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Gberdao Gustave Kam, ex-président des Chambres africaines extraordinaires d’assises de Dakar : "Il n’y a pas de raison que la CPI ne survive pas"
Publié le mardi 17 janvier 2017  |  Sidwaya
Gberdao
© Autre presse par DR
Gberdao Gustave Kam, magistrat, président de la Chambre africaine extraordinaire de Dakar.




Les Chambres africaines extraordinaires d’assises de Dakar, qui ont condamné l’ex-président tchadien, Hissène Habré, à perpétuité, ont été présidées par le magistrat burkinabè, Gberdao Gustave Kam. Dans cet entretien accordé à Sidwaya à Ouagadougou, il donne des précisions sur le procès, se penche également sur la perception de la justice au Burkina Faso, l’existence juridique des Koglwéogo et la Cour pénale internationale (CPI).

Sidwaya (S.) : Cette «noble» mission vous a été offerte par l’Union africaine (UA). Quelles sont les raisons avancées pour vous choisir parmi tant d’autres
magistrats de grade exceptionnel ?

Gberdao Gustave Kam (G.G.K.) : J’ai eu l’information de l’appel à candidature à ce poste par un ami juriste. C’est ainsi que j’ai postulé pour être d’une part, président de la Chambre d’assises, et d’autre part, président de la Chambre d’appel. Cependant, comme l’urgence était de doter la Chambre d’assises de son personnel, ma candidature fut retenue pour cette dernière. Quant aux raisons qui ont conduit l’Union africaine à me choisir, certainement, c’est par rapport à mon Curriculum vitae (CV) et à mon expérience, puisqu’il y a eu des postulants d’autres pays africains. Mais, il faut rappeler que l’une des conditions était de parler couramment le
français.

S.: Les Chambres africaines extraordinaires de Dakar ! Pourquoi cette appellation et non pas ‘’ Le Tribunal pénal international pour le Tchad’’, par exemple ?

G.G.K. : Il faut rappeler que c’est à la suite d’un accord entre le gouvernement du Sénégal et l’Union africaine, que les Chambres africaines extraordinaires ont été mises en place. Ces Chambres d’assises s’intègrent dans le cadre de l’organisation juridictionnelle du Sénégal où au niveau de la Cour d’appel, il y a effectivement des Chambres. On a voulu harmoniser l’institution de cette nouvelle juridiction avec les Chambres existantes, d’où cette appellation. Maintenant, le terme extraordinaire trouve certainement son explication dans le fait que ces Chambres sont spéciales.

S. : Les Chambres africaines extraordinaires étaient spéciales à caractère international en même temps qu’elles étaient intégrées dans le système judiciaire sénégalais. Est-ce que ce n’était pas lourd ?

G.G.K. : Les Chambres africaines extraordinaires de Dakar étaient une juridiction hybride en ce sens que les faits qui étaient jugés apparaissaient plutôt comme une violation du droit pénal international. Mais quelque part, la procédure pénale appliquée était plus basée sur le Code de procédure du Sénégal comme le stipulait l’alinéa 4 de l’article1er de l’accord sur les Chambres. Ce qui a rendu la juridiction un peu spéciale par rapport au droit national et à celui international parce que ce ne sont pas les mêmes règles de droit qu’on applique au plan international. Mais bien qu’intégrées dans le système judiciaire sénégalais, les Chambres n’avaient aucune interconnexion avec ce système. On siégeait au niveau d’une salle d’audience qui était aménagée pour la Chambre afin de pouvoir répondre à certaines normes.

S. : Ces Chambres ont été financées par l’extérieur comme l’Union européenne (UE). Est-ce que cela ne pose pas quelque part la question d’indépendance des décisions de justice
rendues ?

G.G.K. : Non ! Même au plan national, nous recevons des financements extérieurs d’appui à la justice. Et pour ces Chambres extraordinaires, il fallait avoir un appui financier. Le Tchad, le Sénégal, les Pays-Bas, et bien d’autres partenaires ont contribué à mettre en place ces instances. Tant que ces pays donateurs n’interviennent pas directement au niveau des décisions et des motivations des juges, je pense que la Chambre reste indépendante.

