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L’Observateur N° 8241 du 25/10/2012

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Magistrats et élections : Onction judiciaire pour Badini et Somkinda
Publié le lundi 29 octobre 2012   |  L’Observateur


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Les grands juges qui ont examiné le recours en inéligibilité introduit par l’UPC


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Si les magistrats de formation que sont Boureima Badini (représentant du Facilitateur dans la résolution de la crise ivoirienne) et Somkinda Ouédraogo/Traoré (DG de la CNSS) peuvent effectivement briguer la députation au compte du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès) le 2 décembre 2012, tel n’est pas le cas de la candidate de l’ADF/RDA (Alliance pour la démocratie et la fédération / Rassemblement démocratique africain), Lucie Koupouli (magistrate de formation actuellement conseiller technique du ministre des Transports, des Postes et de l’Economie numérique) ; ainsi en a décidé le Conseil constitutionnel, après examen du recours en inéligibilité introduit le 18 octobre dernier par l’UPC (Union pour le progrès et le changement). Pour les sages de cette juridiction, Badini et Somkinda sont en détachement alors que Lucie, elle, ne l’est pas, puisqu’elle n’a pu produire aucun document administratif prouvant qu’elle est mise à la disposition du ministère où elle travaille présentement. Cette audience, très attendue par l’opinion, eu égard à la personnalité des personnes visées, s’est tenue toute la journée du jeudi 25 octobre 2012 à Ouagadougou.

L’article 35 du statut de la magistrature interdit à tout magistrat d’exercer des activités de nature politique ou d’être membre d’une formation politique. Cela implique que le magistrat ne peut ni briguer un mandat ni postuler à des fonctions politiques. Cette disposition a été prise dans le souci de préserver la crédibilité et la sérénité de la Justice, mais aussi pour garantir le sacro-saint principe de l’indépendance et de l’impartialité qui doit régir cette profession. Toutefois, si un magistrat tient à déroger à cette règle, il devra soit démissionner purement et simplement du corps de la magistrature, soit bénéficier d’une mesure de mise en disponibilité ou d’un détachement.

C’est sur ce postulat que l’Union pour le changement et le changement (UPC) a introduit devant le Conseil constitutionnel un recours en date du 18 octobre 2012 afin de voir invalider les candidatures de trois magistrats que sont Boureima Badini, Somkinda Ouédraogo/Traoré (tous deux du CDP) et Lucie Koupouli (ADF/ RDA) pour violation de la réglementation du corps de la magistrature : en clair, l’UPC demande que ces personnes soient éliminées de la course à la députation. Dans cette perspective, le parti de Zéphirin Diabré a requis du Conseil constitutionnel d’invalider en conséquence les listes provinciales du CDP Yatenga et nationale de l’ADF/RDA parce qu’elles seront incomplètes. Voilà ainsi présentés les enjeux de ce procès atypique.

A la barre du Conseil constitutionnel jeudi dernier, aucune des personnes visées par la plainte n’était présente. Le président de l’UPC aussi était absent. Il faut dire que les différentes parties ont plutôt préféré laisser leurs conseils les représenter et les défendre. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y avait des avocats de choix au prétoire ce jour-là :

la partie demanderesse, l’UPC, avait pour avocats Mes Hervé Kam et Séraphin Somé ; les défendeurs (Badini, Somkinda et le CDP) se sont confiés au cabinet Benoit Sawadogo, à Mes Armand Bouyain et Eliane Kabré ainsi qu’à la SCPA (Société civile professionnelle d’avocat) Ouattara Sory-Salembré ; quant à la défenderesse, Lucie Koupouli, elle avait l’appui de Mes Norbert Dabiré et Bouba Yaguibou.

Bien que n’étant pas citée, la CENI (Commission électorale nationale indépendante) a tenu à être présente au procès à travers ses avocats, constitués de bâtonniers : Mes Titinga Frédéric Pacéré, Harouna Sawadogo, Antoinette Ouédraogo et Mamadou Traoré.

De la question préjudicielle

D’entrée de jeu, les juges ont examiné la question préjudicielle, introduite la veille 24 octobre 2012 par les conseils de l’UPC et tendant à obtenir l’abstention de siéger de Michel Carama et d'Alimata Oui, tous deux membres du Conseil constitutionnel. Le premier a eu à occuper des fonctions au sein du CDP tandis que la seconde est l’épouse d’un ex-député du parti au pouvoir. Les avocats leur reprochaient donc leurs accointances politiques avec le parti de Blaise Compaoré et craignaient que cette situation affecte l’impartialité de la décision attendue. C’est pourquoi les conseils des requérants ont prié ces deux juges de se tenir à distance de ce procès.

