Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratique    Burkina Faso    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Afrique
Article



 Titrologie



L’Observateur Paalga N° 8516 du 9/12/2013

Abonnez vous aux journaux  -  Voir la Titrologie

  Sondage



 Nous suivre

Nos réseaux sociaux



 Autres articles


Comment



Afrique

Nelson Mandela : La mauvaise conscience des dirigeants africains
Publié le lundi 9 decembre 2013   |  L’Observateur Paalga


Nelson
© RFI par DR
Nelson Mandela


 Vos outils




Il s’en est allé comme il est arrivé au pouvoir suprême : au terme d’un long et âpre combat :

dans l’un, en luttant contre cette tuberculose qui l’a toujours eu aux trousses depuis son long séjour carcéral et qui finira par l’emporter après une lente agonie ;

dans l’autre, en se dressant, toute sa vie, contre cette ignoble politique ségrégationniste qu’il finira par abattre.

Le «Freedom fighter» est tombé. Mandela est mort! Madiba s’en est allé le jeudi 5 décembre 2013 à l’âge de 95 ans à son domicile de Johannesburg. Enfin une oasis de repos pour celui dont l’existence ne se résume qu’en un mot : combat. Combat contre la domination blanche. Combat contre les velléités de vengeance des Noirs. Combat long contre la maladie.

Son pays, l’Afrique du Sud, vient de perdre un «père» et le reste du monde, un repère.

Comment ne pas se laisser submerger par ce flot de louanges qui déferle même du moindre recoin de la planète depuis l’annonce du décès du «Grand Homme» ?

Comment ne pas joindre sa voix à ce chœur mondial qui célèbre, depuis plusieurs jours, la geste de ce messie laïc ?

Comment ne pas se laisser prendre par cette transe médiatico-politique qui s’est emparée de la Terre depuis que la légende vivante est morte ?

Difficile.

C’est que rarement, homme d’Etat aura réussi à faire l’unanimité autour de ses qualités morales et de son engagement politique comme l’a fait Rolihlahla (fauteur de troubles en Xhosa) du vrai prénom de Mandela.

A entendre les différents hommages rendus ici où là à Nelson Mandela, on a l’impression que depuis que l’icône planétaire était à l’article de la mort depuis juin dernier, les dirigeants du monde entier s’étaient secrètement lancés dans l’exercice de messages aussi ciselés qu’empreints de lyrisme.

En vérité, le procès en béatification était bien longtemps instruit du vivant du grand mort. Pouvait-il en être autrement vis-à-vis d’un homme au destin hors du commun.

Jugez-en vous-mêmes !

Fondateur et dirigeant de la branche militaire de l’ANC, Umkhonto We Sizwe, en 1961, après une lutte non-violente contre les lois de l’apartheid mises en place à partir de 1948, Nelson Mandela est arrêté en 1962, sur indication de la CIA, alors qu’il était déguisé en chauffeur de taxi. Accusé d’avoir «organisé une grève et quitté illégalement le pays», il est condamné à cinq ans de prison. Alors qu’il purge sa peine, une dizaine d’autres membres de l’ANC sont arrêtés à leur tour. Mandela est lui aussi mis en cause et poursuivi pour accusations de «sabotages, de trahison, de liens avec le parti communiste sud-africain et de complot pour une invasion du pays par l’étranger».

Commence alors le «procès de Rivonia» le 9 octobre 1963. Le jeune avocat noir en ressort condamné à la détention à perpétuité le 12 juin 1964.

Embastillé dans l’île prison de Robben Island sous le numéro matricule 46 664, il y passera dix-huit de ses vingt-sept années de prison. Durant cette longue période de détention, Nelson Mandela apprend l’histoire des Afrikaners (groupe racial blanc de souche néerlandaise, alors détenteur du pouvoir politique et économique) et leur langue, l’afrikaans. Pour mieux comprendre la mentalité de l’oppresseur. Ce sera l’acte fondateur de sa politique de réconciliation entre Noirs et Blancs.

Face à la pression internationale, de plus en plus croissante contre le régime de l’apartheid, le gouvernement sud-africain finit par assouplir les conditions carcérales de Mandela : le 7 décembre 1988, il est autorisé à regagner son domicile mais est assigné à résidence surveillée.

Au terme de négociations secrètes avec les président Pieter Botha puis Frederik de Klerk, le plus célèbre des prisonniers au monde est enfin libéré le 11 février 1990. Evénement retransmis en direct sur la planète entière.

Prix Nobel de la paix en 1993 avec le président Frederik de Klerk, Nelson Mandela accède, une année plus tard, à la magistrature suprême de la République d’Afrique du Sud à la suite des premières élections générales multiraciales du 27 avril 1994.

Que retenir de l’ère du premier président noir de la nation Arc-en-ciel ?

Surtout sa politique de réconciliation nationale. Cette main tendue aux anciens oppresseurs, là où beaucoup à sa place auraient nourri des velléités de vengeance. Un geste inédit qui achèvera de faire de Mandela une légende vivante, une divinité planétaire, une vestale de la paix.

A travers la Commission vérité et réconciliation, présidée par l’archevêque anglican, Desmond Tutu, bourreaux et victimes sont pour la première fois assis autour d’une même table. Acte de contrition ici, geste de pardon là, les frères ennemis d’hier célèbrent la fraternité retrouvée. Une expérience qui fera des émules dans bien de pays africains avec plus ou moins de bonheur.

