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Lutte contre le terrorisme : Le Soum, une tragédie silencieuse
Publié le mardi 10 octobre 2017  |  Le Pays




Le nord du Burkina Faso, précisément la zone sahélienne, est la cible d’attaques terroristes répétées. La situation sécuritaire est telle que la population se pose beaucoup de questions en termes d’actions pour sortir de cet enfer. Dans les lignes qui suivent, le Dr Hamidou Tamboura, chercheur, anthropologue, ethnologue, historien, apporte un éclairage sur cette situation qui prévaut dans sa région d’origine.



La réflexion que je soumets ici nous concerne tous, sahéliens et Burkinabè de tous ordres. Attaques à main armée, symboles de l’État saccagés, incendiés, règlements de compte tous azimuts, ceci engendre la peur au ventre que vivent les populations de la région du Sahel, et plus précisément celles de la ville de Djibo et des contrées environnantes. Cette situation, allant de mal en pis, ne peut qu’engendrer deux états d’esprit : tout d’abord, un sentiment de résignation et de survie, de peur et d’embrouille. Ensuite, il y a une révolte interne, à tout le moins une indignation justifiée. Des chefs religieux assassinés, des personnes menacées obligées de fuir pour échapper à la mort, l’insécurité devient banale.

Que l’on se comprenne bien, il ne s’agit point pour moi de dire que les autorités compétentes ne font pas leur travail, loin s’en faut. Je me permets, cependant, de tirer la sonnette d’alarme pour faire comprendre que la situation se complique de plus en plus, pour les pauvres et paisibles citoyens qui ne demandent qu’à s’occuper de leur champ et de leurs petits ruminants. Le problème est certes complexe et il exige des solutions tout aussi complexes. Les nouveaux modes opératoires des terroristes, quels que soient leurs origines, leur motivation et leurs idéaux, sont de plus en plus efficaces. Et pour cause, leurs actions largement médiatisées renforcent davantage la psychose des populations locales. Pour cette raison et pour tant d’autres encore, nous devrions prendre à bras-le-corps cette situation fort embarrassante, en tenant, bien entendu, compte de nouvelles formes de stratégies à initialiser.

Ces sans-voix ne peuvent que regarder, subir sans pour autant pouvoir agir, ni pour la protection individuelle, ni celle familiale. Il est grand temps que l’on mette, non plus en parole, mais en actes concrets dissuasifs, inclusifs, au-delà de tout clivage régionaliste et « ethniciste ».

Les actes de terreur perpétrés si souvent en temps et en lieu voulus par ces individus, contribuent fortement à démoraliser ceux qui sont censés assurer la défense et la sécurité. La répression systématique par la mise à mort de tous ceux qui osent signaler une présence suspecte, a fini par dissuader ceux qui détiennent des informations d’en faire part, au péril de leur vie. Quelques exemples flagrants, sans être exhaustifs, sont prégnants.

Pour ne parler que de cas récents, le 26 février dernier, une attaque a fait cinq morts dans les familles des villages autour de Djibo (Ndidja, Neyba et Sibé).

Le 1er septembre 2017, à Djibasso, des individus armés sur trois motocycles ont attaqué le poste de gendarmerie avant de prendre la fuite.

Début septembre, évacuation des volontaires américains du « corps de la paix », pour risque d’insécurité, signe que notre pays devient, aux yeux du monde, instable et incertain.

Le 4 septembre, irruption d’hommes armés dans le village de Kourfadji (dans le Sahel), tirs d’armes lourdes et prise d’otages ; le lendemain, des tirs ont à nouveau été entendus dans le même village.

Le jeudi 7 septembre, des individus armés entrent dans la mairie de Diguel (50 kilomètres de Djibo) et enlèvent un conseiller municipal.

Dix jours plus tard, c’est le chef du village de Wendopoli, 20 kilomètres de Baraboulé, qui a été assassiné par des hommes armés qui ont aussitôt disparu.

Le 23 septembre, un véhicule de l’armée burkinabè saute sur une mine à Wouro Saba, faisant des blessés graves sur le coup, non loin du camp des réfugiés de Menthao.

