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L’Observateur Paalga N° 8434 du 12/8/2013

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Sénat : Au pasteur Samuel Yaméogo, président de la Fédération des églises et missions évangéliques
Publié le lundi 12 aout 2013   |  L’Observateur Paalga


Samuel
© Autre presse par DR
Samuel Yaméogo président de la FEME ( Fédération des églises et missions évangéliques)


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Le Sénat continue de faire couler beaucoup d'encre et de salive. La preuve, cette lettre ouverte aux pasteurs du Burkina à travers la personne du pasteur Samuel Yaméogo, président de la Fédération des Eglises et Missions évangéliques (FEME). Elle est signée d'Issaka Luc Kourouma, journaliste de son état, qui ne cache pas l'inopportunité de cette institution à ses yeux.

Au Pasteur Samuel Yaméogo, Président de la Fédération des Eglises et Missions Evangéliques et à l’ensemble des Présidents des Eglises et Missions Evangéliques du Burkina.

Messieurs les Présidents, chers Pasteurs,

Maintenant qu’il est quasiment certain que les protestants évangéliques siégeront au futur et fameux Sénat, car le gouvernement l’a annoncé et vous n’avez pas démenti, je me permets de vous adresser respectueusement cette lettre pour vous demander d’expliquer aux ouailles que nous sommes les profondes raisons qui fondent la Fédération des Eglises et Missions Evangéliques (FEME) à vouloir y siéger. Vous êtes des directeurs spirituels et à ce titre je sais que je n’ai pas à vous demander d'explications sur vos décisions ecclésiastiques. Toutefois, j’estime que le Sénat n’est pas une affaire spirituelle ; c’est plutôt une question hautement politique qui s’est invitée d’une manière discrète mais réelle au sein de l’Eglise. Le peuple burkinabè est divisé sur la question. D’un côté, il y a les pro-Sénat et de l’autre les anti-Sénat. Chacun exhibant des arguments plus ou moins massues.

Ces deux camps du peuple sont à l’intérieur de vos églises. J’espère que vous le savez. En effet les chrétiens, quoique n’étant pas du monde, vivent dans le monde et à ce titre ont des sensibilités politiques différentes. C’est ce qui explique que les dimanches des ministres du Faso et leurs opposants sont assis côte à côte à l’église. C’est ce qui explique que des gens aux idées d’extrême droite fraternisent à l’église avec des gens aux idées d’extrême gauche. Ce qui nous lie en Christ, c’est notre salut commun à travers son précieux sang. Si bien qu’en Lui, il n’y a ni juifs ni grecs, ni circoncis ni incirconcis, ni majorité ni opposition, ni pro-Sénat ni anti-Sénat. Christ ne voit ni nos couleurs politiques ni nos idéologies mais uniquement nos cœurs et l’état de nos âmes. Mais quand nous quittons ces questions du Ciel pour celles de la Terre, chacun est généralement libre. Libre d’être pour ou contre le Sénat.

Cependant je constate qu’en tant que nos pasteurs à tous (pour et anti-Sénat) vous avez choisi un camp. Vous avez compris les arguments d’un camp et rejeté ceux de l’autre. Il se peut que des arguments bibliques et spirituels aient sous-tendu votre décision. Mais nous qui sommes des anti-Sénat (j’en suis un en effet), nous ne les connaissons pas. Voudriez-vous avoir, s’il vous plaît, la bienveillance de nous les exposer ? Ou bien désirez-vous peut-être que j’expose préalablement les raisons pour lesquelles je suis contre le Sénat ? Eh bien, les voici en peu de mots.

LE SENAT N’EST NI PRIORITAIRE NI INDISPENSABLE

Dans son essence, un Sénat pour moi n’est pas une mauvaise chose, car en théorie il renforce la démocratie. Toutefois un Sénat devrait venir en sus d’une véritable démocratie. Or, je considère que notre démocratie en plusieurs de ses aspects demeure d’apparence. De ce fait un Sénat est pur gaspillage de nos finances. Au Burkina, pour emprunter au langage biblique, on nettoie le dehors de la coupe et du plat alors qu’au-dedans il y a la rapine et l’intempérance. Le Burkina ressemble à un sépulcre blanchi qui paraît beau au dehors et qui au-dedans est plein d’ossements et de toutes espèces d’impuretés. Au Burkina, on élimine le moucheron et on avale le chameau ; on paie la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin et on laisse ce qui est plus important dans la loi : la justice, la miséricorde et la fidélité.

