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Education de la jeune fille dans les Cascades: quand les menstrues perturbent le cycle scolaire

Publié le vendredi 20 janvier 2023  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
Des Séances de sensibilisation de groupe sont organisées pour comprendre le bien-fondé de protéger les filles
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Selon une étude réalisée par le ministère en charge de l’éducation nationale avec l’appui de l’UNICEF, des filles s’absentent en moyenne cinq jours par mois du fait de leurs menstrues. Dans la région des Cascades, cette situation met en danger leur scolarité, compromet leur bien-être et hypothèque leur avenir.

Ce n’est pas l’heure de la récréation, mais les toilettes grouillent de monde. L’envie est pressante. Là, pas de différence entre filles et garçons. C’est chacun à son tour pour satisfaire ses besoins et ensuite se laver les mains avant de rejoindre la classe. Nous sommes à l’école Flantama Nord A, au secteur 7 de la commune de Banfora dans la région des Cascades. Ce 6 décembre 2022, il est 9h00.

Ces mouvements observés dès notre entrée dans la cour n’entament en rien la sérénité qui règne au sein de l’établissement. Bientôt, il sera 10 heures. Période pendant laquelle les toilettes sont prises d’assaut par les tout-petits. Mais, un fait retient l’attention. Malgré cette ruée d’élèves vers les toilettes, une d’entre elles leur est interdite.

« Elle est strictement réservée aux filles qui sont dans leur période de menstrues et qui désirent se soulager ou se changer », nous indique Salamata Nikièma, l’une des enseignantes de la classe du Cours moyen deuxième année (CM2) et confidente des filles lors de cette période cruciale. Masikurat Bello et Latifatou Hema sont des élèves de cette enseignante. Agées respectivement de 13 et 11 ans, elles acceptent sans complexe se confier. « C’est au marché que j’ai aperçu mes premières règles.

J’étais paniquée, car ne comprenant pas ce qui m’arrivait. Je me suis confiée à ma mère qui m’a immédiatement conduite à la maison pour que je puisse me laver et porter une protection. C’est seulement en ce moment qu’elle m’a expliqué que c’est un phénomène naturel commun à toutes les femmes et que désormais, je devais faire attention aux garçons au risque de tomber enceinte », explique la jeune Bello.

Sans aucune information préalable sur ce changement brusque de physionomie, la jeune fille affirme avoir mal vécu cette expérience. Latifatou Hema, quant à elle, se souvient avoir constaté, un matin, du sang dans sa culotte. « Mais comme j’étais déjà informée sur la question pour avoir participé aux séances de sensibilisation en classe de CE2, j’ai vite compris ce qui m’arrivait », soutient-elle.

Des souvenirs douloureux
Contrairement à ces deux écolières, pour qui cela ne les empêche pas de poursuivre leurs études, A.S garde toujours en mémoire, ce mauvais passage à l’adolescence. Incapable d’évoquer encore cet horrible souvenir malgré le temps, c’est sa cheffe de classe de l’époque, aujourd’hui journaliste à Cascades TV et commissaire aux comptes de l’Association des jeunes filles des Cascades (AJFL-CAS), Salimata Cissé, qui nous relate sa mésaventure. C’était pendant un cours d’éducation physique et sportive, confie-t-elle.

Dans l’enchainement, un Appui tendu renversé (ATR) devait être exécuté. Quand elle exécuta le mouvement, poursuit-elle, la couche qu’elle portait est sortie de sa culotte et elle est retombée sur la serviette. Prise de honte, elle est restée assise sur le morceau de pagne pendant des heures à pleurer. « Nous avons essayé en vain de la relever. Ne pouvant plus poursuivre le cours, le professeur renvoya les élèves en classe. C’est finalement une dame qui était de passage qui l’a convaincue de rentrer chez elle.