Le 25 septembre, c’est la patrouille anti-terroriste qui saute sur une mine anti-véhicule, se soldant par sept blessés.

Le 26 septembre, des hommes armés emportent plus de 200 bœufs dans la commune de Baraboulé.

Le 27 septembre, des hommes armés embusqués blessent deux gendarmes d’un convoi sécurisé. Le même jour, la gendarmerie de Toéni dans la localité de Tougou a été attaquée à l’arme lourde.

Le 2 octobre, la gendarmerie de Nassoumbou a été saccagée par des personnes non identifiées. L’on se rappelle que Nassoumbou a été le théâtre d’un bain de sang des plus violents, il y a quelques temps.

Avant cela, Tongomael, Baraboulé et bien d’autres endroits ne furent guère épargnés : commissariats incendiés, caisses vidées, personnes assassinées, armes emportées, j’en passe.

L’enlèvement du Docteur Eliot, notre compatriote toujours porté disparu, a laissé un vide impressionnant, quand on sait que depuis plus de 40 ans, sa clinique était le lieu où se soignaient les plus démunis, venus de Djibo et des environs. Les populations de Djibo et des villages alentours, restent traumatisées en silence, les écoles ne fonctionnent qu’à contrecoup, les activités sont au ralenti, la peur au ventre et pire, ils ne savent que faire. Inévitablement, un sentiment victimaire s’installe.

Victimes, nos forces de l’ordre, forcées à faire face à une guerre asymétrique, en nombre relativement insuffisant tout autant que les moyens matériels à leur disposition.

Victimes, les habitants des villages se sachant désormais entre l’enclume et le marteau ; se posent des questions sur l’avenir de leurs progénitures (pour qui ils ont dû vendre chèvres et poulets pour assurer la scolarité).

Victimes et constamment inquiets pour leur vie, les enseignants et les infirmiers doivent braver une réelle menace pour faire leur travail.

Victimes enfin, tous ceux qui de près ou de loin, observent impuissants, une avancée inexorable d’une déstabilisation en marche.

Je demeure convaincu que toute forme de solution doit consister à faire en sorte que les populations locales de la région se sentent concernées

L’argument victimaire est loin d’être une solution, nous nous devons de soulever les questions qui gênent.

D’une part, nous souhaitons une adhésion sans faille des populations locales et, dans le même temps, ces dernières doivent se mettre en danger pour démasquer des intrus capables de se venger dans le sang. Je demeure convaincu que toute forme de solution doit consister à faire en sorte que les populations locales de la région se sentent concernées. Quelle confiance une population peut-elle avoir à ses forces de l’ordre dont les sièges sont constamment incendiés ?

Quelle motivation peuvent avoir de jeunes recrues avec si peu d’expérience, pour faire face à un ennemi volatil, souvent invisible, insaisissable et à la maîtrise parfaite du terrain et qui, de surcroît, bénéficie de complicités internes ?

En écoutant des ressortissants de la région, on mesure largement le désarroi auquel ils sont en proie. « Ces gens-là sont surarmés, connaissent le terrain et agissent comme bon leur semble », me dit une source désireuse de rester anonyme. Des efforts existent, mais cela reste largement en deçà de ce qu’il faudrait : « Quand on vous menace ou vous agresse, vous allez à la police ou à la gendarmerie. Mais, si vous voyez que la Police et la Gendarmerie brûlent, vous n’avez nulle part où aller, vous vous confiez à Dieu ». Ces révélations traduisent une inquiétude, une lassitude et un sentiment d’abandon. Les habitants des villages ont l’impression d’être en face d’un danger dont l’État lui-même n’est pas capable, pour l’instant, de remédier.

Ce piétinement trouve son sens dans la confusion faite entre les terroristes (qui bénéficient de quelque soutien par opportunisme ou par intimidation. Cependant, faudrait-il savoir qu’en

réalité, les habitants, en plus grand nombre, ne se sentent ni de près ni de loin associés à eux. Seulement, le bât blesse lorsque l’on demande à une personne menacée de collaborer, à ses risques et périls, de dénoncer des individus mal intentionnés qui savent où se trouve tout le monde et n’hésitent pas à faire des expéditions punitives pour montrer l’exemple et, ainsi, se garantir une couverture sociale parfaite.