S. : Comment jugez-vous de l’opportunité de ce procès ?

G.G.K. : L’opportunité de ce procès ? (Rires). Je crois qu’il ne m’appartient pas de faire un jugement mais je pense qu’il y a eu en son temps, des difficultés pour la mise en place de ces Chambres. Car il y a eu des tractations d’abord, au niveau du Sénégal et de l’UA, ensuite des victimes et enfin des ONG et OSC qui se sont saisies du dossier et ont lutté pour que ce procès se tienne. Mais il faut dire qu’au départ, Hissène Habrè, par le biais de ses avocats, s’est bien battu en faisant tous les recours nécessaires parce qu’il ne voulait pas du procès. C’est au bout de ces recours que ces Chambres ont été mises en place.

S. : Quelle expérience avez-vous acquise au niveau de ces Chambres que vous avez présidées ?

G.G.K. : Ce qui a été un plus pour moi, c’est le côté international. Il fallait avoir les compétences en matière de droit international pénal pour juger des faits commis au Tchad entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990.
Au niveau du Sénégal, c’était une mise en œuvre de la somme de mes expériences cumulées au plan national et au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Ces expériences ont facilité la conduite du procès.

S. : Dans ce procès, c’est le principal responsable, Hissène Habré, qui a été jugé. Est-ce qu’il ne fallait pas aussi juger des coresponsables ?

G.G.K. : Il faut que je vous ramène un peu en arrière par rapport à ce procès. La procédure était hybride comme je l’ai tantôt dit. Il y avait une Chambre d’instruction au niveau de laquelle, le parquet a porté le dossier Habré. Au cours des investigations au niveau de la Chambre d’instruction, plusieurs personnes avaient été visées par les poursuites parmi lesquelles, principalement, les agents de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), une structure armée de Monsieur Hissène Habré. Donc, ces agents avaient été interpellés par le juge d’instruction. Malheureusement, ils n’ont pas pu faire l’objet de poursuites au niveau de cette Chambre d’accusation parce qu’au Tchad, on a organisé assez rapidement une procédure pour pouvoir poursuivre ces agents et les soustraire de la compétence des Chambres. Car, il existe en droit, un principe« non bis in idem », un principe classique de la procédure pénale, d’après lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement une seconde fois à raison des mêmes faits. Ces derniers ont été jugés et exemptés de la comparution au procès au niveau du Sénégal. Sinon, le procès devrait concerner Hissène Habré et les coauteurs ou complices des faits commis.

S. : Hissène Habré a été condamné à perpétuité, quels peuvent être vos regrets dans un procès de cette ampleur?

G.G.K. : C’est de manière volontaire que j’ai accepté d’aller à cette institution. Mais la conception du projet des Chambres africaines et sa mise en place ont été faites sur la base d’une Chambre d’une juridiction nationale. En cela, beaucoup d’aspects n’ont pas été pris en compte pour faire de ces Chambres, des juridictions à caractère international.

S. : Le procès en appel s’est ouvert, le lundi 9 janvier, à Dakar. Est-ce une évidence ou une surprise?

G.G.K. : Le procès en appel est une procédure prévue à l’article 25 du statut des Chambres qui stipule que «la Chambre africaine extraordinaire d’appel est compétente pour examiner en dernier ressort, les appels interjetés par le procureur ou les personnes condamnées …».
Le recours en appel est une évidence pour ces avocats commis d’office en ce qu’ils agissent dans l’intérêt de la loi ou du droit. Ce n’est pas simplement la volonté de l’accusé qui compte. C’est pour voir si le droit a été respecté.
L’accusé ayant été condamné à la peine maximum, les avocats n’ont rien à perdre en faisant recours pour voir examiner en appel la décision de condamnation de la 1ère instance. Dans tous les cas, ils ne peuvent pas en prendre plus.
Les avocats sont rémunérés tant que la procédure se poursuit. La procédure d’appel remet les avocats en selle.