Cerise sur le gâteau politique de Madiba, sa mémorable décision de ne pas rempiler pour un second mandat. Après un seul bail de cinq ans, le premier président noir d’Afrique du Sud renonce à la charge suprême. Une geste d’une grandeur politique certaine. Une leçon administrée à tous ses pairs du continent qui s’accrochent contre vents et marées au pouvoir.

A tous nos gouvernants (dont certains étaient déjà aux affaires bien avant l’élargissement du prisonnier 46 664) qui caressent des rêves de règne ad vitam aeternam, Nelson Mandela venait de se poser en anticonscience. N’empêche, dans un panurgisme dont ils ont le secret en pareille circonstance, chacun d’eux y est allé de ses dithyrambes depuis Paris où ils se trouvaient pour le Sommet sur la paix et la sécurité en Afrique, pour saluer qui «un modèle», qui «une muse», «un digne fils de l’Afrique», qui «une école» et tutti quanti. Hypocrisie ! Foutaise ! Faut-il en rire ou pleurez ?

Mais revenons à celui que tout le monde pleure, pour dire qu’au regard de sa personnalité d’exception, on pourrait le croire fait de l’étoffe des saints.

Mais dans cet océan de grandeurs, point néanmoins un ilot de contrariétés. Et c’est ce qui ramène le demi-dieu à son humaine condition, c’est-à-dire à un être faillible. Comme lui-même n’a cessé de le rappeler. Même au risque de se voir instruire un procès en blasphème, en iconoclastie, il faut reconnaître que Mandela était avant tout un homme. Avec ses forces et ses faiblesses, ses qualités et ses défauts. Des échecs il en a connu, des torts, il en a causé. En effet, malgré son aura et la ferveur populaire internationale qui ont accompagné son arrivée au pouvoir, le messie laïc a brisé bien de rêves, déçu bien d’attentes.

Dans les domaines social et économique, par exemple, à la fin du mandat du «Grand Homme», en 1999, le bilan dressé contrastait avec le mythe mandeléen :

baisse du niveau d’instruction et de la qualité des soins, insuffisance prononcée de logements pour les pauvres, explosion du chômage et accroissement de la criminalité. C’est dans une telle conjoncture sociale, peu reluisante, que celui qui était perçu comme le Prométhée xhoza (ethnie de Mandela), a transmis les rênes du pouvoir à ses successeurs. Pour beaucoup de ses compatriotes, il n’a pas pu ou n’a pas voulu remettre en cause le monopole des classes dirigeantes blanches sur l’économie du pays. Etat de fait que l’intéressé lui-même a reconnu et même regretté, expliquant que des réformes radicales l’auraient fait passer pour un communiste aux yeux de bien des partenaires étrangers. Conséquence : l’apartheid, certes, n’existe plus dans la loi, mais le développement est toujours séparé.

De plus, Nelson Mandela n’a pu faire émerger une élite politique noire conforme aux attentes qu’il avait lui-même suscitées auprès des pauvres. Sous sa direction, dans l’ANC, corruption, affairisme, clientélisme et népotisme avaient déjà pignon sur rue.

Certes, après sa retraite politique, le père de la nation «Arc-en -ciel» s’est investi, à travers sa Fondation, dans la lutte contre le Sida. Mais durant sa présidence il n’a pas pris de mesures efficaces contre la pandémie. Si fait que le pourcentage de femmes enceintes atteintes du fléau a quasiment triplé de 8 à 23% durant son mandat.

Mais doit-on lui tenir rigueur de n’avoir pu guérir l’Afrique du Sud de tous les maux dont elle souffre ? Absolument pas. Mandela a beau être d’une étoffe exceptionnelle, il ne disposait pas de baguette magique pour transformer en réalité l’idéal de société qui a toujours nourri son combat politique.

En cinq ans seulement de présidence, pouvait-il changer du tout au tout une société bâtie sur plus de trois siècles d’hégémonie politique et économique de la minorité blanche ? Que nenni !

Dans la situation d’incertitudes qui était celle de son pays au moment de son accession au pouvoir, il a eu la lucidité politique de s’attaquer à l’urgence du moment : la réconciliation d’une nation avec elle-même. Et il l’a réussi avec maestria. Contrairement à bien de ses congénères africains, qui, aveuglés par l’appétence maladive pour le pouvoir à vie, menacent gravement la paix sociale dans leurs pays.

Mais maintenant que la conscience tutélaire s’en est allée, laissant une nation désarçonnée, que va devenir son héritage ?

Tant qu’il était en vie, et même mourant, son aura naturelle et sa stature d’autorité morale tenaient en bride les sentiments de révolte dans un pays où la réconciliation nationale n’a pas été suivie du développement économique et social escompté.

L’ANC, son parti, vérolé par la corruption, les querelles intestines larvées et l’esprit de lucre, survivra-t-il au plus illustre de ses dirigeants ? Rien n’est sûr quand on sait que les «Born free», les générations postapartheid, qui commenceront à voter à partir de 2014, goûtent peu le mythe de ce parti.

Les membres de sa famille sauront-ils taire les querelles d’héritage bassement matérielles auxquelles ils se livrent depuis, tels des lycaons qui se disputent une charogne ?

Autant de questions qui ont certainement hanté le vieil homme durant sa longue agonie.

Ses compatriotes, qui le pleurent, sauront-ils s’élever au rang d’héritiers de Mandela ou se contenteront-ils d’être ses pâles successeurs ?

En attendant, rest in peace Madiba!



La Rédaction

 Commentaires