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Laurent Poda, procureur général : "Si je suis impliqué, je vais démissionner"
Publié le vendredi 4 aout 2017  |  Sidwaya
Le
© Autre presse par DR
Le procureur général de la République du Burkina Faso, Laurent Poda




Magistrat de profession, Laurent Poda totalise 22 ans de service. Il a assuré plusieurs fonctions dont celle de juge d’instruction, président du tribunal, procureur du Faso, conseiller puis président de chambre à la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso. Depuis décembre 2014, il est le Procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou. Sa mission, veiller à l’application de la loi pénale dans onze juridictions que sont les tribunaux de Grande instance de Ouagadougou, Dori, Ouahigouya, Djibo, Kaya, Manga, Léo, Yako, Ziniaré, Koudougou et de Kongoussi. Quatre heures d’horloge, c’est le temps qu’il nous a consacré, le jeudi 13 juillet 2017. Les soupçons de corruption de certains magistrats et autres acteurs de la justice, les affaires Thomas Sankara, Norbert Zongo, Dabo Boukary, Salifou Nébié, les nombreux rapports de l’ASCE-LC sont autant de dossiers pour lesquels le Procureur général a été «bombardé» de questions.


Sidwaya (S.) : Quelles sont les attributions d’un procureur général ?

Laurent Poda (L.P.) : Je m’appelle Laurent Poda, procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou. Les gens disent souvent procureur général du Faso. Il n’y a pas de procureur général du Faso. C’est le procureur général près la Cour d’appel. Vous avez les procureurs du Faso près les Tribunaux de grande instance (TGI). Je suis le procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou. Il y a deux autres Cours d’appel, une à Bobo- Dioulasso et l’autre à Fada N’Gourma. Je suis magistrat de profession et j’exerce depuis 1995. J’ai occupé les fonctions de juge d’instruction, de président de tribunal, de procureur du Faso, de conseiller à la Cour d’appel de Bobo, de président de chambre à la Cour d’appel de Bobo avant d’être nommé en fin décembre 2014 comme procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou. Je suis enchanté d’être en face de vous ce matin. Je vous remercie pour l’invitation et l’honneur que vous me faites ; cela va contribuer à informer le grand public. Pour en revenir à votre question, les attributions du procureur général se trouvent dans le code de procédures pénales. Et principalement, j’ai pour mission de surveiller la bonne application de la loi pénale dans mon ressort. C’est moi qui dois coordonner les actions de tous les procureurs de mon ressort.

S. : Et quel est le ressort dont vous êtes en train de parler ?

L.P. : Il faut savoir que le pays avec la création de Ouagadougou est divisé en trois Cours d’appel. La Cour d’appel de Ouagadougou, celles de Bobo et de Fada. Et nous avons 25 Tribunaux de grande instance sur l’ensemble du territoire. La Cour d’appel de Bobo couvre neuf (9) juridictions : les TGI de Bobo, de Diébougou, de Gaoua, de Boromo, de Dédougou, de Banfora, de Tougan, de Orodara et de Nouna. Le territoire de la Cour d’appel de Fada couvre cinq (5) TGI que sont celui de Fada, de Diapaga, de Bogandé, de Tenkodogo et de Koupèla. Et la Cour d’appel de Ouagadougou couvre les onze (11) autres juridictions que sont les TGI de Ouagadougou, de Dori, Ouahigouya, de Djibo, de Kaya, de Manga, de Léo, de Yako, de Ziniaré, de Koudougou et de Kongoussi. Ce sont ces onze juridictions qui sont sous ma coupe. Je suis chargé de veiller à l’application de la loi pénale dans tout ce ressort. Vous voyez que je suis en haut et si vous voulez des informations détaillées, ce sont les procureurs du Faso près les Tribunaux de grande instance qui peuvent vous les donner. Sinon, si vous me demandez des informations, il faut que je me réfère au procureur du Faso de la juridiction concernée pour les avoir et vous dire par exemple pour tel dossier voici ce qu’il y a.

S. : Que signifie concrètement «veiller à l’application de la loi» ?

L.P. : Nous vivons dans une société où il y a des règles. Les procureurs du Faso, qui représentent la société, sont investis de la mission de poursuivre devant les juridictions, tout individu qui enfreint à la loi pénale, pour qu’il soit jugé. C’est pourquoi l’indépendance et l’impartialité du juge ne concernent que les juges au siège. Parce que le procureur, quand il conduit l’intéressé devant une juridiction, il a un parti pris, il représente la société mais ce n’est pas sûr qu’il ait raison. C’est pourquoi le juge au siège va entendre les deux parties (le procureur et l’individu) et éventuellement une victime qui est la partie civile. Puisque généralement ce sont des infractions qui ont des conséquences directes sur des personnes. Donc la partie civile va être écoutée mais juste pour que le tribunal puisse prendre en charge ces revendications. Ensuite, le juge va trancher. Il peut nous donner raison en allant sur des condamnations ou nous dire que nous n’avons pas raison et va donc relaxer ou acquitter la personne mise en cause. En effet, les termes ont leur importance selon que nous sommes dans les différentes juridictions. L’acquittement, c’est devant la Chambre criminelle. Lorsque l’on juge un dossier criminel et que l’on conclut qu’il n’y a pas de poursuite, l’accusé est acquitté. Mais lorsque vous êtes devant les petites juridictions (TGI), il est relaxé. S’il est relaxé, cela ne veut pas dire que le procureur a tort et donc on n’a visiblement pas à dire que c’est à tort que le procureur a poursuivi l’individu. Toute la loi pénale tourne autour de cela. Moi je dois veiller à ce qu’elle soit respectée. Que dans nos commissariats de police et brigades de gendarmerie, l’on n’enferme pas des gens qui n’ont peut-être pas commis d’infractions ou qui, peut-être, doivent de l’argent. C’est-à-dire des choses civiles ou commerciales qui, normalement, se règlent en dehors de ces cadres. Parce que ce n’est pas une infraction que de devoir à quelqu’un. Mais malheureusement, c’est ce que nous constatons la plupart du temps. C’est-à-dire, le monsieur me doit mais comme je ne peux pas me rendre devant le tribunal civil ou le tribunal commercial pour le réclamer parce que les procédures coûtent cher, je vais voir mon ami qui est le commissaire ou le commandant de brigade et je lui explique ma situation et celui-ci utilise la puissance publique et le contraint à rembourser. Ce n’est pas normal. Mon rôle est de veiller à ce que ces genres de situation n’arrivent pas dans nos commissariats de police et brigades de gendarmerie. Ceci est un aspect ainsi que bien d’autres qui ne concernent pas le pénal ; que ce soit connu dans les brigades et même dans les juridictions car des fois, il y a aussi des juridictions qui procèdent à des recouvrements de somme d’argent. En tant que procureur général, je suis l’interface entre l’intérieur et l’extérieur parce que nous ne vivons pas en vase clos mais avec le reste du monde. Je sers de courroie de transmission entre l’extérieur et l’intérieur et ce pour ce qui concerne mon ressort juridictionnel. Les autres procureurs généraux aussi ont les mêmes attributions que moi pour ce qui concerne les leurs. Des infractions peuvent être commises à l’étranger et l’auteur va se réfugier ici. Et si des poursuites sont lancées à son encontre, son pays, à la faveur de la coopération judiciaire, peut nous demander de, soit l’extrader, soit d’auditionner des témoins ici s’il y en a. C’est-à-dire, poser tout acte qui entre dans la manifestation de la vérité qui peut se faire sur notre territoire. Il y a aussi que dans l’organisation, le répondant au niveau des hautes juridictions des huissiers, notaires, avocats, est le procureur général. Nous avons des rapports et c’est moi souvent qui surveille leurs activités pour voir si cela fonctionne bien ou pas. Il y a beaucoup de domaines dans lesquels le procureur général intervient mais l’essentiel est de savoir que je suis là pour veiller à l’application de la loi pénale. Et tous les jours, je reçois des demandes d’intervention pour régler des affaires au niveau des commissariats. « J’ai porté plainte devant telle juridiction et ça fait tant de temps et il n’y a toujours pas de suite ». J’appelle et je demande qu’est-ce-qui se passe par rapport à un tel dossier et au besoin je donne des instructions.

S. : Quel type de rapport entretenez-vous avec la chancellerie ?

L.P. : Avec les dernières réformes, on a coupé le lien qui existait entre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) (le pouvoir judiciaire) et la chancellerie mais il n’empêche que le ministre de la Justice peut toujours donner des instructions au procureur général dans le sens de poursuivre mais pas dans le sens de ne pas poursuivre.

S.: Quelle différence y-a-t-il entre un procureur général et un procureur du Faso ?

L.P. : Le procureur du Faso est le directeur de la police judiciaire, c’est lui qui dirige les enquêtes. Le procureur général surveille et la Chambre d’accusation contrôle l’activité de la police judiciaire. Le procureur du Faso, c’est lui qui est sur le terrain avec les Officiers de police judiciaire (OPJ) et dans ce sens d’ailleurs, nous avons donné des instructions aux procureurs pour leur dire qu’à partir de maintenant, nous ne voulons plus que des affaires soient connues dans les commissariats et gendarmeries sans que le procureur du Faso n’en soit informé parce que le code de procédures l’oblige. Dès que vous êtes saisis d’une affaire, vous devez immédiatement informer le procureur du Faso. C’est systématique. Parce que très souvent, vous êtes dans votre bureau en tant que procureur et on vous débarque quelqu’un qu’on a déféré. Des instructions ont été données pour mettre fin à cela.

S. : Y-a-t-il des sanctions à ces pratiques ?

L.P. : Justement, c’est la Chambre d’accusation qui contrôle. Récemment, on me rendait compte parce que la Chambre d’accusation a connu un dossier où un officier de police judiciaire est sorti et a fait des déclarations mettant en cause les activités du procureur. Donc, nous avons exercé des voies contre lui pour qu’il soit sanctionné au niveau de la Chambre d’accusation. La Chambre d’accusation a vidé sa saisine et recommandé que cet OPJ soit recadré. Ces sanctions peuvent arriver lorsque les OPJ sortent de leur champ d’activité.

S. : L’actualité judiciaire est marquée par des soupçons de corruption de certains magistrats et autres acteurs de la justice. Quelle sera la suite réservée au rapport dans lequel la commission ad hoc a mis en cause 37 magistrats ?

L.P. : Je fais malheureusement partie de cette commission, donc je ne sais pas si je peux dire quelque chose. Toujours est-il qu’en tant que procureur général, j’ai été membre du CSM dont la dernière session s’est tenue du 6 au 8 juillet dernier. Je pense que la commission a remis le rapport au CSM dans lequel elle a fait des recommandations à l’endroit du CSM, du ministre de la Justice, du barreau, des procureurs généraux que nous sommes, et à l’endroit d’un certain nombre de personnalités pour que des mesures soient prises pour que ces personnes soient traduites devant des conseils de discipline puisqu’on a estimé que contre eux pesaient des charges de manquement grave à l’éthique et à la déontologie des magistrats.

S. : Que risquent les fautifs ?

L.P. : Ce sont des sanctions disciplinaires qui sont contenues dans les statuts de la magistrature.

S. : Ne peut-on pas aller au-delà des sanctions disciplinaires ? Est-ce que le procureur général ou du Faso ne peut pas engager une procédure ?

L.P. : Bien sûr, c’est pour cela que la commission a recommandé que les sanctions disciplinaires soient engagées avant des éventuelles poursuites.

S. : Qui doit justement décider de l’enclenchement de ces poursuites ?

L.P. : Dès que la commission de discipline va siéger, si ces individus sont sanctionnés sur le plan disciplinaire pour tel ou tel fait, peut-être que le ministre de la Justice transmettra le dossier aux procureurs généraux pour toute fin utile. Les manquements aux règles d’éthique et de déontologie ne veulent pas dire forcément qu’il y a des choses. C’est à la limite des sanctions. En exemple, il n’y a pas de sanctions pénales assorties au manquement des règles de la déontologie. C’est au cas par cas que cela sera examiné. Et s’il y a des cas de faits de corruption, on sera obligé d’exercer des poursuites dans ces dossiers.

S. : Certains semblent dire que vous n’êtes pas blanc comme neige dans cette affaire, alors que vous êtes membre de la commission et aussi procureur général. Si ce qui est dit s’avérait, quelle suite allez-vous donner à votre affaire?

L.P. : D’abord, je voulais revenir sur la composition de la commission pour tirer les choses au clair. Je ne pense pas qu’on a désigné les membres de la commission parce qu’ils sont blancs comme neige. En effet, le CSM est composé de membres de droit, de membres élus représentant leurs pairs par grade, de représentants des syndicats, un membre désigné par le chef de l’Etat et des membres de la chancellerie qui ont voix consultative, du secrétaire général et de l’inspecteur général des services judiciaires. Le président du CSM est assisté par le secrétariat permanent du CSM. Et lorsque le CSM a décidé de l’ouverture de l’enquête, on a dit qu’il fallait mettre en place cette commission d’enquête. Et la composition de cette commission d’enquête a été calquée sur celle du CSM. Donc, un membre parmi les membres de droit, un représentant de chaque grade (il y a 4 grades : le 3e, le 2e, le 1er et le grade exceptionnel) et un représentant des syndicats. C’est pourquoi elle est composée de six (6) membres dont je suis celui de droit. Sinon qu’elle n’a pas été composée sur la base d’un tel est bien ou pas. Pour le reste, je ne sais pas s’il faille que je rentre dans les détails parce que la commission a décidé de remettre le document au chef de l’Etat et aussi au ministre de la Justice puisqu’il y a des recommandations qui ont été faites en leur endroit et avec des recommandations fortes de traduire tous ceux qui ont été impliqués. Eh bien, si je suis impliqué, j’irai répondre. D’ailleurs, je vais démissionner et j’irai répondre.

S. : Mais avez-vous traité d’une plainte vous concernant au sein de la commission ?

L.P. : Je vous réponds oui.

S. : Qu’est-ce qui vous était reproché ?

L.P. : Une plainte a été portée contre ma personne. C’est la commission qui a enquêté et je précise que je ne faisais pas partie de la commission lorsque ce cas a été traité.

S. : Qui préside la Chambre d’accusation qui contrôle les activités de la police judiciaire ?

L.P. : C’est le vice-président de la Cour d’appel qui préside la Chambre d’accusation. Les textes sont tels que le vice-président de la Cour d’appel est en même temps le président de la Chambre d’accusation.

