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Demande de démission du ministre de la justice : Les magistrats en guerre contre l’incivisme au sommet de l’Etat
Publié le samedi 20 juillet 2013   |  Le Reporter


Justice
© aOuaga.com par A Ouedraogo
Justice : Prestation de serment des magistrats à la cour d`appel de Ouagadougou
Vendredi 28 septembre 2012. Ouagadougou. Palais de justice


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Les syndicats de magistrats ne sont pas contents de leur ministre de tutelle. Ils l’ont fait savoir au président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le Président Blaise Compaoré, dans une déclaration datée du 25 juin dernier. Cette levée de boucliers dans le corps de la magistrature fait suite aux sorties incompréhensibles et même hasardeuses des ministres en charge des mines et de la justice suite à l’affaire des 23 kilos d’or, que détient illégalement la Brigade nationale de lutte anti-fraude de l’or (BNAF) avec le soutien du ministre de tutelle (voir Le Reporter N°119 et N°120). Les magistrats reprochent à ces ministres d’avoir critiqué une décision de Justice (qui a pourtant l’autorité de la chose jugée) et d’avoir publiquement remis en cause l’indépendance de la magistrature. Ce courroux s’explique aussi par le refus de membres du gouvernement d’exécuter une décision de Justice. Cette affaire a sans doute été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Car, les décisions de Justice rangées dans les tiroirs par le gouvernement, il y en a à la pelle. Même le président du CSM piétine les décisions de la Justice. Reste donc à espérer que cette exigence des syndicats de magistrats sonnera le tocsin et pourquoi pas secouer le cocotier.



« Ministère des Mines : une affaire brûlante de « deal » de plus de 23 kilos d’or ! » Ainsi titrions-nous un article paru dans Le Reporter N°119 du 1er au 15 juin 2013. En rappel, cette affaire oppose un citoyen à l’Etat burkinabè. « Tout commence précisément le 5 mars 2012. Sur dénonciation d’anonyme, des éléments de la BNAF(Brigade nationale de lutte anti-fraude de l’or) mettent aux arrêts, aux environs de 2h30mn du matin, un homme transportant à bord de sa voiture une importante quantité d’or : 94 lingots d’or emballés en 9 colis avec un sachet plastique noir bien scotchés ; le tout évalué à environ 23 528g, soit près de 500 millions FCFA. La scène se passe au poste de péage, sortie de Ouagadougou sur la RN4, route de Pô. L’homme est immédiatement déféré au Parquet et déposé à la MACO. Il est poursuivi pour « Fraude en matière de commercialisation d’or, vol et abus de confiance ». (…) A la barre du Tribunal de grande instance de Ouagadougou, en son audience de flagrant délit du 25 avril 2012, tout en réfutant l’ensemble des faits à lui reprochés, il s’explique : selon lui en effet, il est collectionneur agréé par une société d’achat d’or, dénommée SONA-OR-SARL, régulièrement constituée et titulaire d’un agrément suivant arrêté interministériel, portant octroi d’une autorisation d’ouverture d’un comptoir d’achat, de vente et d’exportation d’or au Burkina Faso. ». Au terme de son procès, il est acquitté et le tribunal a ordonné la restitution de l’or à l’employeur du prévenu, qui est le véritable propriétaire de l’or. Le Parquet et l’Agent judiciaire du Trésor font appel. La Cour d’appel confirme le jugement en première instance. Ils se pourvoient en cassation. Echec et mat. Une fois de plus,le jugement a été confirmé. L’Etat a donc épuisé toutes les voies de recours. Mais fait bizarre, il accepte de restituer la voiture du mis en cause et sa relaxe, mais refuse de restituer l’or. L’Agent judiciaire du Trésor, constatant de l’échec de la procédure,demande, comme il se doit, au Directeur général de la BNAF, de restituer l’or à son propriétaire. Mais le ministre Salif Kaboré des Mines, convaincu sans doute de sa toute- puissance, s’y oppose. Le DG de la BNAF a préféré obéir aux ordres de son ministre contre une décision de Justice.

Trop de suffisance ou mépris ?

