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Sidwaya N° 7512 du 1/10/2013

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Burkina Faso : le juge et le journaliste
Publié le mercredi 2 octobre 2013   |  Sidwaya


Burkina
© Autre presse par DR
Burkina Faso : le juge et le journaliste


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Le présent article saisit l’occasion de la rentrée judiciaire pour camper le décor d’une réflexion mettant en lien ces deux figures irréductibles de l’Etat de droit que sont le juge et le journaliste.En entraînant le lecteur à travers des regards croisés, l’article explique comment le juge regarde le journaliste, et comment le journaliste regarde le juge, et s’ouvre sur l’ébauche d’une gouvernance des médias par-delà la sanction.

Juge et journaliste s’exercent une réflexivité réciproque empreinte, à parts égales, de fascination et de méfiance.
Ce mouvement d’attraction/répulsion se laisse discerner à travers deux figures : celle du « juge-journaliste » et celle du « journaliste-juge ».

La figure suspecte du « juge-journaliste »

Dans Le gardien des promesses, Antoine GARAPON s’inquiète des risques d’une trop grande médiatisation des juges :« La recherche directe de l’assentiment populaire par médias interposés par-dessus toute institution est une arme redoutable mise à la disposition des juges qui rend beaucoup plus présente la dérive populiste ».
Cette inquiétude,qui revêt les parures de l’obligation de réserve,impose au juge de « tourner la langue sept fois avant de parler ».
Deux arguments sont habituellement convoqués au secours de l’obligation de réserve du juge. D’abord, le principe de la « séparation des pouvoirs »interdit au juge de critiquer ouvertement l’action du gouvernement comme elle interdit aux membres du gouvernement de critiquer ouvertement une décision de justice.Il s’agit d’empêcher que l’édifice républicain ne se fissure de l’intérieur.
Ensuite, le respect des nombreux secrets que le juge recueille, et dont la divulgation pourrait heurter des droits individuels et l’efficacité des procédures. Nos « palais de justice » sont des lieux de silence ; ils abritent trop de secrets pour que leurs murs puissent avoir des oreilles.
Certes, il est aménagé un espace pour la liberté d’expression du juge, mais cette liberté reste cantonnée à l’espace judiciaire où elle est protégée par des immunités ; elle ne s’étend pas dans le champ public. Il s’ensuit que la Justice a été, de tout temps, l’Institution qui n’a jamais su communiquer. Le juge, que l’obligation de réserve enserre comme une camisole de force, est désarmé face à la quête d’informations de la part des médias et du public qui ne lui pardonnent pas son silence. Mais comment communiquer sur les hauts faits de la Justice sans être suspecté de verser dans l’orchestration de la bravoure judiciaire ?

Ce questionnement laisse un vide que le journaliste a tôt fait de combler, en fournissant au citoyen une vérité immédiate, dans un contexte marqué par la remise en cause de la « version officielle ».
La figure héroïque du « journaliste-juge »

Le règne du « journaliste-juge » a pour territoire de prédilection le journalisme d’investigation qui fait pénétrer le journaliste dans la peau du juge et du policier. Le journaliste mène sa propre enquête, infiltre dangereusement des réseaux criminels à l’aide d’appareils miniaturisés de captation du son et de l’image (« caméra cachée »), rejoint le délinquant dans sa cachette pour lui arracher une interview, voire devance le juge et le policier sur la scène de crime.
Fascinés par cette audace, il n’est pas rare que des justiciables optent pour la « lettre ouverte » dans la presse plutôt que de saisir le juge.

Juge et journaliste en rupture de bans

Au Burkina Faso, l’on situe habituellement la crise de confiance entre le juge et le journaliste à partir de l’Affaire Norbert Zongo. Mais cette crise de confiance semble bien plus lointaine puisqu’elle avait été la justification première de la mise en place de la « Commission d’enquête indépendante ». Cette affaire marquera toutefois un tournant, à la fois du fait de l’extrême barbarie du crime et du fait que l’on a prêté aux auteurs l’intention d’assécher à jamais l’encre de la plume du journaliste.
Pendant ces longues années d’attente d’une « Justice pour Norbert Zongo ! » – tel fut le principal slogan de la revendication populaire –,il n’a plus été possible d’asseoir une communication de confiance entre la Justice et les médias. Ce à quoi le non-lieu ne remédiera certainement pas, puisqu’il n’a abouti qu’à un glissement du slogan : « Non au non-lieu ! ».
Dans ce climat délétère, les voix qui s’élèvent pour appeler au respect de la présomption d’innocence, au nom du procès équitable, deviennent à peine audibles. Il n’y a plus d’espace pour la définition de valeurs communes au juge et au journaliste. Et, lorsque le « gardien » et le « chien de garde » entrent en belligérance, il est à craindre que la République ne voie ses portes s’ouvrir à tous les margoulins.

Le journaliste, ce nouveau seigneur !

Le pouvoir grandissant des journalistes au Burkina Faso ne tient pas seulement du fait qu’ils ont offert au Burkina Faso un Premier ministre. Ce pouvoir – ou plutôt ce « Quatrième pouvoir » – tient sa force surtout de ce qu’il n’est ni situé ni situable, à la fois partout et nulle part.
Comme pour recevoir des hosties, juges et gouvernants avancent à pas cadencés pour recevoir l’onction du journaliste qui attribue à chacun des bons points ou des mauvais points, en se réservant un droit à l’impertinence . Qui n’a pas été impressionné par « ce petit journaliste qui osa croiser les jambes face au Président » ?

Quelle gouvernance des médias par-delà la sanction ?

Si pendant des siècles, le recours à la répression avait occupé une place centrale dans la gouvernance des médias, aujourd’hui, la sanction semble de plus en plus disqualifiée. Disqualifiée d’abord parce que les journalistes réfutent la sanction, notamment celle de l’emprisonnement, prenant ainsi leur revanche sur des siècles de censure et d’oppression. Disqualifiée, en outre, parce que les centres de production de l’information se sont dématérialisés et délocalisés, soustraits du monopole des journalistes professionnels pour entrer dans les mains de ceux que l’on nomme les « nouveaux acteurs ».
Avec la « dépénalisation des délits de presse », c’est un pan entier du pouvoir du juge sur le journaliste qui s’effondre.Reste alors à imaginer une gouvernance des médias par-delà la sanction.Lorsque la Justice institutionnelle devient impuissante, il ne reste plus qu’à en appeler à la « Justice intérieure » : il faut faire entrer subrepticement la Loi dans le cœur du journaliste, professionnel ou amateur, tout en réhabilitant le public dans son rôle de juge suprême des médias.

Arnaud OUEDRAOGO

Magistrat spécialiste des droits de l’Homme

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