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Producteurs locaux de Bagrépôle : La «Terre promise» se fait attendre
Publié le samedi 22 juillet 2017  |  Sidwaya




Le pôle de croissance de Bagré est le plus grand projet de développement hydroagricole et hydroélectrique du Burkina Faso. D’un coût d’environ 64 milliards et demi de F CFA, sa mise en œuvre a occasionné la migration d’agriculteurs de diverses régions du pays vers le site de Bagrépôle. Quelques années après, le projet présente un tableau peu reluisant aux yeux de la plupart des producteurs locaux.

Boukary Dondassé (60 ans) est un producteur de riz installé au Village1-rive droite de la plaine aménagée de Bagré (province du Boulgou), à plus d’une centaine de km de Ouagadougou. En 1995, il abandonne une dizaine d’hectares de terre et un important cheptel dans le Zoundwéogo pour migrer vers la « terre promise » par les responsables de la Maîtrise d’ouvrage de Bagré (MOB) devenue Bagrépôle en 2012. « Ils nous ont convaincu de venir nous installer à Bagré, sur une plaine que l’Etat avait aménagée et qui, selon leurs dires, était très propice à l’agriculture », se souvient-il. Pour les encourager à se lancer dans cette aventure, une parcelle d’habitation de 1000 m2, une rizière d’un hectare et un champ pluvial d’un hectare et demi ont été promis aux producteurs. «Ma famille et moi avons donc déménagé sans hésiter à Bagré, avec l’aide des camionneurs mis à notre disposition à cet effet», relate-t-il. A son arrivée, l’espoir de Boukary Dondassé s’est immédiatement renforcé, au vu du grand nombre de producteurs qui avaient également fait le déplacement. Hélas ! Sa joie sera de courte durée. L’agriculteur soutient que les responsables du projet ont procédé à un tirage au sort pour l’attribution des parcelles promises. Lui et ses pairs ont été « profondément déçus » de se retrouver chacun avec moins d’un hectare de rizière soit 0,80 ha pour les plus chanceux et 0,25 ha pour les autres. « Nous avons essayé de travailler depuis lors avec ces lopins de terres qu’on nous a donnés avec l’espoir que de bonnes récoltes nous permettront de nous en sortir », dit-il, l’air triste. Leur désillusion sera encore plus grande lorsqu’après une dizaine d’années de production, plusieurs d’entre eux se voient retirer soit leurs champs pluviaux, soit leurs rizières au profit d’agrobusinessmen. « J’ai perdu mon champ pluvial dans ce cafouillage. Il ne me reste désormais que ma rizière de 0,80 ha pour nourrir ma famille», se lamente Boukary Dondassé. Et pour cause, le père de famille a à sa charge une vingtaine d’enfants dont certains ont également fondé leur propre famille. Pourtant, se désole le vieil homme, le projet leur avait assuré qu’il y aurait des terres à profusion.