S. : Qu’est-ce qui relève de la procédure civile, commerciale, etc ?

L.P. : Le domaine pénal, c’est tout manquement aux règles dont la sanction consiste à une peine d’emprisonnement ou à une amende. Toutes ces règles sont contenues dans le code pénal. On commet tous les jours des infractions mais qui ne sont pas poursuivies. Même quand vous injuriez quelqu’un, c’est une infraction. Le commercial, c’est tout ce qui est activité commerciale, société commerciale. Le droit social, c’est ce qui régit les rapports entre travailleurs et employeurs. Et les problèmes à ce niveau sont réglés par le Tribunal de travail. Le TGI contient en son sein plusieurs chambres dont la Chambre civile, la Chambre commerciale. Ouagadougou et Bobo ont des tribunaux commerciaux mais dans les autres ressorts, ce sont les TGI qui font office de Tribunal de commerce, de Tribunal de tout sauf la matière sociale où vous avez trois juridictions de travail, les Tribunaux de travail de Ouagadougou, de Koudougou et de Bobo. Les Tribunaux administratifs existent à Ouagadougou et Bobo. Mais tout le reste des juridictions connaît aussi des affaires administratives. Lorsque vous avez des élections dans les autres localités, ce sont les procureurs et les présidents qui font office de président du Tribunal administratif pour sanctionner les manquements au code électoral et autres.

S. : Vous avez dit tantôt que la commission va remettre le rapport au PF. Chaque année, la Cour des comptes, l’ASCE-LC… remettent des rapports au Président du Faso qui restent sans suite. Celui-ci ne sera-t-il pas encore un autre dans les tiroirs ?

L.P.: Nous avons espoir et je pense que les hautes autorités ont intérêt à ce que ce rapport ne dorme dans les tiroirs. Il y va même de leur intérêt de donner une suite aux résultats, aux recommandations qui sont contenues dans le rapport. Puisqu’on a diagnostiqué un mal dans le corps de la justice qui existait depuis longtemps. Elle est classée parmi les trois premiers depuis 2000 dans les rapports de lutte contre la corruption. Et les représentants de tous les magistrats réunis au sein de CSM ont décidé à la majorité absolue d’ouvrir une enquête, pour voir ce qui se passe à l’intérieur de leur corps puis d’en donner une suite. Pour des questions de procédures, la commission ne pouvait pas siéger en tant que commission de discipline sinon je pense qu’elle n’allait pas hésiter.

S. : Et si on ne donnait pas une suite ? Peut-on s’attendre à ce que vous engagiez une procédure ?

L.P.: Pas moi mais le CSM.

S. : Mais comment ça doit se passer concrètement du moment où vous avez remis le rapport au Président du Faso?

L.P.: Le rapport est remis au Président du Faso parce qu’il est le garant de l’indépendance de la justice. Aussi, on l’a remis au ministre de la Justice parce que dans les statuts, on ne peut pas s’autosaisir mais c’est plutôt lui qui saisit la commission et il va certainement le faire.

S. : Vous l’avez dit, la justice est classée parmi les institutions les plus corrompues. Pensez-vous que la mise en place de cette commission est une solution pour combattre ce fléau au niveau du corps?

L.P.: Je pense que c’est l’une des solutions parce que la corruption c’est nous tous. Peut-être qu’ici, ce sont les corrompus qui seront sanctionnés et non les corrupteurs. Les corrupteurs c’est vous, c’est nous. C’est pour dire que pour qu’on puisse arriver à combattre ce fléau, il faut travailler en commun parce qu’il y a toujours des gens qui vont vouloir prendre de l’argent.

S. : L’augmentation des salaires des magistrats peut-elle aider dans ce sens?

L.P.: Bien sûr. Il y a peut-être des magistrats qui étaient dans le besoin et ils ne se gênaient donc pas. Et cette augmentation pourrait, ne serait-ce qu’au regard de cette catégorie, contribuer à faire baisser le niveau de la corruption.

S. : Mais reconnaissez-vous quand même que l’augmentation des salaires n’est pas la panacée ?

L.P.: La corruption est un comportement qui, à mon avis, dérive de l’éducation et de l’environnement. Aussi, l’influence de beaucoup d’autres aspects peut amener quelqu’un à tomber dans la corruption. Et aujourd’hui, nous avons intérêt à éduquer nos enfants selon des voies saines, des principes pour la combattre. Parce qu’aujourd’hui, tout le monde veut avoir de l’argent, avoir ce que ses moyens ne lui permettent pas. Ceci fait que si quelqu’un a un pouvoir qui puisse lui permettre d’avoir ce qu’il veut, il se jette là-dedans. A mon avis, on doit commencer par sanctionner. La peine, elle est d’abord dissuasive pour tous ceux qui s’adonneraient à la pratique. Raison pour laquelle, l’audience est publique afin de permettre aux gens de venir écouter et voir ce qu’autrui a fait et le nombre d’années qu’il peut passer en prison.

S. : Au-delà de la question d’éducation, il y a aussi la permissivité. Pourquoi malgré tous ces rapports qui sont publiés, les corrompus ne sont pas inquiétés jusqu’à ce dernier ? Est-ce une solidarité de corps ?

L.P.: Je ne crois pas. Ceux-là qui s’adonnent à cette pratique sont une minorité. Il y a la grande majorité de magistrats qui travaillent et qui sont sincères. Mais un seul magistrat corrompu dans la justice, c’est très grave car c’est le dernier rempart. C’est là où vous pouvez aller vous réfugier. Le corps est sensible parce que la mission qu’elle a est une mission « divine » : rendre la justice. Et si des personnes s’adonnent à ces genres de pratiques (je prends l’argent pour tordre le cou et donner raison à celui qui n’avait pas raison), je trouve que c’est extrêmement grave. Il y a déjà eu des sanctions contre des magistrats. J’ai fait partie de deux ou trois commissions qui ont eu à sanctionner des magistrats.

S. : Nous n’avons jamais entendu qu’un magistrat a été envoyé à la MACO…

L.P.: La commission de discipline n’est pas là pour envoyer des gens à la MACO et elle ne se trouve pas que dans le corps de la magistrature. Elle est partout. Mais est-ce qu’on peut prendre des sanctions ? Non! Mais on poursuit un magistrat pour corruption souvent, ce sont les gens qui refusent de dénoncer.

S. : Mais il y a eu des procès qui n’ont véritablement pas abouti à la condamnation de magistrats. En exemple, Me Guy Hervé Kam a soutenu un citoyen mais finalement le procès n’a rien donné?

L.P.: Je connais bien ce dossier mais on n’y a jamais cité des magistrats mais plutôt ce sont des gens qui ont été cités et les magistrats cités comme témoins dans le dossier. Mais est-ce qu’on peut prendre un témoin et le jeter en prison ?

S. : Ou bien cela a été arrangé pour qu’ils soient cités comme témoins ?

L.P.: Non ! On aurait pu les citer directement devant le tribunal pour fait de corruption.

S. : Les magistrats n’ont-ils pas un moyen de pression pour éviter les procès?

L.P.: Je n’ai jamais entendu qu’on a cité un magistrat devant une juridiction pour fait de corruption. D’ailleurs, on a regretté qu’après avoir fait un appel à témoin pour qu’on puisse dénoncer les faits répréhensibles des magistrats, que les gens n’aient pas réagi.

S. : Les gens pensent peut-être que c’est inutile. Qu’est-ce qu’on peut contre un juge ?

L.P.: Je pense que les résultats de la commission vous donnent tort puisque nous avons abouti à des résultats. Donc vous devez faire confiance.

S. : Selon vous, qu’est-ce qui explique cette réticente de la part des citoyens à répondre à vos appels à témoin ?

L.P.: Je pense que ce pays a été longtemps traumatisé. Des gens ont été victimes de maux tels la mal gouvernance, le favoritisme, le clientélisme et ce, même au sein de la magistrature. En exemple, j’ai fait 20 ans de carrière mais je n’ai jamais été en mission de formation. Pourtant, des gens y sont allés pour se former. Ce n’est pas bien pour la bonne marche des choses. On a peut-être été dirigé dans le sens de diviser les gens et c’est cela qui nous rattrape aujourd’hui.

S. : Voyez-vous la main du politique dedans ?

L.P.: Bien sûr qu’avant, il y avait le politique et nous nous sommes battus en son temps pour exiger que le politique quitte l’arène judiciaire.

S. : Cela a-t-il changé aujourd’hui?

L.P.: Oui. Les règles sont clairement définies par nos statuts et je crois qu’aujourd’hui, nous avons pris la bonne ligne. Chacun sait dans quel champ cultiver.

S. : Voulez-vous dire que le temps du juge acquis est révolu ?

L.P.: Oui ça, je peux vous le dire.

S. : D’aucuns estiment que les sanctions prévues en matière pénale, notamment par rapport à certaines infractions, ne sont pas suffisamment dissuasives. Est-ce votre avis ?

L.P.: Les infractions sont ainsi classées. Il y a les contraventions au bas de l’échelle, les délits au milieu et les crimes en haut. Les crimes sont réprimés à partir de 5 ans jusqu’à la peine de mort. Aussi, il y a une loi particulière qui réprime le grand banditisme où les peines prononcées contre ces types de délinquants sont de 10, 15, 20, 30 ans. Un individu a écopé récemment de 20 ans d’emprisonnement ferme devant le Tribunal correctionnel pour s’être évadé.

S. : Que revêt le vocable grand banditisme ?

L.P.: Il est défini dans le texte qui prévoit et qui réprime les actes de grand banditisme. C’est entre autres les attaques à main armée. Et aujourd’hui, les auteurs d’attaque à main armée sont directement emmenés au correctionnel et se voient infliger les peines prévues qui peuvent aller jusqu’à 20-30 ans. On n’a plus besoin d’aller à l’instruction comme à l’époque lorsqu’il s’agit d’un crime mais plutôt au correctionnel.

S. : D’aucuns estiment que les sanctions pour les crimes économiques sont très faibles. Par exemple la peine de Obouf lors de son procès.

L.P.: L’affaire Obouf n’est pas un crime. S’il en était un, Obouf n’allait pas comparaître devant un Tribunal correctionnel. Quand quelqu’un commet un crime, il y a une première phase d’instruction qui a lieu devant le juge d’instruction et un second degré d’instruction devant la Chambre criminelle qui, lorsqu’elle finit ses investigations, sort un arrêt de mise en accusation qui le traduit devant la Chambre criminelle. Et devant cette Chambre criminelle, l’on ne peut pas écoper d’une peine de moins de 5 ans. Donc si Obouf a comparu devant le Tribunal correctionnel, c’est pour répondre de fait correctionnel pas de fait criminel.

S. : Ce que Obouf a posé comme acte (traficoter les dates de péremption) n’est pas un crime ?

L.P.: Je ne connais pas bien les détails du dossier puisqu’il est toujours pendant devant le juge d’instruction. Etes-vous sûrs qu’il y a eu une plainte pour intoxication? Avez-vous pu trouver un individu qui s’est plaint dans le cadre de cette affaire qu’il a été empoisonné?

S. : Le procureur ne pouvait-il pas s’autosaisir au nom du peuple ?

L.P.: Non. Il faut quand même trouver au moins un cas pour pouvoir le poursuivre. S’il n’y a pas un seul exemple, ça ne peut être que des suspicions. A ma connaissance, personne ne s’est présenté pour se plaindre de problèmes après avoir consommé son produit.

S. : Le procureur n’aurait pas dû ouvrir une enquête pour vérifier s’il n’y a pas eu de cas d’intoxication ?

L.P.: Le juge d’instruction est saisi pour investiguer à charge et à décharge. Dans son investigation à charge, il y a des témoins. Vous voulez qu’il fasse quoi ? Un appel à témoin ? Parce que si je suis une victime de cette affaire, je ne vais pas attendre qu’on fasse un appel à témoin mais j’irai directement me plaindre. Si un seul individu se plaint, le problème change, la qualification de l’infraction change. Si un individu est intoxiqué et qu’il est mort, on ne va plus le poursuivre pour délit de falsification mais on le poursuit pour homicide involontaire.

S. : Le code de procédure pénale est en relecture ; à quoi peut-on s’attendre comme nouveautés ?

L.P.: Le fait d’avoir été membre de la commission d’enquête ne m’a pas permis de prendre part à toutes les rencontres qui se sont déroulées dans le cadre de la relecture de la loi. J’ai dû me faire représenter. Ce qui a guidé la relecture de ce code est que d’abord, il date de longtemps, des années 60. Et il y a des choses qui sont dépassées aujourd’hui. Vous avez des infractions qui n’étaient pas prévues telles celles sur la cybercriminalité. Il y a le cas de l’OHADA, les infractions sur les droits de société. L’OHADA regroupe un certain nombre de pays et elle ne peut pas prévoir des peines sur les infractions à caractère social. Elle a donc défini ce que sont ces infractions mais a laissé le soin aux Etats de prévoir les sanctions. Et chez nous, c’était un vide jusque-là. Des infractions se commettaient dans les sociétés (abus de biens sociaux...) mais malheureusement, on ne peut pas poursuivre puisque ce n’est pas incriminé. Je pense que cet aspect a été aussi pris en compte pour qu’on puisse insérer les sanctions des infractions OHADA dans notre code pénal. Quand les textes sont éparses, il y a une difficulté de pouvoir les avoir sur-le- champ et il fallait réunir tous ces différents textes ; ceux sur le grand banditisme, les lois sur le terrorisme,… Il s’agit aussi entre autres de revoir certaines infractions pour, soit augmenter le quantum, soit le diminuer. Je pense que c’est ce travail qui a été fait mais j’avoue que pour l’instant, je n’ai pas encore le retour des travaux ; donc je ne peux rentrer en profondeur.

S. : Monsieur le procureur général, il y a des justiciables lorsqu’ils sont condamnés en instance et qu’ils font appel, ils ont le temps de purger leur peine avant qu’elle ne soit examinée. Est-ce qu’il y a des dédommagements qui sont prévus?

L.P. : Ce que vous dites, malheureusement, c’est la réalité de nos juridictions. Mais les solutions sont ailleurs. Pourquoi ? Ces cas dont vous venez d’évoquer sont des dysfonctionnements de nos juridictions. Ce n’est pas normal que la loi prévoit ce qu’on appelle le double degré de juridiction qui signifie que lorsque quelqu’un est condamné à la première instance, que sa cause puisse être réexaminée en seconde instance et des gens viennent à purger l’entièreté de leur peine avant que la seconde instance ne soit saisie. Mais, cette situation est due à quoi exactement ? Vous voyez le TGI de Ouagadougou, je pense qu’il a été inauguré en 1976. Moi, j’y suis rentré en 1995 et en ce moment, nous ne dépassions pas cinq magistrats sur le territoire national. Aujourd’hui, nous sommes près de cinq cents magistrats et vous savez combien d’entre nous y squattent ? La population, en particulier de Ouagadougou en 1976, était estimée à combien ? Aujourd’hui, nous sommes combien ? Avec combien de juges ? Forcément, vous avez des problèmes parce que le nombre de juges chargés de connaître de ces affaires est insuffisant. Lors du CSM passé, j’ai tout fait pour qu’on augmente le nombre de magistrats à Ouagadougou pour vider justement ce que vous êtes en train de dire. (Ndlr, dysfonctionnements évoqués ci-dessus). Car, au niveau de la MACO, on a près de 600 personnes en attente d’être jugées. Ce n’est pas normal et nous sommes en train de trouver des solutions. Tous les jours, il y a des audiences correctionnelles. Il y a le problème de la rédaction des jugements parce que le tribunal, après avoir statué conformément à la loi et prononcé la peine, doit justifier point par point toutes les infractions. Tant que cette décision n’est pas prête pour être envoyée à la Cour d’appel pour examiner la décision de condamnation des premiers juges, l’intéressé sera toujours en prison. Mais, aujourd’hui, au niveau du TGI, l’organisation est faite de telle sorte que, lorsqu’on conduit les détenus, on trie les dossiers de ceux qui ont des avocats jusqu’à ce que ces derniers finissent de plaider. Cela prend du temps jusqu’à 17 h car les avocats parlent beaucoup. Viennent en deuxième position, les dossiers des détenus sans avocats. La MACO, par la suite, rappelle au juge que la réglementation exige à ce que le jugement s’arrête à 17 h 30 mn. Dans ce cas, on renvoie les détenus à la MACO et le juge renvoie les autres dossiers. Voilà le mal qui mine nos juridictions.

