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La CODER chez Blaise Compaoré : La grille de lecture d’un sémiologue
Publié le jeudi 27 avril 2017  |  L`Observateur Paalga
Blaise
© Partis Politiques par D.R
Blaise Compaoré reçoit une délégation de la CODER à Abidjan
Le Président Blaise Compaoré a reçu à Abidjan, le mardi 11 avril 2017; une délégation de la Coalition pour la Démocratie et la Réconciliation Nationale CODER conduite par son Président, Maître Gilbert Noel Ouédraogo




Le sujet qui défraie la chronique et fait le buzz ces derniers temps est sans conteste la sortie médiatique de la CODER et surtout sa visite à l’ancien président Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire. Il n’en fallait pas plus pour que des réactions fusent de toutes parts. Voici la lecture d’un sémiologue, Dr Dramane Konaté, sur la question.



Beaucoup d’analystes essaient de décrypter la récente sortie de la CODER auprès de Blaise Compaoré, exilé à Abidjan depuis l’insurrection populaire d’octobre 2014. La délégation qui s’y est rendue tente d’expliquer sa démarche auprès de l’opinion publique nationale à travers les différents médias. Voici quelques éléments d’analyse de ce que nous considérons comme du marketing politique.

En théorie, le marketing politique est parfois latent, c’est-à-dire qu’il se manifeste par des signes[i] déchiffrables par les spécialistes. L’opinion publique, elle, se trouve emballée de prime abord, et sa réaction peut être positive ou négative : peu importe, c’est le viol des consciences, comme le font les publicitaires. C’est cela qui permet à l’homme politique de susciter le débat sur un sujet majeur et de mesurer, pour ainsi dire, la portée de sa propre vision. Les sondages d’opinion servent à cet effet. Des analystes de la trempe de Lindon[ii], Tchahkotine[iii] et Lancelot[iv] ont abondamment alimenté la littérature de marketing politique. Pour le cas qui nous concerne, quatre éléments clés permettent de décrypter la rencontre des ténors de la CODER avec Blaise Compaoré sur les bords de la lagune Ebrié.



La symbolique de l’image



Une telle démarche de réconciliation, pour être efficace, se doit d’être opportune, discrète et empreinte d’humilité, surtout lorsque les initiateurs ne font pas l’unanimité au sein de l’opinion à cause de fâcheux précédents. Rares sont les Burkinabè qui sont restés indifférents, chacun selon sa sensibilité, à la vue de l’ancien président du Faso posant avec les membres de la CODER. Ces images tournent en boucle sur les réseaux sociaux. L’on y voit Blaise Compaoré plongé dans une lecture minutieuse du « bréviaire de la réconciliation », pendant que le président de la CODER, Gilbert Noël Ouédraogo (GNO), a le regard tourné vers le photographe. Les techniques de prises de vue renseignent suffisamment sur de telles postures. Mais ce qui intrigue le plus, c’est de savoir le contenu réel du document feuilleté. S’il est vrai qu’après en avoir pris connaissance, Blaise Compaoré dit être disposé à adhérer au processus, c’est que ce n’est pas la même version qui est servie au Faso. Pour paraphraser Thomas Sankara qui démontre l’absurde de « deux éditions » de la Bible et du Coran aux fins de servir distinctement l’exploiteur et l’exploité, il y a peut-être « deux versions » du document de la réconciliation nationale. Les présumés bourreaux et leurs victimes ou ayants droit n’en auront pas forcément la même lecture. C’est pourquoi la « vérité » est indissociable de la réconciliation. Quelle est la situation conflictuelle ? Qui doit pardonner à qui ? Quid de la justice ? En se serrant la main et affichant un visage des plus illuminés, Blaise Compaoré et GNO veulent marquer les esprits du «sceau de la réconciliation». Enfin, le coup de marketing consiste à montrer une image des membres de la CODER autour de Blaise Compaoré, serein et souriant, comme pour vraiment rassurer ou narguer (c’est selon) l’opinion publique à quelques jours de l’ouverture du procès emblématique du 27 avril 2017.



