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Sidwaya N° 7234 du 16/8/2012

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Situation au nord-Mali « Ce n’est pas de l’islam »
Publié le vendredi 17 aout 2012   |  Sidwaya


Tiego
© Autre presse par DR
Tiego Tiemtoré, Imam à Ouagadougou


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Tiego Tiemtoré est imam de deux mosquées à Ouagadougou : la mosquée de l’Association des élèves et étudiants musulmans au Burkina Faso (AEEMB) et celle du Centre d’études, de recherche et de formation islamique (CERFI). Cet intellectuel musulman est aussi journaliste/communicateur. Très alerte sur les questions de l’islam, rien ne l’échappe en matière de religion monothéiste. Avec un franc-parler, l’imam Tiemtoré se prononce dans l’entretien qu’il nous a accordé sur la charia, le djihad, la destruction des mausolées au Nord-Mali, les musulmans pied-nu de Bobo-Dioulasso, la tolérance… Mais avant, il commence à situer l’importance du Ramadan.

Sidwaya (S.) : Pourquoi le jeûne musulman ?

Tiego Tiemtoré (T.T.) : L’islam est une religion, mais aussi un code de vie. Allah dans sa sagesse a édicté des piliers. Le jeûne du mois de Ramadan est l’un des 5 piliers obligatoires de la foi musulmane. Il a été prescrit avec comme finalité d’éduquer les croyants. Le verset qui institue le jeûne dit : « vous allez atteindre la piété si vous respectez les conditionnalités ». Pourquoi le jeûne permet d’être pieux ? Parce qu’en faisant le carême, vous allez éduquer vos sens et s’efforcer à faire du bien. Le regard, le toucher, la pensée, le cœur essaient de s’engager dans la dynamique du bien. Et le bien est une valeur communément partagée par tout le monde.

On souhaite rencontrer des gens courtois, généreux, au langage doux, posés et le jeûne a cette faculté d’éduquer les sens du croyant. Dieu décrète un mois au cours duquel l’on retourne vers lui parce que pendant les 11 autres mois, on s’est peut-être sacrifié pour d’autres choses. On a couru après le monde, les recherches matérielles et oublié peut-être d’éduquer notre âme, notre cœur. Alors que le fondement de l’organisme c’est le cœur. Plus le cœur est éduqué, il reçoit la lumière divine, reflète et transfère des valeurs à ceux qui sont autour de nous.

On ne mange pas. On ne boit pas. On n’a pas de rapports intimes. C’est le corps qui souffre parce que la privation est corporelle. Mais en réalité c’est de permettre au cœur de recevoir la lumière divine afin d’être mieux éclairé pour éclairer le reste de l’humanité. La vraie philosophie du jeûne est de nous apprendre à nous passer de tout sauf d’Allah, à discipliner nos rapports avec les êtres et les choses. En d’autres termes, jeûner c’est cesser d’alimenter la partie corporelle et continuer à alimenter le cœur et l’esprit.

S. : Donnez-nous des exemples pour mieux situer la place de ce mois dans l’année ?

T.T. : Le mois de Ramadan est un mois de générosité. Le Prophète, paix et salut soit sur lui (PSL), a recommandé cela. Ce mois est une école de la générosité. Vous aurez des gens qui vont donner à manger à ceux qui font le carême. Des gens envoient d’autres au petit pèlerinage c’est-à-dire la Oumra. Donc, on essaie d’être généreux. C’est également un mois d’adoration, de rapprochement de Dieu. Vous verrez que contrairement aux autres mois, les mosquées sont remplies. Il y a une ferveur dans l’adoration. Il y a un supplément de spiritualité chez tout un chacun. Chacun essaie de se rattraper, de se réconcilier avec Dieu. C’est le mois au cours duquel Satan n’a pas trop d’emprise sur le croyant.

Donc on essaie de beaucoup prier, de lire beaucoup le Coran. On fait beaucoup de dons. On rend visite aux parents. Voilà pourquoi c’est un mois d’efforts. On déploie d’ effort pour plaire à Dieu. Le but du croyant, ce n’est pas d’atteindre un résultat donné, mais c’est de mettre en œuvre ces efforts vers la satisfaction de Dieu. C’est l’une des meilleures et des plus belles écoles de la vie : école de la foi, de la spiritualité, du don, de la solidarité, de la justice.

