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Trafic routier Ouagadougou-Bouaké : rackets et tracasseries à la pelle
Publié le lundi 17 juillet 2017  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
Etat des routes á Ouaga : «ce ne sont plus des nids-de-poule, ce sont des puits»




Les Etats ouest africains travaillent à une « CEDEAO des peuples » qui vise une intégration des économies par le biais de la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace. Mais dans la réalité et surtout sur les routes, les pratiques sont ahurissantes. Les tracasseries et rackets sont en passe de devenir la règle. Les passagers et autres routiers, eux, n’ont que leurs bourses à pleurer. Ouaga-Bouaké, bienvenue dans l’univers où policiers, gendarmes et douaniers burkinabè et ivoiriens, sont sans état d’âme.

Tôt ce vendredi 7 juillet 2017, nous voilà à bord d’une des compagnies de transport en commun, à destination de Banfora. Pendant 9 heures de route entre Ouagadougou et la Cité du paysan noir, rien de particulier, sauf deux contrôles d’identité de la police nationale aux sorties de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso. Tous les passagers disposent de documents d’identité et donc, il n’y a eu aucun couac. A destination de Bouaké, nous décidons de tenter l’expérience des «dinas», ces minicars de transport en commun aussi appelés «woro woro» ou encore «cars sauvages». Il est 18 heures et nous voilà dans «Bonheur transport». Là aussi, aucun contrôle jusqu’à sa destination finale, à Niangoloko située à 46 km de Banfora. Pour ne pas prendre trop de risques, trois autres personnes et nous décidons de «négocier» avec un véhicule personnel pour nous amener à Ouangolodougou en territoire ivoirien à 55 km environ. Le marché est conclu : chacun paie 6 000 F CFA parce que selon le propriétaire du véhicule, Kalilou Sow, «il fait nuit, vous serez à l’aise et puis il n’y aura pas de contrôle». Vite, nous embarquons à 22 heures et jusqu’à Yendéré, à la frontière burkinabè, aucun contrôle, si ce n’est celui des Cartes nationales d’identité burkinabè (CNIB). La frontière burkinabè franchie, il se lance vers le poste de contrôle frontalier ivoirien. Deux des passagers lui signifient qu’ils ne disposent pas de carnet de vaccination à jour. La solution est vite trouvée : «à l’entrée du pont Laléraba, on va trouver des gens à moto qui vont contourner les contrôles avec vous à 1 000 F chacun. Ils vous déposeront après la douane et vous nous attendez là-bas», a expliqué M. Sow à ces deux «passagers» qui acceptent la supercherie sans broncher. Au poste mixte police-gendarmerie, aucun document ne nous est demandé. C’est plutôt à la douane que notre «bienfaiteur» aura des ennuis. En effet, les fouilles de son véhicule permettent de découvrir qu’il «trafique» des rouleaux de tissus. Après une quinzaine de minutes de négociation infructueuse, ces marchandises sont descendues du véhicule. «Combien ont-ils demandé de payer ?», lui demandons-nous. «Parent (NDLR : puisqu’il est Samo comme nous), laisse-les», donne-t-il comme seule réponse avant qu’on ne redémarre pour retrouver nos deux compagnons qui ont «feinté» les contrôles. A l’entrée de Ouangolodougou, nos deux « sans-papiers » sont à destination. Le véhicule nous conduit (les deux autres) dans une gare où il nous est même conseillé de dormir avant de reprendre la route le lendemain matin. Il est minuit.

