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L’Observateur N° 8420 du 19/7/2013

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Le Président de J-P Bekolo. Que peut le cinéma ?
Publié le vendredi 19 juillet 2013   |  L’Observateur




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ean-Pierre Bekolo a été l’invité d’honneur du Festival Ciné Droit-Libre 2013 de Ouagadougou et son dernier métrage film «Le Président» a ouvert les projections. Ce film évoque la fin du long règne de Paul Biya. Quand le cinéma met les pieds dans le plat de l’actualité politique, que peut-il en advenir ? Le cinéma a-t-il le pouvoir de changer la société ?

«Le Président» est né, selon J-P. Bekolo, du constat que le cinéma africain a renoncé à sa vocation politique et à sa capacité prophétique d’annoncer demain. Il ne se console pas que le cinéma africain n’ait pas pressenti la montée de la contestation populaire ni annoncé les printemps arabes. Sans rentrer dans un débat historique, on veut bien savoir quand le cinéma a perdu sa vocation politique.

«Les Saignantes» n’est-il pas un film politique ? Toute la filmographie de Ousmane Sembène n’est-elle pas politique ? «Finyé» de Soulemane Cissé n’annonce-t-il pas une décennie avant le massacre des jeunes Maliens en 1991 par la garde prétorienne de Moussa Traoré ? Quid de «Silmandé» de Pierre Yaméogo ? «Africa Paradis» n’est-il pas une nouvelle Utopia ?

Le cinéma peut-il être autre que politique ? Du moment où un homme se pique de montrer le réel, il ne peut que le faire d’un certain lieu et il contamine ce réel d’idéologie. Filmer, c’est choisir des êtres et des choses à mettre dans un cadre, c’est une autre façon d’introduire un bulletin dans une urne. C’est le degré d’engagement politique d’un film qui varie d’un réalisateur à un autre car tout film danse sur le fil rouge de la politique tendu entre deux poteaux qui sont le tract et le poème.

Tout film cause par conséquent de politique mais la hauteur et la qualité de la voix varient entre le bégaiement de l’indécis, le murmure du précautionneux, la vocifération du militant et le chant du poète.

«Le Président» n’inaugure ni ne relance le film politique. On peut néanmoins reconnaître qu’il défriche un champ laissé par les réalisateurs africains à la télévision qui est le terrain brûlant de l’actualité. Ce film s’inscrit dans le «hic et nunc» et fictionnalise la réalité politique camerounaise sans l’altérer.

Un processus de création qui arrête la transmutation à mi-chemin. Comme une statue qui prendrait forme tout en restant prisonnière de la pierre. Ici le crépuscule d’une idole côtoie avec celui de Biya à s’y confondre et des personnages de fiction frayent avec un constitutionaliste bien connu.

Aussi, la seule question qui vaille est celle-ci : du tract ou du poème, duquel «Le Président» de Jean- Pierre Bekolo est-il plus proche ?

Indéniablement, ce long métrage qui tient du film expérimental, du polar politique et du biopic est un film bien mené. Ce film éclaté, éparpillé est un tissu de fragments suturés entre eux par la musique, semblable à ce pays sur lequel règne Paul Biya depuis quatre décennies. La narration éclatée est assumée par trois personnages, un vieux prisonnier politique, un bonimenteur de télé-réalité Jo Wodou et une journaliste tente de dessiner en creux le portrait du vieil homme politique dont le chèche autour de la tête préfigure la bandelette de la momie.

Mais au lieu que les morceaux de puzzle s’ajustent pour restituer le vrai visage du président, les témoignages qui oscillent entre la fabulation et la rumeur participent plus à élaboration d’un mythe qu’à la révélation de la vérité. D’ailleurs, le mérite du film de dénonciation est d’échapper au manichéisme et à la caricature. Le Président est humain, trop humain.

Le voir attabler devant un plat de manioc comme n’importe quel tartempion ou l’entendre confesser à demi-mot son échec dans la conduite du navire Cameroun fait effectivement de lui, un simple mortel. Sa mort ou ce qui peut être perçu comme telle est d’une grande poésie. La pirogue qui glisse sur le fleuve, lui bavardant avec sa première épouse sous l’œil du rameur, s’apparente à la traversée du Styx avec un Charon tropical dans un univers édénique.

Le ciel d’un gris azuré, la forêt sur la berge est une muraille aux mille nuances de vert et le fleuve est une nappe miroitante que le passage d’un nuage ombre par moments. Il y a des images d’une beauté à couper le souffle dans ce film. De manière générale, bien que le film parle de mort, il se dégage une ambiance solaire. Les artères de Yaoundé grouillent de vie, de couleurs, de bruits et de musique.

La ville est pétulante, chaude comme une étreinte. Jean-Pierre Bekolo est un des réalisateurs les plus doués du cinéma africain et comme tout bon artiste, de la boue, il pourrait en extraire de l’or. Sans mettre ce film au niveau de Les Saignantes, il est plus un cri poétique qu’un cri politique.

Deuxième question. Qu’apporte ce film au peuple camerounais ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne fera pas plaisir à beaucoup de caciques du pouvoir qui y verront une insolence d’artiste. Rien que pour jouer le poil à gratter, on peut dire qu’il se justifie. René Char disait que "ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience".

Ce film trouble. Néanmoins, son happy end avec une femme du sérail qui prend les rênes du pays est par trop utopique et ne prépare pas les Camerounais à ce qui les attend. Pas besoin d’être Cassandre, il suffit de voir la guinée, la Côte d’Ivoire, l’Egypte…Quand le cinéma prétend esquisser l’avenir, il doit délaisser le rose de l’ecstasy hollywoodien pour le rouge et le noir de la tragédie.

A moins d’imaginer que la course du jeune homme roulant comme une flèche sur une avenue bordélique dans le dernier plan finisse en hors-champ entre les roues d’un mastodonte. Ensuite, le film n’étant pas projeté au Cameroun, donc non vu par son public d’élection, il ressemble à un cri dans le désert. De profundis Clamavi disait le poète.

Si Bekolo rêvait d’une immense déflagration provoquée par son film, il doit être bien marri. Car si l’œuvre d’art est une étincelle à la recherche d’une poudrière, sur les routes cabossées du Cameroun, l’étincelle est tombée dans une fondrière.

Est-ce qu’enfin la nature même du film qui se situe dans l’entre-deux parce qu’il amalgame fiction et matériau documentaire n’affaiblit pas la force du film ? Nul doute pour les Camerounais, un documentaire aurait eu plus d’impact qu’une fiction pour leur parler de leur quotidien.

Il y a du réconfort à sentir qu’un artiste est solidaire de la cause du peuple à travers son art mais le seul engagement qui compte reste l’implication citoyenne de l’artiste. Aujourd’hui comme hier, c’est sur le champ de bataille ou dans la rue et non dans le confort d’un plateau de cinéma que se gagnent les combats politiques…Alors que peut le cinéma ? Peu de choses. Devant un peuple qu’on bâillonne comme devant enfant qui meurt, «Le Président» tout comme La Nausée de Sartre ne fait pas le poids…

Saïdou Alcény Barry

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