S. : Comment un musulman dans un pays laïc doit-il se comporter pendant la période du jeûne par rapport à son travail ?

T .T. : L’islam est une religion qui accorde une grande place au travail. Il l’élève même au rang de l’adoration. Le Prophète (PSL) nous dit que quand le musulman revient le soir chez lui fatigué, parce qu’il est venu du travail, ses péchés tombent comme les feuilles sèches d’un arbre. Cela veut dire que l’espace professionnel est un espace d’adoration. Le médecin musulman qui consulte un malade est en état d’adoration. Le menuisier musulman qui rabote du bois pour que le genre humain puisse avoir des tables ou des chaises est en état d’adoration.

L’enseignant de mathématiques qui dispense des savoirs aux jeunes esprits pour qu’ils puissent s’éduquer et être matures est en état d’adoration. Donc, le travail est une prière. Il n’y a pas de raison de bâcler le travail sous prétexte que l’on a jeûné. Certains savants ne sont pas d’accord que l’on prenne des congés pendant le Ramadan. Ils disent que si dans la communauté musulmane tout le monde partait en congé durant ce mois, qui va travailler alors pour le pays ? Cela mettrait le pays en retard. En réalité, on doit mieux travailler dans le mois de Ramadan, car c’est un mois où l’on doit donner le meilleur de soi-même. Le travail est un viatique pour nous émanciper et permettre à notre pays d’avancer.

En travaillant, on assume sa part de responsabilité dans la cité, on construit un avenir aux générations à venir et on a un revenu qui nous permet de nous prendre en charge et éviter d’être à la charge des autres. Le musulman donc lui donne une dimension éthique et spirituelle. Il ne s’agit pas seulement de travailler, mais de bien travailler. Le Coran parle de la bonne action à accomplir, ‘’el aamal soalih’’, répété plus de 300 fois dans le livre sacré.

S. : Quelle signification donnez-vous aux dix derniers jours du mois du jeûne ?

T.T. : Dans les dix derniers jours du mois du jeûne, il y a une nuit spéciale appelée « la nuit du destin ». Le Coran dit que cette nuit vaut mille mois. Seul Dieu connaît la réelle valeur. Mille mois cela fait plus de 83 années d’adoration. Si cette nuit vous trouve en état d’adoration, Dieu vous donne la récompense de quelqu’un qui l’aurait convenablement adoré pendant 83 années et plus. Donc, si en une nuit on peut avoir cette récompense divine, cette nuit est à chercher. C’est pourquoi dans toutes les mosquées, ces dix derniers jours, vous verrez que de 24 heures jusqu’à l’aube, les mosquées se remplissent. Il n’y a plus de places. Vieux comme jeunes, chacun essaie d’avoir cette nuit.

S. : Quelle est la valeur de la Oumra ? Peut-elle remplacer le hadj ?

T.T. : La Oumra c’est le petit pèlerinage. Elle ne remplace pas le pèlerinage qui, lui, est obligatoire. Dans l’ordre de l’adoration chez Dieu, il y a les actes obligatoires et les actes surérogatoires. Concernant les premiers, ils concernent les 5 piliers. Dieu a fait que derrière chaque pilier obligatoire, il y ait un acte surérogatoire pour l’accompagner. Quand vous prenez les 5 prières quotidiennes, à côté il y a une multitude de prières. Vous prenez le jeûne, c’est le Ramadan qui est obligatoire. Mais à côté, vous avez les jeûnes des lundis, des jeudis, du jour d’Arafat, des mois de Rajab, de Shabane, etc. Donc, beaucoup de jours pour se rapprocher d’Allah. Vous prenez la Zakat, elle est obligatoire, à côté vous avez la Sadakat.

C’est donner par exemple 100 F CFA à un mendiant ; donner une chemise à quelqu’un qui n’en a pas ; payer les ordonnances de quelqu’un. Ce n’est pas obligatoire mais c’est un acte qui est recommandé. Le pèlerinage est obligatoire une seule fois dans la vie pour le croyant et s’il repart plusieurs fois, cela lui est comptabilisé comme des actes surérogatoires. Donc, la Oumra qui est un petit pèlerinage a lieu toute l’année, mais comme le mois de Ramadan est un mois particulier de recherche de bénédictions, beaucoup de gens partent à l’Oumra lors du mois de Ramadan, particulièrement lors des dix dernières nuits à La Mecque pour mieux se rapprocher d’Allah.

