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Sidwaya N° 7574 du 2/1/2014

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Pr Basile l. Guissou, DG du CNRST : «Nous avons affronté le président Félix Houphouët-Boigny »
Publié le samedi 4 janvier 2014   |  Sidwaya




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Le samedi 07 décembre 2013, cela a fait 20 ans que le père de l’indépendance de la Côte-d’Ivoire, Félix Houphouët Boigny a tiré sa révérence. Dans cette interview, le professeur Basile. L. Guissou, directeur de recherche en sociologie politique et délégué général (DG) du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST) donne sa lecture de l’héritage que le président Boigny a laissé à la Côte d’Ivoire, à la Sous-région et à l’Afrique. En outre, il peint un tableau sombre de l’action de ce président qu’il a connu personnellement.

Sidwaya (S) : Qui était Félix Houphouët Boigny pour vous ?

Basile. L. GUISSOU (B.L.G) : s’il y a quelqu’un qui interfère profondément dans l’histoire de notre pays et même dans celle de la sous-région sur les cinquante voir soixante dernières années c’est bien Félix Houphouët Boigny. Il est pour moi un exemple de la première élite intellectuelle issue de l’école française en AOF (Afrique occidentale française) puisqu’il est sorti de William Pointy comme médecin africain. Pendant ses études à Dakar il avait comme logeur, un militant du parti communiste français qui l’a sensibilisé à la question coloniale et de l’exploitation, de même qu’à la nécessité de créer des structures de lutte de combat contre la colonisation. Celui-ci l’a intégré dans les premiers cercles d’étude du PCF (Parti communiste français) appelés cercles d’études africaines. A son tour il a convaincu d’autres étudiants africains comme Daniel Ouézzin Coulibaly, Philippe Zinda Kaboré, Modibo Keïta, etc. C’est cette première élite qui a choisi de se ranger consciemment au côté du peuple. Pourtant l’administration coloniale voulait les mettre dans des conditions idéales pour qu’ils ne soient pas du côté de la population. Et c’est l’effet inverse qui s’est produit. Cela prouve que c’est le savoir qui libère l’homme. Seule l’ignorance est un ennemi de l’homme. Une fois que vous avez le savoir, vous pouvez vous battre pour vous libérer. Félix Houphouët Boigny représente pour moi ce modèle. Une fois rentré en Côte-d’Ivoire il a crée, lorsque la France a adopté, après la guerre (deuxième guerre mondiale), sa nouvelle constitution pour autoriser la création d’associations, de partis politiques, le Syndicat des planteurs de la Côte-d’Ivoire dont il était le président d’honneur. Une fois qu’il a pu rassembler les gens, ils ont commencé à poser les revendications. Ensuite il a réuni les élites de l’AOF à Bamako le 16 octobre 1946 pour créer le RDA (Rassemblement démocratique africain) qui était un large front anticolonialiste. Il fallait le faire. Il rentre dans l’histoire comme étant le leader du mouvement anticolonialiste ouest africain.

S : Félix Houphouët Boigny a-t-il été un panafricaniste ?

B.L.G : Non ! Avec le recul il faut dire la vérité aux gens. Houphouët Boigny n’a jamais été un panafricaniste. La preuve est qu’il ne s’est jamais entendu avec Kwumé N’Kruma (premier président du Ghana). Ils se sont combattus jusqu’à la mort. Ils n’ont jamais fait d’alliance. Houphouët a lutté contre le colonialisme mais il n’a jamais voulu de l’indépendance. Il l’a même dit : « Je ne veux pas de l’indépendance, je ne veut pas de la rupture avec la France. Je veux un mariage de raison. J’ai attendu sur le parvis de l’église avec mes roses, elles se sont fanées ». C’est sa phrase. Il ne faut pas lui donner ce qu’il n’a pas demandé. Il n’a pas demandé le titre de défenseur de l’indépendance. Le RDA était parti pour être un front mais Houphouët ne voulait pas de l’affrontement. Il a demandé l’autonomie, sinon il n’a jamais défendu les indépendances.