Cette requête a provoqué le courroux des conseils de la CENI et du CDP, qui ont invoqué d’office l’inexistence d’une base légale visant la demande d’abstention, car «elle n’a pas de fondement juridique». Pour ce groupe d’avocats, l’abstention relève de la seule discrétion du juge concerné. Allant même plus loin, ils ont rappelé opportunément que le Conseil constitutionnel est composé de 9 juges et qu’il siège à 9. En "récuser" 2 remettrait en cause cette composition et violerait même le principe d’inamovibilité dont jouissent ces juges.

Argument battu en brèche par les avocats de l’UPC, qui n’ont pas manqué l’occasion de démontrer la fausseté de tels propos et de faire remarquer que la Cour de ce jour était constituée de 8 juges au lieu de 9, car un membre était probablement empêché. Il n’en fallait pas plus pour conforter la position de Hervé Kam et de Séraphin Somé. Et le président du Conseil constitutionnel, Albert Dé Millogo, n’a fait qu’apporter de l’eau au moulin des demandeurs lorsqu’il a précisé que son institution peut siéger avec un quorum minimum de 5 juges. Mais rien n’a suffi pour obtenir l’abstention des juges indexés, le chef de l’institution ayant finalement déclaré la demande recevable dans la forme, avant de la rejeter dans le fond. Cette décision ouvrait ainsi la voie au procès proprement dit.



Affaire Badini et Somkinda



Un magistrat "en fonction" peut-il exercer des activités politiques qui visent à terme l’obtention d’un mandat politique ? Voilà la question que le Conseil constitutionnel était invité à trancher.

Mais à peine les avocats de l’UPC ont-ils engagé leur argumentaire que les conseils de la CENI invoquent l’exception d’incompétence du Conseil constitutionnel, en soutenant que «la validation ou l’invalidation de candidatures aux élections législatives incombe aux seules juridictions administratives». Les avocats du CDP, se joignant aux premiers, invoquent, à leur tour, la même exception, mais cette fois, à l’encontre du président de ladite institution. Dans leur mémoire en défense, ils soutiennent que la requête devrait être adressée au Conseil constitutionnel et non à son président, qui ne saurait, en sa seule qualité, constituer une juridiction ; par conséquent, il ne peut connaître dudit dossier, qui doit être purement et simplement rejeté.

Ils estiment en outre que le recours, tel que formulé, n’existe pas en droit. Selon eux, le code électoral en ces articles 181 et 183 parle de "recours contre l’éligibilité" et non de "recours en inéligibilité" ; ce qui, de leurs avis, mérite amplement qu’on renvoie les parties à mieux se pourvoir. «Question de français et non de droit !», répliquent les conseils de l’UPC avant de poursuivre sur la nécessaire invalidation des candidatures sus-citées.

Ils soutiennent que l’ancien représentant du facilitateur dans la crise ivoirienne, Boureima Badini, et la directrice générale de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), Somkinda Ouédraogo/Traoré, sont toujours des magistrats en activité, car, expliquent-ils, les décrets de mise en détachement joints à leur dossier, et dont ils se prévalent, n’existent pas juridiquement. En effet, le détachement est une position accordée à un agent de la fonction publique en dehors de la sphère de l’administration centrale : présidence du Faso, ministères, services déconcentrés dans les provinces, préfecture,...

Selon les conseils de la partie demanderesse, Boureima Badini, étant détaché à la Présidence du Faso (qui relève de l’administration centrale), ne peut donc pas se prévaloir d’un détachement, mais d’une simple mise à disposition ; situation qui s’assimile à la position d’activité, avec toutes ses conséquences de droit (salaire et avancement dans le corps d’origine, etc.) Enfonçant le clou, Hervé Kam et Séraphin Somé ont soutenu que même si d’aventure par acrobatie on reconnaissait l’existence du décret dont jouissait Badini, force est de constater qu’il a cessé de produire ses effets, car, adopté le 5 septembre 2007 pour une durée de 5 ans, ledit décret a expiré le 4 septembre 2012.

