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L’image de la Justice dans les médias
Publié le mardi 5 novembre 2013   |  Autre presse


Arnaud
© Autre presse par DR
Arnaud Ouédraogo, directeur de cabinet de la présidente du Conseil supérieur de la communication (CSC)


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« Restaurer l’image de la Justice ». Voilà l’objectif primordial sur lequel semblent s’accorder acteurs de la Justice, médias et citoyens. Le présent article se propose de retourner cette formule sur elle-même, afin de démêler la part d’incantation et la part d’orientation politique que celle-ci recèle.

Au Burkina Faso, la réflexion sur « l’image de la Justice dans les médias » bute très vite contre des slogans – ces raccourcis de la pensée – profondément enfouis dans la conscience collective, et qui structurent le discours public.

I. Une Justice prisonnière des slogans

L’image de notre Justice est happée par des slogans gracieusement servis aux médias par les acteurs de la Justice eux-mêmes.

1. Slogans sur l’indépendance de la Justice

Pour dénoncer les atteintes à l’indépendance de la Justice, les médias convoquent fréquemment la notion de « juges acquis ». Les mots sont d’un ancien Garde des Sceaux. Sur leur sens, l’intéressé s’est vigoureusement défendu. Mais la parole d’un Garde des Sceaux a sa magie propre : elle sait s’échapper de l’intention première de son auteur pour alimenter toutes les supputations.
Les médias n’en demandaient pas tant. Autour de ces mots, ils ont su tisser du sens et diagnostiqué une « Justice aux ordres ».
Mais aux ordres de qui ? Question lourde de paradoxe. L’autorité politique est naturellement suspectée d’exercer une pesée de force sur la Justice. De là naît le besoin pour les citoyens de « faire pression » sur la Justice en vue d’opérer un rééquilibrage des forces. Les manifestations se succèdent alors, visant à empêcher que les affaires n’intègrent le fameux registre des « dossiers pendants » – interprétation iconoclaste de la « litispendance » ! Toujours par le jeu de la pression et à coups de lance-roquettes, des militaires parviennent à faire libérer leurs « frères d’armes » incarcérés dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Il semble que ces pressions portent parfois fruit, puisqu’il est déjà arrivé que l’autorité politique y obtempère, tantôt en annonçant l’allocation de « moyens spéciaux » aux juges chargés de l’affaire tantôt en fixant un délai pour le traitement des dossiers.
Dès lors, les juges se voient entraînés dans le cercle vicieux du serpent qui se mord la queue. Et la Justice, institution aux yeux bandés, censée restée aveugle à toutes les pressions, se retrouve entre deux feux.

2. Slogans sur la Justice et la corruption

La référence à la corruption s’invite abondamment dans le discours sur la Justice.
Elle apparaît, d’abord, dans le discours des acteurs de la Justice. Ainsi, un avocat se désole d’une « Justice pourrie aux trois quarts », un Bâtonnier dénonce une « Justice du marché central » et un Garde des Sceaux se voit obligé de monter au créneau pour empêcher que le poids de vingt-trois kilogrammes d’or ne dérègle la mécanique de la balance Roberval.
Elle apparaît, ensuite, dans les rapports successifs du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) qui classe la Justice parmi les institutions les plus corrompues selon la perception des citoyens.
S’il en est ainsi, c’est que le retentissement d’un acte de corruption dans la Justice vaut celui de mille autres ailleurs. Et la figure du juge corrompu est insoutenable dans un Etat de droit.

II. Des slogans annonciateurs d’une Justice nouvelle

La communication par voie de slogans, relique d’un passé révolutionnaire, comporte une part d’injustice et une part de vérité.

1. La part d’injustice des slogans

La part d’injustice de ces slogans apparaît à trois niveaux.
D’abord, en « croquant à grands traits », ils offrent une vision réductrice du réel et favorisent une indignation sélective. Les médias n’ont pas à s’attarder sur les trains qui arrivent à l’heure.
Ensuite, en « mettant tout le monde dans le même sac », ces slogans font injustice aux braves juges anonymes qui s’échinent à la tâche.
Enfin, la prégnance de ces slogans est si envahissante qu’ils affaiblissent l’esprit d’initiative et laissent peu de place à l’ineffable, à l’intuition et au « flair » pourtant indispensables à toute œuvre de Justice.

2. La part de vérité des slogans

Au détour de ces slogans, se décline un véritable « discours d’orientation politique ». Ils suggèrent, en effet, les trois principaux leviers à actionner pour regagner la confiance et restaurer l’autorité de l’Etat :
- dégager le juge de l’étreinte du Prince en redéfinissant les rapports entre la Justice et le pouvoir politique ;
- solder les comptes entre la Justice et la corruption par un mécanisme d’enquête interne efficace, permettant de punir les indélicats ou de blanchir les victimes de la délation ;
- renforcer les capacités humaines et opérationnelles de la Justice.

Unité – Progrès – Justice !
Telle est la devise de la Patrie des Hommes intègres. Le peuple burkinabè a pressenti, avant l’heure, la vertu unificatrice et progressiste de la Justice ; peuple famélique qui trouve encore la force de crier Justice avant même que de réclamer du pain. Un tel peuple mérite une Justice nouvelle.


Arnaud OUEDRAOGO

Magistrat spécialiste des droits de l’Homme Auteur du Manuel juridique de la vie quotidienne Membre fondateur du Centre pour l’Ethique Judiciaire

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