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Nouveau CHU à Bobo-Dioulasso : La charrue a devancé les bœufs
Publié le mardi 20 juin 2017  |  Sidwaya




Le projet de construction d’un nouveau Centre hospitalier universitaire (CHU) à Bobo-Dioulasso divise. Pendant que certains demandent son érection à proximité de l’Institut supérieur des sciences de la santé, d’autres campent sur le village de Borodougou, où un site y aurait retenu l’attention de l’ancien ministre de la Santé, Smaïla Ouédraogo. Depuis lors, hommes politiques, organisations de la société civile et populations affichent des positions tranchées. Enquête !

Borodougou, secteur n°33 de Bobo-Dioulasso, est situé à l’est de la ville. Ce village qui relève de l’arrondissement n°4, n’est pas loti. C’est dans cette localité que l’ancien ministre de la Santé, Smaïla Ouédraogo, a porté son attention, le 12 août 2016, sur un site de 79 hectares, situé à la lisière du secteur n°24, pour y construire le deuxième Centre hospitalier universitaire (CHU) à vocation régionale dont le coût s’élève à près de 72 milliards de F CFA (71 879 837 400 FCFA). Sur ce site, des habitats spontanés, communément appelé « non lotis » ont poussé, de même que des lieux de cultes (églises et mosquées) et des établissements privés d’enseignement. Du coup, un problème se pose. Qui sont ceux qui ont construit sur le site ? Pourquoi ont-ils décidé d’y habiter, pendant que les autorités communales disent avoir acquis la superficie auprès des chefs du village ? L’Etat peut-il construire le CHU sur ce site ? Pourquoi des voix appellent-elles à la délocalisation du site ? Ce sont autant de questions que plus d’un se pose. Borodougou est dirigé par le chef Bakary Sanon. Il est signataire d’un procès- verbal en 2014, qui autorise la construction du CHU dans le village. Lequel document a été rédigé à l’issue d’une rencontre tenue entre l’ex-maire Salia Sanou, le chef coutumier Korossin Sanou (le plus âgé des chefs en son temps) et les chefs de cinq quartiers de Borodougou, dit-il. Selon lui, le maire Salia Sanou est venu leur expliquer le projet et demander un espace pour sa réalisation. « Quand le chef Korossin a donné l’ordre de signer, j’ai exécuté. Tout le monde était d’accord », assure-il. Sauf que la réalité est toute autre en 2017 : il y a des contestations sur le site choisi. « Pourquoi ? Maintenant que le vieux Korossin ne vit plus, des gens viennent dire qu’ils ne sont pas d’accord. Il fallait dire non quand il vivait ! », fulmine le chef, devant ses conseillers. Il ajoute que des sacrifices ont été faits : « Salia Sanou a donné de l’argent, on a tué des gallinacées, des bœufs et même des chiens pour le village. L’hôpital Souro Sanou, ce sont des gens qui ont donné leur terroir». Donc pour lui, il n’est pas question de renier les engagements pris.

Un site vendu par des propriétaires terriens

Mais cette version est contredite par des occupants du site. De l’avis de Mamadou Drabo, président de l’association « Héré Bugu », il n’y a pas eu d’entente dans le village à propos du choix du site. « Ce sont des champs d’autres personnes que le vieux Korossin Sanou a donnés pour construire le CHU », a rétorqué Mamadou Drabo, rencontré le 22 mai 2017. « L’argent remis pour le sacrifice n’a pas été accepté », poursuit-il. A propos de la mésentente, un des conseillers, Do Sanou, fait remarquer : « Entre temps, on a senti qu’il y avait une mésentente entre nous, mais on ne savait pas d’où cela provenait. Le chef a apposé sa signature malgré lui, parce que le chef de terre fut le premier à signer. Il ne pouvait pas refuser ». Autre fait à prendre en compte sur ce site, suivant Mamadou Drabo, c’est que des particuliers qui ont acheté des terres avec des propriétaires terriens ont parcellé leurs superficies pour les revendre à d’autres personnes. Ces dernières y ont construit des maisons d’habitation. Le chef de Borodougou, Bakary Sanon, dit être au courant de certaines ventes de terre. Il reconnaît lui-même avoir signé des attestations de vente de terre. « Avant ce projet, les villageois ont vendu les terres. D’autres ont vendu 3 hectares, 2 hectares, ½ hectare…Je suis au courant pour certains. L’acheteur s’il est malin, vient voir le chef pour avoir une garantie. Je fais une attestation de vente. Les acheteurs ont parcellé leurs superficies, 10m2 et revendent à 250 000 F CFA et 300 000 F CFA », a expliqué le chef. « Les villageois ont perdu. Ils ont vendu l’hectare à 200 000 F CFA, 250 000 et même 150 000 F CFA. Ceux qui ont gagné maintenant ont eu un million », ronronne le chef, qui reconnaît avoir bénéficié de paiement pour ses services. « Ils me paient le prix de carburant, quand on part au service domanial pour les papiers», avoue-t-il. Pour le chef, la somme perçue est un droit. Et de soutenir : « tous ceux qui ont acquis des terrains sur le site du CHU ont tous récolté des bénéfices. Ceux qui ont racheté et construit, je ne suis pas au courant. Dans tous les cas, il est prévu de dédommager tout le monde». A propos de la vente de terre sur le site, le maire de l’arrondissement n°4, Bakoné Millogo dit n’avoir pas ces informations. « Je ne savais pas que des gens achetaient des terres, les morcelaient pour les revendre à d’autres personnes ! Ceux qui ont acheté pouvaient ignorer qu’il y a un projet sur le site, mais ceux qui vendaient en étaient bien informés, parce qu’ils ont accepté de prendre de l’argent pour faire les sacrifices », déclare-t-il, mercredi 24 mai 2017. Tout de même, M. Millogo dit avoir connaissance de détenteurs de titres fonciers récents sur le site. Il a sa lecture de la situation. « Des propriétaires terriens et des habitants du village pensaient qu’ils pouvaient vendre leurs terres et s’attendre à quelque chose d’autre. Ce sont des gens qui voulaient gagner deux fois », a fait comprendre Bakoné Millogo qui atteste que Bourodougou a été choisi par l’ex- ministre de la Santé : « Dans tous les cas, c’est le choix du ministre. C’est une zone non lotie. Au Burkina Faso, la priorité est à l’investissement pour le projet ».

