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Le président du Faso face à la classe politique et aux OSC : « Nous serons entièrement responsables de ce qui va suivre »

Publié le mardi 15 novembre 2022  |  Sidwaya
Discours
© Autre presse par DR
Discours de prestation de serment du Président de la Transition, Chef de l’État, le Capitaine Ibrahim TRAORÉ
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En rencontrant les responsables de partis politiques et d’Organisations de la société civile (OSC), le vendredi 11 novembre 2022, à Ouagadougou, le président de la Transition, le capitaine Ibrahim Traoré, a dépeint sans ambages la situation dans laquelle se trouve le Burkina Faso à l’épreuve du terrorisme. Pour le président de la Transition, l’état dans lequel se trouve le pays des Hommes intègres est imputable à la mauvaise gouvernance, à l’incurie de la classe politique, des OSC, de la Grande muette et de la société dans son ensemble. Le pays est sur le point de se désarticuler si l’on n’y prend garde, a prévenu le chef de l’Etat. Les Burkinabè des grandes villes ont le devoir de sortir de leur zone de confort pour être solidaires des populations qui subissent le diktat des groupes armés terroristes. Il faut impérativement se faire une raison pour appréhender avec lucidité le malheur qui étreint la Nation. Les petits calculs doivent cesser pour faire place à l’expression d’une solidarité agissante dans cette parenthèse cauchemardesque. Pour Ibrahim Traoré, il faut se hâter de faire le sursaut salvateur pour que le Burkina retrouve sa quiétude et reparte d’un bon pied. Lisez plutôt.

«Je tenais à ce qu’on se parle de façon franche. Que vous comprenez ce qui se passe là où nous sommes et vers où on pourrait aller. Et j’insiste, où on pourrait aller parce que c’est une condition, cela dépendra de vous. Vous êtes les acteurs de la société burkinabè et je pense que l’avenir de ce pays est aussi entre vos mains. Chacun à son niveau doit donc pouvoir faire un mea culpa et se demander qu’est-ce que j’apporte à cette patrie ? C’est peut-être aussi parce qu’il n’y a pas eu de langage de vérité que les gens ne comprennent pas ce qui se passe. Je parie que beaucoup de gens ignorent sérieusement la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous sommes à Ouagadougou et très souvent à Bobo-Dioulasso. En tout cas dans les grandes villes, la vie est tout autre, mais hors de ces villes, vous n’imaginez même pas ce qui se passe. Est-ce que tout le monde est conscient que le territoire est presque perdu ? En tant que militaire, nous reconnaissons notre responsabilité, mais qu’est-ce qui a amené l’armée à être ainsi ? C’est aussi cela la question qu’il faut se poser. Parce qu’elle a été politisée, elle a quitté même son fondement. Il faut avoir le courage de se le dire, l’armée a été infiltrée. Et chacun agit en fonction de certains bords politiques. Nous observons depuis très longtemps. Nous combattons et nous observons. Mais à un moment donné, on a eu espoir que cela allait cesser, notamment avec les évènements du 24 (NDLR : Coup d’Etat du 24 janvier 2022), mais cela n’a pas cessé.

Ces évènements du 30 (NDLR : Coup d’Etat du 30 septembre 2022) sont arrivés. Je vais vous dire ce soir où est-ce que nous en sommes et où est- ce que nous partons et chacun sera libre à partir de cet instant de son action future. Soit pour la patrie ou soit contre la patrie. De toute façon, nous sommes tous dans ce pays et vous comprendrez avec la présentation qui vient que personne ne va pouvoir le quitter. Déjà entre Bobo et Ouaga, cela devient difficile. C’est peut-être quand la route sera coupée que certaines personnes prendront conscience. Parce que ce n’est pas permis à tout le monde de prendre l’avion entre ces deux villes. Si c’est ce pays que nous voulons, alors allons-y ! Souvent, je me demande si on se pose la question de savoir d’où vient le terrorisme ? Pourquoi le terrorisme ? Tout n’est pas terrorisme. Nous avons contribué ! Quand je dis, nous, c’est la société qui a contribué à ce que cette situation arrive. J’ai marché à travers une partie du Sahel. Je n’ai pas roulé mais marché, donc j’ai pris le soin de savoir ce que c’est que le Sahel et je ne suis pas sûr qu’ici vous l’avez fait. J’ai marché de Gorom-Gorom en passant par Oursy pour aller à Déou, Tin Akkof, Tin Hasan, revenir sur Markoye.

Cette partie, nous l’avons faite et nous avons vu comment les gens vivent là-bas. Nous l’avons fait il y a environ 10 ans de cela et c’était prévisible que cette situation allait arriver. Cela veut dire que c’est nous qui avons créé cette situation. La gouvernance ! Il faut qu’on se dise cette vérité ! On a tout fait pour abandonner certains peuples. A cause de nos intérêts égoïstes. Nous ne pensons qu’à nous. Des gens meurent ailleurs, mais à Ouagadougou, on fait la fête. On n’a aucune pitié pour l’autre. J’ai marché à travers ces zones, je les ai vus tenir des bidons et marcher des kilomètres pour aller chercher de l’eau. Je les ai vus en train de marcher des kilomètres pour trouver de l’eau pour le bétail qui, parfois, meurt en route. Il n’y a pas de route là-bas. Il n’y a pas de route. Comment un camion pourrait y arriver ne serait-ce qu’avec un peu de tourteaux pour que leurs animaux puissent manger ? Il n’y a rien là-bas. Qu’avons-nous construit là-bas, qu’avons-nous fait là-bas, qu’avons-nous envoyé là-bas ? Quel projet de développement avons-nous envoyé là-bas ? Est-ce qu’on s’occupe même de leurs vies ?

