, la dignité.

A sa prise du pouvoir en 1987, Blaise Compaoré a hérité d’un pays dont les citoyens étaient intègres, dignes et fiers d’appartenir à cette nation malgré l’hostilité de la nature.

Depuis, notre pays vit dans une situation à nulle autre pareille dans le monde, avec cette particularité que les fondements séculaires de notre société ont été secoués à maintes reprises par des crimes abominables, plongeant notre peuple dans un psychodrame profond.

Vingt-sept (27) ans après, il nous lègue un pays où la morale a fini par rendre l’âme à force d’avoir agonisé sans avoir jamais reçu véritablement le traitement qu’il faut.



«Les Burkinabè veulent un pays démocratique et non un pays qui compte»


Le constat, comme vous le voyez, Madame, est sans appel : les Burkinabè ont mal à leur pays et à sa classe dirigeante. Le déficit entre les gouvernés et les gouvernants est énorme. Personne ne croit plus à rien, mais tout le monde croit à la courte échelle et aux passe-droits. C’est le «sauve-qui-peut» !

Ce n’est même plus la pauvreté ni les conditions de vie difficiles qui posent problème. Non, Madame, le malaise est profond et le mal-être généralisé. Un mal-être qui a conduit les uns et les autres à un fatalisme suicidaire, préférant s’abriter derrière la providence, en espérant que Dame Nature fasse son travail rapidement.

La faute incombe à cette nouvelle race de Burkinabè qui ont pris en otage notre pays depuis 27 ans. Ils claironnent sur tous les toits que le Burkina avance, oubliant cependant qu’il est impossible de construire une nation avec des citoyens qui ne croient plus et ne s’intéressent plus à leur pays.

Madame, l’heure n’est plus aux équilibrismes intellectuels. Non, chacun et chacune de nous doit choisir son camp, car notre pays est en danger et le devoir nous interpelle tous ; mais l’histoire nous enseigne qu’il y a trois types de généraux lorsqu’une bataille décisive s’annonce :

- il y a d’abord ceux qui ont peur de la défaite et renoncent aux combats. Ces généraux prennent toujours la fuite et abandonnent parfois leurs troupes aux mains de l’ennemi.

Dans notre pays, nous avons malheureusement ce type de généraux qui ont peur du combat et jettent l’éponge, préférant les jérémiades et les complaintes dans l’espoir d’attendrir le cœur de l’ennemi. Il s’agit de tous ceux qui pleurnichent et supplient de ne pas faire ceci ou cela contre le président Compaoré au risque de compromettre la paix sociale, oubliant de dire que notre pays n’a jamais connu de guerre civile et que, par conséquent, s’il y a paix, ça toujours été ainsi et Blaise Compaoré n’y a aucun mérite particulier par rapport à ses devanciers. Tout au contraire ;

- Il y a également ceux qui vont au combat avec la peur au ventre. Ils sont les plus dangereux, car ils sont prêts à tout pour gagner, même si pour cela ils doivent utiliser des armes non conventionnelles, car ils ont peur de perdre la bataille et de tomber dans les mains de l’ennemi, sachant qu’ils seront châtiés à la hauteur des abominations qu’ils ont commises. Ce type de généraux existe aussi dans notre pays et c’est à eux que nous devons faire face aujourd’hui.

- Il y a enfin ceux que le devoir appelle et qui partent au combat avec la conviction de gagner, mais en sachant aussi que la défaite en fait partie. Ces généraux conduisent leurs troupes avec détermination, prêts à combattre sans concession, mais à armes égales, jusqu’au sacrifice suprême. Ce type de généraux existe heureusement dans notre pays et est incarné par l’Opposition et je suis fier d’en faire partie.

Madame, dans votre conclusion vous avez attendri le cœur de certains d’entre nous en affectant à chacune des personnalités que vous citez un qualificatif fraternel, alors permettez-moi de vous rendre la pareille en vous appelant, pour terminer, «grande sœur».

Grande sœur Juliette, vous et moi avons tous des enfants que nous aimons énormément. Ils sont notre raison de vivre et je refuse qu’une poignée de gens prennent en otage leur avenir que j’espère meilleur.

C’est pourquoi, plutôt que de fuir le combat, je préfère aller aux fronts, persuadé comme Norbert Zongo que «le pire n’est pas la méchanceté des gens mauvais, mais le silence des gens biens» et convaincu comme Thomas Sankara que «là ou s’abat le découragement s’élève la victoire des persévérants».

Le Burkina est un pays qui «compte en Afrique», avez-vous dit. En 2007, vous avez célébré «les 20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré». Vingt-sept (27) ans après cette «renaissance démocratique», le pays qui «compte» négocie, supplie, pleure et implore son président bien-aimé de respecter une loi ; oui, une simple loi.

Les Burkinabè ne veulent point de ce pays qui «compte en Afrique». Ce qu’ils veulent, c’est un pays simplement démocratique.



Alexandre Sankara
Député à l’Assemblée nationale



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