S. : Il semble que des musulmans burkinabè profitent de la Oumra pour aller mendier à La Mecque. Le confirmez-vous ?

T .T . : Les gens font de l’amalgame, parce que vous dépensez beaucoup pour aller à l’Oumra. C’est un voyage individuel et on dépense plus que le hadj lui-même. Vous n’allez pas dépenser des millions de F CFA pour aller mendier ! Ceux qui partent sont d’un certain niveau social contrairement au hadj où les gens bénéficient de billets de divers structures et organismes. Généralement pour la Oumra, ce sont des gens qui sont en possession de leurs capacités financières et qui partent passer les dix derniers jours à La Mecque. Pour les musulmans qui sont dans les associations et qui partent à la Oumra pour rencontrer des associations ou des ONG arabes ou saoudiennes, il n’y a pas de problèmes. S’ils peuvent aller négocier, si le voyage leur permet d’avoir des opportunités et des partenariats, il n’y a aucun problème. Mais les gens ne partent pas à la Oumra pour mendier.

S. : On constate souvent des polémiques sur le début et la fin du jeûne. Pourquoi dans une même ville, il arrive parfois que des musulmans ne prient pas ou ne jeûnent pas le même jour ?

T.T. : Chaque année, la question est d’actualité. En réalité, il n’y a pas de problème. Le calendrier musulman est un calendrier lunaire. Ce n’est pas parce qu’on ne croit pas au calendrier grégorien. C’est un choix. D’ailleurs, le Coran nous dit dans le chapitre 10, c’est Dieu qui a fait du soleil une clarté et de la lune, une lumière pour que vous puissiez les utiliser pour déterminer vos temps. Dieu nous dit que la lune et le soleil sont utilisés par les êtres humains pour compter les jours, les mois et les années. Donc, ce sont aussi des moyens de calcul du temps. C’est l’apparition du croissant lunaire qui indique le début ou la fin du mois du Ramadan ou de tout autre mois. Le mois a 29 ou 30 jours pas plus. Si la veille du Ramadan nous sommes au 29e jour, si la lune n’est pas perçue, on complète à 30. Si la lune est perçue, on ne va pas à 30. Il y a deux opinions de savants musulmans qui s’affrontent. Il y a une opinion qui dit que quand la lune est perçue dans un pays donné, cela est valable pour tout le globe terrestre parce qu’il n’y a pas deux lunes.

Il y a une autre qui estime que la lune perçue n’est valable que par rapport au pays qui l’a perçue et tous ceux qui sont sur la même longitude. Car, elle peut être perçue par exemple au Niger et ne pas être perçue en Mauritanie ou au Sénégal du fait qu’elle est cachée par les nuages, etc. Je trouve qu’il n’y a pas de problème de toutes les façons elle va apparaître. Si elle n’est pas 29 jours, elle est 30 jours. Je reconnais que ça crée des désagréments mais ce n’est pas un grand problème. Ça n’influence pas la validité du jeûne.

S. : Pourquoi ne pas se servir de la science pour préciser le début et la fin du jeûne ?

T.T. : Il y a beaucoup de recherches qui sont en cours. Au niveau de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), il y a des débats qui sont en cours pour adopter une démarche scientifique. Des chercheurs tunisiens ont même déjà entreposé des outils et c’est toujours en discussion. Vous voyez aujourd’hui même qu’avec les calendriers, il y a souvent une inexactitude. Quand ça rate, c’est seulement un ou deux jours. Cela veut dire qu’on commence à aller vers une certitude basée sur l’observance de la lune. Quand le Prophète nous dit de voir la lune avant de jeûner, la vision implique l’observation. Mais ça peut être une observation à l’œil nu ou comme ça peut être une observation à l’aide des moyens techniques que Dieu nous a donnés. On peut combiner les deux de sorte à ne pas se tromper. On va arriver un jour à cela où on nous prévoit de manière scientifique le début du jeûne avec des probabilités d’erreurs minimes. C’est comme la météo, il y a toujours des probabilités mais on doit être dans une marge d’erreurs très infimes.

S. : Quelle attitude adopter le jour de la fête ?

T.T. : C’est un jour de réjouissance, de souvenir et de joie. Il faut partager avec la famille, les voisins et avec les pauvres pour les permettre de fêter. Il faut se rendre visite. Le jour de la fête, l’on part au lieu de la prière qui est un espace vide ou quand il y a la pluie on revient dans une mosquée où l’imam va faire deux Rakats de prière et dire un sermon dans lequel il appelle les gens à la crainte de Dieu. Il donne des directives et des conseils pour que les gens essayent d’être fidèles au message divin et c’est tout cela qui fait la prière. Vous remarquez que les gens souvent après la prière de l’imam, se lèvent. La prière, c’est les deux Rakats plus le sermon de l’imam. Ce sont les deux qui constituent la prière de la fête et l’on revient par un chemin contraire parce qu’on dit que les anges sont postés à toutes les ruelles pour voir les gens qui partent à la prière. Donc, c’est bon de partir et revenir par des chemins différents. C’est un jour de réjouissances mais dans le respect des règles divines.

