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Lutte contre l’insécurité : dans l’univers des femmes Kogl-wéogo

Publié le jeudi 10 octobre 2019  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
Des femmes Kogl-weogo dans la lutte contre l`insécurité.
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Décriés par une frange des Burkinabè, les groupes d’auto-défense Kogl-weogo sont devenus ces dernières années, une force de mobilisation populaire dans la lutte contre l’insécurité, le vol et le grand banditisme, en milieu rural. Principalement constitués d’hommes, ils se sont progressivement ouverts à l’autre moitié du ciel. Des centaines de femmes ont donc rejoint leur rang et se battent à leurs côtés, pour la sécurité de leur espace vital. Organisées en association, des femmes Kogl-weogo, celles qui font parties des unités d’intervention se font appelées Wibsé, (pluriel de Wibga), qui veut dire épervier pour symboliser la force et la vigueur de cet oiseau. Du Centre-Nord au Centre-Sud en passant par le Centre-Est, Sidwaya a rencontré, en août et septembre 2019, ces femmes, amazones d’un autre temps, sur un terrain autrefois réservé aux hommes.

Justine Dimzouré habite Guiba, une commune rurale située à 15 km de Manga, chef-lieu de la province du Zoundwéogo, dans la région du Centre-Sud. Lorsqu’elle sort du domicile, vêtue de sa tenue estampillée « Kogl-weogo, de Zoundwéogo », ses enfants lancent : « Maman est encore parti au marché. Ramène-nous quelque chose ». Fusil à l’épaule, Justine monte à l’arrière de la moto conduite par son beau-frère. Direction : le Quartier général (QG) des Kogl-weogo (« Protection de l’environnement » en langue nationale mooré) de Manga. Contrairement à ce que pensent ses enfants, elle ne va pas au marché mais plutôt en mission Kogl-weogo dont elle est membre depuis plus de cinq ans. Agée de 35 ans et mère de quatre enfants, dont un nourrisson de 15 mois, Justine est la seule « Wibga » de Manga. Une sorte d’agent d’intervention et d’élite à l’image de l’épervier, l’oiseau rapace. A la différence des autres femmes et hommes Kogl-weogo, les Wibsé sont chargées des arrestations et interpellations. De taille moyenne, le teint clair et de petite corpulence, elle n’a rien d’impressionnant à vue d’œil. Très calme, mais éloquente, c’est avec fierté qu’elle raconte ses sorties sur le terrain. « Une fois alertée, je me fais toujours remorquée par mon beau-frère et je patrouille avec les hommes », confie-t-elle avant d’ajouter qu’elle a participé à plus de sept missions d’interpellations de grand bandits dans les zones de Manga, Zabré et Dakola.

A Dakola, localité forestière et frontalière entre le Burkina Faso et le Ghana, les hommes Kogl-weogo louent le courage de Justine. « Il y a moins de deux ans, des bandits ont tué une personne et blessé deux autres dans la ville. Lorsque nous avons été alertés par les Kogl-Wéogo de Pô, nous avons déployé une équipe d’intervention dont Justine faisait partie », se rappelle, El Hadj Lassané Compaoré, l’un des responsables Kogl-weogo de Manga. Au cours de cette opération de trois jours, les Kogl-weogo se sont contentés de l’eau et du pain servis par leurs « frères d’armes » de la zone. « Dans la forêt, il y a eu des échanges de tirs. Au bout du compte, nous avons réussi à arrêter les bandits qu’on a ramenés à notre siège», explique Justine très souriante sous le regard admirateur de ses compagnons d’armes. Justine fait aussi la fierté de son mari, Désiré Nana… pour qui, elle est « une femme très courageuse ».

