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Le Pays N° 5484 du 15/11/2013

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Rélecture de la constitution: « L’Assemblée nationale a outrepassé ses prérogatives », dixit Luc Marius Ibriga
Publié le vendredi 15 novembre 2013   |  Le Pays


Le
© aOuaga.com par AO
Le premier ministre Luc Tiao face à l`assemblée Nationale
jeudi 4 avril 2013. Ouaga.


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L’Assemblée nationale (AN) vient de procéder à la relecture de la Constitution, pour permettre à la Première chambre d’assumer la plénitude du pouvoir législatif. Les partis politiques regroupés au sein des groupes parlementaires UPC et ADJ, ont refusé de participer au vote du projet de loi modificative de la Constitution, lundi dernier à l’hémicycle. Ce qui n’a pas empêché son adoption grâce au vote des députés du CDP, de la mouvance présidentielle et de l’ADF-RDA. Mais pour les députés des deux groupes parlementaires de l’opposition, l’AN reste toujours dans l’illégalité. Qu’en est-il exactement de cette situation ? La procédure de relecture de la Constitution s’est-elle opérée suivant les principes juridiques ? Ces questions, et bien d’autres sujets d’actualité d’intérêt national, ont été abordés au cours de cette interview exclusive avec le Pr Luc Marius Ibriga, enseignant à l’Université de Ouagadougou. Ce dernier fait une analyse sans complaisance de la relecture de la Constitution, qui continue d’alimenter les débats au sein de la classe politique et de l’opinion publique burkinabè.

« Le Pays » : Les groupes parlementaires ADJ et UPC ont quitté l’hémicycle en signe de désapprobation du projet de loi modificative de la Constitution. Comment réagissez-vous à cela ?

Luc Marius Ibriga : Il serait de plus en plus indiqué que l’opposition joue son rôle parlementaire. Quand on banalise le fait de quitter les débats parlementaires, à la longue, le citoyen ne perçoit plus l’importance de la question. Soit on ne participe pas aux débats, soit on quitte l’hémicycle ; ce n’est pas une bonne politique. Dans les usages parlementaires, quand on quitte l’hémicycle, c’est que l’on veut attirer l’attention de l’opinion sur une question très importante. Et quand cela se renouvelle régulièrement, à un moment donné, les gens ne comprennent plus. En démocratie, si vous êtes battus sur le plan du vote, vous prenez acte mais vous prenez le soin d’exprimer vos points de vue afin qu’ils soient consignés pour la postérité. Mais on ne peut pas vouloir le beurre et l’argent du beurre. C’est-à-dire que l’on est au Parlement et qu’on agit comme des forces extraparlementaires. Je déplorais la dernière fois le fait que, pour la loi 018, l’opposition ait été absente du débat à l’Assemblée nationale (AN). Ou bien on a été élu pour être parlementaire et, à ce moment, on utilise les voies parlementaires. Le fait de quitter l’hémicycle ne doit pas devenir une pratique habituelle. Cela doit être une pratique exceptionnelle qui vise à montrer que la chose est trop grave, d’autant plus que chaque fois que l’on quitte l’hémicycle, l’on ne mène pas le débat contradictoire, et on n’arrive pas à éclairer véritablement le citoyen.

Cette sortie de l’opposition est-elle donc contre-productive ?

Cette stratégie est contre-productive. Elle ne favorise pas la culture démocratique. L’opposition doit croiser le fer avec la majorité pour essayer de montrer la justesse de son point de vue ; ne serait-ce que par les arguments qu’elle a avancés. Cela permet d’éclairer la lanterne de ceux qui suivent le débat. Et comme c’est consigné dans les procès-verbaux des plénières, les chercheurs qui feront des recherches sur ces questions pourront voir ce que l’opposition avait comme arguments sur cette question. Mais la politique de la chaise vide n’est pas toujours productive. Il faut savoir l’utiliser.