S. : On parle de la Zakat-el-fitr à cette période. Qu’ est- ce que c’est ?

T.T. : Il y a deux types de Zakat. La Zakat légale n’est pas donnée à tout le monde de le faire. Cette prescription s’adresse à ceux qui ont les moyens. Quant à la Zakat-el-fitr, elle est spécialement dédiée au Ramadan. A la fin du mois de Ramadan, on estime que chaque croyant qui a, des personnes à sa charge, comme le chef de famille, doit enlever 2 ou 3 kg de l’aliment le plus consommé et répandu dans la localité pour donner à des nécessiteux. Cela doit se faire entre un ou deux jours avant la fête, jusqu’au matin avant la prière. C’est bien précisé des pauvres pour qu’ils ne mendient pas le jour de la fête. La Zakat-el-fitr purifie le croyant des petites erreurs survenues dans le jeûne. Malgré nos précautions, on a dû peut-être mal regarder ou mal parler à quelqu’un. Donc la Zakat-el-fitr a ce double objectif de corriger les erreurs du Ramadan pour que ce soit propre ; ensuite de permettre à une certaine catégorie de la population de ressentir la joie en recevant du riz, du maïs ou de l’argent pour pouvoir fêter.

S. : Pourquoi ne pas rassembler la Zakat des riches afin de faire des œuvres collectives au profit des nécessiteux comme la « Zakat house » au Qatar ou au Koweït dont les pays africains reçoivent une part ?

T.T. : La Zakat est un des piliers de l’islam. Les pays islamiques avancés ont créé un trésor public où toutes les contributions de ceux qui doivent enlever la Zakat sont reversées. On établit une clé de répartition annuelle. En Afrique, il faut tendre aussi vers cela. Des pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal sont plus en avance que le nôtre en termes d’organisation de la Zakat. Au Burkina Faso, il y a beaucoup de tâtonnements. Mais avec la fédération, les initiatives sont en cours pour avoir une caisse unitaire où tous les musulmans burkinabè déposent leur Zakat ensuite, on voit comment les réaffecter selon les priorités du moment aux bénéficiaires cités dans le chapitre 9 du Coran . Cela peut consister à permettre à des jeunes désœuvrés de reprendre le chemin de l’école ; faire des forages dans des villages reculés. Vous verrez que quand c’est bien organisé, la Zakat participe à la lutte contre la pauvreté. On va secourir l’Etat dans les domaines où il ne peut pas tout faire.

Dans les pays arabes, elle participe à l’éducation, à la santé, à la prise en charge des couches défavorisées. Pour ce qui est du Burkina Faso, elle est individualisée. Par exemple, un fortuné qui aligne 10 personnes devant sa cour, il donne à chacun peut-être la somme de 25 000 F CFA et un sac de riz. Il a enlevé la Zakat sur le plan de la charia. Mais au niveau de l’impact, c’est négatif parce que ce sac de riz et l’argent seront vite consommés et le nécessiteux se présentera de nouveau devant sa porte le mois suivant. Alors que regroupé dans un cadre légal communautaire, on peut trouver un emploi à ce monsieur. C’est le rôle de la Zakat de faire en sorte que celui qui la reçoit cette année, au bout de deux années plus tard, il ne reçoit plus la Zakat mais qu’il donne la Zakat.

Au Sénégal par exemple, un homme riche a sélectionné 10 jeunes dans la soudure mécanique et leur a attribué 5 millions de FCFA chacun pour aller ouvrir un atelier après un moment d’apprentissage. Donc, d’apprenti, il devient patron et il embauche des jeunes apprentis. Il crée de l’emploi et de la richesse. D’ici deux à 3 ans, il va donner la Zakat. Cela permet de sortir les gens de la pauvreté. Mais ici, on n’a pas encore compris. Des gens reçoivent la Zakat depuis 20 ans, ça ne les aide pas. Ce n’est pas ça l’objectif de la Zakat.

