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Alioun Zanré, procureur militaire aux avocats de la défense « Ce n’est pas parce qu’une personne est citée comme témoin qu’elle doit être forcément entendue »

Publié le samedi 5 mai 2018  |  Le Pays
Insurrection
© aOuaga.com par A.O
Insurrection populaire et putsch avorté : la justice fait le point des dossiers
Mercredi 14 septembre 2016. Ouagadougou. Le procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Ouaga, Maiza Sérémé, et le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, commandant Alioun Zanré, ont animé une conférence de presse pour faire le point des dossiers de l`insurrection populaire de fin octobre 2014 et du putsch avorté du 16 septembre 2015
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C’est le vendredi 27 avril dernier que le Procureur près le Tribunal militaire, Alioun Zanré, nous a reçus dans son bureau, dans les locaux de la Justice militaire. Ce jour-là, il était entouré de deux de ses plus proches collaborateurs, deux substituts. Tout décontracté et à l’aise dans son élément, le commandant, une des personnalités de la Justice militaire les plus en vue actuellement, ne va pas fuir nos questions. Evidemment, il n’a pas tout dit et d’ailleurs, tout ne se dit pas, surtout quand il s’agit du milieu militaire et judiciaire. Cependant, nos échanges ont été francs et directs. Lisez plutôt.

« Le Pays » : Comment vous sentez-vous dans votre peau de Procureur militaire ?

Alioun Zanré : C’est une charge et nous nous sentons très bien.

Vous arrive-t-il de recevoir des menaces quelconques dans l’exercice de vos fonctions ?

C’est relatif. Ce que vous pouvez considérer comme une pression ou une menace, peut être pour nous dans l’ordre normal des choses. Véritablement, nous ne nous sommes jamais senti menacé. On peut être mis sous pression du fait du travail mais en dehors de cela, nous ne subissons aucune pression.

Dans le cadre de la gestion du dossier du putsch, ne subissez-vous pas de pressions ? Ne recevez-vous pas, en privé par exemple, des appels par rapport à certains aspects ?

Nous ne recevons pas de pressions. C’est une mission militaire et nous l’exécutons avec les moyens mis à notre disposition. Si les choses dépassent nos compétences, nous nous référons à notre hiérarchie. Un procureur était là avant que nous ne prenions en main le dossier. Nous continuons donc le service public. Si à certain moment, nous ne pouvons plus, nous laisserons la place à d’autres pour continuer le travail. C’est tout.

En tant que Procureur, quel commentaire faites-vous de l’incident qui a eu lieu entre le directeur de la Justice militaire, Sita Sangaré, les Généraux Honoré Traoré et Gilbert Diendéré, lors de l’audience du lundi 26 mars 2018 ?

Nous n’avons pas assisté à cet incident, mais le colonel Sangaré lui-même s’est expliqué. Nous n’aimerions pas revenir là-dessus parce que nous n’étions pas témoin.

Vous, en tant que Procureur militaire, être en face de gens (Généraux Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé) qui, dans l’armée, vous sont supérieurs, ne vous sentez-vous pas gêné devant eux ?

Nous ne croyons pas. Lorsque vous faites un travail professionnel, il n’y aucun problème. C’est vrai que d’un point de vue de l’organisation militaire, ils sont mes supérieurs hiérarchiques dans le cadre du service. Mais nous, dans notre rôle actuel, nous ne faisons que notre boulot. A titre d’exemple, lorsque vous allez voir un médecin, qu’il soit sous-lieutenant ou capitaine, il vous traite sans tenir compte de votre grade. Nous ne faisons donc que notre travail de magistrat et de procureur.

D’aucuns estiment que vous devez aux Généraux pré-cités, du respect. Qu’en dites-vous ?

Vous pouvez demander aux Généraux à qui vous faites référence. Quand ils sont là, nous leur donnons tout le respect lié à leurs rangs respectifs. Quand ils viennent au Tribunal militaire ici, en tant que chef militaire, nous leur offrons toutes les commodités. Il en est de même pour leur transport. Nous ne leur avons jamais manqué de respect et nous ne pensons pas qu’il y ait quelqu’un au Tribunal militaire, y compris le colonel Sangaré lui-même, qui ait manqué de respect aux Généraux. Nous sommes avant tout des militaires. Seulement, on fait notre travail.

