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Procès du gouvernement Tiao 3
Publié le mardi 13 juin 2017  |  Sidwaya
Le
© Autre presse par DR
Le Pr Abdoulaye Soma, enseignant-chercheur à l’Université Ouaga2 et Président de la Société burkinabè de droit constitutionnel.




Le conseil constitutionnel, saisi pour exception d’inconstitutionnalité par la défense lors du procès du dernier gouvernement de Blaise Compaoré a rendu sa décision le 9 juin 2017. En substance, il déclare inconstitutionnel les articles 21 et 33 de la loi organique n°20-95/ADP du 16 mai 1995 portant composition et fonctionnement de la Haute cour de justice (HCJ) et procédure applicable devant elle. Nous avons donc approché le Professeur de Droit constitutionnel à l’université Ouaga I, Pr Joseph Ki Zerbo et président de la Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC), Abdoulaye Soma, pour comprendre les implications de cette décision des « sages de la République ».


Sidwaya (S.) : Quel commentaire général pouvez-vous faire sur les décisions du conseil constitutionnel en lien avec le procès du dernier gouvernement de Blaise Compaoré pendant devant la Haute cour de justice (HCJ) ?

Abdoulaye Soma (A.S.) : Le conseil constitutionnel a vidé le contentieux qui a été soulevé par les défendeurs devant la Haute cour de justice. Il s’agissait entre autres, d’une exception d’inconstitutionnalité de certaines dispositions de la loi organique sur la Haute cour de justice. Les accusés avaient estimé que certaines dispositions de cette loi organique sont contraires à la constitution, en l’occurrence les articles 2 sur la composition de la Haute cour de justice (HCJ), 21 relatif à l’absence d’appel concernant les actes de la commission d’instruction et 33 concernant l’absence de recours à propos des arrêts que va rendre la HCJ. Dans la décision qu’il vient de rendre, le conseil constitutionnel a estimé que les articles 21 et 33 de la loi organique portant sur la HCJ sont contraires à la constitution. Par rapport à l’article 2, le conseil a estimé qu’il ne pouvait pas se prononcer sur cette question. En rappel, les conseils de Bongnèssan Arsène Yé ont soutenu que la composition de la HCJ est contraire à la séparation des pouvoirs. C’est-à-dire que les pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel doivent être composés de personnes différentes. Alors que la HCJ qui relève du pouvoir judiciaire comporte en son sein des membres du pouvoir législatif qui ont adopté la loi. Ça veut dire que les députés membres de la HCJ étaient comme juges et parties à la fois. C’est eux qui ont adopté la loi et ce sont eux qui se retournent pour condamner. C’est un motif tout à fait sérieux, mais le conseil a estimé qu’il ne pouvait pas se prononcer sur cette question d’où sa décision de déclarer la requête irrecevable. Par ailleurs, le conseil a pris le soin de préciser que les dispositions qui sont déclarées contraires à la constitution (articles 21 et 33) ne sont pas inséparables des autres dispositions de la loi organique. Ce qui signifie que les dispositions jugées contraires à la constitution ne peuvent pas être appliquées, mais le reste de la loi va continuer à être appliqué. En substance, les actes de la HCJ ne sont plus interdits de recours. Si elle venait à condamner des personnes, ces personnes doivent pouvoir interjeter appel ou éventuellement aller en cassation. Toutefois, le gros problème de notre système judiciaire actuellement, c’est que ce mécanisme n’est pas prévu. Il n’est prévu aucun organe, dans notre pays, devant lequel on peut faire appel des décisions de la HCJ ou aller en cassation contre ses décisions. Ce qui signifie que normalement le procès est bloqué, jusqu’à ce qu’une réforme de notre système de justice vienne prévoir éventuellement des appels et des pourvois en cassation afin que le procès puisse se faire conformément aux standards constitutionnels et internationaux que le Burkina Faso a acceptés. Sinon, tant que ce problème n’est pas réglé, il ne peut pas désormais y avoir de procès.

S : Mais lorsque le conseil constitutionnel décide que l’inconstitutionnalité des articles 21 et 33 ne s’applique pas aux décisions déjà rendues, qu’est-ce que cela implique-t-il ?