Une féminisation progressive

Cette mission risquée, Justine l’a effectuée alors qu’elle portait une grossesse de quatre mois. « A mon 8e mois, les hommes me demandaient de faire une pause. Mais, je répondais toujours par la négative », raconte-t-elle. « Elle a le cœur dur, les yeux secs et ne craint rien », ajoute le chef coutumier de Kuikuiré, village situé à 4 km de Manga et responsable des jugements au sein des Kogl-weogo. Rencontrée le jeudi 5 septembre 2019 à leur QG, Justine avait laissé son nourrisson de 15 mois à la maison et, à la demande de son époux, cette Wibga n’effectue plus des missions de terrain. Toutefois, elle continue de participer aux réunions. L’histoire de Justine Dimzouré qui a dû débourser la somme de 3 000 F CFA comme frais d’adhésion donnant droit à une carte de membres, n’est pas singulière. En effet, l’autre moitié du ciel est très engagée dans la lutte contre l’insécurité. Selon le secrétaire général des Kogl-weogo du Zoundwégo, Idrissa Tondé, il est difficile de dénombrer avec exactitude les femmes Kogl-weogo, car l’association ne dissocie pas les femmes des hommes. Dans les bureaux, fait-il savoir, 28 femmes occupent les postes de trésorières, de chargées de l’information et des enquêtes.

A Boulsa, chef-lieu de la province du Namentenga, à 193 km de la capitale burkinabè, les Kogl-Wéogo sont installés depuis 2014. Selon le chef de l’Association des Kogl-weogo du Namentenga, El Hadj Boureima Nadbanka, appelé Naaba Kogl-weogo, sa structure n’a cessé de grandir (314 bureaux pour 5 652 membres à la date du 21 août 2019) et avec le temps, de se féminiser. A titre d’exemple, l’Association des femmes Kogl-weogo du Namentenga, créée en 2016, a réussi à s’imposer comme la principale alliée des hommes. Dirigée par Marie Bibiane Sandwidi, elle dispose d’un bureau de 14 membres, mais n’a aucun poste de responsabilité dans les interventions, inculpations et jugements.

Plus de 2 000 femmes Kogl-weogo à Boulsa

Au QG, 12 femmes en tenue ordinaire sont présentes. Rien ne fait penser qu’elles sont des amazones. Bibiane Sandwidi, la présidente, était accompagnée de deux membres de son bureau : Fatimata Badini, la soixantaine est la doyenne des femmes Kogl-weogo de la localité, et Alimata Zongo, la trésorière. Les neuf autres membres faisaient partie de la délégation dont la plus jeune, Roukiétou Kiéogo, 20 ans et mère d’un garçonnet de deux ans. Toutes ont adhéré au Kogl-Wéogo pour la même raison : accompagner les hommes dans leur mission qui profitent à tous. Fière de s’engager pour une « cause noble », Roukiétou avoue, entre deux sourires et rassurée par son beau-père, Djibril Sandwidi, que depuis l’arrivée des Kogl-weogo dans sa ville, les populations dorment « tranquillement », en plus de ne plus se faire de soucis pour leurs animaux.
Quant au vieux Sandwidi, affaibli par le poids de l’âge et la maladie, il regrette l’arrivée tardive des Kogl-weogo. Et pour cause, plusieurs de ses bœufs, ânes, moutons, porcs et chèvres ont été volés, souvent en plein jour dans leur concession. « Si, j’étais toujours en forme, personne n’allait être Kogl-weogo plus que moi à Boulsa », soupire-t-il avant de dire que cela explique pourquoi, il ne s’est pas opposé à l’adhésion de ses trois belles-filles (dont la présidente Bibiane Sandwidi) à cette initiative locale. Le vieux Sandwidi dit avoir également encouragé ses trois épouses à rejoindre le groupe qui ne cesse de grossir revendiquant aujourd’hui, 2 000 membres dans la province.

Pour Roukiétou Kiégo, cet engagement va de soi et fini donc le temps où la femme doit rester à la maison pour s’occuper des travaux ménagers et champêtres. Désormais, s’occuper de la maison pour la femme, c’est aussi porter les armes et combattre tous ceux qui nuisent à son environnement de vie. « Nous avons convenu de nous regrouper en association, pour venir en appui à nos époux dans leurs efforts de lutte contre le phénomène de l’insécurité », renchérit, Bibiane Sandwidi, avant de revenir sur les débuts de l’entrée des femmes dans l’association des Kogl-weogo: « C’est lors d’une formation des femmes à la fabrication de soumbala que l’idée a germé. Beaucoup de femmes étaient d’accord et sur-le-champ, nous sommes allées voir le chef Kogl-weogo ». A la surprise des femmes, celui-ci a bien accueilli leur démarche. Le chef Kogl-weogo, Boureima Nadbanka dit avoir donné immédiatement son accord, avant d’ajouter qu’une activité sans l’implication des femmes est vaine. « Elle ne peuvent pas toujours aller au front contre les voleurs, mais elles peuvent nous aider à les attraper avec le renseignement. Elles nous appuient aussi dans les rencontres », conclut-il. « Ce sont elles qui vendent au marché et aux abords des voies. Elles sont au courant de tous les mouvements et des comportements suspects ou déviants des gens qu’elles voient passer », explique El Hadj Kadré Ilboudo, Iman de Boulsa.