Vous êtes l’objet de toutes sortes de critiques. Est-ce qu’il vous arrive de vous remettre en cause ?

La critique, selon nous, est constructive. Personne ne peut dire qu’il a le monopole du savoir. Forcément, lorsque vous êtes dans l’action, vous pouvez vous tromper. Nous ne pouvons pas avoir la prétention de tout connaître. Bien au contraire, on apprend toujours, même d’un plus petit que soi. Si vous êtes réfractaire à la critique, vous allez droit dans le mur. On critique ceux qui sont dans l’action et non ceux qui sont dans l’inaction. L’essentiel est que la critique soit objective et constructive.

Justement, pensez-vous que les critiques dont vous faites l’objet, sont constructives ?

Nous pensons que oui. Forcément, on en tire un gain : on est plus attentif, plus regardant et plus appliqué. Même si les critiques à votre encontre sont à tort, vous êtes obligé d’être plus regardant pour ne pas vous tromper. L’essentiel est que les actes que vous posez ne soient pas censurés, négativement, par le juge. Nous sommes le ministère public et nous sommes investis par la société pour exercer l’action publique dans les règles de l’art. Surtout, en tant que Procureur, vous devez faire attention dans tous les actes que vous posez dans le cadre d’une procédure. C’est cela également donner aussi le bon exemple.

Notre confrère Adama Ouédraogo dit Damiss, dit que vous êtes dangereux pour la République. Que lui répondez-vous ?

Cela nous fait sourire. Nous comprenons qu’il est jeune et qu’il se laisse souvent dominer par ses émotions. Nous ne sommes pas un danger pour la République. C’est cette même République qui nous a demandé d’assurer la défense de la société y compris Damiss lui-même. De ce point de vue, nous ne pouvons pas être un danger pour cette république. Nous avons cru comprendre à travers son écrit qu’il ne maîtrise pas les règles de procédure. Nous allons vous dire ici ce qui s’est passé dans le cas Damiss. Nous étions au parquet, le 11 avril 2018 à 11h45, quand Me Paul Kéré a introduit une requête pour demander une autorisation d’absence de son client, Ouédraogo Adama dit Damiss, du 14 au 25 avril, pour se rendre, dit-il, en République de Côte d’Ivoire. Comme pièces, il nous a fourni un certificat médical en date du 15 janvier 2016 délivré par le Dr Adama Zigani. Il nous a produit aussi un rapport en date du 19 février 2018 de la Polyclinique Internationale de Ouagadougou, signé par le Dr Sid Elodie. Il nous a produit également un certificat médical en date du 16 février 2018, signé par le même Dr Adama Zigani. Tous ces certificats médicaux disent qu’il est effectivement asthmatique et qu’il suit un traitement à leur niveau et qu’il prend de la ventoline et du Sabilcote 400mg. Nulle part, ses médecins ne nous disent qu’ils veulent le référer à un autre plateau technique en dehors du Burkina Faso. Il nous a fourni enfin un e-mail qu’il dit venir d’un certain Amouso Sondo, reçu le 7 février 2018. Nous pouvons vous livrer le contenu du mail : « Bonjour M. Damiss. Une clinique m’a appelé. La dame en ligne dit qu’elle a tenté de vous joindre en vain. Elle me charge donc de vous dire que le médecin est disponible pour vous recevoir du 10 au 25 avril 2018. Prière confirmer dès votre arrivée à Abidjan, pour vous inscrire sur la liste des patients car il aura beaucoup de gens à consulter avant de partir pour la France. Elle dit que vous savez que le médecin est très pris. Elle dit que vous pouvez joindre directement le médecin car vous avez son contact. Merci et bon week-end. Meilleure santé ». Nous avons pris sa demande. Parallèlement, mon greffe me fait savoir que la même demande a été adressée au président de la Chambre de 1re instance du Tribunal militaire dont le président est Ouédraogo Seidou. Quand nous avons donc reçu la demande de Ouédraogo Adama, nous l’avons analysée en droit. Nous nous sommes dit que le Parquet n’a aucune compétence pour donner une autorisation de sortie du territoire car nous sommes partie au procès. Nous n’avons aucune compétence pour donner une autorisation à un prévenu ou à un accusé. Ce n’est pas le rôle du procureur ; c’est celui du juge. Lorsque vous êtes devant un juge d’instruction, en première instance ou à la Chambre de contrôle de l’instruction, juridiction de second degré de l’instruction, ce sont les juges qui donnent les permissions aux prévenus. C’est le cas de Me Hermann Yaméogo où le juge du cabinet 1 lui avait permis d’aller en Côte d’Ivoire se soigner. Là où Ouédraogo Damiss a fait la confusion, c’est qu’avant le délibéré sur ordonnance de renvoi, il appartenait au président de la Chambre de contrôle d’accorder des permissions de sortie aux prévenus. Dès l’ouverture de l’audience de la Chambre de jugement de 1re instance, au sens de l’article 130 du Code de Justice militaire, il appartient au président de ladite Chambre de statuer sur les questions de permission de sortie du territoire. Face au vide juridique qui existait sur les questions de permission, entre la mise en accusation et le début effectif du procès, le parquet prenait le risque d’accorder les permis de sortie aux intéressés et c’est ce que nous avons toujours fait. Depuis donc le 29 décembre 2017 jusqu’au 27 février 2018, date du début du procès, je donnais les permissions mais cela était sans base légale, conformément aux pratiques des parquets. Beaucoup ont pu avoir effectivement des permis de sortie. Maintenant que l’audience a débuté le 27 février dernier, le Parquet ne peut plus donner une permission à un accusé, car la loi prescrit que dès l’ouverture de l’audience jusqu’à la fin du procès, le président assure la police de l’audience. Et ce, en application des articles 130 du Code de justice militaire et 33 et 35 de la loi portant organisation et fonctionnement des Chambres criminelles.