S. : Mais, pourquoi, les magistrats traînent à rédiger les jugements?

L.P. : Il (Ndlr, le magistrat) a trois cents dossiers ! Le magistrat est non seulement dans la Chambre correctionnelle mais aussi dans une Chambre civile. Quand les hommes et les femmes viennent demander des divorces, c’est lui qui doit s’en charger. Et quel temps va-t-il consacrer à la rédaction des jugements ? C’est pour vous dire qu’on a véritablement un problème. Vous avez même remarqué que la chancellerie est passée de trente magistrats à cent magistrats sur une période de trois ans. Nous pensons que cela va résorber un tant soit peu, le problème.

S. : Ça ne vous gêne pas que le justiciable puisse payer le prix de cette situation ?

L.P. : Non. Mais, je ne vais pas orienter les justiciables vers tel ou tel lieu s’il y a des dysfonctionnements. Ce n’est pas à moi de le faire parce que je suis un agent de l’Etat.

S. : Est-ce qu’on peut parler d’une bonne administration de la justice dans ces conditions?

L.P. : Cela dépend. Il y a des dysfonctionnements qui ne sont pas forcément dus aux acteurs. Actuellement, nous cherchons un local pour avoir des bureaux et augmenter le nombre d’audiences. Nous avons également demandé à ce que la part de la justice dans le budget de l’Etat soit augmentée de 2%. Nous sommes aujourd’hui à 0, 76% ou 0, 78%. Je discute chaque fois avec le ministre de tutelle pour que les problèmes soient réglés. Actuellement, les gens nous appellent et disent que la Cour d’appel peut s’effondrer du jour au lendemain parce qu’elle a été mal construite. Il y a des directions d’autres structures qui sont bien aménagées et bien construites mais allez-y voir à la justice. Les Européens ont compris et rendent leur cadre de travail agréable et quand tu y es, tu n’as plus envie de rentrer à la maison. Cependant, chez nous, tu veux retourner à la maison (Rires des journalistes). Car le cadre ne te donne pas envie d’y travailler pendant longtemps. Chez nous, le matin, tu ne veux même pas te rendre au travail parce que tu ne sais pas si le bâtiment va s’écrouler ou pas. (Rires dans la salle). Donc, c’est un problème réel qui est posé et nous sommes en train de chercher des solutions. Je sais que le ministère est informé pour la résolution de cette question de la Cour d’appel et mieux du TGI qui n’a pas de bureaux. Sinon, ce n’est pas parce que les gens ne veulent pas travailler. Je pense qu’aujourd’hui, la situation salariale des magistrats s’est améliorée et ils sont dans un esprit de travailler pour être plus rentables. Mais malheureusement, nous sommes confrontés à des difficultés.

S. : Est-ce qu’il ne fallait pas, dans vos combats, prioriser l’amélioration du cadre de travail par rapport à celle salariale ?

L.P. : Comment ça ?

S. : Puisque tout ce qui a été satisfait dans vos revendications est relatif au traitement salarial du magistrat qu’au cadre du travail.

L.P. : Moi, je ne vais pas revenir là-dessus. (Rires). Mais, nous avons posé le problème de la construction des palais. Voilà, à titre d’exemple, ce qui se passe à Manga où les gens rentrent au palais et font ce qu’ils veulent. Ce n’est pas une affaire de prioriser telle ou telle chose. Tout est prioritaire. Nous ne refusons pas de travailler et depuis lors, les magistrats travaillent dans ces conditions.

S. : Monsieur le procureur général, encore, ça ne vous gêne pas que le justiciable puisse payer le prix des dysfonctionnements ?

L.P. : C’est une réponse globale que je vous donne. Si quelqu’un estime qu’il a été victime d’un dysfonctionnement, il a la possibilité d’aller demander réparation à qui de droit.

S. : A qui de droit ?

L.P. : Je ne réponds pas à cette question.

S. : A quoi cette demande de réparation va aboutir?

L.P. : C’est la même chose.

S. : Mais, il faut savoir vers qui se tourner pour demander réparation.

L.P. : Mais la juridiction, c’est qui ? c’est l’Etat !

S. : Donc, on peut aller se plaindre n’importe où ?

L.P. : Pourquoi, vous parlez de plainte ? Quand on parle de plainte, c’est que nous sommes en matière pénale.

S. : Devant le ministre en charge de la justice?

L.P. : Vous pouvez lui demander. La justice est un service public et s’il y a un dysfonctionnement, c’est à qui, faut-il s’adresser ? Qui en est le responsable ? Je pense que c’est l’Etat. Ce n’est pas à moi de dire de vous adresser à telle ou telle institution pour demander réparation.

S. : Monsieur le procureur général, des agents de la Direction générale des impôts sont à la MACO depuis deux ans. Leur dossier n’a même pas encore été jugé. S’ils sont condamnés à 3 mois ou 6 mois, quelle pourrait être la réparation?

L.P. : Je vous ai dit que si quelqu’un estime que les services de la justice ont des dysfonctionnements, il peut saisir le Tribunal administratif devant qui, on peut demander quelque chose à l’Etat. Vous le savez, vous voulez manger votre piment dans ma bouche mais ce n’est pas bien grave. (Rires des journalistes).

S. : Justement, vous avez évoqué l’affaire de Manga qui a provoqué la colère des populations. D’aucuns estiment que le mandat de dépôt émis par le procureur du Faso était un pur abus de pouvoir. Le juge est-il allé loin dans cette affaire ?

L.P. : D’abord, il faut que je vous dise qu’en tant que magistrat, je n’ai pas le droit de juger ou de critiquer la décision d’un autre magistrat. Ce n’est pas possible. Mais, il faut dire que nous sommes tous des humains et faillibles. Ce n’est pas pour parler du cas de Manga. Le magistrat, lui-même, peut se tromper. C’est pourquoi, justement, on a mis en place, un double degré de juridiction qui protège le justiciable. En effet, s’il y a des manquements en première instance, qu’ils puissent être rattrapés en seconde instance. Si à la Cour d’appel, il n’y a pas de satisfaction, on passe à la Cour de cassation pour signifier que la règle de droit a été violée. L’intéressé peut demander à ce qu’on casse cette décision et qu’on reprenne à zéro. Si la Cour de cassation casse deux ou trois fois, elle va donner des instructions pour suivre la règle de droit. Ce n’est pas parce qu’il est magistrat qu’il est Dieu. Il peut se tromper. Donc, on a mis des règles pour la réparation de ces manquements. En effet, ce sont des voies de recours. Ce que nous déplorons, c’est faire en sorte que les gens ne se fassent pas justice eux-mêmes. Tant que nous n’allons pas sortir du schéma de la vengeance privée, nous n’allons pas avancer.

S. : Mais, il faut que la justice, également, établisse la confiance avec les justiciables ?

L.P. : C’est pour cette raison que dans le nouveau statut, il est prévu, la saisine du CSM pour connaître de tous les manquements des magistrats. Nous avons, dans ce sens, mis en place une commission des requêtes. Tout citoyen, qui estime qu’un magistrat a manqué aux règles d’éthique et de déontologie ou a été corrompu, peut saisir cette commission qui est obligée de traduire le magistrat devant le conseil de discipline si ladite commission juge les actes répréhensibles. Je pense que c’est une réforme, une avancée.

S. : Est-ce que vous communiquez suffisamment là-dessus?

L.P. : Je pense qu’en 2015, 2016 et 2017, le ministère a entrepris des réformes. Le ministre en charge de la justice communique très souvent sur les lois votées à l’Assemblée nationale. Ma porte est par ailleurs ouverte à tous les journalistes pour savoir le fonctionnement de la justice. Même si ce ne serait pas des réponses satisfaisantes, ce serait tout de même des réponses.

S. : Monsieur le procureur général, reconnaissez tout de même qu’il y a des excès de zèle ou d’abus de pouvoir de la part des magistrats.

L.P. : Je ne vais pas m’aventurer sur ce terrain (Rires). Mais, dans toutes les administrations, il y a cela. C’est d’ailleurs, la raison pour laquelle, la commission d’enquête a recommandé que des lettres circulaires soient adressées au niveau de toutes les juridictions pour qu’on fasse de l’accueil du justiciable, quelque chose d’important. C’est donc une manière de reconnaître que quelquefois, il n’y a pas un bon accueil.

S. : Dans la même veine, est-ce qu’il ne faut pas réformer l’infraction d’outrage à magistrat ? C’est-à-dire lui donner un contenu parce qu’il semble qu’il y a des abus de cette infraction. Qu’est-ce que cela révèle?

L.P. : Des abus ?

S. : Outrage à magistrat.

L.P. : Mais, il appartient aux juridictions de vous dire ce que c’est que l’outrage à magistrat. Cela ne relève pas de moi.

S. : Vous êtes quand même chargé de la bonne exécution de la justice ?

L.P. : Si un magistrat poursuit quelqu’un pour outrage à magistrat, on délocalise le dossier pour éviter que ses collègues les plus proches connaissent l’affaire. Au moins, la suspicion légitime de l’esprit de corps sera levée. La magistrature est un sacerdoce et en principe, tout est dans le code. Le droit, c’est le droit. Si les faits pour lesquels on poursuit quelqu’un ne sont pas caractérisés, ce dernier sera relaxé.

S. : Est-ce que l’outrage à magistrat n’est pas un privilège exorbitant ?

L.P. : Comment un privilège ? C’est une règle. C’est un droit qui est reconnu aux magistrats. Mais si ces dispositions sont violées, acceptez qu’ils puissent demander réparation. J’avoue que souvent, il y a des gens qui injurient les magistrats et nous sommes obligés souvent d’accepter. (Rires).

S. : Peut-être que, si ce sont des internautes qui commettent cette infraction derrière l’anonymat, ça peut passer. Mais, si ce sont des individus qui se dévoilent, il n’est pas exclu qu’ils soient traduits devant la justice.

L.P. : Ce n’est pas comme cela que je vois les choses.

S. : Mais, il y a un collègue journaliste qui serait poursuivi pour outrage à magistrat.

L.P. : Je préfère ne pas me prononcer sur cette affaire puisqu’elle est devant la justice.

S. : Est-ce que c’est vous qui avez porté plainte ou c’est la commission d’enquête ?

L.P. : Si vous voulez des informations, allez à l’audience.

S. : Ne risque-t-il pas gros dans ce dossier qui s’annonce très médiatique ?

L.P. : Je ne regarde pas ce qui se passe. Si on me donne tort, je prends acte. Ce n’est pas une fin en soi.

S. : Est-ce qu’on ne peut pas faire un bon arrangement ?

L.P. : Je préfère ne pas me prononcer car l’affaire est judiciaire.

S. : Les résultats des tests ADN sur le corps supposé de Thomas Sankara ont été livrés. Une contre-expertise qui confirme la première expertise. Le corps de Thomas Sankara est introuvable. Quelles pourraient être les implications de cette situation sur le dossier Thomas Sankara ?

L.P. : Le dossier Thomas Sankara est pendant devant une juridiction d’exception. Même si des journalistes ont dit que le Tribunal militaire n’est pas une juridiction d’exception parce que créé par une loi, je veux réaffirmer que le Tribunal militaire est une juridiction d’exception par opposition à la juridiction de droit commun. En tant que procureur général, je n’ai aucun rapport avec le dossier. Les gens peuvent penser que j’ai une influence mais si vous prenez la loi sur le code militaire, vous allez vous en rendre compte. Toutefois, quand le dossier était pendant devant les juridictions de droit commun, ma mission a consisté à le rouvrir en 2015 et à le transmettre au Tribunal militaire. Dès lors, je n’ai plus eu d’informations sur ce dossier. Je le suis comme vous.

S. : Comme nous, qu’est-ce que vous en pensez ?

L.P. : Comme vous, je ne pense pas que cela puisse constituer une entrave à la poursuite de cette procédure.

S. : Est-ce qu’il ne faut pas craindre le corps de métier ?

L.P. : Une chose est certaine, l’infraction n’est pas de savoir si c’est le corps de métier ou pas. Il s’agit de savoir si Thomas Sankara a été tué. Est-ce qu’il y a un doute sur le fait qu’il a été tué ?

S. : Est-ce qu’on peut parler de justice s’il n’y a pas de cadavre ?

L.P. : Moi, je pose la question de savoir s’il y a un doute sur le fait que Thomas Sankara a été tué. S’il y a un doute, c’est là le problème. Pour ce procès, il faut laisser le soin aux juges qui vont être saisis de pouvoir trancher et nous dire la vérité. Toujours est-il qu’il y a des restes qui ont été expertisés. La science a ses limites si je ne me trompe pas.

S. : Il y a beaucoup d’autres dossiers pendants depuis longtemps qui ne relèvent pas de juridictions d’exception. Je veux parler des dossiers Salifou Nébié, Norbert Zongo, Dabo Boukary…Pourquoi, ces dossiers restent pendants depuis des années ?

L.P. : Je pense que je me suis déjà prononcé sur ces dossiers. J’ai dit de nous juger à partir du moment où j’ai pris ces dossiers en main. J’ai pris fonction le 5 février 2015. Si vous regardez ce qui s’est passé de 1998 à 2015 et de 2015 à 2017, il y a une avancée. A moins que les gens ne soient de mauvaise foi.

