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Le Pays N° 5230 du 30/10/2012

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Artistes ivoiriens : La réconciliation en chantant
Publié le mardi 30 octobre 2012   |  Le Pays




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Autant la guerre se fait sur le champ de bataille où des armes à feu, dans un vacarme assourdissant, font des hécatombes, autant les notes discordantes des musiciens prêchant dans des chapelles politiques opposées peuvent produire le même effet que des bombes à retardement. La preuve de cette sinistre réalité a été donnée par la récente crise postélectorale ivoirienne dont les artistes ivoiriens ont contribué irréfutablement à attiser les braises par des chansons incitant à la haine entre frères de bords politiques différents, et à la xénophobie. Mais ce qui est tout de même édifiant dans le cas ivoirien, c’est la prise de conscience par les artistes de leur erreur et du rôle qui est le leur dans le processus de réconciliation entre frères et sœurs ivoiriens. En faisant amende honorable et en essayant de mettre la musique, dont l’une des vertus consiste à adoucir les mœurs, au service du retour de la paix dans leur pays, les hommes d’art ivoiriens portent à la fois leur mea culpa et celui de tous leurs frères qui ont, volontairement ou non, par leurs propos, faits et gestes, envenimé la situation de crise durement vécue par toute la sous-région ouest-africaine. Et le symbole de la démarche des professionnels de l’art est d’autant plus fort, émouvant et prometteur qu’à l’origine et aux commandes de la caravane de la paix qui sillonne actuellement le pays se trouvent, entre autres, deux icônes de la musique ivoirienne, qui pourraient être visiblement considérées comme l’alpha et l’oméga du conflit ivoiro-ivoirien.

Non pas parce qu’elles en ont été les causes ou les instigatrices, mais plutôt parce que leurs propres divergences à elles deux l’ont précédé, et chose prodigieuse mais non moins étrange, elles pourraient bien être deux de ses plus grands extincteurs. L’initiative à laquelle sont associés Alpha Blondy et son jeune frère Tiken Jah Fakoly dont l’inimitié mutuelle n’avait d’égale que leurs immenses talents respectifs a d’autant plus de chance de porter de beaux fruits que la musique occupe une place de choix dans la culture ivoirienne. En plus d’avoir été surnommé « poumon économique » de la sous-région, le pays d’Houphouët-Boigny était un carrefour artistique et jouissait, par le biais de sa richesse musicale notamment, d’une certaine puissance culturelle. Le message des artistes que les Ivoiriens qui sont presque tous des mélomanes pour les rares citoyens qui ne pratiquent pas un genre musical, ont toujours adulé et qui semblent décidés à se débarrasser de leurs accoutrements encombrants de partisans politiques pour revêtir leurs tenues de scènes, aura sans conteste un impact assez fort s’il est délivré en toute sincérité. S’ils sont réellement conscients du rôle éminent d’un artiste dans l’apaisement des cœurs meurtris, s’ils veulent jouer véritablement leur mission d’ambassadeurs de la paix, les acteurs de la caravane doivent faire table rase de leurs différences et divergences pour entonner en chœur, que ce soit dans les rues ou sur scène, l’hymne de la paix. Pour réussir leur projet visant à rechercher la réconciliation en chantant, les artistes doivent mettre tout en œuvre pour étouffer les fausses notes et chanter sur la même gamme en accordant leurs violons.

Le principe de la caravane qui bat son plein doit viser à ne laisser personne en marge de l’événement. Artistes de toutes les générations, locaux comme internationaux, de la chanson traditionnelle ou moderne, des langues locales comme des langues importées, tous sans discrimination doivent y être associés. Certes, des bisbilles sont déjà enregistrées après quelques étapes de la caravane qui doit durer deux semaines. Celles-ci sont liées aux invitations adressées aux artistes ainsi qu’à leurs cachets. Il est évident que les artistes ont besoin d’un minimum de moyens pour se préparer en vue de bien se produire sur scène lors des concerts. Le nerf de la guerre et les querelles de positionnement ne doivent cependant pas entraver la bonne marche de l’initiative dont les échos sont pourtant déjà encourageants. Les messages véhiculés lors de leurs escales par les artistes sont résolument tournés vers la promotion de la paix. Ils sont ainsi plus ou moins neutres et visent à placer tout le monde face à ses responsabilités et surtout à rappeler aux acteurs du développement de la Côte d’Ivoire ce que leur pays attend d’eux. Le reggaemaker Alpha Blondy a ainsi demandé, lors du concert du 26 octobre au stade Robert Léon de Man, au chef de l’Etat, son « frère Alassane Ouattara, de libérer les pro-Gbagbo qui sont en prison et qui n’ont pas commis de crime de sang ». Aux partisans de l’ancien président, il a suggéré « d’arrêter d’attaquer les villes », tout en conseillant à ses jeunes frères ivoiriens : « Si on vous tend des armes, refusez ». De sages propos d’un doyen, dénués de rhétorique politicienne et d’intentions partisanes. En attendant de voir l’auteur d’une telle invite agir lui-même en faveur de leur mise en œuvre et de voir les autres Ivoiriens lui emboîter le pas, l’on peut déjà se féliciter de leur effort d’adaptation au contexte actuel. En temps normal, l’artiste peut, à travers son art, contribuer à la conscientisation des gouvernés et interpeller les dirigeants sur leurs devoirs envers leur pays et leurs concitoyens. Il peut également, dans la dynamique de son engagement, joindre l’acte à la parole en prenant parti pour celui qu’il estime capable de répondre au mieux aux aspirations de son peuple. Toutefois, il ne doit en aucun cas permettre que sa création soit utilisée pour inciter à la haine et attiser les rancoeurs. La valeur intrinsèque d’une œuvre d’art et, partant, de son auteur, se mesure à sa capacité à contribuer à l’avènement d’un monde d’amour et de paix. C’est en cela que le choix des artistes ivoiriens de soutenir le processus de réconciliation dans leur pays est à saluer et à soutenir pour que l’art retrouve la pureté de sa beauté en Eburnie, une beauté qui encense, célèbre et illumine la paix.

« Le Pays »

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