Vous auriez dû conseiller Damiss ?

Nous avons répondu à Ouédraogo Adama, pour lui dire qu’en réalité, nous ne pouvons pas faire droit à sa demande puisque nous n’avons aucune compétence en la matière. Nous avons dit cela à Me Kéré, un des avocats de M. Ouédraogo. Et c’est ce qui nous a valu la sortie médiatique de M. Ouédraogo. Je me réserve pour ne pas étaler certaines informations en public, mais nous pensons que Damiss devrait plutôt nous remercier.

Avez-vous un problème personnel avec notre confrère Damiss ?

Nous ne connaissons même pas Damiss. La première fois que nous l’avons vu, il est venu dans notre bureau pour dire qu’il a entendu que nous sommes « un monsieur gentil » et qu’il voudrait un entretien avec nous. Nous lui avons dit d’aller prendre une autorisation avec le colonel Sangaré, directeur de la Justice militaire qui devrait, à son tour, saisir la hiérarchie. Nous lui avons dit que si la hiérarchie nous demande de le recevoir, nous le recevrons. Nous sommes un procureur militaire ; nous ne pouvons pas parler n’importe comment.


Quand il dit que « vous êtes gentil », c’est pour signifier quoi exactement ?

Il a dit seulement que nous sommes gentil. Nous lui avons dit donc de voir le colonel Sangaré. Il a rempli une demande pour la hiérarchie qui a refusé, estimant que Damiss est un accusé dans le dossier. Nous ne pouvions donc pas lui accorder l’interview qu’il voulait. Ouédraogo Adama Damiss est même venu dans notre bureau pour nous demander d’organiser des « fuites » pour lui. Il faut savoir que nous avons tenu à informer notre hiérarchie et nos collaborateurs de cette demande formulée par Damiss.

Vous dites « organiser des fuites ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Il nous a demandé de lui donner des informations sur le dossier. Nous lui avons dit que nous ne pouvions pas le faire. En dehors de cela, M. Ouédraogo et nous, nous n’avons pas d’antécédents. Nous ne le connaissons même pas.

Mais selon vous, qu’est-ce qui explique la sortie médiatique de Damiss ?

Vous devriez peut-être lui poser la question. Il a confondu peut-être les règles de procédures. Il croyait que nous refusons de lui donner la permission. Dès lors que l’audience est ouverte et puisque la demande est au niveau du président également, c’est au président de la Chambre de nous l’envoyer pour avis. A ce moment, nous pouvons, au niveau du Parquet, dire si nos réquisitions sont favorables ou défavorables. Dans tous les cas, il appartient au juge d’accorder à M. Ouédraogo une permission pour aller en Côte d’Ivoire ou pas. Le Parquet ne prend que des réquisitions que le juge n’est pas tenu de suivre. Au moment où nous vous parlons, le président ne nous a pas encore transmis le dossier.