S. : Quels gens ?

L.P. : L’opinion ! Ceux qui ont géré ces dossiers sont là. C’est vrai que le service public est une continuité mais je ne peux pas répondre des actes commis par une tierce personne. Par exemple, c’est parce que c’est une continuité que vous allez dire à l’actuel Président du Faso de répondre des manquements commis par l’ancien ? Si vous voulez des informations sur l’évolution du dossier à partir de 2015, je peux vous répondre. Mais, si, c’est pour dire que ça traîne depuis longtemps, je refuse catégoriquement. Ce sont des réalités qu’il faut cloisonner. Il faut situer les responsabilités. Le juge est redevable devant le peuple ; donc il ne doit pas refuser de rendre compte. S’il y a eu des dysfonctionnements, il faut rendre compte. Au moment de la commission de certains faits, nous étions toujours à l’université. Le juge d’instruction qui a été saisi était lui-même au lycée. C’est pourquoi, j’ai dit que le juge n’est pas un Dieu. Le temps est contre la manifestation de la vérité dans ces affaires. Donc plutôt c’est fait, mieux ça vaut. Quand on attend 15 ans et on demande à un juge d’instruction d’aller investiguer, s’il arrive à inculper des gens, c’est qu’il a des éléments. Je pense que si on ne peut pas saluer le travail du juge d’instruction, qu’on ne dise rien et qu’on attende. J’ai pu lire que ce sera une parodie de justice qui va être rendue sur ces dossiers. Je pense que c’est trop oser. Quand un dossier comme celui Norbert Zongo va être traduit devant une Chambre criminelle, les magistrats qui y sont, sont pétris de connaissances en matière pénale. Parce que dans ce genre de dossier, le magistrat n’étant pas un expert, est obligé de recourir à des expertises souvent médicales pour le guider. Pour revenir sur ces dossiers, je dirai que les dossiers Norbert Zongo et Dabo Boukary sont très avancés.

S. : Et le dossier du juge constitutionnel Salifou Nébié ?

L.P. : Je ne peux pas m’aventurer sur ce dossier. On me l’a communiqué deux fois. Je vous avoue que ce dossier est très difficile. On aurait pu, dès les premiers moments, avec l’avancée technologique, faire appel à des experts pour pouvoir gérer la situation. On avait de fortes chances d’avoir des indices. Vous avez constaté qu’aujourd’hui les services de téléphonie mobile ne gardent pas un certain nombre de données pendant un certain temps. Mais, on ne doit pas perdre espoir. Par exemple, en Europe, il y a des dossiers qui ont fait 30 ans avant d’être jugés. L’homme laisse toujours des indices qui peuvent être cachés aujourd’hui mais être découverts demain. L’essentiel est que ce dossier reste ouvert. Un jour, un fait, un évènement, une petite découverte peut nous amener à établir un lien, une relation ou même peut-être une révélation de quelqu’un.

S. : Donc, c’est pour dire que l’autopsie du médecin légiste français, Stéphane Chochois, n’a pas servi à grand-chose ?

L.P. : Je ne peux pas dire cela. Lorsque le juge demande une expertise et qu’il n’en est pas satisfait, il peut demander une autre pour confronter à la première en vue de déceler la vérité. Il revient au juge d’instruction de travailler dans ce sens. Mais, je pense que le dossier, dès le début, n’a pas été pris à bras-le-corps en cernant tous les aspects pour avoir la chance de trouver un indice.

S. : Est-ce que le manque d’expertise au Burkina Faso ne rend pas aussi la tâche difficile ?

L.P. : Bien sûr ! Même concernant le dossier Norbert Zongo, ce sont des experts qui sont venus de la France si je ne me trompe pas. Je ne sais pas si à cette période, il n’y avait pas d’experts en balistique et autres au Burkina Faso. Le manque d’expertise pose des problèmes surtout si ce sont des expertises étrangères même si elles sont confirmées. Dans ce dossier, il y a eu des polémiques parce qu’il semble que le dossier était à quelque part avant que le juge ne soit saisi. Ce sont des détails qui permettent de penser qu’il faut faire une autre expertise soit, pour conforter la première, soit pour voir s’il y a un écart important dans les conclusions et recourir à un autre expert. Mais, toujours est-il que ce dossier, je l’ai lu et je dis qu’on n’a pas pu, au début, cerner les choses comme il se devait pour se donner les chances d’accrocher un indice. Mais, il y a toujours espoir et l’essentiel est que ce dossier ne se prescrive pas. Et nous savons comment faire. Car, si vous ne posez pas d’acte juridictionnel pendant 10 ans, le dossier se prescrit. Donc, on fera en sorte que ce dossier ne soit pas prescrit.

S. : Et ce demi-raté, est-ce volontairement fait ?

L.P. : Moi, je n’étais pas là, donc je ne peux pas répondre.

S. : Mais, vous avez eu des informations quand même ?

L.P. : Je ne peux pas répondre.

S. : A-t-on négligé simplement ou est-ce véritablement la preuve d’une insuffisance quelconque ?

L.P. : Je n’ai pas à me souvenir dans quelles conditions, cette mort est arrivée. C’est certainement à une époque donnée. Toutes les pistes doivent être prises en compte.

S. : Et pour les dossiers qui avancent, à quel niveau se trouvent les dossiers Dabo Boukary, Norbert Zongo…. ?

L.P. : Un dossier criminel comme celui Dabo Boukary ou Norbert Zongo, il y a des phases. Il s’agit de la phase d’instruction en premier degré. Dès que cette phase finit, le dossier vient à la Chambre d’accusation pour qu’elle puisse purger les irrégularités qui pourraient se révéler dans cette phase. Dès qu’elle purge, elle rend une décision. Soit, elle va prononcer un arrêt de mise en accusation qui permettra de traduire les présumés auteurs devant la Chambre criminelle, soit un arrêt de non-lieu, et le dossier est classé. Nous sommes toujours à la phase de première instruction, il y a deux ans. Mais le juge d’instruction est suffisamment avancé et dans le dossier Dabo Boukary et dans le dossier Norbert Zongo. D’ailleurs, pour parler des dossiers d’instruction, il faut l’autorisation du juge d’instruction. Les dossiers d’instruction sont couverts par le sceau du secret. Par conséquent, on ne peut pas révéler des choses à l’intérieur de ces dossiers. Mais on peut vous dire qu’il reste des actes à poser ou des confrontations. Dans ces dossiers, le juge d’instruction m’a dit qu’il lui faut interroger encore certaines personnes pour se rassurer parce que lors des dernières auditions, il y a eu des éléments qu’on lui a révélés.

S. : Est-ce qu’on peut avoir des noms de personnes entendues dans ces dossiers ?

L.P. : Non.

S. : A quand le jugement de ces dossiers ?

L.P. : Il y a de cela deux ans que la Chambre criminelle ne s’est pas tenue. Ce n’est pas normal car il y a des dossiers criminels qui sont prêts (Tenkodogo, Ouahigouya, Koudougou, Dori, Kaya , Djibo). Mais pourquoi, c’est comme ça ? Je regrette les propos de certaines personnes qui disent qu’on a supprimé les jurés. En réalité, les jurés que nous prenons pour composer la Chambre criminelle ne comprennent pas les procédures. C’est vrai qu’il faut toutes les composantes de la société pour juger, du fait que ce soit des faits graves, mais ces derniers ne maîtrisent pas. Ensuite, les jurés sont laissés à eux-mêmes. Ce sont des gens, après l’audience, ils disparaissent et on ne connaît pas leur domicile fixe. Trouvez-vous cela normal ? Dans l’ancien système, avec les échanges que j’ai eus avec les anciens, dès que vous êtes désignés juré, vous restez jusqu’à ce que le dossier soit vidé. Vous êtes gardés et vous n’avez pas le droit de communiquer avec l’extérieur. Aujourd’hui, nous ne savons même pas où les jurés dorment. (Rires des journalistes). Il n’y a aucune prise en charge et aucune responsabilité portée. Je suis désolé mais il faut que les gens prennent leur responsabilité. Pour la participation des jurés de nos jours, il n’y a pas de motif, c’est oui ou c’est non. C’est la raison pour laquelle, certains pays ont purement et simplement supprimé les jurés. Cela a l’avantage d’aller rapidement parce que c’est une lourdeur de convoquer les jurés. A titre d’exemple, dans les provinces, les hauts-commissaires vont rassembler une liste et ramener à la Cour d’appel qui va transmettre cette liste au ministère en charge de la justice. Le ministère en charge de la justice va, à son tour, constituer une liste de 40 personnes. Quand on démarre la Chambre criminelle, il faut un tirage au sort pour retenir quatre jurés titulaires et quatre jurés suppléants. Cette procédure coûte cher et au final, on n’y voit pas l’apport. Donc, nous avons plaidé pour qu’on allège cette procédure avec l’espoir que cela va permettre aux dossiers de sortir. Vous allez, par exemple, à une Chambre criminelle où vous voyez des dossiers de viol dans lesquels les victimes ne s’en souviennent plus. (Rires des journalistes). Heureusement qu’il y a une nouvelle loi qui tient compte de cette situation. Pour rappel, cela fait deux ans que nous n’avons pas tenu de session par manque de financement. Cette année, nous avons voulu programmer des audiences à Ouahigouya et à Koudougou. Par exemple, l’audience de Ouahigouya coûte 21 millions de FCFA compte tenu du nombre important de dossiers et c’est toute une équipe qu’on déplace. A la Cour d’appel, nous n’avons reçu que 18 millions de FCFA pour l’ensemble des audiences, qui ne couvrent même pas une seule session. Mais, il y a d’autres contraintes telles que les vastes chantiers de réformes qui ont entraîné des mouvements de juges. Le ministre de tutelle a promis de poser le problème à son homologue des finances pour la programmation des dossiers dans les autres juridictions.

S. : On entend parler du pacte de renouveau de la justice.

L.P. : C’est vous qui devez interpeller puisque vous étiez là quand on signait. (Rires des journalistes). C’est un problème !

S. : Justement, où en est-on avec la mise en œuvre des recommandations de ce pacte?

L.P. : Ce sont ces recommandations qui ont amené les réformes. La recommandation forte était de déconnecter la justice de l’exécutif. Les différents textes sur le terrorisme et autres ont été votés dans ce sens. Par contre, par rapport au budget, la balle est dans le camp de ceux qui doivent régler ces questions.

S. : Est-ce que dans le traitement des dossiers dits emblématiques, vous ne subissez pas la pression, que ce soit de l’autorité politique ou de l’opinion publique ?

L.P. : Jamais ! Quelle pression ? Le juge d’instruction est là où il est et moi, je veille. Il n’y a aucune pression. Le jour où je subirai une pression, soyez-en sûrs, vous serez au courant.

S. : Comme ce sont des nominations…

L.P. : Avec la réforme, c’est le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui assure les nominations. Le ministre ne nomme plus les magistrats. C’est vrai qu’il y a des dysfonctionnements dans ce système mais pour vous dire la vérité, c’est le CSM qui décide.

S. : La tutelle administrative n’a-t-elle pas son mot à dire ?

L.P. : C’est vrai qu’il y a une tutelle mais les juges sont indépendants. Mais l’indépendance aussi est relative car on peut vous la donner et vous allez refuser. En tout cas, moi, je suis indépendant. Si on m’appelle pour dire que le traitement d’un dossier est lent, je regarde pour chercher à comprendre. Si depuis un ou deux ans le juge n’a pas posé d’acte, on va lui demander les raisons. En ce moment, je peux appeler le procureur pour lui dire de demander au juge d’instruction de poser tel ou tel acte allant dans le sens du règlement définitif du dossier. Mais si ce n’est pas le cas, je réponds à celui qui m’a appelé que le dossier avance normalement. Je ne sais pas si c’est une chance pour moi, je n’ai jamais subi de pression. Si vous le faites, vous n’allez pas m’avoir.

S. : Il semble que jusqu’à présent, certains juges, lorsqu’ils ont un dossier qui implique une autorité politique, ils appellent le parti pour demander des instructions.

L.P. : S’ils le font, c’est leur problème, cela n’a rien à voir avec le traitement normal d’un dossier. Et ce sont des cas de manquement à l’éthique et à la déontologie du métier. Si on vous attrape, vous allez rendre des comptes.

S. : On parle aussi de la politisation des magistrats.

L.P : Vous savez, je fais partie des membres fondateurs du SBM (Ndlr : Syndicat burkinabè des magistrats). La politique dans l’arène judiciaire, c’est très grave. Aujourd’hui avec le nouveau statut, si vous voulez faire la politique, vous démissionnez. C’est clair !

S. : Est-ce qu’il n’y en a pas de façon « mouta-mouta » ?

L.P. : Si vous en voyez qui ont des cartes de membre et qui posent des actes, il faut les dénoncer. La commission des requêtes est là pour ça. Dès que vous constatez quelque chose qui n’est pas normal, vous écrivez et vous saisissez cette commission.

S. : A la suite des déclarations de Safiatou Lopez/Zongo devant le Palais de justice, vous avez promptement réagi alors qu’il y a bien d’autres citoyens qui font des révélations et on ne vous voit pas.

L.P. : On a promptement réagi ? Le parquet ou quoi ?

S. : Sur ce problème, le président de l’Assemblée nationale a traité les magistrats d’affairistes.

L.P. : Moi, je ne suis pas concerné. S’il y a des magistrats qui se sentent blessés, ils ont une voie de recours.

S. : Ce n’est pas parce que les propos viennent du président de l’Assemblée nationale que vous n’avez pas été affecté ?

L.P : Non !

S. : Personnellement, qu’est-ce que vous pensez de tels propos?

L.P. : Chez nous, c’est encadré. D’ailleurs, nous avons demandé que le CSM pose le problème de l’obligation de réserve du magistrat par rapport à ce type de déclaration. De la manière dont nous avons demandé à ce que la justice ne s’implique pas dans la gestion du pouvoir exécutif et législatif, je pense que de cette même manière, les gens doivent éviter de porter des jugements sur les magistrats. Moi, je ne vais pas critiquer une institution dans la gestion de son pouvoir. Les attributions sont bien réparties et chacun a son domaine et doit y rester. En tout cas, j’évite de verser dans ce débat.

S. : Il semble que vous avez maintenant des salaires de ministres. Avec les avantages qu’on vous a accordés, les citoyens ont pensé que cela allait se sentir sur le traitement des dossiers mais certains désespèrent déjà. Que se passe-t-il ?

L.P. : D’abord, je ne connais pas le salaire d’un ministre. Je n’ai jamais été ministre. Mais la réalité est qu’effectivement notre traitement salarial a été substantiellement amélioré. Je le reconnais et je profite pour remercier le pouvoir d’avoir accédé à des revendications qui datent de longtemps. Depuis 2011, les magistrats n’avaient pas eu d’augmentation de salaire. Alors que pendant ce temps, des augmentations se faisaient. Mais, il ne faut pas que les gens voient cela d’un mauvais œil parce que ça permet de réclamer plus aux juges. Effectivement, depuis longtemps, ils estimaient que leur traitement n’était pas juste. Ils doivent se sentir obligés de travailler pour mériter ces salaires. Maintenant, quand vous dites que jusqu’à présent on ne sent rien, c’est peut-être parce que nous sommes actuellement sur des réformes. Cela fait quatre mois que je ne suis pas allé au bureau parce que je suis dans la commission. Et je suis persuadé que le travail qui est en train d’être fait est aussi important que ce que je fais comme travail au bureau.