Le Sénat est une autre garniture pour embellir le dehors de la coupe et du plat de la démocratie. Mais l’intérieur de la coupe est assez sale. La preuve, des élèves qui ont obtenu le bac il y a deux ans de cela n’ont pas encore entamé leurs études à l’université de Ouagadougou, où l’enseignement est de qualité mais où les problèmes sont aussi de quantité. C’est pourquoi tout bêtement et tout naïvement je raisonne : «et si ensemble les filles et fils de ce pays décidaient de surseoir au Sénat et de consacrer d’un commun accord les milliards qui lui sont destinés à la résolution des problèmes de l’éducation en général et des universités en particulier ? Car il est évident que le Sénat ne préoccupe pas la majorité des Burkinabè autant que les problèmes des études de leurs enfants.» Renforcer la démocratie, c’est bien ; mais renforcer l’université, c’est mieux. Le Sénat n’est pas indispensable, mais l’université l’est. Si l’on se décidait à consacrer les milliards du Sénat à l’université, je suis convaincu que le consensus se ferait. Nos universités étant sous perfusion, vous comprenez, Messieurs les pasteurs, pourquoi pour moi l’université burkinabè fait partie de la rapine et de l’intempérance qui rendent l’intérieur de la coupe et du plat sale ? C’est pourquoi je préfère, moi aussi, que l’on injecte ces milliards du Sénat au profit de l’éducation et singulièrement des universités.

Le Sénat va ajouter à la blancheur de notre démocratie, pardon de notre sépulcre, mais à l’intérieur il y a des ossements et des impuretés. L’hôpital Yalgado Ouédraogo, où nous avons de grands et compétents médecins mais où tout manque au plan de l’équipement et du matériel médical, est un exemple d’ossements et d’impureté. Le Sénat n’est pas indispensable mais les hôpitaux le sont. C’est pourquoi je préfère moi aussi que l’on injecte ces milliards dans le domaine de la santé.

Et ces moucherons qu’on élimine et ces chameaux qu’on avale alors ? Sont de ces moucherons les voleurs de petit bétail que condamne la justice et sont de ces chameaux les Guiro aux milliards qu’on libère. C’est pourquoi je préfère moi aussi que nous ayons d’abord une bonne et vraie justice, garante d’une démocratie profonde, avant de rajouter à notre démocratie une institution appelée Sénat. Le Sénat n’est pas indispensable, mais la justice l’est. Ce Sénat-là n’est nullement prioritaire. Il relève du domaine du luxe démocratique.

La dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, ce sont les écoles, les dispensaires et les routes que l’on construit, mais de grosses et importantes plaies demeurent : les crimes économiques, la corruption, l’enrichissement illicite, et encore et encore un manque de justice équitable pour tous ; ici il ne s’agit plus uniquement de la justice qui se dit au palais de justice, mais de Justice avec grand J. Celle qui s’observe partout. Cette justice, par exemple, qui ne tord pas le cou aux textes pour attribuer d’importants marchés à une belle-mère, à un cousin ou à un ami. Cette justice qui punit à sa juste hauteur tout crime quelle que soit sa nature et d’où qu’il vienne. Car «mieux vaut peu, avec la justice, que de grands revenus avec l’injustice», selon la Bible. En paraphrasant, l’on peut dire ceci : «Mieux vaut le minimum d’institutions démocratiques, avec la justice, que de grandes, grosses et belles institutions tel le Sénat avec l’injustice.» A dire vrai, ceux qui sont contre le Sénat ne le sont pas parce que c’est le Sénat ; ils le sont parce que ce Sénat-là est une fuite en avant qui n’a pas sa raison d’être. Et vouloir le mettre en œuvre, c’est vouloir munir une voiture d’essuie-glaces sans pare-brise. Hélas !