L’ombre pour la proie



La justice est l’autre facette du marketing politique de la CODER. Blaise Compaoré et son dernier gouvernement ont été mis en accusation devant la Haute Cour de justice par le Conseil national de la transition en 2015. Les faits reprochés sont accablants : haute trahison, assassinats, etc. Blaise Compaoré se prévaut de la nationalité ivoirienne, et sera jugé à coup sûr par contumace. Si l’histoire retient que la haute trahison a été sanctionnée d’une façon ou d’une autre par l’insurrection populaire, il y a cependant un lourd contentieux de sang qui ne saurait passer en perte et profit. Point n’est besoin de regarder dans une boule de cristal pour faire un portrait-robot de l’auteur de ce massacre. La commission d’enquête a nommément cité l’homme qui a dirigé les opérations de répression sauvage les 30 et 31 octobre 2014. Après son forfait, ce dernier a même poussé le cynisme jusqu’à se faire adouber par une certaine société civile, vénale et hystérique, qui a fait de la martyrologie son fonds de commerce macabre. C’est pourquoi les victimes et ayants droit ont décidé de créer leur propre association pour défendre leur cause. Le problème de ce procès inédit est que le principal accusé, chef suprême des armées au moment des faits, et le commandant des opérations sont tous deux des militaires qui ont fui le pays. Quel est alors le sens de l’honneur chez un officier ? Par contre, le civil Luc Adolphe Tiao, alors chef du gouvernement, a eu le courage de rentrer au bercail pour se mettre à la disposition de la justice. C’est un point d’honneur qui a été salué par la société civile non partisane, et le doyen Edouard Ouédraogo en avait fait un témoignage émouvant dans l’une des parutions de son journal. Certes, le peuple a soif de justice, mais il ne faudrait pas que dans ce procès la justice lâche la proie pour s’agripper à l’ombre.



Le réveil de l’opposition



Ce marketing politique est de nature à jeter le trouble dans les esprits au sein de l’opposition, et pourrait même fragiliser ses positions. En effet, pendant que le CFOP s’attelle à mobiliser ses troupes pour un meeting sur la situation nationale, la CODER, elle, vend sa vision politique de « la réconciliation nationale ». Là n’est pas le problème. Mais en présentant inopportunément Blaise Compaoré, avant le procès de son régime et le meeting de l’opposition, la CODER suscite dans l’inconscient collectif l’image de l’homme providentiel qui détiendrait la clé de l’unité au Burkina Faso. Ce marketing, somme toute contreproductif, peut laisser entrevoir un autre niveau de lecture. A l’évidence, les élections locales partielles sont un test a minima pour les partis membres de la CODER. 2020 n’est pas loin, et dans un tel contexte, pour se remettre à flot, il faut une caution tous azimuts. Blaise Compaoré leur apporte cette caution à la fois morale et politique, mais pas seulement cela. Certes, le meeting de l’opposition va mobiliser, au regard de la situation nationale. Mais l’enjeu serait d’avoir un même son de cloche pour éviter que les chapelles politiques, à savoir les « adversaires d’hier » devenus des « alliés de circonstance » au sein du CFOP, prêchent chacune un langage différent. Les agendas cachés risquent de porter un coup à la cohésion de l’opposition.