Invoquant un autre moyen, les conseils de l’UPC ont soulevé l’exception de fraude contre les décrets produits par Boureima Badini et Somkinda Ouédraogo/Traoré. «Plus de dix incohérences graves entachent les décrets bis, joints au dossier et font suspecter le faux. Mais nous ne demandons qu’une simple constatation de la nullité de ces actes», ont confié les avocats après avoir remis, séance tenante, les preuves de leurs allégations à la Cour, à la partie défenderesse et à la CENI. Entre autres points troublants, il y a les numéros du visa du contrôleur financier qui se suivent malgré l’intervalle de 4 ans entre les deux documents : n°611 pour Badini en 2007 et n°612 pour Somkinda en 2011. Les avocats ont fait noter que ces visas ont été délivrés par le même contrôleur, Abraham Ky, qui était pourtant en étude à Fribourg en 2007, où il préparait sa thèse de doctorat et donc ne pouvait pas être directeur du Contrôle financier.

Mais au-delà de toutes ces considérations, Hervé Kam et Séraphin Somé ont déclaré qu’un magistrat, même détaché, continue de bénéficier des avantages liés à son corps d’origine et, par conséquent, demeure soumis au respect strict du statut de la magistrature, qui lui interdit de faire de la politique. Ces deux avocats ont conclu leur plaidoirie en précisant que pour pouvoir prétendre à la députation de décembre prochain, Badini et Somkinda devaient avoir obtenu leur décret de démission ou de mise en position de disponibilité au plus tard le 1er septembre 2012, soit trois mois au moins avant la date du scrutin.

«La nullité d’un acte ne se décrète pas, encore moins le faux ou l’irrégularité, mais doivent faire l’objet d’une constatation par une juridiction compétente», ont rétorqué les avocats de la défense avant d’ajouter que ces preuves tardives ne sauraient être prises en compte à cette étape du procès parce qu’elles violent les droits de la défense en bafouant le sacro-principe du contradictoire. En effet, ce principe général de droit exige équilibre et loyauté dans le traitement de la preuve et veut que des délais raisonnables soient respectés dans la communication de celle-ci aux différentes parties. Partant de ce mémoire en défense, les conseils de la CENI ont soutenu que leurs clients sont bien en situation de détachement et échappent donc aux dispositions de l’article 35 du statut de la magistrature.



Affaire Lucie Koupouli



Candidate sur la liste nationale de l’ADF/RDA, Lucie Koupouli, magistrate de profession, est actuellement au ministère des Transports, des Postes et de l’Economie numérique en qualité de conseiller technique du ministre, Gilbert Ouédraogo, patron de l’ADF/RDA.

L’UPC reproche à cette dame de ne pas disposer d’un titre justifiant sa position de détachement audit ministère. Selon Mes Hervé Kam et Séraphin Somé, Lucie Koupouli demeure une magistrate en fonction, qui par conséquent, devrait être frappée de l’interdiction de faire de la politique ou de briguer un mandat politique.

A court d’arguments, Mes Norbert Dabiré et Bouba Yaguibou, défendant Lucie Koupouli, ont soutenu que le titre de conseiller technique du ministre suffisait pour justifier son détachement. C’est après ces plaidoiries que le Conseil constitutionnel s’est retiré pour délibérer en donnant rendez-vous à 17h30.

C’est finalement sur le coup de 18h10 que le président du Conseil a entrepris la lecture du verdict, qui a duré une trentaine de minutes : ainsi Boureima Badini et Somkinda Ouédraogo/Traoré ont été déclarés éligibles et peuvent donc briguer la députation en décembre prochain ; par contre, Lucie Koupouli, elle, a été frappée d’inéligibilité et ne sera donc pas de la bataille législative.

Concernant la demande d’invalidation des listes, le Conseil constitutionnel s’en est déclaré incompétent et à laissé le soin aux demandeurs de mieux se pourvoir.

Si du côté de l’ADF/RDA, on grince des dents, du côté du CDP, on est satisfait, tandis qu’à l’UPC on prend acte. Dans tous les cas, les décisions du Conseil constitutionnel sont inattaquables.

Sauf erreur ou omission, c’est bien la première fois que les sages examinent un «recours contre l’éligibilité» à la députation de magistrats de formation. Pour mémoire, retenons que le magistrat Balamine Ouattara, actuel président du BBDA (Bureau burkinabè des droits d’auteurs), candidat aux dernières élections municipales à Bobo-Dioulasso avait été attrait devant la justice. Le tribunal administratif de la ville de Sya avait tranché et autorisé Balamine à se présenter. L’intérêt de ce procès est qu’il repose la question de la participation des magistrats au jeu politique et les conditions réglementaires qu’ils doivent remplir pour aller légalement sur le terrain politique.


San Evariste Barro

Jonathan A. Ouoba (stagiaire)

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