MARTIN LUTHER KING N’ETAIT PAS UN BON PASTEUR

Chers pasteurs,

Ces arguments ne sont peut-être rien pour vous au point de les ignorer et de choisir votre camp. Si je me trompe, je ne demande qu’à être convaincu. Et si j’ai tort, j’aurai suffisamment d’humilité pour vous faire publiquement mes excuses. Mais en attendant je souhaite que vous m’instruisiez sur les fondements de votre décision d’aller au Sénat. Car c’est vous, les pasteurs, mais c’est nous, les protestants. C’est nous qui nous frottons à la population et c’est nous qui sommes régulièrement interpellés pour expliquer vos décisions et vos points de vue ; malheureusement vous ne communiquez pas. Dans cette affaire en effet, c’est moins la décision d’aller au Sénat qui me frustre que votre silence sur les raisons de votre décision. Quand il y a l’injustice, vous vous taisez. Quand on fait du tort à la veuve et à l’orphelin, vous êtes muets. Je sais que vous n’approuvez pas ; mais vous demeurez silencieux. Mais dès qu’il y a crise, on entend vos cloches appeler : «venez et prions pour la paix.» Faut-il rappeler que la justice précède la paix ? Bref ! Cette fois-ci, il est nécessaire que vous parliez pour vous expliquer et rassurer tout le monde : les pro comme les anti-Sénat.

Que vous le fassiez dans les églises ou dans la presse ou par tout autre canal, peu importe. L’essentiel est que le message nous parvienne d’une manière ou d’une autre. Sinon je suis en droit d’interpréter avec la marge d’erreurs que toute interprétation comporte. Je suis par exemple en droit de penser que vous n’avez fait que choisir le camp du fort et non celui de la vérité et de la justice. Si le message de l’Evangile est inaltérable et inchangeable, la façon de le communiquer évolue. L’Eglise évangélique compte aujourd’hui nombre d’intellectuels qui veulent comprendre vos décisions relatives aux choses sociales et politiques. Continuer de garder le silence comme dans les années 50 ou 60 devient préjudiciable à la croissance du corps de Christ. Mais de grâce si c’est pour nous servir la sempiternelle explication selon laquelle «la Parole de Dieu dit d’être soumis aux autorités», alors s’il vous plaît, gardez vos motifs.

Car quand j’entends pareil argument, je me dis souvent que Martin Luther King ne fut guère un bon chrétien encore moins un pasteur, lui qui a passé toute sa vie à s’opposer à des lois, à protester et à marcher contre elles, lui qui écrivit «que la désobéissance civile est non seulement justifiée face à une loi injuste mais aussi que chacun a la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes.» Lui qui alla jusqu’à payer de sa vie non en annonçant l’Evangile mais en s’opposant à des autorités. Et lesquelles ? Celles américaines, s’il vous plaît. Excusez du peu. Le mariage homosexuel est à nos portes et tôt ou tard les puissants dirigeants de l’Occident, dans leur égarement empreint d’animalité, contraindront nos présidents à l’accepter sans broncher. A ce moment j’espère qu’aucun pasteur ne condamnera ni ne protestera sous peine de désobéir aux autorités donc à la Parole de Dieu.

Plusieurs pensent que le Sénat sera purement et simplement un arc-boutant pour l’article 37. Sa modification, cela s’entend. Vous, qu’en pensez-vous ? Vous aviez, jusque-là, l’excuse et le bénéfice du doute. Vous ne pouviez peut-être pas vous exprimer là-dessus parce que l’intention du régime en place était jusque-là gardée sous le boisseau. Désormais c’est clair. A l’occasion de la manifestation du parti au pouvoir organisée le 6 juillet, l’intention a été clairement exprimée. La modification de l’article 37 est maintenant à l’ordre du jour. Dès lors qu’en dites-vous ? Quelle est votre position ? Si cette modification devait se réaliser par voie parlementaire, votre représentant au Sénat voterait-il pour ou contre la modification de l’article 37 ? Votre avis est nécessaire, car il permettra de savoir si votre oui est oui et si votre non est non. Pasteur Samuel Yaméogo, vous étiez membre du collège de sages qui a recommandé la disposition actuelle de l’article 37. A présent, on veut le modifier et vous n’en dites rien. Il est désormais temps pour vous de sortir de la sécurité et du confort du silence dans lequel vous êtes emmurés depuis des lustres.