S : Il a été contre les indépendances alors ?

B.L.G : Il ne s’est jamais prononcé pour l’indépendance. Il s’est prononcé pour l’amitié avec la France et de l’émancipation, petit à petit, des peuples. C’est totalement différent. Les français le considéraient comme un modéré. Mais il y avait la tendance révolutionnaire constituée de Modibo Keïta, Ousmane Bâ et autres. Houphouët a été le leader de ceux qui les ont écrasés. Je pense fondamentalement que l’Ivoirien comme le Voltaïque ou le Burkinabé en 1960 avait le droit d’avoir une indépendance totale, une liberté totale pour permettre le plein épanouissement de leur identité et la construction d’une nation plus intégrée, plus solide et plus unis qu’aujourd’hui, s’il n’y avait pas eu ces tergiversations. Nous avons gaspillé beaucoup d’argent et d’énergie pour mettre la poudre aux yeux des gens et leur faire croire qu’il n’y avait pas d’autres solutions. C’est faux. J’estime que comme tous les peuples du monde, les africains devraient se serrer la ceinture, accepté d’affronter l’adversité du colonialisme et des colonialistes pour arracher une liberté totale afin de se reconstruire sur de nouvelles bases.

S : Quel héritage a-t-il laissé à la Côte d’Ivoire et à la sous-région ?

B.L.G : Tout ce qui se passe en Côte d’Ivoire actuellement résulte de l’époque de Houphouët Boigny. Aucun peuple n’échappe à son histoire. Il a refusé de suivre la voie qui devrait conduire son pays et les pays africains vers une construction indépendante de la France. Il fait parti de ceux qui ont livré leur pays et leur peuple à l’exploitation néocolonialiste. C’est ce qui a amené les crises actuelles que nous vivons.

S : Pour certains Félix Houphouët Boigny a été un apôtre de la paix et pour d’autres il a été un instigateur de guerre dans des pays africains. Qu’en pensez-vous ?

B.L.G : Je ne me rangerai pas derrière un groupe. Mais je constate à partir des faits et de l’histoire qu’il a été un instigateur de conflits. Je ne le juge pas. On ne peut pas parler de l’histoire du Nigeria après 1960, surtout de la guerre du Biafra sans que le nom de Houphouët ne soit cité. En Afrique du Sud il disait de ne pas combattre l’apartheid mais qu’il faut négocier. Il n’en jamais fait de secret sur ces prises de position. On ne l’accuse pas du tout. C’était son option. Il croyait sincèrement rendre service à l’Afrique avec les choix qu’il a fait. Et ceux la qui croyaient le contraire l’ont aussi combattu. Ainsi, sont faites les luttes politiques. Mais aujourd’hui, pour moi le bilan n’est pas en sa faveur. On ne peut pas faire l’histoire politique de l’Afrique de l’Ouest aujourd’hui et dire qu’il a été un bâtisseur qui a permis à l’Afrique de l’Ouest de s’intégrer, d’être puissante, d’être mieux organisé d’avoir une économie forte, de ne pas être dépendante des aides et des ajustements structurelle. C’est cela la réalité. Il a enfoncé la Côte d’Ivoire et l’Afrique de l’Ouest dans la dépendance. Jusqu’aujourd’hui nous n’avons pas de monnaie pourtant le Ghana à une monnaie, la Mauritanie également. Nous sommes toujours avec le Franc colonial. Notre compte d’opération est à Paris.

S : Il est décédé depuis 20 ans et les choses ne changent pas. Pourquoi ?

B.LG : C’est une machine. C’est comme si vous me disiez que les gouverneurs coloniaux sont partis il y a 60 ans. C’est vrai, mais nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Nous sommes gérés toujours comme à l’époque coloniale. Il y a des changements de formes mais il n’y a pas de changement de fonds. Le rôle de nous historiens est de reconstruire l’histoire de l’Afrique pour nous rebâtir et non se baser sur des modèles qui viennent de Washington et de Paris.