Des menaces de mort

La plaine aménagée de Bagré compte seize villages dont dix en rive droite et six autres en rive gauche. Salifou Soulgané, un quinquagénaire, est installé dans le village 4 situé à la rive gauche de la plaine de Bagré depuis 1997. « Je maudis le jour où j’ai quitté Bittou pour Bagré. Si seulement, je pouvais revenir en arrière, je me serais gardé de mettre les pieds dans cet endroit», regrette-t-il. A la suite du tirage au sort, il s’était retrouvé avec un hectare de riz, une parcelle d’habitation de 0,40 ha et un hectare et demi de champ pluvial. Mais en 2015, M. Soulgané, médusé, constate le démarrage des travaux de construction d’une école sur son champ sans préavis. «J’ai tenté d’avoir des explications auprès des responsables de Bagrépôle, mais jusqu’à présent je n’ai eu aucune réponse », s’irrite le vieux cultivateur, les yeux embués de larmes. Déjà éprouvé par l’inexistence de matériel et d’intrants agricoles, pourtant promis aux premières heures par Bagrépôle, il est, à présent, au bord d’une crise de nerfs.
« Depuis que je suis ici, je n’ai jamais rien reçu», fulmine-t-il. Selon ses explications, la procédure d’acquisition de l’engrais à Bagrépôle est si complexe qu’il est préférable pour les exploitants agricoles de se procurer l’ «engrais du Ghana» au marché le plus proche. Mais, les cultivateurs locaux ne sont pas au bout de leurs peines. En plus de ces difficultés, ils sont régulièrement l’objet de menaces des populations locales. Ces «immigrés», malgré eux, vivent quotidiennement, sous la peur d’être déguerpis ou assassinés. En effet, si la cohabitation a semblé pacifique au départ, les populations qui se disent « autochtones » et, de facto, propriétaires terriens, réclament aujourd’hui, « leurs » terres à coup de menaces de mort. Moussa Segda, producteur dans le même village, soutient avoir reçu la visite d’un homme, venu se présenter comme propriétaire de son champ pluvial. « Avant-hier (mardi 13 juin 2017, ndlr), ce monsieur m’a fait comprendre que son arrière-grand-père, son grand père et son père ont cultivé sur le terrain que j’exploite. Avant de partir, il m’a prévenu que si je ne quitte pas les lieux, il me taillera en pièces avec toute ma famille », rapporte M. Segda. Pour lui et ses camarades, la MOB n’a jamais versé un seul kopeck aux populations en guise de compensation pour l’aménagement de la zone. En tous les cas, les paysans disent avoir fait part aux responsables actuels de Bagrépôle des menaces reçues. « Ils ont promis de tout mettre en œuvre pour apaiser la situation. Mais, jusqu’à présent les menaces continuent », s’impatiente M. Segda. A son avis, les choses rentreraient dans l’ordre si les populations étaient indemnisées. « Même s’il va falloir les payer au fur et à mesure, Bagrépôle doit le faire pour les calmer, parce que nous vivons dans la peur», s’inquiète-t-il. Ces
« agresseurs », insiste-t-il, ne vont cesser leurs menaces que s’ils reçoivent « quelque chose ». Car, selon lui, ce revirement des populations autochtones s’explique par le fait que le projet a récemment indemnisé des paysans dont il a réquisitionné les terres pour en faire 13 000 ha supplémentaires de plaine aménagée. « Des maisons et des forages ont été offerts à ces derniers sur un autre site. C’est donc normal que les autres réclament le même traitement», déduit-t-il. Somme toute, les producteurs installés à Bagré s’estiment vulnérables, notamment à cause de l’absence de documents légaux attestant que les parcelles octroyées leur appartiennent. « Nous n’avons pas de titre foncier. Le partage des terres s’est fait par tirage au sort. Jusqu’à présent, nous n’avons aucune garantie que ces parcelles nous ont bel et bien été attribuées par l’Etat », reproche-t-il à Bagrépôle.

«Un pôle de décroissance»

Les habitants de la commune rurale de Bagré partagent également le désenchantement des producteurs du projet pôle de croissance de Bagré. En effet, la coordonnatrice des associations féminines de Bagré, Lydia Lengani, voit en ce projet, « un pôle de décroissance plutôt que de croissance ». Pour elle, Bagrépôle a péché sur bien d’aspects. Pour preuve, elle fait remarquer que la municipalité de Bagré ne dispose toujours pas d’eau potable, malgré le barrage qui était supposé étancher la soif des populations. « Nous ne disposons que d’un seul forage dans tout Bagré, qui nous a d’ailleurs été offert par un privé. Pourtant, l’eau du barrage déborde jusqu’à tuer nos enfants », s’emporte-t-elle. L’accès à l’eau potable constitue, aux dires de Mme Lengani, l’une des plus grandes préoccupations des habitants de Bagré. Pour Baoré Bébam, chef de Pata (l’un des villages de Bagré), la création d’emplois tant prônée par les acteurs du projet avant sa mise en œuvre se fait, jusque-là, attendre. Las de se tourner les pouces à longueur de journée, de nombreux jeunes de la localité, assure le responsable coutumier, ont pris d’assaut les sites d’orpaillage ou sont tout simplement partis à l’aventure, avec à la clé, des conséquences parfois dramatiques. Le premier fils de Boukary Dondassé s’est, en effet, noyé dans la mer en tentant de rejoindre la Lybie. Sa veuve et ses six orphelins sont aujourd’hui à la charge de son père. Le chômage des jeunes s’est accru à cause du manque de terres cultivables à Bagré. « J’ai une trentaine d’enfants, mais aucun d’entre eux n’a eu une portion de terre lorsqu’ils ont postulé », tempête-t-il. Et de protester : « Figurez-vous qu’en ma qualité d’autochtone et de chef coutumier, j’ai eu moins d’un hectare». Le comble de l’indignation du vieux Bébam est que les terres «retirées» aux populations locales au profit des agrobusinessmen ne sont pas mises en valeur.