(A.S.) : Le conseil veut dire ici qu’on ne peut ne peut plus faire appel des actes de la commission d’instruction, puisque l’article 21 stipule que les actes de la commission d’instruction ne sont susceptibles d’aucun recours. Maintenant que le conseil a estimé que ces actes doivent être susceptibles de recours, il poursuit en disant qu’on ne peut pas faire appel des actes déjà posés. Je crois que c’est à tort. Parce que l’inconstitutionnalité qui frappe la disposition existe depuis l’adoption de cet article. Donc les actes qui ont été pris du point de vue d’une disposition contraire à la constitution sont eux-mêmes contraires à la constitution. Cela va de soi. On ne comprend pas pourquoi le conseil constitutionnel va neutraliser le droit des personnes de faire recours contre les décisions de la commission d’instruction. Mais très clairement dans sa décision, c’est ce que le conseil constitutionnel a laissé entendre. Et comme les décisions de la juridiction constitutionnelle sont insusceptibles de recours, on ne peut pas attaquer cette décision si ce n’est au niveau international. Il est évident que si le procès se poursuit et qu’après on a des problèmes par rapport aux décisions de la commission d’instruction, c’est clair que le procès va se passer à l’international. Et les actes (d’instruction) qui ont été pris sur la base de cette disposition vont être invalidés au plan international. Le conseil constitutionnel doit être apprécié dans sa décision de déclarer inconstitutionnels les articles 21 et 33, mais il doit être critiqué sur les conséquences qu’il a tirées de ces décisions.

S : Est-ce qu’il lui appartenait justement de tirer les conséquences de ces décisions ?

(A.S.) : Non. C’est ce qui est curieux. Le conseil constitutionnel juge de la constitutionnalité ou non des dispositions et sa décision s’arrête là. C’est aux justiciables qu’il revient d’en tirer les conséquences ou de retourner devant les juridictions pour en tirer les conséquences. Je pense qu’ici, le conseil constitutionnel a outrepassé ses compétences et sur ce point, il s’est trompé. S’il n’y a pas de recours par rapport aux actes de la commission d’instruction, il n’y aura pas de problème. Mais dans le cas contraire, le Burkina Faso va se retrouver confronter à une juridiction internationale. Normalement le conseil constitutionnel aurait dû se taire et laisser les justiciables apprécier s’ils retournent faire recours des actes de la commission d’instruction ou pas.

(S.) : Revenons sur les chacune des délibérations du conseil constitutionnel. Dans sa décision n°2017-13, le conseil a débouté les parents de victimes de se constituer partie civile. Quelle analyse en faites-vous ?

(A.S.) : Il faut dire qu’il y a beaucoup de choses compliquées par rapport à la HCJ. Nous sommes en matière criminelle. Les gens sont accusés de crime et on dit qu’on applique une procédure correctionnelle, c’est-à-dire des procédures qui sont applicables à des délits. Honnêtement, je pense que les ayants droits des victimes devraient avoir le droit de se constituer partie civile. Mais comme je vous le dis, puisque le conseil constitutionnel a décidé, il n’y a plus de recours au plan national. Donc la HCJ va tenir compte de ça et refuser la constitution de partie civile.

(S.) : L’ancien ministre, Jérôme Bougouma a été également débouté dans sa requête de déclarer inconstitutionnelle la loi organique sur la HCJ.

(A.S.) : Là c’est relatif aux dispositions attaquées. La loi sur la HCJ date de 1995, elle a été révisée en 2015. Normalement une loi organique est obligatoirement soumise au contrôle de constitutionnalité avant sa promulgation. Et une loi organique déjà contrôlée peut être vérifiée à nouveau à l’occasion de sa modification. Le conseil constitutionnel a estimé que les dispositions modifiées et contrôlées conformes à la constitution ne peuvent plus l’être à nouveau, et ça je trouve que c’est juste. Toutefois, la nuance est que les dispositions qui existaient auparavant et qui n’ont pas été contrôlées récemment peuvent être contrôlées. C’est ça la part des choses.

S : Les avocats devaient donc le savoir en déposant le recours

(A.S.) : Les avocats devraient le savoir. Mais ils ont certainement fait une argumentation contre. Parce qu’une juridiction constitutionnelle peut se tromper. On peut avoir rendu une décision de conformité en 1995 et après, le droit ayant évolué, se rendre compte qu’on s’est trompé. C’est pourquoi il y a une technique qui existe en justice et qu’on appelle le revirement de jurisprudence. C’est-à-dire un changement de point de vue par rapport à une question déterminée. C’est ce que les avocats cherchaient dans cette situation.