À ce rythme, Djibo et ses environs pourraient devenir un no man’s land, une base- arrière aux terroristes traqués de toutes parts, ce qui n’est pas pour assurer la sécurité des Burkinabè. Le ver est dans le fruit, mais il existe des possibilités de ne pas contaminer tous les fruits de l’arbre. Il est de notre devoir premier de repositionner la riposte face à une gangrène qui n’est qu’à ses débuts.

Pour rechercher une solution adéquate ou à tout le moins, comprendre la complexité du vécu quotidien dans cette partie de notre pays, il me semble important d’examiner l’image que se font d’elles-mêmes les populations directement concernées. Car, si à Ouagadougou, nous en parlons comme d’un fait divers, la réalité racinaire est tout autre. Comment cette région a-t-elle pu basculer dans un tel engrenage et que fait-on pour le comprendre ? Là est, de mon point de vue, la question fondamentale. Il est grand temps que les solutions, toutes formidables et bien inspirées soient-elles, ne restent aux yeux des populations de la région, fort putatives.

Région en majorité pratiquant un Islam de base, pacifique et sans controverse au départ, d’obscurs prêcheurs à la verve trompeuse ont pu y voir un terreau fertile pour répandre leur stratégie camouflée. En effet, dans un premier temps, il s’est agi pour eux, afin de convaincre,-et cela n’a pas été difficile-, des populations mal renseignées, qu’ils apportaient l’essence-même de la religion. Ces prédicateurs ayant même bénéficié de cadre d’écoute ont commencé par « s’humaniser », racontant les préceptes de la religion, évoquant des exemples du prophète Mohamed et allant même jusqu’à fustiger le wahhâbisme qu’ils désignaient comme le symbole-même du radicalisme. Une fois certaines populations, en mauvais termes avec la notion du radicalisme voilé des Wahhabites, les terroristes commencèrent à montrer peu à peu leur réel visage. Ainsi, des adeptes de leur nouveau courant, endoctrinés par l’idée que tous nos maux nous viennent des « mécréants occidentaux », commencent à mener des actions nocives censées être dissuasives, non plus à l’encontre des Occidentaux seulement, mais aussi de leurs supposés complices. La graine de la haine ainsi semée, la porte est ouverte à toutes les formes de privations et d’expéditions punitives. C’est alors que, depuis quelques années, au Sahel, il a été formellement interdit, lors des cérémonies de mariage, l’usage du tam-tam traditionnel, pourtant patrimoine culturel local d’importance, sous le prétexte que cela engendrerait des rencontres entre femmes et hommes et que cela était un signe de débauche. Dans tout le Sahel, le son des tam-tam festifs s’est tu, sauf à Tongomayel où la ténacité de certains courageux a permis le maintien de ce patrimoine culturel ancestral, facteur de solidarité entre populations. La perte d’un tel repère identitaire est le début de la perdition. L’argument avancé était, à tort, qu’un bon croyant doit tout oublier de ce qui fait le fondement de sa culture de naissance. Et, c’est précisément là que commence le détournement spirituel, le manque de repère et la perte de la tolérance. Mais, s’engager pour le bien de tous est souvent si ingrat que, ceux-là-mêmes qui sont défendus trouvent raisonnable de bouder ce qui fait leur propre stabilité. Quand la peur remplace le respect, quand de pseudo règles nouvelles bouleversent radicalement le fonctionnement établi, alors les individus errent à la recherche d’un salut illusoire, bien souvent terminé dans le sang et dans le regret.

À cela s’ajoute des conditions de vie précaires face auxquelles chacun, au détriment des autres, ne cherche qu’à tirer son épingle du jeu.

Il faudrait donc une connaissance approfondie de ce qui fait le fonctionnement des populations, avant d’engager quelques formes de solution possible. Nul n’est foncièrement mauvais, ce sont les circonstances qui transforment l’homme.