Y a-t-il d’autres accusés qui ont les mêmes problèmes que Damiss ?

Sur les demandes de sortie, il y a Me Hermann Yaméogo qui a déposé également une demande et nous lui avons répondu exactement comme nous l’avons fait avec Damiss. La permission de sortie est du ressort du président de la Chambre de jugement, non du parquet dès lors que l’audience est ouverte.

Pouvez-vous revenir sur ce qui s’est passé le 31 mars où Damiss a été gardé à vue de 72 heures pour retard au procès ?

Si vous prenez l’arrêt de renvoi de M. Ouédraogo devant la Chambre de jugement, la Chambre de contrôle a décerné une ordonnance de prise de corps, en ce qui concerne tous les accusés renvoyés. C’est quoi une « ordonnance de prise de corps » ? Le siège, c’est l’article 150 du Code de procédure pénale. Cet article (dernier alinéa) dit que les accusés qui sont dans le ressort de la Cour d’appel où siège le tribunal, ne peuvent pas faire l’objet d’une ordonnance de prise de corps, sauf si dûment convoquées, ces personnes ne se présentaient pas à l’audience sans justificatifs. Cela veut dire que si vous êtes absent au procès, on exécute l’ordonnance de prise de corps. A l’audience du 31 mars, quand le président a fait l’appel, M. Ouédraogo Adama Damiss n’était pas à l’audience. M. Baguian Abdoul Karim et M. Faiçal Nanéma n’étaient non plus à l’audience. Donc, le Parquet a constaté leur absence et nous avons exécuté l’ordonnance de prise de corps. Après, nous ne savons pas ce qui s’était passé. M. Ouédraogo Adama dit Damiss est arrivé à 12h moins 10 minutes et il a dit qu’il était allé chercher des médicaments. Comme il n’en a pas trouvé, il est allé à Dapoya, et que dans un des « six mètres », un jeune lui aurait vendu les médicaments. Nous lui avons demandé où était le reçu qui prouve qu’il était effectivement allé payer des médicaments. Il a répondu que là où il est allé acheter le médicament, il n’y avait pas de reçu. Quand il est allé à l’audience, nous avons demandé aux gendarmes de le prendre, de dresser un procès-verbal et de nous l’envoyer. Il est venu. Comme c’est le droit que nous faisons, nous avons essayé de comprendre pourquoi il n’était pas là. C’était en présence de ses deux avocats, à savoir Me Bambara et Me Ouédraogo. Nous avons fait le PV et nous avons dit à M. Ouédraogo : si désormais vous voulez vous absenter, il faudrait que vous nous donniez votre position pour éviter ce qui est arrivé. Nous avons fait un PV avant de l’autoriser à rentrer chez lui tout en lui demandant de prévenir le président ou le greffier s’il doit s’absenter à l’avenir. Il nous a remercié et a dit que cet incident n’allait plus se répéter. Nous avons fait un PV que nous avons signé avec ses avocats. Nous étions étonné qu’après sa demande, il nous ait traités de la sorte. Véritablement, nous n’avons pas de problème avec lui. D’ailleurs, quand il dit qu’on aurait dû lui appliquer l’article 112 du Code de justice militaire, cet article concerne les prévenus qui ne font pas l’objet d’une ordonnance de prise de corps. Si vous êtes cité à être jugé par le Tribunal militaire, par voie de citation directe ou de flagrant délit et que vous ne venez pas à l’audience, le président, à ce moment, peut vous faire une sommation.

Effectivement, Damiss explique dans sa lettre qu’il revenait au président du Tribunal militaire de prendre une ordonnance motivée le concernant !

En réalité, je ne lui en veux pas parce qu’il n’est pas un spécialiste du droit. L’article 112 est relatif à des prévenus ordinaires qui sont cités et non des accusés qui font l’objet d’une ordonnance de prise de corps. Lui, c’est l’article 150 qu’on doit lui opposer et non l’article 112 comme il tente de le faire croire.

Est-ce un comportement qui peut irriter le procureur militaire ?

Non ! Vous pouvez peut-être vous sentir un peu blessé, mais connaissant les hommes, cela ne me dit absolument rien. Ceux qui sont à côté de moi peuvent être un peu choqués, mais moi non.