Lorsque nous publions cet article, nous nous attendions certes à une réaction des plus virulentes de la part du ministre des Mines. Effectivement, il l’a fait. Il a invité le journaliste pour lui montrer l’or en question et le rassurer qu’il ne l’a pas vendu. Le ministre n’a trouvé d’autre moyen de justifier sa défiance de la Justice que de se plaindre à notre journaliste qui aurait quelque chose contre lui. Mais là, c’est la rengaine presque coutumière de tous ces protégés et gourous de la république qui croient que tout le monde doit se jeter chaque fois à leurs pieds et les caresser dans le sens des poils. Cela relève donc d’une banalité pour nous.

Ce qui l’est moins, c’est cette arrogante défiance de la Justice de la part du ministre Kaboré. Il affirme s’être référé au Premier ministre et au ministre de la Justice. Tant que ces derniers ne lui demanderont pas de restituer l’or, il ne le fera pas, martèle-t-il. C’est une véritable aberration pour un ministre qui se dit attaché aux principes de l’Etat de droit. Le Premier ministre et le ministre de la Justice sont-ils au-dessus de la Justice ? Leurs avis sont-ils plus importants qu’une décision de Justice ? Au nom de quoi le ministre Kaboré peut-il décider de défier la Justice ? Qui peut-il convaincre dans ce pays qu’il s’est si attaché au bien public au point de se battre avec autant de zèle contre la Justice ?

Plus grave et sans gêne aucune, il affirme qu’il a des preuves de manquements graves aux règles de droit et soupçonne des juges d’avoir trempé dans la corruption dans le traitement de ce dossier. Cette arrogance et cette insouciance, il l’exprimerait beaucoup plus clairement dans sa lettre adressée à son collègue quand il affirme, entre autres,que la Cour d’appel a confirmé sans trop de discernement le jugement en première instance et qualifiait la décision de Justice de surprenante et d’illégale. Si ce n’est un profond manque de respect à l’institution judiciaire, c’est tout au moins l’expression d’une trop grande suffisance à la limite de l’irresponsabilité pour un ministre. Car, nous ne lui ferons pas l’injure de croire qu’il ne sait pas, qu’en tant que membre du gouvernement, il lui est interdit de commenter, de quelque manière que ce soit, une décision de Justice.

Dramane Yaméogo est de retour !

Mais le pire viendra du ministre de la Justice. Non content, il a suivi son collègue dans sa défiance de la Justice mais ce dernier, au cours du point de presse du gouvernement du jeudi 20 juin dernier, s’en est vertement pris aux juges et à la Justice qui auraient rendu une décision en violation flagrante de la règle de droit. On tombe des nues. Mieux, il affirme comme son collègue qu’il y a eu manquements graves aux règles de droit. Il a donc saisi madame le Procureur général qui devrait instruire le Procureur du Faso pour l’ouverture d’une enquête contre X pour corruption. On aurait applaudi le ministre Dramane pour cet intérêt pour l’assainissement de la magistrature. Cependant, cette façon cavalière de s’immiscer dans le pouvoir judiciaire semble plus motivée non pas par une quelconque volonté de lutter contre la corruption, mais bien plus par un mépris et un entêtement à soutenir un collègue qui défie la Justice. Pour un magistrat, c’est une aberration. Mais venant de Dramane Yaméogo, ce n’est vraiment pas surprenant. L’ex-Procureur du Faso qu’il est, s’était forgé une réputation peu glorieuse dans l’affaire David Ouédraogo du nom de ce chauffeur de François Compaoré torturé, à mort, par des éléments de la sécurité présidentielle. Pour mémoire, ce dossier David Ouédraogo a défrayé la chronique de l’actualité nationale en 1998, notamment grâce aux investigations de feu Norbert Zongo. Le Procureur du Faso de l’époque (l’actuel ministre de la Justice) avait non seulement refusé d’ouvrir une enquête pour retrouver les assassins de David Ouédraogo, mais avait fait le choix de traumatiser le frère cadet du défunt qui avait osé porter plainte. Le journaliste Norbert Zongo avait lui aussi subi ces interrogatoires dont Dramane Yaméogo seul avait la méthode. La suite, on la connaît. Norbert Zongo fut assassiné le 13 décembre 1998. Le dossier David Ouédraogo a été finalement jugé en août 2000. 3 éléments de la garde rapprochée de Blaise Compaoré condamnés à 20 et 10 ans de prisons. Tous les trois sont morts aujourd’hui. Précisons que tous ces trois faisaient partie des « suspects sérieux » identifiés par la Commission d’enquête sur la mort de Norbert Zongo.