S : Dans votre réflexion sur la crise ivoirienne publiée en 2008 vous écriviez que Houphouët Boigny a beaucoup influencé la politique intérieur du Burkina Faso. Qu’a-t-il fait concrètement ?

B.L.G : C’est dans son salon à Abidjan que l’on a constitué le premier gouvernement burkinabè. Les documents existent. Il l’a fait en compagnie d’un colonel français qui vivait à Ouahigouya. Ils ont décidé ensemble du pourcentage de chaque parti politique dans le gouvernement. Aussi, le Premier chef du gouvernement du Burkina Faso, Daniel Ouézzin Coulibaly a été élu député de la Côte d’Ivoire et pas de la Haute-Volta. Aussi, chaque fois qu’il y avait un coup d’Etat ici, le premier mouvement des gens est d’aller voir Houphouët pour qu’il les introduise auprès de Paris.

S : Etes vous sûr de ce que vous avancez ?

B.L.G : Ecoutez, les archives sont là pour le témoigner (il hausse un peu la voix). Je m’occupe de l’Etude des faits historiques. Il a toujours été un vice consul qui a toujours dominé la scène politique burkinabè.

S : A-t-il joué ce rôle jusqu’à sa mort ?

B.L.G : Ah non ! Il ne nous a pas dominés.

S : De quelle époque parlez-vous ?

B.L.G : Je parle de l’époque de la Révolution. Le Conseil national de la révolution (CNR) a fait face Houphouët Boigny. Nous nous sommes affrontés. Nous avons refusé la soumission à Houphouët Boigny. Je suis allé personnellement le voir pour lui dire que nous ne sommes pas comme les anciens régimes. Que nous ne devons à rien à la Côte d’Ivoire mais c’est plutôt la Côte d’Ivoire qui nous doit. Nous n’avons jamais demandé à aller en Côte d’Ivoire. Les Burkinabè ont été transportés de force pour aller en Côte d’Ivoire. Pourquoi être complexé alors ? Au contraire nous devons revendiquer. Voilà l’effet avec lequel nous gérions les relations avec lui.

S : Et après l’époque de la révolution puisqu’il est décédé en 1993 ?

B.L.G : Je ne sais pas ce qui s’est passé. Je ne m’en occupe pas. Je n’ai pas été ministre après le CNR.

S : Pourtant vous suivez l’évolution politique du Burkina Faso en temps qu’historien ?

B.L.G : Oui ! J’ai suivi l’évolution politique. Je peux dire qu’après le CNR il y a eu une volonté de civiliser les relations. Ce n’est pas une mauvaise chose. Chaque époque a sa méthode. On ne peut pas aujourd’hui utiliser les méthodes diplomatiques de 1983. La révolution c’était la révolution. Aujourd’hui c’est la démocratie et le multipartisme.

S : Que retenez-vous finalement de bon et de mauvais de Félix Houphouët Boigny ?

B.L.G : Il a été un grand homme au double sens du terme. Il a été grand dans ses qualités comme dans ses défauts. Il faisait tout en grand. Quand il n’a pas voulu continuer la lutte anticolonialiste contre Charles De Gaulle, il a négocié en mettant les autres leaders qui étaient avec lui sous sa protection. Il avait sa conception de ses relations avec la France et il l’a appliquée avec ses conséquences. Il était un libéral qui a pensé à la limite que la Côte d’Ivoire pouvait s’en sortir contre les autres. Il l’a même dit : La Côte d’Ivoire ne va pas être la vache laitière pour les pays pauvres de la sous-région. Il a été conséquent. Mais en tant que militant je n’ai pas cette conséquence. Il a appliqué une ligne politique réactionnaire qui n’était pas de nature à émanciper véritablement les mentalités et la réalité. Fondamentalement son orientation n’a pas permis à la Côte d’Ivoire, à la sous-région et à l’Afrique de s’affirmer comme une force économique et politique mondiale. Il a préféré rester un fidèle serviteur de la France.


Interview réalisée par Steven Ozias KIEMTORE

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