S. : Que recouvrent les notions de Djihad et de Charia ?

T.T. : Il y a beaucoup d’amalgames, même chez les intellectuels. La charia est la loi qui règle les différents compartiments de la vie du musulman. Quand vous priez, vous jeûnez pendant le mois de Ramadan ou encore vous respectez votre voisin. Au nom des principes religieux vous faites de la charia. Quand on parle d’appliquer la charia, c’est un non-sens puisqu’on la vit au quotidien. On a confondu la charia et le code pénal. Le code pénal existe dans toutes les sociétés humaines. Dans le milieu moaga par exemple, quand vous « cherchez » la femme de votre voisin, vous savez la sanction qui en découle. Le code pénal existe aussi en islam et les versets le relevant sont très minoritaires.

Ils ne valent même pas 4% du Coran. L’islam est aussi un code de vie et il faut prévoir des peines pour ceux qui vont enfreindre les règles. Les gens ont cru que la charia c’est le code pénal. Non ! Le code pénal n’est qu’une infime partie de la charia. Le code pénal est d’apparence facile mais difficile à mettre en application car dissuasif et préventif avant tout. L’exemple du Prophète nous le montre. Il a toujours demandé au fautif d’implorer le pardon et d’éviter les peines. En plus, quand les conditions de justice et de bien-être social ne sont pas réunies dans une société, il y a des circonstances qui amènent les gens à mal se comporter. Quant au Djihad, il est l’effort que le croyant déploie pour protéger et propager sa foi contre les attaques adverses.

On peut avoir un Djihad de comportement. Comment me transformer pour être un bon croyant et être un citoyen utile à mon pays. Il y a un Djihad du savoir, mais également un Djihad guerrier. Par exemple, si un pays est attaqué, il va réagir et résister pour défendre sa terre. C’est ainsi qu’on voit les Palestiniens, les Irakiens, les Afghans faire le Djihad guerrier. Défendre son honneur, sa patrie, sa vie est également un acte de foi. Le code pénal n’est qu’un aspect de la Charia.

S. : Quel commentaire faites-vous donc des groupes rebelles maliens Ansar dine et le Mouvement pour l’unicité pour le Djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) qui veulent appliquer la Charia au Nord-Mali ?

T.T. : Ce n’est pas de l’islam. Beaucoup de voix musulmanes l’ont déjà signifié. Mais vous savez , on peut amplifier un phénomène pour lui donner l’importance qu’il n’en a pas. Aujourd’hui, on présente ces cas pour dire que les musulmans sont violents et on oublie la majorité des musulmans qui construisent des écoles, des centres de santé, qui s’occupent des veuves et des orphelins, etc. On ne présente qu’une minorité abonnée à la violence pour dire que c’est l’islam. Il y a une grande majorité de musulmans qui ne se reconnaissent pas dans cette manière d’être. L’islam ne s’est pas propagé par la force. Le Coran est clair là-dessus, point de contrainte en religion. Ansar dine et le Mouvement pour l’unicité pour le Djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) ne peuvent pas contraindre les populations constituées de plusieurs communautés à embrasser l’islam.

Le Prophète Mohamed a fait 12 à 13 ans à La Mecque en prêchant l’unicité de Dieu. C’est après progressivement que la prière, le jeûne, la Zakat et les autres préceptes sont venus. De manière pédagogique, Dieu éduque les gens à entrer en religion. Les gens ont été éduqués petit à petit à comprendre les préceptes d’abord et ensuite à les mettre en œuvre. Donc, ce qui se passe au Nord -Mali est une instrumentalisation à d’autres fins. La religion musulmane respecte les populations. Quand le Prophète Mohamed recevait les combattants musulmans qui s’apprêtaient à aller défendre leur foi, il leur disait : « ne détruisez aucun arbre, aucun puits, ne touchez à aucun enfant, aucun vieillard, aucune femme, ne touchez à aucun lieu de culte, combattez ceux qui vous combattent ». Avant la lettre, l’islam parlait depuis le 7e siècle du droit humanitaire international. Quand on revisite les textes de l’islam, ce qu’ils font sont loin de l’islam.

S. : Pendant le mois béni de l’islam, un couple non marié au Nord-Mali a été lapidé à mort. Cela est-il acceptable ?

T.T : Du temps du Prophète, il n’y a pas eu plus de trois lapidations. La loi en islam est dure et difficile à appliquer. Il y a des conditions à remplir qui protègent l’honneur et la dignité de l’homme. La loi en islam a une grande dimension dissuasive. Au temps du Khalife Omar, on s’apprêtait à couper la main d’un voleur en période de famine. Il a suspendu la décision en disant que vous ne l’avez pas nourri, vous ne pouvez pas le punir. Est-ce les gens au Nord-Mali ont été éduqués pour savoir qu’ils ont enfreint des règles ? Non ! L’islam évolue par sagesse. Les premiers arabes buvaient l’alcool, ils étaient empêtrés dans certains vices, le Prophète a pris du temps pour leur parler, pour purifier leur cœur en leur disant qu’il y a meilleur que ce qu’ils faisaient.