On ne saurait lutter contre l’invisible en se rendant visible

La première erreur à ne pas commettre consiste à dire que c’est ainsi et que l’on ne peut rien faire. Pour peu que l’on s’immisce dans ce fonctionnement pour comprendre qui tire quelle ficelle, le problème, s’il n’est pas déjà irréversible, finit par trouver une solution adéquate.

Face à un ennemi interne qui, de surcroît prend de l’avance, il faudrait impérativement le combattre à l’interne, en utilisant ses propres stratégies, ses propres modes opératoires. On ne saurait lutter contre l’invisible en se rendant visible. En incluant, parents, amis et proches dans le suivi des activités des déstabilisateurs, en permettant à chacun de s’exprimer via un canal sécurisé et en renforçant les liens et même en créant une réelle complicité entre forces de l’ordre et populations, que nous nommons péjorativement « paysans », il n’y aurait aucune once de terrain où un quelconque suspect pourrait se cacher.

Mais, avant d’en arriver là, il faudrait avant tout décomplexer les relations entre populations locales et autorités sécuritaires. A l’heure actuelle, les populations de Djibo et des environs assistent en spectateurs impuissants, entre un marteau répressif des forces de l’ordre, elles-mêmes souvent victimes, et l’enclume d’individus avides de répandre la terreur.

Une population livrée à elle-même, en tous les cas se définissant comme telle, avec de plus en plus de difficultés d’accéder à des soins minimaux, des enfants à l’éducation scolaire irrégulière, ne saurait, en aucun cas contribuer à changer positivement la donne ; encore moins assurer l’avenir de futurs citoyens consciencieux.

L’idée répandue dans les villages lointains des centres villes, demeure que « Nous n’appartenons au pays que quand approchent les périodes électorales ». C’est précisément ces zones qui sont ciblées par les marchands de sommeil et les distributeurs de la mort, pour s’y implanter. Dans un village, tout le monde connait tout le monde. Cependant il faudrait une confiance indéfectible pour désigner un voisin mal intentionné, cela passant par le sentiment que des représailles n’en seront consécutives.

Partagées entre la volonté de vivre en paix sans subir les exactions des intrus, les populations restent hésitantes, quant à la dénonciation, de peur d’en perdre la vie.

Il n’y a pas longtemps encore, être garant de la sécurité dans les régions reculées de notre pays conférait à certains hommes de tenue, une aura allant au-delà du respect, de la crainte même, d’où une peur généralisée des habitants. De ce fait, certains « faiseurs de loi » n’hésitaient pas à impressionner, voire menacer, en cas de litige, au lieu de faire office de médiateurs. Une personne apeurée ne se confie pas. Cette méfiance longtemps cultivée participe largement au silence coupable mais compréhensible, voire à la défiance vis-à-vis des forces de l’ordre. En déconstruisant cette psychose de complexe, on amorcerait sans doute une ébauche de solution. Aussi, porter une barbe longue ne devrait-il pas systématiquement rendre un individu suspect, d’autant que ce caractère pourrait même le rendre sympathique aux yeux des malfaiteurs, qui verront en lui un potentiel allié.

En somme, une trop grande visibilité engendre des ripostes par des actions d’éclat d’une lâcheté et d’une violence inouïes. À force de solutions curatives à court terme, de réparations après coup, nous ne sommes pas à l’abri d’un engrenage, duquel il serait très difficile de sortir. Le rapport de force entre forces de l’ordre et forces du « mal » ne sont pas, pour l’instant hélas, en faveur des premières, ce qui déboussole davantage les populations victimes de tiraillements.

Le Burkina Faso devrait opter pour une déconstruction stratégique, un remaniement structurel et une offensive à la mesure du problème. La stigmatisation radicalisante est le terreau fertile pour toute forme d’actes nocifs.

Docteur Hamidou TAMBOURA,

Chercheur, Anthropologue, Ethnologue, Historien,

Spécialiste des Métiers du Patrimoine,

Président de l’A.S.P.E.C.T.
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