S. : Est-ce à dire qu’il faut mettre les dossiers de côté ?

L.P. : Non ! Ce n’est pas pour dire que ça ne fonctionne pas. Mais le rythme a ralenti un peu. Attendez qu’on achève ces réformes et vous allez voir. Il y a des pools qui ont été mis en place, notamment ceux anti-terroristes et écofinance. Nous allons vers une spécialisation. Les gens vont se cantonner dans leur domaine et je pense que les lignes vont bouger. Actuellement le problème de la justice est que nous n’avons pas de locaux, surtout à Ouagadougou. Le TGI (Tribunal de grande instance : Ndlr) n’a pas de locaux, la Cour d’appel n’a pas de local à même de retenir les acteurs jusqu’à certaines heures où ils désirent travailler. On a besoin souvent de rester au bureau jusqu’à certaines heures mais il y a le problème d’insécurité. Il y a aussi le problème de personnel. De 1985 à 1993, il n’y a pas eu de recrutement de magistrats. Vous allez ressentir ce problème parce qu’en 2021, un grand nombre de magistrats va partir à la retraite. C’est pour cela que nous sommes en train de recruter les cent nouveaux pour que l’impact de ce départ ne soit pas trop fort. C’est insignifiant mais si c’est fait sur trois ans, je pense que ça va aller. C’est donc l’insuffisance de personnel et l’état des locaux qui font qu’on constate cette lenteur sinon, les gens veulent travailler.

Les avocats se sont plaints qu’on les confond à tout le monde dans le traitement des dossiers. Donc les magistrats ont décidé que dorénavant, c’est l’ancienneté du mandat de dépôt qui va primer. Que vous ayez un avocat ou pas, cela n’aura plus d’importance pour le choix des dossiers à traiter. En 2015 ou 2016, les élèves avaient exigé qu’on libère un des leurs, détenu à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) et le ministre m’a demandé d’accéder à la requête mais je lui ai dit que ce n’était pas possible. On ne peut pas enlever le mandat de dépôt. C’est la même chose que ce qui s’est passé à Manga. Le monsieur qui est sorti doit réintégrer, de gré ou de force, la maison d’arrêt. Ce que je pouvais faire dans le cas de l’élève, c’était de demander au procureur de faire exception et de programmer le dossier à l’audience la plus proche. C’était pour faire baisser la température.

S. : Il y a eu agression d’un huissier de justice à Koudougou qui illustre quand même les difficultés d’exécution des actes de justice. En tant que procureur, que faites-vous pour que la pilule puisse passer ?

L.P. : Le rôle du parquet est de veiller à l’exécution des décisions de justice. Pour l’affaire de Koudougou, je n’étais pas là. J’étais à Bamako mais on m’a envoyé les images. Jusqu’à présent, c’est un compte rendu que le procureur m’a fait, donc je ne connais pas le fond de l’affaire. Je ne sais pas qu’est-ce qui s’est passé exactement. Sinon, en réalité, il y a véritablement des problèmes qui se posent dans l’exécution des décisions de justice. Il y a des gens qui ont des décisions, qui veulent les exécuter et qui ont des problèmes. Qu’est-ce qu’on fait ? Si c’est pour expulser des personnes d’une maison, on fait comment ? Alors que selon les textes, le fait que l’on s’oppose à l’exécution d’une décision de justice constitue une infraction. Vous allez ramasser toutes ces personnes pour envoyer en prison ? Si on vous dit d’aller arrêter tous ces gens, pensez-vous qu’on pourra contrôler Koudougou ? Ce n’est pas mieux de gérer la situation autrement, quitte à prendre les dispositions pour éviter à l’avenir ce genre de problème ? Parfois, des acteurs savent qu’il y a de grands risques d’opposition mais ils y vont quand même comme si c’était pour défier quelqu’un. Dans ces situations, il faut aller avec tact. C’est pourquoi, on peut voir des infractions qui se commettent et on décide de ne pas agir pour ne pas troubler l’ordre social.

S. : Il se dit que l’ancien Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, a refusé de répondre à une convocation de la justice. Qu’en est-il ?

L.P. : Personne ne m’a saisi par rapport à cela.

S. : Dans la même lancée, il y a des officiers de police judiciaire qui refusent que les avocats soient associés pendant la phase de garde à vue alors que la loi les y autorise.

L.P. : L’UEMOA a pris un règlement qui dit dans son article 5 que l’avocat doit être présent à l’enquête préliminaire et dès la décision de garde à vue. Puisque le règlement n’a pas défini les modalités de cette assistance, contrairement à d’autres pays comme le Bénin, la difficulté qui s’est présentée à nous, c’était de savoir comment l’appliquer. Mais j’ai donné des instructions. Le ministère a envoyé une note sur sa compréhension du règlement, donc nous avons instruit le parquet de dire aux Officiers de police judiciaire (OPJ) qu’on n’a pas besoin d’un acte pour qu’il soit appliqué à l’interne. Nous avons dit qu’on ne peut pas refuser l’assistance d’un avocat mais, comme il n’y a pas de modalités, il appartient aux juges et OPJ de gérer cette assistance en attendant l’adoption d’une loi réglementaire.

S. : Que répondez-vous aux inspecteurs du travail qui estiment que la justice ne prend pas en compte leurs procès verbaux de règlement de conflits qui opposent les travailleurs à leurs employés ?

L.P. : A ce que je sache, les points qui font objet d’accord à propos de l’inspection du travail sont considérés comme des décisions de justice et sont exécutoires. Nous ne savons donc pas si le problème se trouve à ce niveau. C’est pourquoi, je demande aux citoyens de me saisir lorsqu’ils ont des problèmes d’exécution de décision. Je peux chercher à savoir qu’est-ce qui ne va pas et régler l’affaire. Souvent, au lieu de nous contacter, les gens préfèrent saisir la presse. La solution ne se trouve pas là et vous pouvez les diriger vers qui de droit.

S. : Les gens craignent la lenteur administrative et estiment souvent que les juges sont inaccessibles.

L.P. : Je suis accessible. Il faut faire la part des choses. Le procureur n’est pas un juge. Il est accessible. Aucun procureur ne doit dire qu’il ne reçoit pas.

S. : Une nouvelle loi a été adoptée par l’Assemblée nationale sur la Haute Cour de justice. Pensez-vous que les conditions sont maintenant réunies pour des jugements équitables dans cette juridiction ?

L.P. : Ma présence dans la commission d’enquête fait que beaucoup de choses m’ont échappé, notamment la relecture de cette loi. Mais je me demande si c’est maintenant que les gens ont vu qu’il y a un problème de double degré de juridiction. Quelque chose ne va pas. Comme le Burkina Faso a ratifié un certain nombre de traités et de conventions, je trouve qu’il faut qu’on s’y conforme. Ce texte sur la Haute Cour, je ne sais pas si les concepteurs initiaux l’ont fait de bonne foi. Tel qu’il a été conçu, on ne pouvait même pas poursuivre quelqu’un car il n’y avait pas de parquet. Comment les procédures devaient être faites dans ce cas de figure. Parce que ça mettait en cause les membres du gouvernement ou le chef de l’Etat, mais toujours est-il que ce texte avait des difficultés et ne pouvait même pas s’appliquer à l’Etat. C’est pour cette raison qu’il a été revisité pour permettre un minimum de fonctionnement. Mais peut-être que le temps a joué qu’on n’aille pas au fond ou qu’en son temps, l’on voulait juger rapidement les gens. Le plus important n’est pas de juger rapidement car on peut le faire et se rendre compte par la suite qu’il y a des failles. Il faut plutôt voir comment juger bien et parfaitement. Il faut permettre de bien ficeler les choses avant le jugement. En ce moment, vous êtes sûr qu’en procédant ainsi, le prévenu sera dos au mur et ne pourra pas faire grand-chose. Je crois que cette nouvelle monture, je ne l’ai pas lu, mais je crois que si c’est parce que le double degré n’est pas garanti, cette fois-ci il l’est.

S. : Mais est-ce que le texte régissant la Haute Cour de justice n’est pas en lui-même anticonstitutionnel ?

L.P. : Oui, mais ce texte est allé devant le Conseil constitutionnel. Qu’est-ce qui a été rejeté ?

S. : Le principe que les députés appartiennent…

L.P. : Voilà c’est ça, vous savez que cela a été rejeté et le Conseil constitutionnel a demandé à l’Etat de prendre des dispositions pour assurer ces principes.

S.: Au lieu de persister à relire les textes, pourquoi ne pas poursuivre directement les gens devant les tribunaux de droit commun pour leur rôle présumé pendant l’insurrection ?

L.P. : Je ne sais pas si c’est mon point de vue personnel que vous voulez. Sinon, j’étais pour la suppression de cette juridiction. Il y a des pays qui ont déjà expérimenté cette juridiction, comme la France, mais aujourd’hui ce pays l’a abandonnée. Que tu sois ministre ou président, tu vas comparaître devant les tribunaux de droit commun. Cette question divise, il y a des personnes qui pensent qu’il faut la supprimer afin que tout le monde puisse répondre devant la même juridiction. L’avantage est que ce sont les mêmes règles qui seront appliquées à tous. Maintenant pour ce cas, ce sont des hommes politiques qui seront jugés, je me dis que c’est pour cette raison. Du reste, la suppression de la Haute Cour n’est pas envisagée.

S. : La question est en débat dans la réforme constitutionnelle en cours mais il reste qu’elle soit consensuelle ?

L.P. : La nouvelle Constitution prévoit sa suppression et que des députés puissent être représentés au niveau de la Chambre criminelle lorsque ces personnes sont poursuivies. Là encore, il y a eu des débats sur le nombre d’élus nationaux au sein de cette juridiction. Il va falloir choisir si on veut une séparation du pouvoir ou non. C’est parce qu’on ne fait pas confiance au juge.

S. : Mais à l’étape actuelle, est-ce qu’il faut nécessairement évacuer le dossier qui en cours ?

L.P. : Vous évoquez une question très technique, parce que vous dites de les juger. Je me demande si je peux répondre à cette question. Je crois que non, car le dossier est en cours.

S. : Au nom de la réconciliation nationale, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander une justice transitionnelle. Quel est le point de vue de la justice par rapport à cette question ?

L.P. : D’abord, je ne peux pas parler au nom de la justice, je parle au nom des juridictions qui sont sous mon autorité. Vous pourrez peut-être poser la question au ministre de la Justice ou à la présidente du Conseil supérieur de la magistrature qui pourra vous donner une réponse appropriée. Je peux donner mon point de vue personnel mais je ne pense pas que ce soit le cadre indiqué.

S. : Il semble qu’il y a quelquefois une crise de confiance entre vous et certains Officiers de police judiciaire (OPJ) qui estiment que lorsqu’ils défèrent des prévenus, certains se retrouvent dehors ?

L.P. : Je veux être très clair sur cette question. Des OPJ se lèvent, ils attrapent des gens, montent leur procédure et les défèrent devant le juge. S’ils n’ont même pas convoqué une conférence de presse sur les individus, violant quelquefois leurs droits, la présomption d’innocence et le droit à l’image. J’ai fait une note à tous les procureurs de mon ressort pour dire que toutes les plaintes enregistrées au niveau des OPJ doivent être systématiquement communiquées au procureur du Faso. Car ce dernier est le directeur de la police judiciaire. Donc, tout ce qui est de la saisine de la PJ doit lui être communiqué. Il lui revient d’imprimer la procédure. C’est lui qui décide que dans cette affaire, il faut auditionner telle ou telle personne. Vous faites cela en arrestation, c’est-à-dire en garde à vue ou en renseignement judiciaire. Deuxièmement, qu’il n’y ait plus de garde à vue sans l’autorisation d’un procureur car c’est lui qui dirige la procédure. Ce n’est pas que je sous-estime l’OPJ mais il revient au directeur d’en décider. S’il estime qu’il y a nécessité de garder à vue l’intéressé, il discute avec son procureur pour convenir sur quelque chose. Mais il n’est pas question que le procureur dise qu’il n’est pas au courant d’une garde à vue. Troisièmement, que les prévenus ne doivent plus être déférés par les OPJ mais plutôt par le directeur. Si je suis procureur et on me défère quelqu’un dont je ne suis au courant de sa garde à vue, je dirai à celui-ci de se référer à la personne à qui il a rendu compte. C’est une chaîne pénale et la chaîne c’est le directeur, le procureur du Faso. Vous comprenez qu’un OPJ décide à lui seul de monter une procédure et de déférer un prévenu ? Si vous le faites, moi je ne vais même pas prendre ce dernier pour le mettre en prison puis le libérer demain. Vous allez faire ce que vous voulez et si vous vous amusez, on va vous poursuivre.

S. : Vous semblez être aussi contre la présentation des voleurs ?

L.P. : Sur ce point, j’ai encore adressé une note à tous les procureurs pour leur dire que les conférences de presse où les voleurs sont présentés relèvent de leur pouvoir. Dans un Etat de droit, vous ne pouvez pas parce que très souvent, on va vous montrer beaucoup d’éléments lors de la conférence de presse mais quand on défère cette personne, on se rend compte qu’il n’y a rien.

S. : Donc, ce sont des conférences de presse spectacles ?

L.P. : J’ai dit que je ne veux plus de cela. Vous pouvez le faire mais en accord avec le procureur du Faso. Sinon, on risque de violer les droits de quelqu’un et le jour viendra où les gardés à vue vont se retourner contre nous. Ces gardés à vue, s’il arrive qu’ils soient relaxés, qu’est-ce que vous faites ? C’est ça le problème, ce ne sont que des présumés et nous savons comment cela se passe. Pourquoi certaines procédures traînent ? Vous allez prendre quelqu’un et on parle de flagrant délit. Ce monsieur va faire un mois en prison. On va ensuite aller rechercher sa mère, son père pour auditionner. Avons-nous besoin d’auditionner des gens qui n’étaient pas témoins sur les lieux ? Le fragrant délit est défini dans le code pénal. Vous le prenez, surtout si c’est la clameur publique qui l’a dénoncé ou s’il a été pris avec des indices ou avec l’objet volé. Dans ce cas, vous le traînez directement avec le seul PV (Ndlr : Procès verbal). Normalement, s’il y a une audience en cours, c’est à cette audience qu’il sera jugé. Si l’on n’arrive pas à le juger, c’est à la plus prochaine audience qu’il va comparaître. Si on n’arrive toujours pas à le juger, vous êtes obligé d’ouvrir une information. Voici la procédure. Malheureusement, ce n’est pas ce qui est fait. Souvent dans d’autres cas, c’est une enquête préliminaire, c’est la gendarmerie ou la police qui a eu une information par rapport à une affaire. Elle récolte des informations car les faits peuvent être commis depuis longtemps. Et après quand elle apprend quelque chose, elle arrête l’individu. Dans ce cas, il ne s’agit pas de fragrant délit. Quand c’est une situation pareille, vous informez d’abord le procureur pour dire : « nous avons des informations sur telle ou telle personne et nous voulons ouvrir une enquête ». En ce moment, tout est clair et il va vous autoriser à ouvrir l’enquête. Des gens font une confusion parce qu’il ne revient pas à la PJ de juger si une personne est coupable. Si vous avez rassemblé des éléments à charge à même de traduire ce monsieur devant une juridiction pour être condamné, vous le faites. C’est tout ce que nous demandons, on ne demande pas de le juger coupable. Donc c’est possible et ça, on l’a vu. On défère des gens et apparemment le procureur n’est pas au courant. Vous le faites aux yeux des gens et à la fin, on se rend compte que ce monsieur n’y est pour rien. Il le libère et on dira que c’est telle personne qui est à la base de sa libération. Ce genre de situation fait qu’il y a des problèmes entre la PJ et le parquet. C’est pourquoi, nous disons que chacun doit rester dans son rôle. Sinon, nous n’avons rien contre la PJ, elle fait correctement son travail mais ce sont ces cas qui nous ont amenés à réagir pour recadrer les choses.