Selon les opposants, l’AN demeure dans l’illégalité. Ils avancent que, pour modifier la Constitution, il aurait fallu adopter, au préalable, une loi interprétative pour donner compétence à l’AN de réviser la Constitution. Votre commentaire ?

Sur ce plan, ils ont entièrement raison. C’est ce point de vue que nous avons développé en tant que société civile. Pourquoi aujourd’hui, on a besoin de mettre une disposition concernant l’article 78 de la Constitution ? Pourquoi a-t-on besoin de mettre une disposition pour dire que l’AN joue le rôle du Parlement ? Si on a besoin de mettre cette disposition, c’est dire que l’AN n’est pas le Parlement et qu’il faut d’abord l’habiliter. Si vous n’avez pas une compétence, comment pouvez-vous exercer cette compétence avant d’avoir été habilité. Donc, il aurait fallu voter cette loi interprétative qui habilite l’AN en tant que Parlement et c’est à ce moment qu’elle peut réviser la Constitution à la majorité des 3 quarts. Sinon, c’est usurper une compétence qui n’est pas la sienne. Si l’on dit que le Conseil constitutionnel a déjà approuvé la loi 018, donc l’on a considéré que l’AN a le pouvoir de le faire. Mais pourquoi l’on a besoin aujourd’hui de mettre cette disposition ? Cela veut dire qu’il y a une contradiction quelque part. Pourquoi une loi interprétative ? C’est parce que ce n’est pas une modification de la Constitution, puisque l’AN n’a pas le pouvoir de réviser avant d’avoir été Parlement. C’est une simple logique. Pourquoi une loi interprétative ? Parce que c’est l’AN, en tant que pouvoir constituant dérivé, qui a révisé la Constitution, qui a voté la loi constitutionnelle du 11 juin 2012. En droit, on dit que celui qui fait la loi est le premier interprète de la loi. Le deuxième interprète, c’est le juge. L’auteur de la règle de droit peut interpréter la règle de droit. Et quand il fait cette interprétation, l’on dit que c’est une interprétation authentique. Il se trouve que, là, l’on n’avait même pas besoin de dire que l’on révise la Constitution, c’est une loi interprétative qui permet aux députés de dire : quand nous écrivions la loi de juin 2012, nous pensions que l’AN devait jouer le rôle du Parlement en attendant la mise en place du Sénat.

Le vote de cette loi ouvre-t-il la voie à la mise en place du Sénat ?

J’espère que le Conseil constitutionnel va censurer la procédure. Nous l’avions dit depuis longtemps ; il fallait une loi de transition. On en a fait à sa tête ; on a voté la loi 018 ; aujourd’hui, l’on reconnaît qu’il fallait une loi de transition. Ça, c’est déjà une bonne chose. Mais c’est la procédure pour aller à cette loi qui n’est pas bonne. Ce n’est pas le contenu qui n’est pas bon mais la manière de faire. En droit, l’on dit souvent que, la forme tient le fond en l’état, c’est-à-dire que si l’on ne respecte pas la forme, il y a un problème parce que le fond n’est pas valable. Celui qui n’a pas une compétence ne peut pas l’exercer et ne peut être habilité, et réviser en même temps. Vous n’avez pas le pouvoir, dans la même loi, de voter votre habilitation et la révision. Il faut que la première loi soit promulguée pour que vous ayez la compétence. J’espère que le Conseil constitutionnel va retoquer cette loi en disant qu’il aurait fallu d’abord que l’AN soit habilitée, premier cas, avant de réviser, deuxième situation. Sinon l’on retombe dans la même illégalité que pour la loi 018. Qu’est-ce qui a changé fondamentalement ? Ce n’est pas parce que l’Assemblée a voté la loi qu’elle est valable immédiatement. Il faut qu’elle soit promulguée pour être valable. On a pris conscience qu’il fallait une loi de transition ; mais la manière d’introduire cette loi de transition n’est pas bonne. On a encore violé la Constitution ; l’AN a usurpé une prérogative qu’elle n’a pas parce que l’on n’avait pas à voter ces deux lois ensemble.
Dans cette situation, même le Conseil constitutionnel ne peut pas censurer l’AN pour dire qu’elle a outrepassé sa prérogative. Parce que le Conseil constitutionnel ne peut pas mettre en cause la décision constitutionnelle qui a été prise. Il peut simplement censurer la procédure si elle n’est pas respectée.