La main invisible de la réconciliation



Une délégation de la CODER n’aurait pas pu se rendre à Abidjan à la rencontre de Blaise Compaoré sans que les plus hautes autorités du pays en fussent au préalable informées. C’eût été une bravade qui n’aurait pas arrangé la coalition dans sa logique de marketing. De même, l’accord du président Alassane Dramane Ouattara (ADO) a sûrement été obtenu. Il n’avait pas accédé à la requête de Faure Eyadéma, au mois de mars dernier, de rendre visite à son «parrain Blaise» sur le sol ivoirien. ADO ne voulait pas froisser les autorités burkinabè. Le séjour du président ivoirien à Ouagadougou, dans le cadre du Fespaco, visait un tout autre objectif dont la lecture des signes[v] a échappé à certains analystes : il s’agissait avant tout d’un coup médiatique au profit du pays invité d’honneur. La Côte d’Ivoire organise le Masa[vi], un événement culturel d’une grande portée en Afrique et dans le reste du monde ; le pays abritera en juillet prochain à Abidjan les jeux de la francophonie, avec un volet culturel très alléchant. La présence de Michaëlle Jean, secrétaire générale de la francophonie, aux côtés de RMCK et d’ADO tend à corroborer le fait que le président burkinabè sera un invité de marque à l’édition ivoirienne. La réciprocité positive est un principe sacré en diplomatie. Par ailleurs, il n’est pas exclu que le président fraîchement élu de l’Hexagone, ou à tout le moins son représentant au plus haut niveau, soit de la partie à Abidjan. En bon Houphouëtiste, ADO y jouera certainement son rôle.

Cependant, l’axe Ouaga-Abidjan étant réchauffé après « l’affaire Soro », il reste à gérer le « dossier Compaoré ». C’est un peu plus délicat. ADO ne peut extrader l’ancien président burkinabè comme ce fut le cas des ex-RSP réfugiés sur le sol ivoirien, même s’il existe un mandat d’arrêt contre lui. La « réconciliation entre Burkinabè » est donc une solution humainement et politiquement honorable pour toutes les parties qui se regardent en chiens de faïence. En outre, l’ancien directeur adjoint du FMI sait pertinemment qu’aucun investisseur ne viendra mettre son argent dans un pays où il y a l’instabilité et la division. Et les grands projets du TAC[vii], fondés sur une entente fructueuse et mutuellement avantageuse pour les deux pays, ne peuvent aboutir que s’il y a la paix et l’unité au sein des Etats. La RCI a lancé son processus de réconciliation, si mitigé soit-il, et les partenaires techniques et financiers affluent pour aider le pays à se mettre sur la voie de l’émergence. Aussi, loin des écoutes téléphoniques et des hackers, l’intercession discrète du président ivoirien auprès de ses hôtes burkinabè lors de son bref séjour ouagalais au Fespaco eût-elle balisé le chemin emprunté par la CODER pour se rendre à Abidjan.

En tout état de cause, le peuple burkinabè, contrairement à ce que d’aucuns pensent, sait pardonner et tient à l’union sacrée de ses filles et de ses fils pour relever les grands défis qui se posent à notre pays. La loi sur le Haut Conseil pour la réconciliation et l’unité nationale (HCRUN) a été adoptée à cet effet le 11 novembre 2015 : « Le peuple insurgé nous a donné l’esprit, et nous avons écrit la lettre », dit en substance Chériff Sy, dans la préface aux Douze lois emblématiques de la Transition (déc. 2015).

La vérité et la justice devront être les fondements de la réconciliation nationale. Une vérité restauratrice des faits devant l’histoire et une justice réparatrice des torts et frustrations afin que le Burkina Faso puisse amorcer résolument le chemin d’une paix durable, d’un véritable Etat de droit et d’un développement harmonieux.



Le Dr Dramane KONATE, sémiologue

Intelligence culturelle pour la renaissance africaine (ICRA)



[i] Sémiologie politique : sciences des signes et comportements politiques (Barthes face à la norme, Curapp-Ess, 2016).

II Lindon, Denis : Le marketing politique, Paris Cedex, Dalloz, 1986.

Iii Tchahkotine, Serge : Le viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1952.

Iv Lancelot, Alain & Meynaud, Jean : Les attitudes politiques, Paris, Que sais-je ?, 1964.

V Sémiotique de la communication.

Vi Marché des arts du spectacle africain, créé en 1993.

VIi Traité d’amitié et de coopération Burkina Faso & République de Côte d’Ivoire, 2008.
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