Dans le cadre du procès du putsch manqué, vos compétences ont plusieurs fois été mises en doute par certains. Est-ce que cela ne vous dérange pas finalement ?

La compétence de qui ? La compétence de la juridiction ou ma propre compétence en tant que magistrat ?

Nous parlons des deux à la fois !

Si c’est la compétence du tribunal, ce sont des dispositions d’ordre public. Si vous pensez que la juridiction saisie est totalement incompétente, vous pouvez exercer les voies de recours que la loi vous permet. Quant à nos compétences personnelles, d’un point de vue de profil en tant que magistrat, là également, nous n’avons pas de commentaire à faire. Se juger soi-même, ce serait tomber dans la vanité. La hiérarchie qui nous a mis ici, sait que nous pouvons conduire bien la procédure.

Avez-vous pensé un jour que ces remises en cause sont une façon de vous déstabiliser dans le dossier que vous gérez ?

Dans le procès, chaque partie développe ses arguments et ses moyens. Vous ne pouvez pas interdire aux parties, que ce soit la défense, l’accusation ou la partie civile, de développer leurs arguments. Il appartient aux juges d’en décider. On peut penser qu’on tente de me déstabiliser mais nous, nous ne faisons que notre travail.

Plusieurs avocats se sont déportés lors du procès en vous accusant d’être juge et partie. Comment réagissez-vous ?

Nous sommes partie, mais nous ne sommes pas juge. Peut-être que c’est au siège qu’on peut faire ce reproche. Nous sommes procureur, donc nous sommes partie au procès mais je ne suis pas juge. Ce sont les juges qui écoutent ce que les parties disent et tranchent en droit. Si on n’est pas d’accord, on interjette appel ou on se pourvoit en cassation.

D’aucuns estiment que la responsabilité de faire comparaître les témoins incombe au parquet. Pourquoi en a-t-il été décidé autrement au point de mettre à la charge de la défense, le soin de citer ses propres témoins ?

La question de la citation des témoins a fait l’objet d’un long débat entre les parties et le tribunal a statué par le jugement avant dit droit N°9. Si on n’est pas d’accord, on relève appel. L’article 105 dispose que les citations sont faites par la gendarmerie ou tout autre agent de la Force publique, et cela, gratuitement. La défense a déduit que la police judiciaire étant sous le contrôle du parquet, il revenait au procureur d’enjoindre à cette police judiciaire, de notifier la citation aux témoins de la défense. Il y a des avocats comme Me Toé, Me Yamba Roger qui ont cité leurs témoins à comparaître. Pour les questions de témoins, il faudrait que vous compreniez que les choses ne se font pas comme certains le pensent. Nous sommes en matière de procédure et il y a des règles qu’il faut respecter. La comparution des témoins peut se faire de deux façons. Il y a des témoins que vous pouvez citer à comparaître avant l’audience. Pour cela, la loi dit que vous devez donner la liste des personnes que vous voulez faire entendre à toutes les parties, notamment le ministère public, la partie civile et la défense. Au niveau du parquet, lorsque nous avons voulu citer les témoins, nous avons donné notre liste de témoins à chaque accusé lors de la citation. Nous avons remis cela à la partie civile. Nous avons respecté ce que la loi a dit. Maintenant, si les gens viennent et ne font pas ainsi et disent qu’il appartenait au parquet de citer leurs témoins, et comme le parquet ne l’a pas fait, ils quittent la salle d’audience, nous pensons qu’ils n’ont pas respecté les règles de procédure. Voyez-vous, ce n’est pas parce qu’une personne est citée comme témoin qu’elle doit être forcément entendue. En effet, l’article 116 du Code de justice militaire permet au Parquet de s’opposer à la liste des témoins ou des personnes citées, si cette liste n’a pas été communiquée aux autres parties (72 heures à l’avance) ou s’il y a des obstacles juridiques (question d’immunité). Pourquoi demander à un Procureur de citer un chef d’Etat en exercice ou un diplomate qu’il sait juridiquement impossible ?

Et des chefs coutumiers ?

Pour les chefs coutumiers, c’est possible.

Pourquoi l’article 116 dit-il que le procureur peut s’opposer à certains témoins cités et même la liste donnée ?