Depuis ce jour, elle n’a plus mis pied à l’école car les élèves l’avaient surnommée, la couche », se souvient-elle. A.S quitte alors prématurément les bancs. Vendeuse au marché de Banfora, la scolarité de P.K, âgée d’alors de 11 ans, a également connu une fin brusque à la suite des problèmes de menstrues. Toujours absente pour des raisons de santé, la jeune fille de la classe de CE2 fut renvoyée à la fin de l’année pour insuffisance de moyenne. « J’étais parmi les dix premiers depuis que j’ai fait mes premiers pas à l’école. Malheureusement, quand j’ai commencé à voir mes menstrues, je m’absentais au moins sept (7) jours parce que j’avais des douleurs au bas-ventre et des fortes migraines.

En plus, l’idée que mes camarades sachent que je vois déjà mes règles à 11 ans, ne me motivait pas à aller en classe », confie-t-elle. Tirant également leçon de sa propre expérience, Salimata Cissé soutient qu’à leur époque, la période des menstrues était très cruciale pour de nombreuses filles qui manquaient les cours ou les jours d’école. « J’étais dans cette situation. Lorsque mes règles survenaient, les douleurs étaient si intenses que j’étais obligée de me coucher sur la table. Et quand le maître me voyait dans cette posture, il me disait toujours de rentrer à la maison », se souvient-elle.

Un appui considérable
Selon l’ONG WaterAid, environ 83% des filles lorsqu’elles ont leurs règles participent moins aux cours et 21% sont absentes de l’école pendant la période de leurs règles. En ce qui concerne les cas d’abandons, le département en charge de l’éducation ne dispose pas de données chiffrées. Mais, le directeur de l’école Flantama Nord A, Koadio Ouattara, affirme qu’ils sont fréquents dans la région notamment, dans les zones reculées.

« Cette année, il y a une élève qui a brusquement abandonné l’école. Dans ces cas de figure, nous faisons appel aux parents pour comprendre le problème. Très souvent, ils refusent de venir ou quand ils répondent à l’appel, les motifs sont infondés. Mais nous savons pourquoi elles ne viennent plus », explique M. Ouattara. Mais pour avoir travaillé avec la population dans la zone, le point focal de la Gestion hygiénique des menstrues (GHM) dans les Cascades, Mariam Bonkoungou, a son idée sur la cause de ces abandons. « Dans cette localité du pays, il y a des villages où la sexualité est encore tabou.

Ainsi, les filles atteignent la maturité sexuelle sans se connaitre. Pour d’autres, lorsque la fille voit ses premières règles, il y a des rites d’initiation qui sont faits. Ce qui empêche cette dernière de venir à l’école. Dans certaines communautés, lorsque qu’elle voit ses menstrues, cela signifie qu’elle est devenue une femme. Dès lors, on peut la donner en mariage, d’où les mariages précoces, forcés, arrangés qui impactent négativement la scolarité de ces filles », détaille Mme Bonkoungou.

Appuyant les propos du point focal, Salimata Cissé, fait savoir que ce phénomène d’abandon est également en partie lié aux crises qui surviennent pendant cette période et la peur de se salir en classe. « A notre époque, de nombreuses filles ont abandonné l’école parce que leurs parents n’avaient pas les moyens de leur payer des serviettes hygiéniques, mais aussi, en raison du manque d’informations sur la GHM», se rappelle-t-elle. De nos jours, plusieurs actions sont entreprises par les différents acteurs de l’éducation pour permettre aux filles de s’épanouir à l’école même pendant la période de menstrues.

Une trentaine d’écoles sensibilisées

Ainsi, outre la sensibilisation avec les Associations des parents d’élèves (APE), celle des mères éducatrices (AME) et le Comité de gestion des écoles (COGES), le point focal, Mme Bonkoungou, atteste que les élèves sont aussi sensibilisés à l’importance de l’école pour la fille et sa réussite, les conséquences des rapports sexuels précoces et les grossesses précoces en milieu scolaire.

« Quand nous avons commencé la sensibilisation à la gestion des menstrues, certains parents ont trouvé qu’associer les filles et même les garçons à la causerie n’est pas bienséant. Mais au fil du temps, lorsque les ONG ont impliqué les parents d’élèves dans la formation et même les hommes dans la confection des serviettes réutilisables, le voile s’est levé », souligne- t-elle.