« Toutes les femmes sont Kogl-weogo »

La conseillère des femmes de Boulsa, Mme Badini et ses sœurs appuient également les hommes dans les missions d’installations des membres Kogl-weogo et patrouillent avec les hommes. « Nos membres contribuent énormément en matière de renseignements, d’investigation, d’identification et d’interrogation des mis en cause », précise Bibiane Sandwidi.
A Pouytenga, la présidente de l’Association des femmes Kogl-weogo du Kourittenga, Marata Yaméogo, précise que les femmes ont rejoint le groupe d’autodéfense pour la même raison : « combattre l’insécurité ». « La vie à Pouytenga était insoutenable. Les bandits venaient dans les domiciles, attachaient et fouettaient leurs époux, violaient les femmes et les dépouillaient de leurs biens », se rappelle-t-elle. Dans cette commune de la province du Kourittenga, plus de 200 amazones ont intégré les rangs des Kogl-weogo, selon Mme Yamégo. « Nous avons plusieurs fois surpris des voleurs dans nos maisons et alerté les Kogl-weogo. Souvent, nous les arrêtons avant leur arrivée », ajoute sa vice-présidente, Sétou Silga. Il y a moins d’un mois, ajoute-t-elle, les femmes Kogl-weogo de la ville ont contribué à l’interpellation d’un individu qui venait acheter leurs produits avec de faux billets à hauteur de 150 000 F CFA. Il a été arrêté et conduit à la gendarmerie.

A Koupéla, chef-lieu de la province du Kourittenga, Ramatou Traoré est la responsable et doyenne (plus de 40 ans) des femmes Kogl-weogo de la ville. Veuve et mère de quatre enfants, elle a rejoint le groupe, il y a cinq ans. A la tête d’une vingtaine de femmes, elle joue le rôle de sage en conseillant les jeunes recrues. Quant à Kombissiri dans la province du Bazèga, tout a commencé en 2012, le Rassam Kand Naaba, chef coutumier de la localité, ayant décidé que sa communauté doit prendre en main sa propre sécurité en créant la première cellule Kogl-weogo. Cette localité, comme Manga, dispose de femmes Wibsé. Au nombre de cinq, elles sont commandées par Kotim Convolvo et ne se limitent pas au renseignement et à l’information. En effet, Kotim fait partie de l’équipe d’intervention et se bat aux côtés des hommes sur le terrain dans leur lutte acharnée contre ceux qui perturbent la quiétude des citoyens.
Le rôle des Kogl-weogo n’est pas seulement sécuritaire. Ainsi, le 19 août 2019, les femmes Kogl-weogo de Boulsa ainsi que celles de Fasmtenga et Liliuo (villages situés respectivement à 25 et 32 km de Boulsa), sont allées aider le chef Kogl-weogo, El Hadj Boureima Nadbanka, dans ses travaux champêtres. Dans ces deux villages, les associations des femmes Kogl-wéogo que dirigent respectivement Kalizèta Sana et Lamoussa Daweiga, compte chacune plus de 100 membres. « En réalité, toutes les femmes de nos villages sont Kogl-weogo », soutiennent-elles.