S. : A quand le procès des auteurs présumés des attentats du 15 janvier 2016 au Burkina Faso ?

L.P. : C’est pourquoi je disais qu’il fallait que le procureur du Faso soit présent. Car ce dossier, nous l’avons confié à un juge d’instruction qui s’en occupe. Une information a été ouverte contre X. Jusqu’à présent, nous n’avons pas pu mettre la main sur des gens mais vous savez que ceux qui ont exécuté ces actes ont été abattus sur le champ des opérations et ils ont été inhumés. Il y a eu des commissions rogatoires, un juge d’instruction s’est déplacé à Bamako dans le cadre de la coopération judiciaire car des suspects ont été arrêtés dans ce pays. Ils ont été interrogés et nous continuons de toujours fouiller pour savoir de quoi il s’agit. Il y a des gens qui ont conduit ces actes terroristes à Ouaga, ils ont été hébergés et je crois que la personne qui a permis leur hébergement est en détention. Je ne sais pas s’il est encore en détention ou libéré mais toujours est-il que la procédure est en train d’avancer. Le problème est l’indemnisation des victimes de cet attentat. C’est ce qui préoccupe les gens. Dans d’autres pays comme la France, une caisse existe pour indemniser les victimes d’actes de terrorisme et autres. Il suffit que le dossier soit monté et qui montre par exemple que mon véhicule a été incendié accompagné des PV de constat. Une commission va alors siéger pour statuer. Ce que nous devons faire, c’est de plaider pour la mise en place de cette caisse d’indemnisation des victimes du terrorisme. Nous en avons parlé au ministre de la Justice et on a l’espoir qu’une telle caisse sera créée pour indemniser les victimes.

S. : Vous avez une idée du montant de l’indemnisation ?

L.P. : C’est devant une juridiction que les victimes se constituent partie civile et réclament quelque chose. Mais si une caisse est mise en place, on va peut-être leur demander en dehors de tout procès, d’évaluer leurs requêtes. Ce que je vois, c’est la création d’une telle caisse ici.

S. : Le dossier Ousmane Guiro ?

L.P. : Sur ce dossier, nous nous sommes pourvus en cassation après le jugement. La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel et nous a renvoyés le dossier. Tout comme les autres dossiers, dès que nous allons organiser une session de la Chambre criminelle à Ouagadougou, nous allons l’inscrire pour être jugé.

S. : Des enveloppes dans les cantines de Guiro portaient des noms. Pourquoi ces derniers n’ont pas été poursuivis ?

L.P. : Je ne sais pas, je suis une partie dans ce procès Guiro, je représente la société. Pour ceux qui ont suivi le procès, les avocats de M. Guiro ont présenté des écrits d’un journal pour dire qu’au moment des faits, des enveloppes avaient été retrouvées et que ces enveloppes ont disparu. On a fait venir les cantines et nous n’avons trouvé que deux enveloppes le jour où nous avons ouvert les cantines. Deux noms étaient sur ces enveloppes, c’est tout.

S. : Et quels sont ces noms ?

L.P. : Ces noms étaient connus, il y avait Watam et Obouf. Guiro avait donné des explications pour signifier que c’est au cours d’un baptême ou une fête que ces enveloppes lui ont été remises. Mais les avocats ont dit qu’il y avait d’autres enveloppes qui portaient d’autres noms. Nous n’avons pas pu trouver d’autres enveloppes dans ces cantines-là.

S. : Est-ce que vous avez situé les responsabilités ?

L.P. : Malheureusement, j’ai une double casquette, je suis membre de la commission d’enquête du CSM. Je sais que le dossier Guiro est inscrit au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il y a eu des investigations et le dossier reviendra. On pourra revenir sur cette affaire.

S. : Certains disent que la commission d’enquête n’aboutira pas parce que vous êtes impliqué ? Que faites-vous pour prouver que vous êtes un juge propre ?

L.P. : Je ne suis pas le président de la commission. Elle a fini ses travaux et a déposé son rapport. Pour une question de transparence, vous pouvez rencontrer le président de ladite commission puisque je serais, selon vous, la personne mise en cause. Vous pourrez lui demander d’être situé sur le cas du procureur général qui, semble-t-il, aurait été mis en cause. Je suis mal à l’aise de parler de moi.

S. : Parlons de l’affaire Inoussa Kanazoé. Incarcéré, libéré sous caution de 700 millions de F CFA. Où en est-on avec ce dossier ?

L.P. : Le dossier suit son cours. Voilà comment j’ai organisé mon parquet quand je suis arrivé. Vous savez qu’il y a un dépôt légal qui se fait devant le parquet .Ce dépôt légal n’est pas fait pour zéro. Par ce canal, des gens viennent dénoncer ou dire des choses qui peuvent entrer dans le cadre d’une qualification pénale. Le procureur est, entre autres, chargé de surveiller les infractions, de poursuivre, de rechercher. J’ai attiré l’attention des parquets en suggérant au procureur de mettre en place un juge qui va, tous les matins, lire les journaux. S’il découvre des choses, on voit la possibilité de poursuivre. A la Cour d’appel, j’ai mis également ce mécanisme. Un substitut général lit les journaux tous les matins et me fait le point sur les informations qui peuvent trouver des qualifications. C’est dans ce sens qu’on m’a rendu compte qu’un journal a parlé d’une affaire floue qui se serait passée au niveau du Tribunal du commerce. Les informations publiées laissent penser qu’il pourrait y avoir des infractions. On a demandé au petit parquet du procureur d’ouvrir une enquête afin de vérifier ces dires. Ainsi, le parquet a ouvert une enquête à la gendarmerie et on m’a fait savoir que l’enquête a abouti sur des informations qui pourraient être qualifiées d’infraction au fisc. C ‘est ainsi que le parquet a décidé de déférer monsieur Inoussa Kanazoé au niveau de la justice et d’ouvrir une information.

S. : D’aucuns estiment qu’il a payé cher pour sa liberté provisoire.

L.P. : C’est le juge qui fixe le montant de la caution.

S. : Sur quelle base ?

L.P. : Il y a des critères. Il fixe le montant de la caution pour garantir sa représentation de l’accusé en justice, pour garantir éventuellement les condamnations aux amendes .Dans le cas d’espèce, c’est l’Etat qui est la victime. La caution a été fixée, le juge a accordé la liberté provisoire.

S. : Où va cette caution ?

L.P. : Cette caution est consignée au niveau du greffe. Quand vous payez, on vous donne un reçu que vous joignez au dossier avant que le juge ne prenne sa décision. Le jour où il y aura jugement, si M .Kanazoé est condamné à payer des amendes ou des réparations, ce montant servira à cela. S’il est acquitté, on lui restitue son argent.

S. : Des investigations affirment que l’Etat s’emploie à sauver Kanis. Avez-vous des détails ?

L.P. : Je ne suis pas dans la politique. Je m’occupe des procédures judiciaires. Je ne suis pas au courant.

S. : Sur l’affaire Kanis, le procureur s’est autosaisi à la suite des révélations dans la presse. En sera-t-il de même pour les malversations commises sur les services payés à la Police nationale ?

L.P. : Dès que je l’ai appris, j’ai demandé au petit parquet de faire communiquer le rapport. Le rapport a été communiqué et il a fait un double. J’étais à Bamako. C’est avant-hier qu’on m’a communiqué le rapport. Je vais le lire, s’il y a des choses, je donnerai des instructions.

S. : Et concernant la révélation dans les médias sur le trésor parallèle du ministère des Infrastructures?

L.P. : Le trésor parallèle d’où ? Je note.

S. : Autre dossier monsieur le procureur, le retrait pur et simple des parcelles. Cette recommandation de la commission d’enquête parlementaire est-elle applicable d’un point de vue juridique ?

L.P. : J’ai fait partie d’une petite commission de réflexion sur le rapport parce qu’il a été transmis au ministère de la Justice, des Droits humains et de la Promotion civique. Je retiens qu’il y a eu dans l’occupation des terrains appartenant à l’Etat des choses pas du tout claires. Il y a des droits qui devaient être payés à l’Etat par les différentes sociétés immobilières. Ces droits n’ont pas été acquittés et ces sociétés ont revendu ou du moins ont construit et revendu ces parcelles à des individus. Nous avons suggéré à l’Etat de faire payer ces taxes. Il y a d’autres recommandations. Il ne s’agit pas de déguerpir les gens. Pour quelles raisons ? L’Etat peut passer par la voie civile en prenant des avocats pour astreindre ces sociétés qui ont une personnalité morale devant les juridictions pour le paiement de son dû. Quant à ceux qui ont acheté leurs maisons ou leurs parcelles chez ces sociétés, si vous voulez les retirer, cela pourrait poser des problèmes de droit.

S. : Qu’avez-vous recommandé à l’encontre des maires qui ont trempé dans la vente de parcelles ?

L.P. : On a recommandé qu’ils soient poursuivis. Comme des maires avaient été poursuivis dans le temps, nous avons demandé qu’on veille à ne pas faire des actions différentes. S’ils sont déjà poursuivis pour ces faits, qu’on le vérifie pour éviter les confusions. La commission a remis les documents au ministère en charge de la justice. Franchement, je ne sais pas quelle sera la suite de cette procédure. Il y a eu des recommandations dans cette affaire.

S. : Chaque année, l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) produit des rapports faisant cas de malversations. Que deviennent ces rapports à votre niveau ?

L.P. : L’ASCE-LC a le pouvoir de saisir directement les juridictions. Du reste, j’ai reçu une lettre de l’ASCE-LC demandant le point de leurs dossiers et leur évolution. J’ai saisi les juridictions en charge de ces dossiers pour faire le point des dossiers qui ont été jugés. D’autres sont toujours dans des cabinets d’instruction. Sinon, l’ASCE-LC n’a pas à attendre. Elle a le pouvoir de saisine directe des juridictions. Elle ne passe pas par nous.

S. : L’ASCE-LC dit qu’elle a le devoir de publier des rapports, mais c’est à la justice de sévir.

L.P. : Non, je suis désolé. Elle a le droit dès qu’elle a fini de saisir telle juridiction qui lui plaira. On a saisi des Tribunaux de grande instance (TGI) pour des affaires. On a saisi Bobo-Dioulasso, Koudougou et autres. Si vous voulez, je vais vous sortir le point de leurs dossiers. Le contrôleur général ne dira pas le contraire.

S. : Le contrôleur général affirme qu’il y a une cinquantaine de dossiers en justice depuis 2008.

L.P. : Ces dossiers sont en justice. Si ce n’était pas le cas, on peut parler. C’est l’ASCE-LC qui a saisi la justice. J’ai essayé de faire le point des traitements des dossiers et je me suis rendu compte que chaque cabinet d’instruction a au moins 400 dossiers. Un nouveau juge d’instruction arrive dans un cabinet, sa priorité ce sont les dossiers où des personnes sont en prison. Parce qu’il est obligé de poser des actes : soit renouveler les mandats de dépôt, soit surveiller les mandats de dépôt. Sa deuxième priorité porte sur les nouveaux dossiers ouverts par lui. Sur le reste des dossiers, il ferme les yeux. C’est la triste réalité. Des recommandations ont été faites par des experts pour sortir ces dossiers. Parce qu’il y a des dossiers qui sont prescrits par le fait de cette pratique. Ce matin (Ndlr, date de l’interview), j’étais à l’audience et j’ai entendu appeler un dossier qui date de 2000 c’est-à-dire 17 ans. J’ai rigolé. Qu’est-ce qu’on fait par rapport à ces dossiers ? Il y a des dossiers, on ignore où se trouve le concerné. La technique des juges est de laisser le dossier durer dix ans, si c’est un dossier criminel. Il y a prescription donc non-lieu pour prescription. C’est pourquoi, nous avons des cas où il est mieux de commettre un crime qu’une infraction. Le voleur d’âne peut, si les gens sont sévères, prendre deux ans de prison. Mais celui qui commet le crime, s’il a un juge d’instruction qui traite le dossier, au bout de six mois, s’il l’a auditionné au fond, il peut décider de le mettre en liberté provisoire. Dès qu’il le met en liberté provisoire, celui-ci disparaît de la circulation. Comment allez-vous clôturer ce dossier ? Après six mois, un an, il est mis en liberté provisoire, c’est terminé. C’est compte tenu de toutes ces anomalies qu’on a demandé de faire des réformes profondes. Lorsqu’une infraction est commise et l’auteur traduit devant une juridiction, plus vite la sanction est prononcée, mieux l’intéressé assume cette sanction et puis cela dissuade et mieux ça vaut. Par exemple à Gaoua, à Dédougou où nous sommes allés pour des sessions de la Chambre criminelle, ce sont des dossiers de dix ans, quinze ans. Un dossier de viol a été appelé, la victime est arrivée avec trois bébés. Elle ne savait plus de quoi il s’agissait. Ce sont ces dysfonctionnements qui ont amené le ministère à prendre à bras-le-corps ces problèmes pour pouvoir faire des réformes et redresser la manière de travailler. C’est un nouveau départ qu’il faut concéder à la justice pour qu’elle puisse évacuer ce stock. Puis, on partira sur de bonnes bases. La population doit nous faire confiance. Les journalistes devront plaider pour cela. Il faut dénoncer les juges corrompus parce que ça fait mal à nous autres.

S. : C’est ce que Lookman Sawadogo, le directeur de publication de Le Soir, a dénoncé, mais cela semble poser problème.

L.P. : Qu’est-ce qui pose problème ? Le CSM a recommandé à la commission qu’on écrive aux personnes qui ont été accusées et au bout du compte sont sorties blanchies des accusations. Si on les écrit, s’il y a un problème, elles peuvent se défendre. Cela peut permettre de délier les langues. La commission a aussi recommandé plus de professionnalisme aux journalistes, plus de collaboration avec la justice. Quand vous avez des informations, allez vers la justice pour avoir l’autre version. Si vous avez des informations et vous ne cherchez pas à vérifier, cela pose des problèmes.