Comme nous l’avons déjà souligné, il y a des obstacles juridiques. En matière de relations internationales, c’est ce qu’on appelle le principe de la souveraineté des Etats. Le chef de l’Etat, par excellence, incarne l’Etat. On ne peut pas attraire un chef d’Etat étranger devant les juridictions burkinabè en vertu du principe de la souveraineté des Etats qu’on appelle en droit international le « comitas gentium ». Le droit, ce n’est pas faire du spectacle. Le droit a ses règles qu’il faut comprendre. Si vous ne comprenez pas le droit, vous allez penser qu’on fait du tort à autrui. Pourtant, ce n’est pas cela. D’où l’importance de l’expression « dura lex sed lex ». Si vous prenez la convention de Vienne sur les protections diplomatiques, vous allez vous rendre compte qu’on ne peut entendre un diplomate devant aucune juridiction d’un Etat. Le Burkina a signé ces conventions et nous n’avons pas à les violer. Nous sommes membres de la Convention de Vienne.

Pensez-vous donc que ceux qui réclament la comparution des chefs d’Etat font dans la fantaisie ?

Nous ne saurions le dire. Mais si les débats se poursuivaient, sur la base de l’article 116, nous allions nous opposer en montrant le fondement légal. Quant aux autres personnalités, nous vous assurons, encore une fois, que nous ne sommes pas du tout contre. Si la défense avait respecté les règles de procédure, c’est-à-dire citer ses témoins, et donner sa liste de témoins à l’avance à toutes les parties, nous n’allions pas nous opposer. C’est un faux débat de dire qu’on prive la défense de ses témoins. Le procès n’est pas une embuscade. Si vous prenez l’article 118 du Code de justice militaire, au cours des débats, toutes les parties peuvent faire venir un témoin à tout moment. Si au cours des débats, le nom X apparait chaque fois, l’accusé ou le prévenu, le ministère public, la partie civile et la défense, peuvent demander au président de faire comparaître ces personnes en qualité de témoins pour faire jaillir la lumière. Le président de la chambre de jugement va cacher cela comment, puisque c’est au vu et au su de tous que leur comparution s’avère nécessaire ? Nous n’avons jamais dit que les témoins cités ne viendraient pas. C’est la procédure qu’ils ont suivie pour faire venir les témoins au départ, qui a péché par le manque de citation, le manque de notification aux autres parties et ils ont occulté volontairement les obstacles juridiques qui concernaient certains des témoins. A ce moment, que peut-on bien faire ? Il faut que les gens comprennent que nous sommes en droit. Ce sont les règles de procédure d’ordre public.

D’aucuns estiment que la défense fait dans le dilatoire, c’est-à-dire chercher à gagner du temps. Qu’en pensez-vous?

Nous sommes enclins à le croire, lorsque nous observons l’évolution de la procédure. Dans les grands procès, et comme on a l’habitude de le dire, les procès se gagnent au niveau de la bataille sur les règles de procédure. Parce que les gens savent que lorsqu’on va véritablement au fond, ils n’ont pas grand-chose à dire. Ils ont commencé à dire que le décret portant nomination du président du tribunal n’a pas atteint les sept jours. On a renvoyé. On dit ensuite que la juridiction est illégalement constituée. Une juridiction que vous ne reconnaissez pas et vous récusez des gens et vous déposez des mémoires ? Finalement, on vient dire que c’est au parquet de faire les citations et on se rend compte qu’on a tort, on demande deux mois. Nous sommes en matière de procédure et il faut que chacun respecte les règles.

Peut-on considérer que le Procureur respecte les règles de procédure ?

Nous sommes toujours attachés aux règles de procédure. Le droit, ce n’est pas du spectacle. Vous vous souviendrez qu’ici, nous avons dénoncé auprès d’un Etat, les agissements d’un de ses compatriotes dans cette procédure. Ceux qui comprennent le mécanisme ont compris que c’était ainsi le cheminement. Ce n’était pas de gaieté de cœur que nous l’avons fait. Vous ne pouvez pas faire certaines choses en droit. En tout cas, nous sommes toujours attachés au respect de ces règles de procédure.

Pensez-vous que toutes les difficultés ont été aplanies pour que le procès du putsch manqué reprenne sereinement le 9 mai prochain ?

On ne peut vous le dire puisque vous-mêmes vous avez compris qu’il y en a qui usent de tous les moyens dilatoires pour retarder les choses. Il appartiendra, à la reprise, au regard des moyens et des arguments que va développer chacune des parties, au tribunal d’aviser.