J’AVAIS CRU ET ESPÉRÉ QUE…

Chers pasteurs,

Je tiens à vous assurer que contrairement à ce que le ton et le contenu de cette lettre peuvent laisser croire, je ne suis membre d’aucun parti politique d’opposition. Je ne suis pas non plus un détracteur négatif de notre religion.

J’écris parce que je suis un chrétien gagné par la perplexité. Tel que je connais Jésus et tel que vous me l’avez enseigné, je suis sûr que s’il était encore sur terre et que s’il devait se prononcer sur la démocratie et la gouvernance du Burkina, il s’élèverait contre bien des choses et les condamnerait avec dureté et publiquement. Car le premier protestant, c’est Jésus. Les pharisiens et les sadducéens ne diront pas le contraire. Je m’attendais donc à ce que mes pasteurs que vous êtes emboîtiez le pas à notre Sauveur et Seigneur. J’avais cru que ce serait les protestants qui seraient dans ce pays «le phare qui guide les hommes vers les sommets les plus élevés de la justice.» Hélas !

J’avais espéré que notre église protestante ne serait pas «un simple thermomètre qui indique les idées et les principes émis par l’opinion publique ; mais un thermostat qui règle les mœurs de la société.» Hélas !

J’avais cru que, de par ses valeurs chrétiennes et ses fondamentaux bibliques, notre église protestante serait forte, crainte et respectée parce que alliée uniquement à la vérité et à la justice. Je n’avais jamais imaginé que notre église serait qualifiée à tort ou à raison d’alliée d’un quelconque pouvoir. Hélas !

J’avais espéré que notre église observerait une judicieuse et digne neutralité dans cet imbroglio social engendré par la création du Sénat pour demeurer au-dessus de tous et préserver ainsi sa crédibilité. Ce qui lui permettrait en cas de crise (et on ne peut l’exclure) de compter parmi les institutions morales et crédibles capables de réconcilier les frères et sœurs de ce pays. Mais maintenant que le Sénat fera de vous juge et partie, que ferez-vous en cas de crise profonde? Seriez-vous capables de siéger tout en osant réconcilier ?

J’avais cru que les pasteurs que vous êtes tireraient leçon de ce qui est advenu en 1998 lorsque l’immense cortège qui s’ébranlait vers la dernière demeure de Norbert Zongo au cimetière de Gounghin a marqué une halte devant le siège des Assemblées de Dieu pour invectiver, huer et décrier les positions sociale et politique de votre FEME. J’étais dans ledit cortège tout petit, la tête basse, l’âme honteuse, le cœur meurtri et le corps agité et déboussolé. J’ai appris et lu des faits de serviteurs de Dieu humiliés, haïs, emprisonnés, lapidés et même tués ou enterrés vivants parce qu’ils annonçaient l’Evangile ; mais jamais parce qu’ils étaient de connivence avec un pouvoir, comme une bonne partie de l’opinion le pense de vous. Vous êtes des ministres de Dieu et quand on vous traite avec déshonneur pour de simples prises de position sur des questions qui n’ont rien de spirituel, mon cœur saigne et pleure. C’est pourquoi j’ai pensé qu’avec ce fameux Sénat vous sauriez éviter qu’on insulte de nouveau le corps de Christ pour une cause aussi triviale que celle d’un Sénat.

J’avais cru que les responsables de notre église protestante, à l’instar des premiers chrétiens, étaient «trop enivrés de Dieu» pour être «intimidés par les astres». Hélas !

Je voudrais conclure en empruntant une fois de plus à Martin Luther King une citation, toutes les précédentes étant également de lui : «Si j’ai dit dans cette lettre quelque chose qui renchérit sur la vérité ou qui témoigne d’une impatience déraisonnable, je vous prie de me le pardonner. Si mes mots demeurent en dessous de la vérité et témoignent d’une patience qui me fasse tolérer un défaut de fraternité, je prie Dieu de me pardonner.»

Votre brebis

Issaka Luc KOUROUMA

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