S. : Ce sont des manquements qui peuvent trouver des solutions par le dialogue et non devant les tribunaux.

L.P. : Vous allez m’amener à dire des choses. Je ne pense pas que cela soit le cadre. Compte tenu de ma casquette, je craignais de ne pouvoir répondre.

S. : Allez-vous prendre des procédures spéciales pour évacuer ce trop-plein de dossiers qui dorment dans les tiroirs avant ce nouveau départ ?

L.P. : Avec la réforme, des décisions seront prises pour compter de la rentrée prochaine afin d’évacuer ce trop-plein. D’ailleurs, il y a des dossiers qui ne sont pas rédigés. Cette année, l’inspection a demandé à tous les juges qui ont des dossiers en souffrance de rédaction, de les rédiger dans un délai imparti. Tout sera rédigé parce qu’on a donné un délai. Le CSM a décidé que pour affecter un magistrat, celui-ci ne doit pas avoir des dossiers en souffrance. C’est son supérieur hiérarchique qui doit lui donner le quitus en confirmant qu’il n’a pas de dossiers en souffrance en collaboration avec l’inspection des services judiciaires. C’est dire qu’on a pris des garde-fous pour éviter des stocks de dossiers non rédigés. Il y a des juges qui ne sont pas des juridictions qui sont prêts à venir donner un coup de main quitte à être rémunérés. Mais le problème c’est l’argent pour rémunérer tous ces gens- là.

S. : A la faveur du coup d’Etat, des civils et des militaires ont été arrêtés, certains ont bénéficié de liberté provisoire, d’autres pas. Pourquoi ?

L.P. : Seul le juge en charge du dossier peut vous répondre par rapport à certaines personnes mises en liberté et d’autres gardées en prison .Parce que la décision de la liberté provisoire dépend des critères que le juge se fixe. La liberté est le principe et la détention est l’exception. Lorsque vous prenez un dossier, il y a des raisons qui vous amènent à garder quelqu’un et on a pu parler de motif de nécessité et de motif d’utilité. Pour le motif d’utilité, c’est protéger l’intéressé lui-même. Par exemple, si on pense qu’en vous libérant, vous pouviez être victime d’un lynchage, il y a une utilité à vous garder en prison. Si vous avez commis un crime dans un village, vous avez peut-être froidement abattu quelqu’un et le juge d’instruction a décidé de vous mettre en prison dans ces conditions pour raison de nécessité et d’utilité. Nécessité pour avoir des éléments à charge et utilité pour vous protéger. Il se peut que les nécessités disparaissent parce qu’il arrive à avoir tous les éléments pour vous traduire devant une juridiction de jugement. Mais cela suffit-il pour libérer ? Il y a la question de l’utilité. S’il vous libère, le jugement risque de ne pas avoir lieu parce que si vous retournez au village, vous risquez d’être victime de quelque chose. Je prends cet exemple pour bien vous expliquer la nécessité et l’utilité. Malheureusement, ce qui est grave dans le droit commun, c’est que les chambres criminelles ne se tiennent pas régulièrement comme par exemple en France. Chez nous, il faut organiser une session. Le juge est confronté à cette utilité de maintien. Mais quand l’utilité prendra-t-elle fin ? Ce monsieur n’est pas jugé tout de suite parce que la chambre ne peut pas se tenir tout de suite. On fait quoi de ce monsieur, on continue de le garder pour préserver sa vie où bien on décide de le libérer ? J’ai un dossier où un jeune a tranché la tête d’une jeune fille pour s’enrichir. Ce monsieur, vous voulez qu’on le libère ? Le dossier est clôturé, mais ce monsieur est emprisonné depuis plus de deux ans. Si vous le libérez et qu’il arrive dans son village, c’est clair qu’il sera abattu .Mon rôle est de prendre toutes les précautions pour ne pas qu’il soit un cadavre demain. On peut tenir compte aussi de sa capacité de nuisance, de la récidive de l’accusé.

S. : Est-ce cela qui motive le maintien en détention du général Djibrill Bassolé?

L.P. : Je ne saurai le dire. Je ne peux pas vous dire si c’est pour des questions de nécessité ou d’utilité. Je suis le Tribunal militaire comme le monde. On me dit que ce n’est pas normal. Si je vais là-bas, cela peut être une influence. Je ne veux pas influencer les gens. L’instruction est couverte par un secret.

S. : Vous avez au moins une idée de la réaction de la commission des Nations unies pour les droits de l’homme ?

L.P. : Dans notre droit interne, vous avez des civils qui sont gardés à vue dans le cadre de cette procédure. Vous avez des infractions typiquement militaires. Le coup d’Etat est une infraction militaire, mais la police judiciaire militaire n’a pas bougé. On comprend pourquoi elle n’a pas bougé. Nous avons pallié ce vide en prenant en charge ce dossier. Nous avons mené toutes les diligences pour que ce dossier puisse démarrer parce que nous savions que nous n’avons pas compétence. C’est une atteinte à l’autorité de l’Etat. Dès que les choses se sont calmées, on leur a remis le dossier. C’est la même chose que nous avons déplorée lors de l’insurrection populaire. Je comprends que vous ne pouviez pas trouver un OPJ ou un procureur pour aller faire des constats. C’est ce qui a fait qu’on n’a pas pu avoir certains éléments sur les victimes de l’insurrection. Quant aux victimes du coup d’Etat, il y a une expertise sur tous les cadavres. Ils disent que le général n’était plus militaire en son temps. La réponse est que dans notre droit c’est certes, une infraction militaire, mais ce ne sont pas que des militaires qui sont en prison pour répondre de ce fait de coup d’Etat, il y a des civils. C’est une infraction purement militaire. Si vous êtes civil et vous êtes impliqué, c’est le Tribunal militaire qui va vous gérer. Je me contente de notre droit interne, il revient peut-être à nos autorités, parce qu’il y a des voies de recours là-bas, d’expliquer comment les choses fonctionnent chez nous.

S. : Dans le cadre de l’insurrection populaire, un mandat d’arrêt international a été émis contre l’ancien président Blaise Compaoré qui a même changé de nationalité. Est-ce que le changement de nationalité pourrait définitivement soustraire le président Compaoré de la justice ?

L.P. : Non. Les infractions ont été commises, peu importe le changement de nationalité. Au moment des faits, il était le chef de l’Etat. Je ne pense pas que dans la constitution de son dossier, il a mis sa nationalité ivoirienne. Les infractions qui lui sont reprochées, c’est lorsqu’il occupait la haute fonction de chef d’Etat, le changement de nationalité ne peut pas modifier les poursuites. Le mandat d’arrêt est en cours. Les poursuites sont toujours en cours au niveau de la Haute Cour de justice.

S. : En espérant une collaboration éventuelle de la partie ivoirienne ?

L.P. : Bien sûr. Si aujourd’hui la Côte d’Ivoire décidait d’extrader l’ex-chef d’Etat et si les autorités estiment qu’on peut le recevoir, le garder et le faire comparaître, on va le faire.

S. : Le pouvoir préconise une résolution des mandats par voie diplomatique concernant le président Blaise Compaoré et le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro.

L.P. : C’est un autre dossier qui a été affecté à la commission d’enquête. Comme le résultat n’est pas encore publié, je ne veux pas me prononcer sur cette affaire.

S. : Nous allons passer à l’actualité nationale, l’incivisme est une réalité au Burkina. La justice en paie particulièrement un lourd tribut à travers les casses de tribunaux. Qu’est-ce que vous pensez de ce phénomène ?

L.P. : C’est un triste phénomène. Au-delà de la justice, je vois l’institution étatique. Comment parvenir à un apaisement ? Je ne sais pas si c’est une manière d’interpeller les juridictions sur leur manière de travailler, je pense que les réformes qui sont entreprises sont une réponse. La population doit faire confiance à la justice et regarder dorénavant les décisions qui sont rendues actuellement. Les décisions qui sont rendues jettent-elles un discrédit sur la justice ? Il faut que l’on sorte de cette réaction qui tend à se venger. Prenez le cas d’un accident de circulation mortel, immédiatement votre véhicule est incendié. Un accident n’est jamais voulu sinon c’est un homicide ou un assassinat. Le véhicule brûlé pouvait servir à la réparation des ayants droit de la victime. Il faut faire une sensibilisation. Dès que vous agissez sous le coup de la colère, soyez sûr que c’est une mauvaise décision que vous prenez. Les gens doivent nous faire confiance. Le CSM a pris conscience que rien ne doit plus être fait comme avant. C’est l’Etat qui est interpellé. Il faut qu’on gère les choses selon le droit. Je ne sais pas quelle éducation nous donnons à nos enfants. Ils n’ont plus peur du sang, des gens. Tout le monde est interpellé par ce phénomène.

S. : Qu’est-ce qui peut être fait au niveau familial ?

L.P. : Au niveau de l’éducation nationale,les écoles comme le Prytanée militaire, les écoles catholiques réussissent parce que la discipline y règne. Je suis convaincu que si la discipline est enseignée partout avec cette vigueur, les gens vont rentrer dans l’ordre. Pourquoi ne pas calquer cette discipline dans toutes les écoles? Au niveau de la famille, il faut revoir l’éducation. Nous sommes sortis de l’insurrection et tous les jours nous sommes dans l’insurrection. Je ne sais pas à quel moment nous allons nous consacrer réellement à la reconstruction de notre pays.

S. : Est-ce qu’il y a possibilité de poursuite dans le cas de la vindicte populaire ?

L.P. : Bien sûr. Si vous avez des photos des coupables, si on les prend, ils seront poursuivis.

S. : Comme le cas de l’artiste-musicienne Adja Divine ?

L.P. : Je pense que la police enquête. C’est vraiment affreux. On a essayé de l’étrangler. Pourquoi ? A supposer même que ce soit vrai, si vous tuez cette dame, quelle information allez-vous avoir ? Il faut souvent réfléchir avant de poser des actes.

S. : Depuis 2016, le front social est en ébullition dans notre pays. Quelle lecture faites-vous de la situation?

L.P. : Tout le monde est convaincu que c’est le problème de justice qui a conduit à l’insurrection. Alors, les autorités ont estimé que si c’est effectivement la justice qui est indexée, elles vont régler les problèmes de justice. Je ne sais pas si c’est en réaction à cela que les gens revendiquent. Je pense que c’est normal de revendiquer pour de meilleures conditions.Mais cette revendication doit s’inscrire dans un cadre légaliste. Je suis légaliste. Les grèves doivent être inscrites dans un cadre légal. Mais les autres formes de manifestations sont, pour moi, de l’incivisme. Si vous décidez de débrayer, de ne pas travailler, ce n’est pas de l’incivisme ça ? Alors qu’il y a la loi qui définit le cadre pour cela et c’est la même chose pour les magistrats. Je suis d’accord pour les revendications, je ne fais pas de distinguo que ce soit les magistrats ou un autre corps. Je suis d’accord que les gens revendiquent. Mais que ces revendications s’inscrivent dans un cadre légal. Dès lors qu’elles sortent du cadre légal, j’estime que c’est une forme d’incivisme qu’il faut bannir.

S. : Donc vous êtes pour la révision du droit de grève qui comporte quand même des failles ?

L.P. : Est-ce qu’on a refusé le droit de grève ? Le droit de grève est là. Pour les autres formes, je pense que ce sont des négociations entre les travailleurs et l’Etat. Moi, je ne vais pas rentrer dans ces détails. Je suis sûr d’une chose, le droit de grève est consacré dans la Constitution. On ne peut pas refuser le droit de grève, maintenant ce sont les modalités qui doivent être discutées entre les différents acteurs sociaux.

S. : Entre l’opposition et la majorité présidentielle, il y a des critiques par rapport au projet de loi qui a finalement été adopté à l’Assemblée nationale pour alléger le PPP (Ndlr : Partenariat public-privé). Quelle est votre position ? Est-ce un signe de rupture entre l’opposition et la majorité ou est-ce vraiment la démocratie qui s’explique ?

L.P. : Vous me glissez sur un terrain politique, je suis abstenu de politique, je ne veux pas rentrer dans les débats politiques. Je suis magistrat et si je me mets à parler de ces choses, c’est comme si je prenais position. Je veux que vous respectez ma position, je ne veux pas rentrer dans les débats politiques. L’état de la gouvernance n’est pas parfait. La gouvernance peut être améliorée, c’est tout ce que je peux dire. Le Partenariat public-privé (PPP), ce sont les modalités d’exécution que l’on critique. Le fait que l’on puisse passer un marché de gré à gré à des amis, entre guillemets. Tel qu’ils ont expliqué, il y a des projets qui sont urgents, qu’on veut réaliser mais compte tenu de la lourdeur des procédures, on décide de faire passer de gré à gré ces marchés pour la réalisation de ces projets. On estime que ce n’est pas en réalité le gré à gré lui-même qui pose problème mais c’est qu’à travers ce gré à gré, on risque de passer des marchés à des amis. Ça, c’est un autre problème. Maintenant, c’est le gré à gré qui est mauvais ou bien c’est quoi ? Si c’est le gré à gré qui est mauvais, est-ce qu’il n’a pas existé avant ? Nous, nous sommes dans le cadre de l’exécution. Si dans ce PPP vous avez des informations qu’il y a des dessous de table, cela peut nous intéresser et l’ASCE-LC doit jouer un rôle et surtout surveiller ce genre de travaux, car ce sont des choses qui seront visibles par la suite et il y aura les différentes transactions. Si vous voyez des mouvements qui ne répondent pas aux normes souhaitées, vous pouvez alerter le parquet. S’il ya des corruptions, les citoyens peuvent également les dénoncer. Si vous voulez alerter le parquet, vous pouvez l’appeler ou lui écrire et on va faire vérifier.

S. : Depuis 2008, il y a un Traité d’amitié et de coopération (TAC) qui est signé entre le Burkina et la Côte d’Ivoire. Mais jusqu’aujourd’hui, sur le corridor ivoirien, les tracasseries persistent malgré l’existence des textes bien appréciés par les populations. Est-ce l’application ou une question d’individu ?

L.P : Je pense qu’on a beau avoir des textes bien ficelés, c’est souvent ceux qui les exécutent qui posent le problème. Ce sont eux qui font qu’il y a des entraves. Il faut peut-être qu’on mette en place, des mécanismes de suivi de l’exécution de tout ce que l’on prend comme mesure. Il faut que cette structure puisse faire le point et cela peut même être un mécanisme des deux parties, la Côte d’Ivoire et le Burkina, pour faire le contrôle-suivi afin de relever les failles, ce qui constitue les goulots et rendre compte. En réalité si vous lisez, les gens ont de grands chantiers dans le domaine de la fourniture en électricité et des routes. J’ai été victime de tracasseries à Cotonou, quand j’ai pris un taxi pour aller vers Lomé. Je sais que là-bas, il y a des tracasseries et j’ai dit que je ne paie rien, même si c’est 500 F CFA, parce que nous appartenons tous à l’UEMOA. Je suppose que chez nous au Burkina Faso, on ne paie pas, pourquoi je vais donner cet argent ? Les ministres des Affaires étrangères qui voyagent dans des avions ne voient pas ces tracasseries sur les routes. Si vous avez des mécanismes où les deux parties vont sur le terrain de façon discrète, pour voir comment ça se passe et faire le point, cela allait être bien. Les textes sont toujours bons, mais dans la mise en place, ce sont les hommes et c’est là-bas généralement qu’il y a les failles.