Donc, est-ce qu’à votre niveau tout est nickel?

Nous n’avons pas la prétention de dire cela. Nous disons que nous essayons de nous attacher véritablement au respect des règles de procédure. Le procès, comme le disait un de nos aînés, ce n’est pas une embuscade qu’on tend forcément à quelqu’un. Vous pouvez venir au tribunal et être, soit acquitté, soit relaxé. Ce n’est pas parce qu’on est devant un juge qu’on est condamné.

Sur le procès du putsch manqué, avez-vous quelque chose à dire à l’opinion ?

Il faudrait que l’opinion comprenne qu’il y a des règles de procédure. C’est le législateur burkinabè qui a imposé ces règles et nous avons l’obligation de les respecter. Si nous ne les respectons pas, nos décisions encourent cassation. Nous comprenons que les gens veulent qu’on aille vite, mais il aurait fallu que le législateur allège les règles de procédure. Sinon, nous avouons que ce n’est souvent pas facile.

Où en est-on avec le dossier du Colonel Auguste Denise Barry ?

Le dossier du Colonel Auguste Denise Barry est là. Nous avons demandé la communication du dossier et on nous l’a envoyé pour prise de connaissance.

Peut-on avoir une idée du contenu de ce dossier ?

Le juge est en train de faire son travail. Il instruit toujours.

Au stade actuel, que peut-on dire sur le dossier Barry ?

Au stade actuel, nous pouvons dire que dans cette procédure, quatre personnes ont été inculpées et déposées à la MACA. Une personne a été inculpée et laissée libre ; deux autres personnes ont été inculpées mais à l’étape actuelle de la procédure, le juge s’est rendu compte que leurs agissements ne rentraient pas en droite ligne dans les faits qui sont reprochés au colonel Barry. Il veut aviser en nous référant une ordonnance d’incompétence pour voir quelle est la juridiction qui sera compétente pour connaître du sort de ces deux. Je voudrais préciser que dans ce dossier, 18 témoins, civils et militaires, ont été entendus.

Peut-on revenir sur ce dont on accuse le colonel Barry ?

Il a été arrêté le 29 décembre 2017 et après les actes d’investigations, la police judiciaire nous l’a conduit ici en début janvier 2018. A la même date, nous avions pris une réquisition afin d’informer et le juge d’instruction a ouvert une information judiciaire pour des faits de complot, des incitations à commettre des actes contraires à la discipline, au regard des faits qui ont été relatés dans les procès-verbaux de la Gendarmerie. Le juge a commencé ses investigations. Sur le complot, c’est le fait d’inciter, ou bien le fait de s’associer à une ou plusieurs personnes pour renverser un régime légal ou tout simplement inciter les populations à s’armer les unes contre les autres. L’incitation à commettre des actes contraires à la discipline est une infraction militaire. Lorsqu’un militaire, par des gestes, des écrits, des paroles, incite ou pousse des militaires ou des subordonnés à poser des actes contraires à leur statut de militaire, on le poursuit pour des actes d’incitation à commettre des actes contraires à la discipline militaire sur la base de l’article 207 du Code de justice militaire. Le complot, lui, il est prévu à l’article 109 du Code pénal.

Les preuves matérielles que vous aviez présentées en son temps, avaient fait sourire certains qui n’y voyaient que dalle. Avec le temps, avez-vous de nouvelles preuves contre Barry ?

L’instruction suit son cours. Laissons le juge faire son travail. Dans cette affaire, quand nous avions dit, à l’époque, qu’il y avait des sommes d’argent, d’aucuns avaient trouvé que c’était dérisoire. Mais en réalité, ce n’est pas la somme d’argent qui est incriminée mais l’agissement. Le fait de recruter des gens en vue de sortir et de casser pour obliger un régime légalement mis en place à démissionner, cela peut se faire sans argent. Peut-être que l’argent était juste un moyen de motivation. Quand on passe par des relais pour rassembler des gens et leur dire de sortir, faire une insurrection dans certaines grandes villes, d’Est en Ouest et du Centre au Nord du pays, pour contraindre un régime légal à démissionner, ça, c’est le complot par définition. Il n’y a pas mieux que ça ! Quand les personnes contactées vous décrivent avec force détails, soit au niveau civil, ceux qui les ont contactées pour cette entreprise, ou bien au niveau militaire, quand ces personnes vous expliquent comment elles ont été contactées par l’intéressé, je pense que si c’était une, deux ou trois personnes, on pouvait en douter. Mais quand ça dépasse cela, je pense qu’il y a des indices et quand les moyens électroniques dont disposaient les personnes mises en cause commencent à parler, nous pensons qu’il n’y a pas plus preuve que ça.