Pour Bibiane Sandwidi, le rôle des Wibsé dans la lutte contre l’insécurité passe aussi par l’instauration d’un climat de paix, de sécurité et de sérénité. Pour ce faire, les femmes initient des Activités génératrices de revenus (AGR) et mènent des actions en faveur de la promotion des droits des enfants et des personnes vulnérables. Dans cette optique, les femmes Kogl-weogo de Boulsa ont créé le « Keegb-Raaga », une cérémonie de réjouissance annuelle qui s’étale sur trois jours, dont un est consacré à la sensibilisation des jeunes filles et garçons de la province à plus de vigilance dans la lutte contre l’insécurité et à collaborer avec les Kogl-weogo et les forces de l’ordre. La même activité est organisée localement dans chaque village de la province.

Pas de sexe entre Kogl-weogo

Du côté des autorités en charge de la sécurité, tous sont unanimes sur l’apport des Kogl-weogo à la lutte contre le banditisme. « Tout regroupement en faveur de la sécurité est salutaire », soutient le commissaire central adjoint de la police de Boulsa, Yves Patrick Kabré, convaincu que les forces de l’ordre ne peuvent venir à bout de l’insécurité sans le concours de la population. « Si les femmes s’organisent à cet effet, c’est parce qu’elles ont pris conscience que la sécurité incombe à tout le monde », conclut-il. Mais l’imam de Boulsa, El Hadj Kadré Ilboudo prévient : « Elles doivent travailler en toute dignité pour ne pas donner raison à leurs détracteurs qui voient en leur présence, une voie ouverte à la débauche ». Pour cela, tous les Kogl-weogo doivent respecter un code d’éthique qui interdit toute relation sexuelle entre hommes et femmes Kogl-weogo. « Si cela arrivait, les coupables seront punis et expulsés de nos rangs », ajoute Boureima Nadbanka. Les Kogl-weogo s’appuient sur « Dieu, les ancêtres, le peuple, la dignité, l’honneur et la vérité », selon le règlement établi par le fondateur, le Rassam Kand Naaba. Pour ce faire, avant d’adhérer au groupe les candidats doivent, en fonction de leur confession religieuse, prêter serment sur la Bible, le Coran ou les fétiches.

En quête de reconnaissance officielle

Mais la reprise en main de la sécurité au niveau local ne se fait pas sans heurts avec les autorités. Le jeudi 6 avril 2017, les femmes Kogl-weogo ont organisé une marche dans la ville pour manifester contre la condamnation de trois Kogl-weogo pour coups et blessures par le Tribunal de grande instance (TGI) de Koupèla. « Laissez les Kogl-weogo faire tranquillement leur travail », ont-elles laissé entendre lors de leur manifestation avant d’inviter les Forces de défense et de sécurité (FDS) à accompagner les Kogl-weogo. Car, disent-elles, dans le Kourittenga, les vols, viols et le grand banditisme ont baissé de près de 95%.

Après avoir réussi à se faire une place de choix dans la lutte contre l’insécurité dans les localités ou existent les Kogl-weogo, les Wibsé mènent un nouveau combat : être officiellement reconnues par les autorités administratives. Le secrétaire général de la province du Namentenga, Roland Guinguéré, confie que son service a effectivement reçu un lot de demandes de la part des Kogl-weogo hommes et femmes. « Nous avons renvoyé les dossiers aux intéressés afin qu’ils intègrent des corrections pour se conformer à la loi et nous attendons le retour des dossiers », s’explique-t-il. En attendant leur récépissé, les femmes Kogl-weogo, veulent renforcer leurs capacités opérationnelles. Et pour cela, elles auront un partenaire idéal : le Réseau national d’édification de la paix (WANEP/Burkina) à travers son « Réseau des femmes dans l’édification de la paix (WIPNET) ». En effet, en tant que structures féminines intervenant dans le secteur de la sécurité, les associations des femmes Kogl-wéogo constituent, selon la chargée de programme du WIPNET de WANEP, Alice Soulama, des partenaires privilégiées. Ainsi, poursuit-elle, dans le cadre de son Programme leadership féminin pour une gouvernance inclusive dans le Sahel lancé en août 2019, WANEP/Burki-na se propose d’encadrer, entre autres, les femmes Kogl-weogo dans le domaine de l’analyse des conflits et de l’identification des acteurs pour les amener à assister efficacement les hommes à travers leurs conseils.

Mariam OUEDRAOGO
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