On ne prend pas quelqu’un subitement et on veut tout de suite et maintenant qu’il devienne pieux. On l’éduque en fonction de ses réalités et de son milieu. D’ailleurs, l’islam ne veut pas que nous devinions des anges, nous sommes des êtres humains. C’est ainsi que tous les actes en islam ont une connotation pédagogique. On prie, on jeûne, on prélève la Zakat pour être amélioré. Malheureusement, beaucoup de gens ne comprennent pas, ils prient pendant des années sans aucun changement dans leurs comportements.

S. : Il y a eu aussi la destruction des mausolées à Tombouctou par des islamistes armés. Votre réaction.

T.T. : C’est une aberration ! Le Mali est l’un des grands berceaux de l’islam en Afrique noire et ces mausolées font partie du patrimoine universel. Il n’est pas normal de les détruire. Le Coran nous dit de voyager pour voir comment les peuples ont vécu à travers leurs vestiges. Cela est une démarche archéologique. Un musulman qui connaît sa religion ne peut adorer une tombe. Je ne pense pas que ces Maliens adorent les tombeaux. Non ! Ils les maintiennent pour avoir un souvenir et en tirer des leçons. Quand les gens partent à La Mecque, il y a le cimetière de Baqui à Médine, ce sont des tombes et il ya le mausolée, où le Prophète est enterré à côté de certains de ses compagnons ; les gens passent et font des prières. On n’adore pas les tombes, mais on prie pour ceux qui y sont. Ces destructions de mausolées ne sont pas de l’islam et il faut le dénoncer avec beaucoup de véhémence.

S. : Les musulmans pied-nu sont à Bobo. Est-ce le retour de l’islam pur ou une déviation ?

T.T. : Quand j’ai vu l’article, j’ai souri. Le Prophète (SLP) portait des chaussures. Il s’habillait également. Il se coiffait de manière élégante. Il a interpellé une fois un musulman qui avait des cheveux touffus pour lui dire de se rendre beau, parce que Dieu aime ce qui est beau. Le Coran conseille de porter de beaux habits pour prier. Dieu est beau et aime ce qui est beau. J’ai lu que leur gourou avait un téléphone portable, un produit de la modernité, mais pourquoi ne porte-t-il pas de chaussures ? C’est tout simplement de la fantaisie ou autre chose, ce n’est pas de l’islam. L’islam est une religion noble qui veut l’épanouissement de l’individu. Ce qui ne change pas c’est le code moral : le mensonge par exemple est un défaut depuis la nuit du temps jusqu’à demain. Sinon les produits de la modernité, tels que les moyens de communication, de transport, de logement,… ce sont des bienfaits de Dieu.

C’est lui qui nous permet de les découvrir. Il y a beaucoup de confusions en réalité et l’islam n’a pas besoin de cela. L’islam est plus qu’une religion : c’est un code de vie, une manière d’être avec Dieu et vivre avec les créatures.

S. : Le silence de la Oumah islamique du Burkina sur ces genres de faits ne dénote t-il pas un problème d’organisation ?

T.T. : En privé, on en discute. C’est dans cet objectif de pouvoir se prononcer en une seule voix que la fédération a été créée. Mais nous espérons que quand elle va mieux s’enraciner, ces questions seront résolues. Sinon dans ce cas de figure, la fédération pourrait rencontrer ces pieds-nus pour essayer de les recadrer. Donc, une meilleure organisation de la Oumah islamique du Burkina aurait pu permettre de déceler de l’ivraie du vrai.

S. : La tolérance religieuse est une réalité au Burkina. Est-ce que les écritures saintes en font cas ?

T.T. : Le Coran a cité beaucoup les juifs et les chrétiens comme les conservateurs des écritures avant les musulmans d’où leur nom de Ahlil kitab, les gens du livre. Ils ont un statut particulier auprès des musulmans. On peut manger leur repas sauf ce qui est nommément cité comme le porc et l’alcool. La tolérance est une valeur de l’islam. Le Coran dit dans le chapitre 5 que « si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté. Mais il a fait don à chacun d’entre vous de quelque chose. Concurrencez-vous dans le bien. C’est à moi que vous ferez recours et je vous tiendrai informé de vos objets de différence ». Un verset fantastique ! Dieu nous a fait différents mais, il nous dit de nous concurrencer dans le bien. Les chrétiens construisent des écoles, des hôpitaux. Les musulmans doivent aussi en faire autant.