Justement, les conclusions de l’expertise faite sur les ordinateurs du Centre dirigé par Barry, devraient être remises à son avocat. Est-ce que cela est fait ?

Oui, c’est fait. Le rapport est fait.

Peut-on en savoir davantage sur le contenu ?

Nous pouvons dire seulement que les indices commencent à parler. L’expertise faite sur certains téléphones des témoins laissent transparaître des agissements répréhensifs. Vous verrez que, véritablement, il y a eu complot. Une des pièces maîtresses a pu malheureusement arracher un certain nombre de téléphones et d’ordinateurs et s’est volatilisée dans la nature. Je parle du consul honoraire du Burkina Faso au Libéria. On lui a demandé de prendre tout et de fuir. Nous pensons qu’il faut laisser le juge travailler sereinement.


Donc, l’affaire n’est pas pour casser du Barry ?

Non ! Nous nous en tenons aux faits, rien qu’aux faits.

Y a-t-il des initiatives pour rechercher le consul ?

Oui. C’est au juge qui instruit de faire ce qu’il doit faire à travers des recherches, notamment des émissions de mandats qu’il juge utiles.

N’êtes-vous pas manipulé par les politiciens ?

Nous ne faisons pas de politique. Nous vous en donnons l’assurance. Ça ne nous a jamais intéressé d’ailleurs.

Vous est-il arrivé de vouloir jeter l’éponge ?

Non. De toute façon, c’est un service public, c’est la continuité du service public. Quand on va se rendre compte que vous êtes essoufflé, on enverra quelqu’un d’autre pour vous relayer.

Avez-vous un autre commentaire à faire ?

Au regard de la nature de nos dossiers, nous demandons au public et à l’ensemble des acteurs qui sont concernés, de comprendre que ce sont des dossiers judiciaires et il faut souvent les traiter avec moins de passion. Il faut souvent réfléchir par deux, trois ou quatre fois avant de prendre une décision ou avant de dire certaines choses. Mais nous qui sommes formés pour cela, les critiques que les gens font à notre égard, nous les acceptons et nous prions Dieu que ces dossiers connaissent un aboutissement pour que ceux qui seront acquittés puissent reprendre leur vie professionnelle normale. Il est important de vider ces dossiers pour que le Burkina Faso puisse se construire dans la paix et la cohésion. Notre travail vise la construction de la paix.

Propos recueillis par Michel NANA et Issa Siguiré

Qui est le Procureur Alioun Zanré

Le commandant Alioun Zanré est un magistrat qui a plus de 27 ans de carrière dans le domaine judiciaire et sécuritaire. Il a un CV bien rempli : officier de police judiciaire, greffier en chef, Directeur de prison, magistrat, expert des Nations unies en formations et réforme de police, consultant international, expert en enquête des violences sexuelles en temps de conflits et procureur général de la République… C’est un procureur rompu à la planification, la conduite et le soutien des opérations en matière d’enquêtes et poursuites des crimes internationaux, direction de la police judiciaire et gestion des Parquets. Le commandant Ailoun Zanré est enseignant-chercheur en droit international, droit international pénal et droit international humanitaire. Ses compétences l’ont conduit dans plusieurs misions au niveau international, notamment en République démocratique du Congo (RDC). Il a été, entre autres : expert en formation et réforme de Police nationale congolaise (PNC) ; conseiller en enquête pour les Cellules d’appui aux poursuites (CAP) durant deux ans dans les zones sortant des conflits armés à l’Est de la RDC ; consultant international, expert en enquêtes des violences sexuelles en temps de conflits pour le PNUD, Goma/RDC mis à la disposition des CAP de la Mission des Nations unies pour la stabilisation de la RDC de 2015 à 2016. L’actuel Procureur général de la République près le tribunal militaire de Ouagadougou, est enfin conseiller et expert en Enquêtes et poursuites des crimes tombant sous le statut de Rome.
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