La procédure va-t-elle accélérer la mise en place effective du Sénat ?

Le Sénat a toujours existé dans l’architecture institutionnelle, tant que la loi n’a pas été abrogée. Cela peut être un chemin pour y aboutir mais tout dépend du contexte. On a bien voté la loi 018 qui permettait la mise en place du Sénat et tous les éléments étaient réunis pour que le Sénat soit mis en place. Nous ne sommes pas dans une question de droit, mais de rapport de force. La mise en place du Sénat n’est pas une question juridique mais éminemment politique. Sur le plan du droit, le Sénat existe puisqu’en juin 2012, le pouvoir constituant dérivé, à travers l’AN, a adopté la création d’un Sénat. La loi a été promulguée, donc le Sénat est une institution de la République. Mais comme le Sénat n’est pas encore mis en place et que l’on n’avait pas adopté une loi transitoire, l’on a fonctionné dans l’illégalité. Aujourd’hui, l’on corrige cette illégalité mais l’on ne sait plus quand est-ce que que le Sénat sera mis en place. Cette loi vise à dire que, pour ne pas bloquer les institutions de la République et le contrôle de constitutionalité, nous allons considérer les institutions qui existent actuellement. L’AN et le Conseil constitutionnel continuent de jouer le rôle de législateurs en attendant la mise en place des nouvelles institutions. Pour l’instant, le constituant n’a pas abandonné l’idée de la mise en place d’un Sénat. On ne peut pas dire aujourd’hui que le projet de mise en place du Sénat est abandonné. Au contraire, le problème du Sénat peut surgir à tout moment. Tout dépend.

Pourquoi avoir laissé le fantôme entrer dans la maison avant de chercher à l’en déloger ?

La question n’est pas de laisser faire les choses ou pas. Si l’on est opposition dans un Etat, c’est que l’on n’a pas la majorité. Le fait de rester dans l’hémicycle ne signifie pas que l’on cautionne et que l’on est comptable avec ceux qui ont voté « pour ». Ou bien, on accepte le débat parlementaire avec toutes ses limites, ou bien on trouve d’autres solutions. Si l’on accepte le débat parlementaire, l’on doit accepter que l’on est minoritaire. Mais ce n’est pas parce que l’on est minoritaire que l’on ne doit pas faire entendre sa voix. C’est pourquoi je disais que cette sortie de l’opposition est contre-productive car elle ne favorise pas la culture démocratique. Sortir de l’hémicycle n’empêche pas que la loi soit adoptée. Le fait de quitter l’hémicycle est nécessaire quand on veut marquer un désaccord de fond. Mais quand l’acte se répète en tout temps, cela ne permet pas au citoyen de comprendre la gravité de la situation.

Comment appréciez-vous la rencontre qui a eu lieu entre l’opposition et le chef de l’Etat ?

Cette rencontre est tout à fait normale. Depuis que le CFOP existe, c’est la première fois que le chef de l’Etat consent à rencontrer l’opposition. C’est une première. Normalement, quand on institutionnalise l’opposition, c’est parce que l’on veut créer un dialogue permanent entre les opposants, la majorité et les autres institutions. De ce point de vue, je trouve cela normal. Ce n’est pas parce que l’opposition discutera avec le chef de l’Etat qu’elle est d’accord avec lui. Selon la Constitution, le chef de l’Etat est le garant de l’unité nationale. Il a le droit d’entendre tous les sons de cloche et de choisir ce qui est mieux pour le pays. L’Etat n’appartient ni à l’opposition ni à la majorité. C’est dans cet esprit de dialogue que l’on doit être. Pour moi, cett rencontre est une première qui mérite d’être renouvelée.

Propos recueillis par Saïdou ZOROME

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