(S.) : Dans cette récente saisie, y a-t-il eu revirement jurisprudentiel ?

A.S. : Non. Mais je pense que lorsque le conseil constitutionnel fait le contrôle obligatoire de constitutionnalité d’une loi organique, c’est avant sa promulgation. Il n’y a pas de débat et donc pas de point de vue d’experts, d’avocats, de justiciables qui soient en cause dans un cas concret. Ce qui veut dire que le conseil peut avoir une vision limitée et il faut qu’on accepte qu’il est composé de personnes qui ont les faiblesses humaines et qui peuvent se tromper. Mais à l’occasion d’un cas concret, quand on soulève l’inconstitutionnalité d’une disposition, il faut que le conseil constitutionnel accepte de réévaluer encore sa décision et d’amener l’argumentation qui fonde la constitutionnalité de la loi. Faute de cela, je pense que le conseil constitutionnel fait un déni de justice. Et par rapport à ces dispositions qui ont été modifiées, que le conseil constitutionnel a déclarées déjà conformes et pour lesquelles il refuse d’entrer en matière encore, je crois qu’il se trompe. C’est comme s’il affirme finalement qu’il ne peut pas se tromper. Si on retient cette position, cela veut dire que dès que le conseil constitutionnel a déjà déclaré une décision conforme à la constitution, cette disposition ne peut plus repartir devant lui. Ce qui est une grosse erreur, parce que le droit change, les choses changent, les sociétés se meuvent, le conseil constitutionnel peut se tromper. Il faut qu’il fasse œuvre pédagogique, à chaque fois, pour fonder sa crédibilité et sa clarté. Ce qu’il a manqué de faire à ce niveau.

S. : Est-ce que la crédibilité du Conseil Constitutionnel est engagée ici à travers sa décision ?

A.S. : C’est une crédibilité à demi-teinte. D’une part, le conseil constitutionnel a estimé que deux dispositions (articles 21 et 33) sont contraires à la constitution. A ce niveau, je pense que c’est objectif, parce que du point de vue de la Constitution et des instruments juridiques internationaux, on a produit des dispositions qui montrent clairement que ces dispositions sont contraires à la Constitution. Mais d’autre part, sur les conséquences qu’il a tirées de ces décisions, je trouve qu’il se trompe, parce qu’il ferme le système constitutionnel et cela est grave. En effet, en décidant que sa décision ne peut pas avoir un effet rétroactif, cela veut dire qu’on ne peut plus faire recours contre des actes sur lesquels il a dit qu’on doit pouvoir faire recours. Ce qui est incohérent. Aussi, il estime qu’il ne peut plus revenir vérifier la conformité constitutionnelle d’une disposition qu’il a déjà jugée conforme à la constitution tant que cette disposition n’a pas subi de modification. Cela, je trouve que c’est une grave erreur et un recul par rapport à l’évolution possible de notre conseil constitutionnel.

S. : Est-ce qu’on est en droit de penser à du dilatoire étant donné que certains accusés ont déposé tardivement leurs recours ? N’est-ce pas une manière pour eux de faire trainer les choses ?

A.S. : Je ne crois pas que c’est une manière de faire trainer les choses parce que l’article 157 dit que dans le cas d’exception d’inconstitutionnalité, le conseil constitutionnel tranche les litiges dans un délai maximum d’un mois. Donc, il n’y a pas de minimum. Le conseil constitutionnel peut juger en deux jours. Etant entendu qu’il a déjà rendu une décision, il peut fondre les nouvelles décisions dans le lot de ce qui a déjà été rendu, si ce sont les mêmes arguments et dispositions qui sont attaqués. Donc, il revient maintenant au conseil constitutionnel de juger avec diligence.

S. : Une requête de l’ancien Premier ministre Tiao évoque la procédure d’urgence. Que signifie concrètement cette procédure ?

