Accueil    Shopping    Sports    Business    News    Femmes    Pratique    Burkina Faso    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Art et Culture
Article



 Titrologie



L’Observateur Paalga N° 8484 du 23/10/2013

Abonnez vous aux journaux  -  Voir la Titrologie

  Sondage



 Autres articles


Comment

Art et Culture

Musique : Où est passé le kundé de nos enfances ?
Publié le jeudi 24 octobre 2013   |  L’Observateur Paalga




 Vos outils




Il a suffi de quelques notes de kundé pour nous rappeler un instrument de musique qui a bercé l’enfance de beaucoup de Burkinabè et qui a disparu. On l’appelait kundé parce qu’on n’avait pas un autre nom, même s’il n’a aucune ressemblance avec le vrai Kundé. Ce kundé de l’enfance appartient-il définitivement au monde du silence ?


Le visionnage du documentaire de Gideon Vink «Le Ruudga Parle» a agi sur nous et certainement sur nombre de spectateurs comme la madeleine de Proust. La musique du Ruudga nous a ramené au royaume de l’enfance et extirpé des combles de notre mémoire un instrument de musique que les enfants de notre génération fabriquaient et qui, aujourd’hui, a disparu.

C’était à une époque où les jouets manufacturés n’étaient pas courants. Les enfants fabriquaient eux-mêmes leurs jouets : vélos, voitures et instruments de musique. En ce temps-là, la Chine n’était encore qu’un tigre de papier, pas encore le dragon qui vomit sur l’Afrique des millions de babioles, de gadgets. Il n’y avait que deux supermarchés, l’Economat de l’Armée et la Sovolcom, qui disposaient d’un rayon de jouets. Naturellement, les prix étaient si prohibitifs que peu de parents pouvaient offrir à leurs enfants les trompettes rutilantes en nickel, les guitares et les synthétiseurs qui s’y trouvaient. Il fallait par conséquent combler l’absence de jouets par une grande imagination. Et parmi les jouets que les enfants confectionnaient, il y avait un instrument de musique qui était très prisé. Il ressemble à un arc musical mais avait une caisse de résonance.

Il se composait d’une branche fraîche et souple que l’on arquait avec un câble de frein tendu et attaché aux deux extrémités et on fichait une boîte de conserve à une extrémité. On jouait de ce kundé de fortune en tapant avec l’index le câble et on modulait le vibrato en pinçant le câble avec les doigts. Les plus doués s’asseyaient à même le sol, calait l’instrument entre leurs maigres genoux et lui arrachaient les notes, qui faisaient frémir. Ceux-ci trouvaient une variété de notes sur la corde et arrivaient même à les diéser en distendant la corde par une pression du genou. Certains spécialistes disent que l’arc musical qui est très proche de ce kundé a une structure musicale proche d’une échelle pentatonique.

Des joueurs fameux, il y en avait ! Comme cet épileptique que les crises, violentes et soudaines, laissaient inanimé, désarticulé au bord des routes. Il marchait de guingois, traînant la jambe, les bras collés au corps, les doigts tordus et figés. Il avait, penché de côté, le regard torve et un sourire niais. Atteint de la méningite dès le bas-âge, il avait eu la vie sauve mais la maladie lui avait ravi l’esprit et réduit sérieusement sa motricité. Il était adulte avec l’âge mental d’un enfant de huit ans. Les enfants, dont la cruauté peut être sans borne, le poursuivait comme une nuée de mouches sur un étron partout où il allait, et souvent lui jetaient des pierres. Affublé d’une jambe morte, il ne pouvait échapper à la lapidation. Mais il était d’une telle adresse que lorsqu’il s’emparait d’un projectile, il était sûr qu’il allait atteindre sa cible et qu’un des gosses allait avoir la caboche éclatée. Pourtant les jours où il déambulait, muni de son kundé, la paix était signée entre lui et les gosses. Ces petits diables, devenus subitement angelots, faisaient un cercle autour de lui et l’écoutaient jouer. Subitement, il était transfiguré, son corps lourd retrouvait une grande énergie, ses doigts couraient sur la corde, tapant, pinçant, libérant des sonorités qui enchantaient l’assemblée. L’instrument frémissait comme un cœur que l’on afflige. Tout en dodelinant de la tête, il chantait de sa voix traînante. Sous le charme, les gosses s’attendrissaient et, devenus généreux, lui donnaient les sous de leur collation. A la fin, il paraissait épuisé, les yeux mi-clos, son instrument serré contre lui.

Aujourd’hui, cet instrument semble à jamais éteint, ses sonorités si particulières ne ésonnent plus dans nos rues, les vuvuzela ont pris la place, hurlent et écorchent nos ouïes. S’il prenait l’envie à un musicologue ou à un amoureux de la culture de ramener à la mode ce kundé englouti par la mondialisation, qu’il sache qu’il pourra compter sur tous les anciens voltaïques, c’est-à-dire tous ceux qui sont au moins quadragénaires. Redonner vie à cet instrument, c’est ressusciter une tranche- la plus insouciante- de leur existence… Proust ne disait-il pas que lorsque d’un passé ancien rien ne subsiste, après la disparition des êtres et la destruction des choses, une odeur, une saveur peuvent porter l’immense édifice du souvenir ? Une note de musique aussi, pourrait-on ajouter.

Saïdou Alcény Barry

 Commentaires