C’est ça la sagesse et la tolérance. Dans le chapitre 49, il nous dit : « on vous a créé à partir d’un mâle et d’une femelle, on a fait de vous des tribus, des nations et des pays pour que vous vous connaissiez. Mais le meilleur être parmi vous, auprès de Dieu, est celui qui est pieux ». Cependant dans certains pays notamment dans les pays arabes, il y a toujours des catégorisations liées à la race, à l’ethnie, à la tribu. Cela porte un tort à l’image de la religion. L’islam n’a pas de problème. Seuls les musulmans ont des problèmes à mettre en œuvre la beauté de leur texte. Une année avant sa mort, le Prophète a reçu une délégation chrétienne d’une ville appelée Najrane dans la mosquée de Médine. Quand il est arrivé à Médine, il a rédigé une constitution avec les trois communautés juive, chrétienne et musulmane où chacune avait des droits et des devoirs.

Il partait dans le quartier chrétien appelé Baytoul Midras pour s’entretenir souvent avec eux sur la gestion de la cité de Médine. Quand l’heure de la prière arrivait, il revenait dans son quartier. Certains musulmans ne savent pas que le Prophète était tolérant. Aujourd’hui, l’intolérance existe un peu partout tant chez les musulmans que chez les autres communautés. Dans notre pays, les chefs coutumiers ont été les premiers à recevoir l’islam. Nous savons le rôle joué par la cour du Mogho Naaba dans l’avènement de l’islam en pays moaga. Tout n’est pas mauvais dans la tradition, l’islam prend ce qui est bon. Aujourd’hui au Burkina Faso, il y a un exemple de cohabitation qui est assez rare en Afrique. Il s’agit de l’Union des religieux et coutumiers du Burkina pour la santé et le développement (URCB).

Cette structure fait de bonnes choses dans la lutte contre le Sida et la pauvreté. Le chef de l’Etat lui-même a apprécié cette structure et a proposé de diffuser cet exemple auprès de ses pairs. A titre personnel, j’ai souvent animé des conférences avec Mgr Anselme Sanou et d’autres leaders chrétiens. Il n’y a pas deux Dieu, c’est un seul. Il faut se comprendre autour des valeurs. Il faut prêcher ce message dans les temples, les mosquées et dans les églises pour qu’on évite les dérapages. Car les guerres se nourrissent de l’intolérance religieuse. Et on est intolérant parce qu’on ne connaît pas. Celui qui connaît l’histoire de la religion ne peut pas être intolérant, il comprend l’autre. Dieu même nous accepte dans notre diversité pourquoi nous ne nous acceptons pas ?

Au-delà de la tolérance, l’islam dit qu’il y a un droit d’être et un devoir de présence. Le chrétien, le musulman, le coutumier, le non-croyant, chacun a le droit d’être là parce que Dieu l’a voulu et un devoir de présence pour le musulman pour accompagner sur le chemin des valeurs, grâce à la foi. La vraie foi est une lumière, une miséricorde, une grâce pour le genre humain. L’islam vise à apporter des réponses aux préoccupations du cœur, de l’esprit, de l’âme et du corps.

S. : A Ouahigouya, le fils d’un El Hadj a été ordonné prêtre. Qu’en pensez-vous ?

T.T. : Il y a un amalgame qu’il faut d’abord lever. El Hadj c’est quelqu’un qui a appliqué un pilier de l’islam, le pèlerinage à La Mecque. Ce n’est pas un titre. Pourquoi vous n’appelez pas les gens le prieur, le zakateur ou encore le jeûneur ? Je vois souvent ce nom dans les signatures officielles. Ça ne veut rien dire. Certains pensent que c’est le symbole de la pureté. Non, il n’y a pas de lien. Ensuite, Dieu qui est le possesseur des cœurs, au sens spirituel, en fait ce qu’il veut. Le fils a décidé d’un chemin autre que le père, il n’y a aucun problème. L’islam est une religion qui ne contraint personne. Et contrairement ce que les gens pensent, on n’est pas musulman par filiation mais par conviction.

Autant vous voyez dans les familles chrétiennes des gens à l’âge adulte devenir musulmans autant le contraire est observé. A l’âge de la majorité, chacun décide de son orientation spirituelle. Un enfant peut être né dans une famille musulmane, son père a le devoir de lui apprendre sa religion, mais après, l’enfant devenu majeur est libre. Et le père n’a pas le droit de le bannir. Chacun suit sa voie. L’islam est pour le respect de la liberté des croyances.