Dramane Yaméogo, lui, a été nommé ambassadeur au Nigeria, avant le procès. Après une dizaine d'années en poste au Nigeria, il a été promu ministre de la Justice. L'on savait bien que de lui, il ne faut rien attendre en termes de contribution à l'amélioration de l'indépendance de la Justice. Car, assurément, il ne semble pas en être un adepte. Mais l'on était loin de s'imaginer qu'il pouvait aller si loin dans la négation de l'indépendance de la Justice. Et voilà ! Chassez le naturel, il revient au galop.

Le président du Faso lui-même n’est pas exempt de reproche

Dans cette affaire de 23 Kilos, Dramane Yaméogo a fait le choix de soutenir son collègue ministre des Mines, contre l’indépendance de la Justice. Le ministre Dramane Yaméogo, vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, donc l'un des garants de l'indépendance de la Justice, a fait le choix de violer, volontairement la loi et de jeter des magistrats en pâture.

Face à cette dérive dangereuse, les syndicats des magistrats ont décidé de demander sa démission pure et simple et sa mise à disposition de la Justice pour répondre de la violation de la loi qui lui impose une interdiction de commenter une décision de Justice. Dans leur lettre ouverte au président du Faso, président du CSM, les syndicats, tout en réjouissant de toute initiative tendant à lutter contre la corruption dans leur corps, demandent aussi la mise à disposition de la Justice, du ministre en charge des mines pour répondre des mêmes faits.

Voilà une affaire de droit commun qui est en passe de devenir une affaire d’Etat par la faute de deux ministres qui se croient tout permis. Dans quelle république sommes-nous ? Les récriminations des syndicats bénéficieront-elles d’une oreille attentive du président du Conseil supérieur de la magistrature ? Rien n’est moins sûr !

Car lui-même n’est pas exempt de tout reproche en matière de refus d’exécuter une décision de Justice. En effet, dans Le Reporter N°119, nous nous sommes fait l’écho des misères de femmes radiées de la gendarmerie qui, malgré les décisions de Justice en leur faveur, attendent désespérément leur réintégration ordonnée par la Justice.

Et ce n’est pas tout, les décisions de Justice qui sont rangées dans les tiroirs des gouvernants sans un début d’exécution sont innombrables. Certaines sont inscrites même dans les cahiers de doléances des syndicats.

En tout état de cause, ce dossier qui fait aujourd’hui des gorges chaudes dans le monde judiciaire, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En fait, il symbolise le sentiment de victime de mépris qui anime le monde judiciaire. Pire, la façon flagrante dont cette aberrante immixtion dans les affaires judiciaires a été faite, symbolise l’esprit de puissance et de mépris de certains gouvernants vis-à-vis des autres acteurs de la gouvernance, en l’occurrence la Justice. C’est un état d’esprit. C’est une pratique, une culture politique, une perception du pouvoir. A la vérité, bien des hommes au pouvoir ne croient en rien, en termes de principes et règles élémentaires de l’Etat de droit. Ils cultivent et pratiquent l’incivisme, parfois avec une violence et une flagrance déroutantes tout en demandant aux populations d’être des citoyens responsables respectueux des règles de civilité et de civisme. Ils se donnent tous les droits et veulent imposer aux autres rien que des devoirs. Ils contribuent ainsi au développement de l’incivisme, au rejet de l’Etat et de ses institutions, à l’émergence de justice privée. Ils mettent la paix sociale en péril et la république en danger. Et les mêmes s’étonnent que les autres réagissent contre leurs turpitudes. Mais à ce jeu-là, ils se perdront définitivement, tôt ou tard.

En attendant ce que décidera le Président Blaise Compaoré (le seul qui détient réellement du pouvoir dans ce pays), il appartient aux magistrats et à tous les citoyens soucieux du respect du principe de la séparation des pouvoirs et donc de l’Etat de droit, de se mobiliser pour mettre fin à ces pratiques dignes d’une autre époque.

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