A.S. : La procédure d’urgence est une modalité permettant aux autorités politiques, lorsqu’une loi est adoptée et qu’elle doit être promulguée pour régler des problèmes urgents, de demander au conseil constitutionnel de trancher dans l’urgence. En principe il a un délai maximum d’un mois pour statuer. Si on pense qu’en atteignant le mois cela peut avoir des difficultés d’application, on lui dit de statuer en urgence. Et l’urgence, c’est huit (8) jours. Dans le cas d’espèce de la requête du Premier ministre Tiao, le conseil constitutionnel a dit, et je lui donne raison, que le délai d’urgence est un délai qui est posé pour les lois qui ne sont pas encore en vigueur et qui doivent être contrôlées en vue de leur promulgation. Et je pense d’ailleurs que dans les situations d’exceptions d’inconstitutionnalité, plus le conseil constitutionnel traine, plus cela arrange le justiciable puisque, de toutes les façons, la procédure est suspendue. Donc l’urgence ne se justifie pas en tant que tel, sauf si le jugement devrait se poursuivre et que l’on doit craindre une décision définitive avant que le conseil constitutionnel statue. Je pense que c’est cette crainte qui avait motivé la demande de statuer en urgence.

S. : Il y a également cinq citoyens qui ont déposé une requête aux fins de déclaration d’inconstitutionnalité de plusieurs articles de la loi portant sur la HCJ. Mais le Conseil constitutionnel a estimé leurs requêtes irrecevables. Comment appréciez-vous cette décision ?

A.S. : Cela est juste parce qu’actuellement dans notre pays, le citoyen n’a accès au conseil constitutionnel que dans l’hypothèse où il se trouve en procès dans un cas particulier et qu’il estime que la loi qu’on veut lui appliquer est contraire à la constitution. Techniquement cela est appelé le contrôle concret pour constitutionnalité. Dans certains pays, on a le contrôle abstrait de constitutionnalité qui permet à tout citoyen de saisir le conseil constitutionnel sans procès pour qu’il évalue la conformité à la constitution de toute loi si toutefois, il l’estime inconstitutionnelle. Chez nous, ce mécanisme de contrôle a posteriori, c’est-à-dire, après que la loi soit entrée en vigueur, n’existe pas. Le contrôle abstrait n’existe qu’a priori, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi et seules les autorités politiques peuvent saisir le conseil constitutionnel. De ce point de vue, je pense que le conseil constitutionnel a raison mais il faut reformer notre ordre constitutionnel pour permettre le contrôle abstrait a posteriori.

S. : Donc en résumé, à la suite de cette décision du Conseil constitutionnel, le procès en cours devant la HCJ est dans une impasse ?

A.S. : Non, nous sommes plutôt dans une clarté. J’ai critiqué le conseil constitutionnel sur certaines implications de sa décision, mais il a eu le courage de dire que les articles 21 et 33 sont inconstitutionnels et ce n’était pas évident. Sur ce point, il faut saluer le conseil constitutionnel parce que l’opinion attendait autre chose. Les gens veulent prendre une certaine revanche contre les ministres qu’ils estiment avoir pris des mesures pour tuer. On peut comprendre que le conseil constitutionnel aille dans le sens de l’opinion générale, mais, il a pris son courage pour dire que certaines dispositions sont contraires à la constitution. C’est très clair par rapport au droit international. Maintenant que cela est fait, il appartient aux autorités politiques et juridictionnelles d’en tirer les conséquences. On ne peut plus juger quelqu’un devant la HCJ en premier et en dernier ressort. Il faut qu’il y ait des recours. Ce qui implique qu’il y ait des reformes. Des reformes muries par le gouvernement et adoptées par le parlement.

S. : Est-ce à dire que tant qu’il n’y aura pas de reformes on ne saura pas ce qui adviendra de ce procès ?

A.S. : Tant qu’il n’y a pas de reformes, on ne peut pas continuer ce jugement. Et les reformes aussi doivent être faites avec beaucoup de prudence.

S. : Et quels sont vos propositions pour de bonnes reformes ?

A.S. : Je suis un technicien du droit, je ne donne pas mes idées par voie de presse. Si on a besoin de moi, qu’on vienne me voir en consultation et là, je facture mes prestations. (rires…)

S. : Est-ce qu’on peut toujours espérer un jugement en 2017 ?

A.S. : Je ne sais pas. Mais j’avais déjà dit qu’on prend rendez-vous en septembre. Parce qu’entre-temps, il y aura bientôt les vacances judiciaires et gouvernementales. Même si le gouvernement décide de prendre des reformes diligemment, cela prendra du temps.

Interview réalisée par Fabé Mamadou Ouattara
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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