Rien que la simple eau. Qu’avons-nous fait de sérieux dans ces zones ? C’est la question qu’il faut se poser. Le territoire de cette partie est hors de contrôle. C’est nous qui en sommes responsables. Il faut que chacun accepte cela. Nous avons toujours le slogan que c’est un pays pauvre. Mais vous êtes bien conscients que le pays n’est pas pauvre. C’est parce qu’on est sérieusement méchants entre nous. Les jeunes n’ont rien à faire, pourtant nous avons des terres cultivables. On a de l’eau, mais comment on peut ne pas vouloir faire quelque chose pour eux ? J’ai vécu à Djibo avant le début de la crise, j’ai échangé avec les jeunes de la localité. Les camions n’empruntent plus la seule route Kongoussi-Djibo. Les ponts datent des années 50, les camions tombaient et les camionneurs ont décidé de ne plus prendre la voie. En allant à Nassoumbou, les gens produisent beaucoup de choses, mais tout pourrit parce qu’ils n’arrivent pas à vendre. De Djibo jusqu’à Pétécoli, les éleveurs sont là avec leur bétail qu’ils n’arrivent pas à vendre. Que voulez-vous que les jeunes fassent ? J’ai écrit un rapport en son temps pour qu’on puisse réparer cette route. Mais la guerre n’était pas encore là. Personne ne viendra me dire le contraire. On n’a rien fait. Qui en est responsable ? Il faut que chacun fasse son introspection et se rende compte que nous sommes coupables de cette situation. J’ai fait l’Est. Aujourd’hui, on parle de Mansila, de Tankoalou et autres. Je vous le répète, qui est responsable ? Un fleuve, la Sirba, empêche quelqu’un de quitter Mansila pour rejoindre l’autre rive. Pendant de nombreuses années, nous n’avons jamais pu construire un seul pont pour permettre aux gens de Mansila de communiquer avec le reste du Burkina.

Prenez la carte, vous verrez que cette zone est encerclée par un fleuve, la Sirba. Qu’avons-nous fait ? Du côté de Tankoalou, j’ai écrit encore un rapport que j’ai remis au haut-commissaire afin que l’on puisse construire un pont entre cette localité et le reste du pays. Qu’avons-nous fait ? Posons-nous les questions ? Nous sommes tous responsables du malheur qui nous arrive. Si nous ne changeons pas de manière d’être, ne croyez pas que nous allons être dans ces salles climatisées à nous regarder. Non ! Non ! Certains ne peuvent pas être en train de souffrir pendant que d’autres sont dans un luxe insultant. On a été prévenu, on n’a jamais voulu écouter. Toute cette bamboula que nous faisons dans les villes, tout peut cesser du jour au lendemain si on n’arrête pas ce que nous sommes en train de faire. Je sais que personne ne vous a jamais parlé ainsi, mais il faut que je vous le dise franchement. Et chacun pourra choisir ce que nous voulons faire du Burkina. Je ne suis pas politicien, je n’ai pas la langue de bois. Je suis un militaire et je préfère vous dire la vérité. Chacun est libre de prendre ou de laisser. Tout le monde roule dans sa voiture, on vit bien, on mange matin, midi et soir.

On fait ce qu’on veut, on est libre de dire ce qu’on veut. C’est la démocratie, c’est le droit, c’est tout ce que nous connaissons à Ouagadougou. Mais allez voir des enfants qui ont la peau sur les os, des vieillards qui meurent de faim. Allez voir ces femmes qui ne peuvent plus allaiter parce qu’elles n’ont plus de lait dans les seins. Allez les voir, ne faisons pas semblant. Si nos journalistes n’ont pas le courage d’aller sur le terrain et vous ramener ce genre d’images parce qu’on veut laver l’image du Burkina, je vous dis que c’est faux. Ces images existent. Quand je vous dis que des gens mangent des feuilles, si quelqu’un le conteste, je l’amène demain pour voir. Cela continue. Nous avons pu ravitailler certains villages, mais d’autres pas encore. Qu’un civil ne daigne soutenir avec des camions pour qu’on puisse être solidaires vis-à-vis de ces populations, c’est quelle intégrité ? C’est quoi l’intégrité ? C’est quoi le Burkina Faso ? C’est cela qui nous a révoltés et nous sommes toujours révoltés. Tant qu’on ne va pas soigner les maux de ce pays, on sera toujours révoltés. Pour l’instant, dans l’armée, on a pu avoir quelques camions et transporter les vivres avec nos propres moyens. Même si on a loué d’autres camions pour compléter. Même dans cette location, j’ai vu qu’il n’y a aucune pitié. Des citoyens savaient que c’est pour aller là-bas et ils sont restés sur leurs tarifs. C’est pour dire que la solidarité a disparu du Burkina. Ayez pitié des gens, ayez pitié de la jeunesse, ayez pitié des enfants. Qu’ont-ils fait, ces villageois ?

Quand le soleil se couche, ils se retrouvent dans les grottes et le matin, ils se pointent pour voir si tout va bien avant de se déplacer. Ils dorment dans la brousse. On ne vous dit pas ces vérités, or c’est la réalité du Burkina. On ne voit que nos villes, nous sommes responsables de ce qui nous arrive. Et nous serons entièrement responsables de ce qui va suivre. Soit ce sera bon, soit ce sera mauvais. Cela dépendra de nos comportements dans le futur. Chacun doit donner le meilleur de soi-même. Je pense qu’on peut arriver, je suis optimiste, j’ai foi. Et Inch Allah, on va y arriver. »
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