Un « échec pur et simple »

Moumouni Samandoulgou de l’Association monde rurale (AMR) rappelle, pour sa part, que l’un des objectifs du pôle de croissance de Bagré était d’encourager l’entrepreneuriat tout azimut. Mais, constate-t-il, de nombreux entrepreneurs privés qui avaient l’espoir de fructifier leurs affaires et qui les avaient déplacées à Bagré ont vite déchanté. De l’avis du coordonnateur du Comité régional de contrôle citoyen (CRCC) de la région du Centre-Est, Mohamed Ouédraogo, Bagrépôle est « purement et simplement un échec », qu’il met sur le compte de la « négligence » et de la « mauvaise foi » des acteurs chargés de sa mise en œuvre. L’activiste de la société civile reproche au projet d’être rattaché au Premier ministère. Cette situation crée des lourdeurs dans la mise en œuvre du projet, selon lui. « Certains responsables du pôle de croissance ne viennent à Bagré que les vendredis », commente-t-il. « Même les producteurs ont du mal à trouver des solutions à leurs problèmes puisque ceux qui sont habilités à les résoudre sont à Ouagadougou », affirme-t-il. Ce qui lui fait dire qu’il s’agit du « pôle de croissance de Ouagadougou » et non de Bagré.

« Nous avons hérité des passifs de la MOB »

Selon le directeur général de Bagrépôle, Jean Martin Kaboré, les difficultés relatées sont « réelles et justifiées ». Mais, il soutient que ces passifs ne sont pas à mettre sur le compte de Bagrépôle. A l’écouter, tous ces problèmes ont été générés par la MOB. Car, précise-t-il, Bagrépôle a été mise en place seulement en 2012 en tant que société d’économie mixte, chargée de la gestion du pôle de croissance de Bagré, jusque-là confiée à la MOB. « Bagrépôle n’a encore aménagé aucune terre, ni n’en a distribuée. Nous sommes encore à la phase de construction », se défend-il. Mais, à ses dires, l’Etat étant une continuité, sa structure a hérité des actifs et des passifs de la défunte MOB qu’elle a l’obligation de solder. Il assure d’ailleurs que Bagrépôle met actuellement tout en œuvre afin de trouver des solutions aux problèmes évoqués. Concernant l’inextensibilité des parcelles, il souligne que les terres aménagées ne sont pas extensibles dans le principe. Toutefois, il note que sa structure a mis en place des mécanismes afin de permettre aux paysans d’intensifier leurs rendements et de diversifier leurs sources de revenus. « Nous les encourageons par exemple à pratiquer l’élevage en plus de l’agriculture », indique-t-il. Pour le manque de titre de propriété, il reconnait que cela constitue une préoccupation majeure qui a besoin de trouver solution le plus rapidement possible. A ce propos, il explique qu’une démarche avait été entreprise en 2013 auprès du ministère en charge de l’habitat afin de reprendre le processus des lotissements qui avait été fait par la MOB.
« Morcellement et parcellement terminés, Bagrépôle a été surpris par la mesure de la Transition dans son communiqué n°9 qui suspendait toute opération de lotissements et d’attribution de parcelles », ajoute-t-il. La commission a donc été obligée de stopper ses travaux. La mesure étant toujours d’actualité, il renchérit que sa direction est en négociation avec ledit ministère afin d’obtenir une dérogation spéciale pour poursuivre les travaux. « J’ai personnellement appelé le ministre (Maurice Dieudonné Bonanet, ndlr) à cet effet. Il a promis qu’un arrêté conjoint de dérogation sera signé dans les plus brefs délais », déclare-t-il. Quant aux menaces des autochtones, il affirme que des concertations sont en vue afin de trouver un terrain d’entente et éviter le pire.


Nadège YAMEOGO
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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