S. : Quelle peut être la contribution des communautés religieuses pour que cesse l’incivisme au Burkina Faso ?

T.T. : L’incivisme se développe de plus en plus au Burkina. Il y avait beaucoup de valeurs qui étaient acquises au « pays des Hommes intègres ». Dans la circulation, au service, dans la rue, les Burkinabè ont un peu changé. Et Dieu n’aime pas quand les gens sont dans ce qui n’est pas bon. Il faut qu’on essaye d’être positif. Il faut interpeller tous les leaders religieux, coutumiers, la société civile pour mieux éduquer la jeunesse et l’orienter. Il faut que les gens aient des valeurs à défendre. C’est pourquoi le Coran s’adresse aux yeux, aux oreilles, au cœur, à l’esprit, etc., pour qu’ils soient mieux éduqués.

Quand on détruit des édifices publics, on brûle des commissariats, qu’est-ce que cela donne ? On va les reconstruire avec de l’argent pris de la poche du même contribuable ! En même temps qu’on condamne ces actes, il faut aussi le faire pour tous ces actes délictueux relevés par les rapports d’enquête parlementaires et l’ASCE. Si les rapports ne font que dormir dans les tiroirs-sans suite-comment voulez-vous convaincre les gens à être corrects ? Les actes posés par les élites dirigeantes doivent aussi épouser l’éthique, sinon les prières à elles seules ne seront pas utiles.

S. : Vos vœux pour le Burkina…

T.T. : Vœux de stabilité et de justice sociale. Aujourd’hui, les processus démocratiques dans beaucoup de pays africains, à deux ou trois exceptions comme le Ghana, l’Afrique du Sud, sont très fragiles, il suffit d’un rien et on bascule dans l’horreur. Et des milliers de gens sont mis sur le chemin de l’exil. Aucun pays n’est à l’abri. Donc prions pour la stabilité. C’est-à-dire renforcer les institutions démocratiques pour préserver notre bien commun qu’est le Burkina, il n’y en a pas deux. Si on le détruit, c’est nous qui allons partir en exil comme d’autres sont dans notre pays après avoir détruit le leur. Ensuite, prions pour une justice sociale. J’aime bien la citation d’un écrivain guinéen, Cheick Omar Kanté, qui dit que : « S’il n’y a rien dans les caisses de l’Etat, que ce rien soit partagé entre tout le monde ».

Parce que vous assistez à un paradoxe au Burkina, il y a une misère insultante face à un luxe insolent. Cela peut créer une explosion à long terme. Il faut donc redistribuer de manière plus juste les richesses. Il faut également appeler les Burkinabè à avoir de l’ambition. Quand vous demandez à certains Burkinabè quelle est leur ambition, ils vous diront qu’ils veulent être premiers au Burkina. Or, il faut aller au-delà. J’ai aimé un carnet de voyage asiatique d’un des vos responsables dans vos colonnes. Le patron de la société asiatique a dit qu’il veut que dans 150 ans son entreprise soit première dans le monde. J’ai beaucoup aimé. Les Burkinabè devraient avoir de l’ambition et des projections à long terme. Nous devrions chercher à faire du Burkina à l’horizon 50 ans le premier en Afrique dans tel ou tel domaine.

On entend trop souvent qu’on prépare les prochaines élections mais jamais les prochaines générations. Ce qui nous permet de vivre ensemble, c’est la tolérance et le pardon, etc. Et c’est en cela que j’ai beaucoup apprécié l’idée du ministère en charge des Droits humains d’organiser des assises nationales sur le civisme et les droits humains. Il faut qu’on revienne à des valeurs qui nous permettent de vivre ensemble. Car si les gens vivent dans des valeurs, Dieu les bénit et leur donne des choses auxquelles ils n’avaient jamais pensé. On demande des pluies abondantes, mais quand elles sont abondantes, ça nous rappelle les inondations du 1er septembre 2009. C’est la bénédiction de Dieu qu’il faut chercher. Il peut pleuvoir moins, mais si c’est béni par Dieu, cela peut résoudre tous nos problèmes. Soyons un peuple qui adhère à des valeurs, des pratiques éthiques et le reste appartient à Dieu.

Boureima SANGA (bsanga2003@yahoo.fr) , Paténéma Oumar OUEDRAOGO & Nestor BAKI

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