S. : Quel est le dossier judiciaire que vous avez géré dans votre carrière de magistrat et dans lequel vous avez connu de réelles difficultés ?

L.P. : Je n’ai jamais connu de dossiers difficiles au siège. Au parquet, le seul dossier qui m’a amené à me pourvoir en cassation, c’est le dossier Guiro. C’est un dossier que je suis venu trouver et qui a été monté avec des difficultés et qui, à mon avis, pouvait être mieux fait parce qu’on n’a pas pris le soin de bien conserver certaines choses. Très sincèrement, ce dossier m’a causé des difficultés. Des gens connaissaient déjà le dossier quand je suis arrivé. Lorsque je suis monté comme procureur général, je ne pouvais pas laisser un dossier d’une telle importance à des substituts généraux. C’est pour cela que je me suis adjoint des substituts généraux pour monter à l’audience. C’est là qu’on m’a dit que je ne pouvais pas monter à l’audience avec des substituts. Du coup, je me suis retrouvé seul avec un dossier que je venais de prendre. Mais comme je suis un magistrat de siège, j’ai quand même pu défendre ce dossier. Sa conduite n’a pas été ça et j’ai dû former un pourvoir et la Cour de cassation m’a donné raison. Pour vous dire la vérité, c’est le seul dossier qui m’a causé des ennuis sinon, je n’ai pas connu de difficulté dans un dossier. Je suis une personne à qui, on ne peut pas faire de pression et si vous voulez cacher, moi je vais dire. Je suis pauvre et un fils de pauvre paysan. J’ai fait mes études, si je voulais être riche, je pouvais passer le concours des avocats, mais j’ai décidé que je ne veux pas être avocat mais magistrat parce que pour moi, juger c’est un sacerdoce. Chez moi, ce n’est pas parce que vous êtes un parent que vous serez favorisé, bien au contraire, si vous l’êtes, j’aurai tendance à être plus sévère avec vous. Quand je suis arrivé à Ouaga, il y a eu des gens qui sont venus vers moi et m’ont fait des propositions dans le traitement d’un dossier. A la fin, ils ont voulu me donner l’argent et je les ai repoussés. Je ne suis pas là pour ces genres de corruption car je suis payé par mon salaire.

S. : M. le procureur, quelqu’un qui juge que vous avez fait votre travail et par reconnaissance, il vient vous faire un don d’un poulet ou d’une chèvre, allez-vous considérer cet acte comme une tentative de corruption ?

L.P. : Je voudrais rappeler que c’est en tenant compte de tout cela, qu’on a dû prendre les textes de loi dans le cadre de la lutte contre la corruption, pour dire que le montant que l’on peut recevoir sans qu’on ne parle de corruption, c’est 35 000 F CFA. Mais franchement, au moment où je suis, je n’en ai pas besoin. Il y a des gens que je ne connais et qui viennent dans mon bureau pour des casiers judiciaires et je leur rends ce service sans rien demander en retour. C’est ma vie qui est comme cela, je suis là pour rendre service, je n’aime pas qu’on me rende service. Ce genre d’argent, je ne le veux pas, il n’est pas bon.

S. : Quand avez-vous effectué votre Service national pour le développement (SND) ?

L.P. : C’est quand j’étais au SND que j’ai été admis au concours de la magistrature en 1992. J’étais professeur de français au lycée provincial de Kaya.

S. : Comment appréciez-vous aujourd’hui la tendance à vouloir exempter les magistrats du SND ?

L.P. : Je crois qu’au niveau du CSM, le problème a été réglé. Quand nous sommes sortis, nous avions 132 000 F CFA comme salaire. Avec ce montant, même si vous prenez un crédit de 10 ans, vous ne pouvez pas vous payer un véhicule, mais la simple moto Yamaha. Mais, on vous dit d’être corrects, il y a trop de contraintes, alors que nous sommes issus d’une société où tout le monde se connaît. Chacun connaît le père de chacun. Vous savez tous comme moi, que le salaire qu’on vous paie ne vous appartient pas en réalité pour vous seulement. Vous avez sur le dos des frères et d’autres personnes que vous prenez en charge. Le magistrat, en plus de ces charges ordinaires, on lui demande d’être digne et loyal et cette dignité a un prix. C’est pourquoi, en son temps, les gens avaient demandé des ajournements jusqu’à atteindre les 30 ans et ils sont dispensés. Quand nous étions des stagiaires, nous avions environ 50 000 F CFA comme salaire de magistrats-stagiaires. Nous nous sommes dit, que ce soit le magistrat-stagiaire ou le magistrat lui-même, quand il sort, il est difficile pour lui de supporter ses charges avec le pécule de 24 000 F CFA auparavant. Mais aujourd’hui, avec la relecture des textes sur la magistrature, je crois que les magistrats, que ce soit les auditeurs de justice, que ce soit les magistrats qui sortent nouvellement, en tous les cas, ils ont un traitement qui leur permet de rester dans la dignité. Donc pour nous, nous nous sommes dit que ce n’était plus la peine puisque c’est cela qui était notre objectif au moment où nous étions au syndicat. C’était ce que nous revendiquions. Je suis de ceux qui pensent qu’avec ce traitement, on peut faire son SND.

S. : Est-ce que la question est tranchée définitivement ?

L.P. : Je crois que la difficulté réside dans une histoire de position sous le drapeau. Les magistrats estiment que dans le statut de la magistrature, il n’y a pas une position sous le drapeau et c’est ça qui leur pose problème. S’il y avait cette position, il n’y aurait pas d’inconvénients, mais dans la mesure où il n’y a pas cette position, ils estiment qu’il y a un problème de fond. Je ne pense pas que même les fonctionnaires qui vont en SND, ils soient sous le drapeau. Toujours est-il, je ne sais pas si le CSM a tranché cette question, mais le problème du SND qui était posé au niveau de la magistrature était en relation avec le traitement servi aux stagiaires et aux magistrats nouvellement sortis. Et si c’était à refaire, j’allais être magistrat. Ce n’est pas par opportunisme, j’ai réfléchi, j’avais le choix de passer plusieurs concours. Mes promotionnaires sont des avocats mais j’ai dit que je ne veux pas. Moi je ne peux pas voir quelqu’un qui a tort et puis lui donner raison. Pour les avocats, même si le type a tort, ils vont lui donner raison. Je ne dis pas que les avocats sont des menteurs. Je dis que je n’ai pas cette capacité à aller défendre quelqu’un qui a tort.

S. : M. le procureur, si l’une de ces personnes, Roch, Salif, Simon ou Zéphirin se rendait coupable de fait répréhensible, serez-vous prêt à engager des poursuites contre eux ?

L.P. : Il faut d’abord recadrer les choses. Roch est aujourd’hui le Président du Faso. En l’état actuel des textes, moi, procureur général, je ne peux pas le poursuivre, même s’il commet des infractions. Ce n’est pas moi qui peux le poursuivre, prenez la Constitution et lisez pour voir comment on peut mettre en cause un chef d’Etat. Je pense que les autres c’est la même chose. Simon est membre du gouvernement et en l’état actuel des textes, c’est la même chose. Zéphirin est président d’institution et je ne pense pas qu’il y ait un privilège ou une immunité en ce qui le concerne. Salif, c’est une immunité qui le couvre, donc pour pouvoir le mettre en cause, il faut d’abord lever cette immunité.

S. : Quels sont les principes auxquels vous vous êtes attaché dans votre quotidien ?

L.P. : J’ai été éduqué par un ancien combattant. Mon père a été un ancien combattant, il a fait la deuxième Guerre mondiale et la manière dont il nous a éduqué, il ne fait pas de différence. Si vous commettez une erreur, c’est une sanction collective qu’il vous donne. Ce qui fait que même si ton camarade te fait du mal, tu avais peur de le frapper. J’ai été éduqué selon certaines valeurs. Le vol, le mensonge, je n’en connais pas. Quand j’étais enfant, nous pouvions nous mentir mais à un certain niveau, j’ai constaté qu’on ne doit plus mentir, ce n’est pas possible. Surtout à un niveau de responsabilité, vous n’avez plus le droit de mentir. J’ai une chose, c’est la valeur de la vie privée. Aujourd’hui, je n’ai plus de vie privée, je suis devenu homme public. J’aime bien jouer, j’aime les jeux de société, j’aime bien aller m’amuser dans un débit de boissons avec des amis. Mais c’est fini, aujourd’hui je ne peux plus le faire. Tout simplement parce qu’on ne me comprend pas et on ne me comprendra pas. Alors que je suis magistrat du parquet. Le parquetier, c’est celui qui doit se retrouver partout où une infraction est en mesure d’être commise. Mais malheureusement, la vision de notre société aujourd’hui est telle que je ne peux plus me trouver là-bas, alors que si vous comprenez ma mission, on ne peut pas s’offusquer de me retrouver à tel ou tel endroit. Etant éduqué avec ces vertus, pour moi, c’est l’honnêteté, la loyauté dans la vie. Quant à l’amitié, je n’ai pas beaucoup d’amis, je peux vous citer peut-être deux amis à qui je peux me confier. Le reste, je respecte les gens. Je n’ai jamais cherché à faire du mal à quelqu’un, ça ne m’intéresse pas. Mais si vous commettez des infractions, je ne cherche pas à savoir qui vous êtes et vous allez me sentir, quel que soit ce qui va se passer. J’aime les gens honnêtes, qui respectent les autres et qui respectent la vie d’autrui. J’aime les débats contradictoires, constructifs. Je n’aime pas les choses qui se passent sur le dos des gens, cela me met mal à l’aise. Voilà le genre de type que je suis, très ouvert. J’ai l’air méchant mais en réalité si vous m’approchez, je peux vous donner tout ce que j’ai. Avec les dossiers, je n’ai plus de passe-temps et c’est cela qui me manque. Depuis 2015, je n’ai pas eu de congés. En 2015 et 2016, je n’ai eu que 10 jours. Mais cette année, je vais prendre 45 jours, car c’est un droit. J’ai l’air méchant mais très attaché à la loi. Quand nous étions syndicat, j’ai quitté Bobo-Dioulasso et nous sommes venus à Ouaga pour marcher. Le ministre actuel était secrétaire général en son temps et moi j’étais l’adjoint. C’est lui qui est venu me chercher à la gare et nous allés au lieu du rendez-vous. Nous avons demandé à tous les magistrats SBM de converger. Sur la route, le maire qui nous avait donné l’autorisation, nous rappelle pour nous dire qu’il retire son autorisation. Les gens ont refusé et voulaient outrepasser. C’est moi qui ai dit qu’on n’outrepasse pas, nous sommes légalistes. C’est ainsi que nous avons décidé sur-le-champ, de faire une assemblée générale extraordinaire à Central Hôtel et ce jour-là, la salle était pleine à ‘’craquer’’. Parce qu’on a dû dire au haut lieu que ce sont les sept membres du bureau qui sont en train de s’exhiber et ils ont demandé à ce qu’on prenne nos noms. Je pense que là-bas, quelqu’un a dit de venir nous filmer et voir comment ça se passe. La TNB nous a appelés alors que dans le temps, nous lui avons demandé pour qu’elle vienne couvrir nos activités mais elle n’est jamais venue. Mais ce jour-là, la TNB est venue filmer. Nous avions accroché nos toges derrière. Des avocats même sont venus nous soutenir ce jour-là. Le soir, nous avons suivi la télévision croyant que la TNB allait projeter notre élément mais jusqu’à l’heure où je vous parle, on n’a jamais vu cet élément. C’est longtemps après que nous avons compris qu’en réalité, ce qu’on venait dire au haut lieu, c’était juste pour filmer les images et venir montrer si effectivement nous étions nombreux. J’ai toujours cette liste, c’étaient des procureurs de juridiction. Nous nous attendions à ce qu’on nous radie comme ils l’avaient dit. Mais quand ils ont visionné l’élément, ils se sont dit que s’ils le faisaient, cela allait être autre chose. J’ai demandé au secrétaire général pour savoir pourquoi notre élément n’a pas été diffusé. Si vous vous souvenez, lors d’un débat, le secrétaire général a eu à demander à un de vos confrères, ce qu’était devenu l’élément mais il n’a jamais eu de réponse. C’est pourquoi, je vous ai dit que nous sommes légalistes, dans la mesure où ils ont retiré l’autorisation, nous ne marchons plus, nous allons nous conformer à la loi. Mais aujourd’hui, ce qui se passe, c’est de l’incivisme. Respecter l’égalité, c’est autre chose. Donc si vous voulez faire un mouvement, il faut respecter la légalité.

S. : Pour les magistrats, est-ce que pour 500 personnes on avait besoin de deux semaines de grève ?

L. P. : C’est un autre problème que vous posez car pour même 1000 personnes, on n’a pas besoin de deux semaines. Nous avons créé le SBM pourquoi ? Parce que quand nous sommes arrivés, il y avait deux syndicats qui existaient. Nous avons regardé leur statut et nous nous sommes rendu compte que les objectifs visés par ces deux syndicats étaient les mêmes. Donc pourquoi créer un 3e syndicat du moment qu’ils connaissent les mêmes problèmes ? Et nous avons, en son temps, mis en place un comité de trois personnes chargé de rencontrer les deux secrétaires généraux des deux syndicats, pour tenter la réconciliation. Il fallait convoquer une assemblée générale pour qu’on puisse faire l’unité et nous, en ce moment, on rentrait parce que le problème est que nous ne savions pas ce qui les a amenés à se diviser. Donc prendre parti pour un des syndicats, c’est comme si nous nous opposions aux autres. Comme nous venions d’arriver, nous leur avons dit qu’on ne voulait pas savoir ce qui les a amenés à se diviser. Nous leur avons dit, venez, nous allons constituer le ciment pour former le syndicat. Cinq ans durant, depuis 1995 notre sortie, ils n’ont rien fait. Comme nous, on contenait les jeunes qui sortaient, notre nombre grossissait et les autres ne disaient plus rien, parce que, eux, ils avaient des salaires. Au moment où nous, nous rentrions, nous étions au 3e grade et il n’y avait pas quelqu’un au 2e grade. Du 3e grade, vous allez directement au 1er grade. Cela veut dire qu’il y avait au moins 10 ans de différence entre eux et nous et nos salaires n’étaient pas à comparer. Nous avions d’autres problèmes et par la pression de ceux qui venaient, nous étions obligés de créer le SBM. C’est comme cela que nous avons été amenés contre notre gré à créer le SBM sinon , notre volonté première, c’était de réunir ces deux syndicats et de faire un syndicat unique, voilà l’histoire.


La rédaction
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