Aucune étude de faisabilité réalisée

Selon le Pr Robert Tinga Guiguemdé rencontré le 30 mai 2017 à Bobo-Dioulasso, le projet de construction du CHU est né avec la création d’une faculté de médecine en 2005 (NDLR : lire interview). En 2014, à la première rencontre du comité de pilotage, le problème du site va être posé. Selon le représentant de la commune dans le comité de pilotage du CHU, Ardiouma Sanou, le site de Borodougou a été choisi, parce que celui de l’INSSA présente des risques de pollution du site de captage de l’eau de l’Office national de l’eau (ONEA). « J’ai vu les résultats d’une étude réalisée par la direction régionale de l’hydraulique et l’ONEA qui fait ressortir la vulnérabilité du site de l’INSSA. Nous avons vu qu’il y a certains types d’infrastructures qu’on ne peut pas réaliser là-bas, en allant vers le Kou », dit-il, le 29 mai 2017 dans son bureau. En effet, le document évoqué par M. Sanou, un arrêté signé par un ancien gouverneur en 2010, Pascal Temaï Benon, délimite « des périmètres de protection des captages d’eau destinée à la consommation humaine dans la forêt classée du Kou ». Trois périmètres ont été créés : le périmètre de protection immédiat 3,5 km2, le périmètre de protection rapproché 14 Km2 et le périmètre de protection éloigné sur une superficie non précisée. Mais, il est dit ceci en ce qui concerne le troisième périmètre : « Le périmètre de protection éloignée est une zone large qui a pour but la sauvegarde de l’ensemble de l’aire d’alimentation dans laquelle les activités existantes et futures peuvent être la cause de pollution diffuse et chronique». C’est en tenant compte de cette étude que l’ancien ministre de la Santé rencontré le 15 juin 2017 à Bobo-Dioulasso, dit avoir porté son choix sur Borodougou. M. Ouédraogo ajoute : « Ce site a été choisi par le ministre Léné Sebgo. Un autre ministre est venu choisir Nasso. Je vois une polémique. Mon problème est que l’hôpital puisse être construit le plus rapidement possible. J’ai reconfirmé la première décision qui avait été prise». Cependant, dans le cadre de ce projet, une étude a été suggérée pour trois sites : Nasso, Borodougou et Banakéladaga. Le troisième a été vite délaissé par le comité de pilotage au regard de sa distance avec la ville, selon Ardiouma Sanou, par ailleurs directeur de la promotion de la santé et de l’hygiène de la commune. Une étude avait été d’ailleurs prévue par le ministère de la santé sous la délégation spéciale : « Le ministère de la Santé nous a écrit en tant que PDS, pour demander l’autorisation pour mener une étude sur les trois sites. Nous avions écrit au ministre de la Santé pour donner notre accord pour ces études sur le terrain » le 26 mai 2017, dit Jérémie Kouka Ouédraogo, actuel haut-commissaire. Jusqu’au choix du site par l’ancien ministre Smaïla Ouédraogo, aucune étude n’a été menée, ni sur celui de l’INSSA, ni sur Borodougou, malgré une enveloppe de 700 millions de F CFA prévue à cet effet. « Nous n’avons pas voulu mener des études sur un site dont nous connaissons déjà les risques. Il fallait faire des études sur le site de Borodougou et réaliser le CHU là-bas », justifie Ardiouma Sanou. Il poursuit que le comité de pilotage a proposé le déplacement de l’INSSA sur le site de Borodougou et même l’ENSP. « A l’époque, on avait fait comprendre que ce n’est pas mauvais de déplacer l’INSSA et que les locaux pouvaient servir à d’autres facultés », fait-il savoir. Somme toute, cette enquête révèle que dans le cadre du projet, il y a eu de la précipitation. Un CHU d’une telle envergure nécessite au moins une étude d’impact environnemental et socioéconomique. Ce qui n’a été fait, ni par les responsables de l’INSSA, ni par le comité de pilotage. L’existence d’un arrêté sur les périmètres de la forêt classée de Kou n’empêchant pas de facto une autre étude, sur ce site et même sur le site de Borodougou. Il y a également une méfiance des résidents vis-à-vis des autorités municipales, ceux-ci craignant de se voir exproprier sans dédommagement juste. Mais, si les propriétaires terriens, eux également, n’avaient pas fait de leurs terres un fonds de commerce, on ne serait pas à ce stade de contestation. Tout est donc à recommencer. Peut-être que le nouveau ministre de la Santé, le Pr Nicolas Méda saura trouver la bonne voie.

OUEDRAOGO Rabalyan Paul
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