STT ou les rackets organisés

C’est à 8 heures, ce samedi 8 juillet 2017, que nous décollons de Ouangolodougou dans le minicar de la société «Song Taaba Transport (STT)», coincés comme dans une boîte de sardine. A peine 500 m parcourus, le chauffeur immobilise le véhicule d’immatriculation ivoirienne et l’apprenti nous annonce : «De Ouangolodougou à Bouaké, il y a trois corridors ; un à la sortie de Ouangolo, un autre à l’entrée de Ferké et le troisième à la sortie de Ferké. Chacun doit payer 1 000 F. Arrivé, le chauffeur va les gérer. Celui qui ne veut pas donner l’argent, il va se débrouiller lui-même. J’espère au moins que la personne a une carte de résidence». «Pourquoi 1000 F ?», avons-nous souhaité savoir. «C’est comme ça depuis longtemps», répond l’apprenti. Voilà qui est clair ! Sans broncher, chacun s’exécute, nous avec. Après 5 mn de route, nous voilà au premier corridor. Le chauffeur descend avec les documents de son véhicule. Il les présente à la gendarmerie et remet un billet de banque. Pareil pour la police et la douane. La situation est «gérée» : personne, ni les bagages, encore moins les documents du véhicule ne sont contrôlés. En route pour Ferkéssédougou (communément appelée Ferké) à 45 km de Ouangolodougou. A environ 3 km, un contrôle de la gendarmerie nous arrête à Tchologo. Le chauffeur, obligé, cède 1 000 F CFA avant qu’on ne nous laisse passer. Au prochain contrôle, le chauffeur refuse de s’arrêter. Idem pour le poste suivant mais là, la gendarmerie se met à notre poursuite à moto. Après quelques kilomètres sans nous rattraper, elle rebrousse chemin. «Ouf !», soupirons-nous. Au corridor de l’entrée de Ferké, le chauffeur s’exécute en donnant à chacun «sa part» avant de traverser la ville et de stationner au corridor de la sortie.

«Donne pour moi, sinon …»

Il est 12 heures. Le chauffeur se dirige vers la gendarmerie, «gère» la situation et revient vers le véhicule pour démarrer. Un autre gendarme, Aly K. Didier Serges, visiblement très remonté, l’interpelle, reprend les documents du véhicule et lui demande de le rejoindre. «On dirait que les gendarmes qui nous ont poursuivis en vain l’ont appelé», nous dit l’apprenti en langue dioula. Le ton monte entre eux et l’ordre lui est intimé de stationner sur le bas-côté de la voie. Le gendarme revient au véhicule et compte les passagers. «Regarde mon chapeau ; tu penses que je l’ai ramassé ou bien ? Donne pour nous, sinon je vais b… tous tes passagers-là», lance-t-il au chauffeur. Près de 30 mn de tractations et le chauffeur finit par céder : il rejoint le chef de poste, lui glisse de l’argent ; nous pouvons partir ! Au prochain poste de contrôle avant Korhogo (à environ 100 km de Ferké), de la portière de son véhicule, le chauffeur remet 500 F au gendarme, lui promettant mieux le lendemain parce que ses collègues de Ferké l’ont plumé. Après réparation d’une panne de véhicule dans un village, notre «dina» s’ébranle vers Bouaké. Jusqu’à Katiola, nous traversons les contrôles sans qu’on ne nous arrête. «Pourquoi, on ne nous arrête plus ?», a demandé un passager à l’apprenti.
«C’est comme ça », répond-t-il avant de préciser que la gendarmerie et la police savent que de Ouangolo à Bouaké, «on ne peut pas donner l’argent à tout le monde. Eux aussi, ils prennent avec ceux qui ont quitté Bouaké pour Ouangolo le matin». 8 heures de trajet et nous voilà, à 16h 13 mn, à l’entrée de Bouaké après avoir parcouru 300 km. Alors que nous croyons être au bout de notre peine (pour ceux qui descendent à Bouaké), la douane du check-point de l’entrée de la ville arrête notre véhicule : «tout le monde descend avec ses papiers, son sac de voyage, son sac à main et tous ses bagages. Nous allons fouiller», a lancé le douanier. «Ne descendez pas. J’arrive», réplique le chauff !ur. Pendant ce temps, nous engageons une conversation avec l’aprrenti. A la question de savoir le montant qu’ils dépensent quotidiennement sur la route, l’apprenti explique que le chauffeur est mieux placé pour nous le dire. Mais à l’entendre, il n’y a pas de montant fixe parce que tout dépend de l’humeur et de «l’appétit» des forces de l’ordre. «Quand vos papiers ne sont pas complets, c’est toujours comme ça. Est-ce qu’on arrête les vraies compagnies ?», s’interroge l’apprenti. Après quelques minutes passées dans une maisonnette avec les douaniers, son patron est de retour et démarre le véhicule. La douane lève la barrière et nous sommes à destination, sur le territoire ivoirien.