Ainsi, chaque année, au moins une trentaine d’établissements de la région sont concernés par ces activités de sensibilisation organisées par la direction régionale de la promotion de l’éducation inclusive, de l’éducation des filles et du genre. Dans ce combat, la direction en charge de l’éducation de la fille est appuyée par plusieurs structures dont la direction régionale en charge de l’éducation nationale, les ONG et bien d’autres associations dans les Cascades. Selon la commissaire aux comptes de l’AJFL-CAS, Salimata Cissé, l’ignorance dans laquelle elles étaient ne doit plus être à l’ordre du jour.

C’est pourquoi, à travers leurs activités (rencontres, théâtres-fora et bien d’autres activités), la structure sensibilise les filles et surtout les parents à la nécessité d’accompagner leurs enfants pendant cette période de transition. A l’école Flantama Nord A, la gestion des menstrues n’est pas uniquement l’apanage des filles. Les causeries prennent en compte, l’ensemble des classes (filles et garçons) dans le but de préparer également les garçons à leur rôle de futur père.

« Quand on parle d’éducation, pour nous, l’école est un tout et on voit mal, une fille qui abandonne l’école pour cause de menstrues. D’où, les actions que nous menons avec tous les élèves pour lever le tabou », dixit Mme Nikièma. L’UNICEF, Catholic Relief Services (CRS) et WaterAid ne sont pas restés en marge, leurs appuis en latrines et en kits d’urgence ont été d’une grande aide dans l’accompagnement des filles dans les écoles.

Pour le manager communication de WaterAid, Roch Ouédraogo, la période 2019-2023 a été marquée par la prise en compte de 50 établissements scolaires dans le projet « Promotion de la santé menstruelle et de la reproduction dans les établissements scolaires des Cascades ».

Des interventions axées sur deux volets à savoir, le plaidoyer et la communication, mais surtout, la réalisation des infrastructures, notamment la construction et la réhabilitation de latrines avec une cabine gestion hygiénique des menstrues pour permettre aux filles de se prendre en charge dans des conditions hygiéniques.

Se confier sans gêne

L’Association des mères éducatrices (AME) travaille également dans ce sens. D’après sa secrétaire générale adjointe, Man Héma, l’association s’est impliquée durant des années dans la sensibilisation des parents pour un suivi rigoureux des enfants à l’école en vue de leur maintien et réussite, le partage des tâches domestiques entre filles et garçons (le genre) et le suivi de la fréquentation des enfants à l’école.

« Nous avons surtout focalisé notre sensibilisation sur les filles afin qu’elles soient informées des risques de grossesses indésirées et la sexualité précoce », relève Mme Héma. Ces contributions tous azimuts sont appréciées par l’ensemble des bénéficiaires. Certaines filles affirment que grâce à la sensibilisation, elles peuvent dorénavant se confier sans gêne à leurs voisins lorsqu’elles sont dans cette situation difficile. En cas d’absence, leurs camarades les aident avec les cours et la mise en place des dispositifs leur permet d’être propres à tout moment.

« L’association Ramsia pour le développement nous a appris depuis cinq ans, à confectionner manuellement les serviettes réutilisables pour notre propre utilisation. Aujourd’hui, nous avons formé un groupe composé de sept filles et un garçon pour accompagner à notre tour, les autres filles », soutient Mariam Baudo en classe de 2de. Du côté du corps enseignant, c’est un soulagement.

Car, « on voit maintenant que les parents ont pris à bras-le-corps l’éducation des filles », se réjouit le directeur de l’école Flantama A. « Ce sont les parents qui nous demandent de repasser pour sensibiliser ceux qui n’ont pas encore compris l’importance de l’éducation de la fille », appuie Mme Bonkoungou. Cependant, même si le bout du tunnel semble être à portée de main, beaucoup reste à faire dans l’accompagnement des filles dans la gestion hygiénique des menstrues en milieu scolaire.

Donald Wendpouiré NIKIEMA
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