A deux doigts d’un braquage

Pour vivre l’expérience d’un voyage nocturne et de surcroît avec les transporteurs de marchandises, nous tentons en vain de retourner au Burkina Faso en «suivant» les camions. Face au refus de trois camions burkinabè, nous nous sommes résolus à emprunter un autre «dina» pour Ouangolo. A 5 000 F CFA, le marché est conclu, il était 18 heures. Jusqu’à 22h, ce véhicule de la compagnie G.S.C. roule sans être contrôlé jusqu’à 22 h20 mn où la gendarmerie l’arrête. Tous les véhicules doivent attendre jusqu’à minuit pour être escortés par la gendarmerie à cause des braquages. Dans les discussions, le chauffeur nous révèle qu’en général, le service n’est pas payant. «Pour les camions, je ne sais pas, mais chez nous, c’est quand tu as des marchandises que les commerçants paient.
Ça peut aller de 25 000 à 100 000 F», raconte-t-il.

«Tout le monde paie 1 000 F»

A minuit effectivement, l’escorte démarre et les camions, cars, citernes et autres véhicules personnels suivent. Après deux heures de route, la sécurité fait demi-tour ; les transporteurs peuvent continuer. A 2 heures du matin, nous sommes au corridor de la sortie de Korhogo. La gendarmerie nous informe qu’il faut stationner jusqu’au petit matin, parce qu’un braquage serait en cours entre Korhogo et Ferké et du renfort a été appelé. Une quinzaine de minutes plus tard, l’escadron mobile de la gendarmerie de Korhogo arrive au corridor et continue pour aller neutraliser les braqueurs. A leur retour, il est environ 3 heures du matin. Les braqueurs se seraient évaporés dans la nature. Par précaution, la gendarmerie nous retient jusqu’à 4 heures du matin avant de lever les barrières.

Une fois à Ouangolo, peu avant 10 h, le dimanche 9 juillet, notre «dina» nous confie à une autre «dina» qui fait la navette Ouangolo-Bobo. A la sortie de la ville, ce sont les démobilisés de l’ex-rébellion qui bloquent les voies, réclamant au chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, «leur dû de plusieurs millions de F CFA». Il a fallu d’intenses négociations engagées par la police, la gendarmerie et le syndicat des transporteurs pour que la voie soit libérée à 13 h. Nous sommes à une quinzaine de kilomètres de la frontière et l’apprenti nous apprend que du côté de la Côte d’Ivoire, chacun devra débourser 1 000 F CFA, même s’il a tous ses papiers. «Ceux qui n’ont pas de CNIB paient 2 000 F et s’ils n’ont pas de carnets de vaccination, ajoutent 1 000 F», poursuit-il. Trois personnes qui ne disposent pas des deux documents paient effectivement le montant demandé.
A 200 m de la frontière, l’un des apprentis les confie à un passeur qui contourne les services de contrôle à pied. Les autres descendent et passent tour à tour dans une maisonnette avec antichambre et une autre porte à l’arrière. A l’appel de chaque nom, le passager rentre, dépose 1 000 F et sort par la 2e porte avant d’aller faire vérifier son carnet de vaccination. Après avoir récupéré «nos» trois «sans-papiers», destination le poste frontalier burkinabè de Yendéré. Là par contre, les sans-papiers n’ont rien payé à la gendarmerie, mais ont dû débourser 1 000 F CFA chacun à la police. A Niangoloko, le chauffeur collectionne 3 000 F avec ceux qui disposent de marchandises pour remettre à la douane. Jusqu’à Banfora où nous sommes descendu, les sans-papiers ont payé 1 000 F à chaque poste de contrôle.

Jean-Marie TOE
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