S. : Les avocats de M. Habré soutiennent que sa détention est arbitraire, quel est votre point de vue?

G.G.K. : C’est un moyen de défense. M. Habré a toujours contesté la Chambre africaine extraordinaire, alléguant que c’est une juridiction qui a été mise sur pied par les Occidentaux et leurs valets pour le juger. Il dit que son arrestation est arbitraire et c’est plutôt un enlèvement que le procureur a perpétré. En tous les cas, il appartiendra à la Chambre d’appel de statuer sur ce moyen.

S. : Et si c’était à recommencer cette expérience?

G.G.K. : Je serai prêt à la mener mais pas dans les mêmes conditions de travail. Car le jugement rendu fait plus de 700 pages or la ressource humaine a fait cruellement défaut. Les moyens matériels ont aussi fait défaut. Nous avons été quelquefois contraints d’utiliser les moyens de bord.

S. : Est-ce que vous pouvez nous faire une analyse critique de ce procès ?

G.G.K. : Je crois que je suis très mal placé pour faire une analyse critique. Peut-être que des universitaires et d’autres personnes du droit, au regard des décisions rendues, pourraient le faire. Mais ce que je peux dire, c’est que ces genres de procès à l’image de ceux au tribunal pénal pour l’Ex-Yougoslavie pour le Rwanda, etc., se déroulent à une grande échelle avec beaucoup de moyens financiers et humains. Malheureusement, au niveau des Chambres africaines extraordinaires du Sénégal, il a fallu que les hommes qui l’ont animé fassent des sacrifices et travaillent nuit et jour pour rendre une décision. Cependant, il faut noter que ça été très dur et le personnel a été durement éprouvé au cours de ce procès. Nous avons donc travaillé avec des ressources tant matérielles qu’humaines en-deçà des besoins de la Chambre.

S. : Parlant des juridictions nationales, souvent, on taxe leur décision de justice de vainqueurs. La conséquence des fois, c’est le recours à la Cour pénale internationale (CPI). Mais, paradoxalement, aujourd’hui, des pays se retirent de cette instance. Est-ce que ces retraits ne sont pas prématurés ?

G.G.K. : Je lisais un article hier ou avant-hier (ndlr, nous étions au vendredi 6 janvier 2017) d’Adama Dieng, un Sénégalais, conseiller spécial du secrétaire général des Nations unies pour la prévention du génocide. Il disait que les pays africains qui quittent la CPI n’ont rien compris. Vous voyez, en 1998, les Etats tant africains que du reste du monde étaient largement présents à la conférence plénipotentiaire de Rome pour la mise en place de la Cour. Aucun Etat n’y était obligé. Je pense que les experts qui y étaient délégués par les Etats ont compris la substance et les implications de la mise en place de la CPI. A la suite de cette conférence, les Etats ont pu examiner et signer la Convention de Rome. C’est vrai qu’aujourd’hui, sa mise en œuvre pose parfois des problèmes au point que ces Etats veulent se retirer. Mais se retirer pourquoi ? Et pourquoi faire ? Quelle solution ou quelle alternative proposent-ils ? Pour moi, s’il y a des difficultés, il faut les affronter, s’asseoir et discuter pour trouver des solutions. J’ai discuté à la Haye avec certains ambassadeurs et la Procureur de la CPI, Madame Fatou Bensouda, à l’occasion d’un de mes séjours. Elle avait dit à l’époque qu’elle restait ouverte à toute discussion. Lorsque vous examinez de plus près les dossiers dont la CPI est saisie, la plupart ont été soumis par les Etats concernés. Ce n’est pas le procureur ou la CPI qui s’en est saisie de facto. Pour une raison ou une autre, les Etats ont d’eux-mêmes demandé au procureur de la CPI de se saisir des faits, exception faite de deux dossiers. Qu’on dise aujourd’hui que la CPI ne cible que des pays africains, à la limite c’est une fausse querelle. Lorsque vous analysez profondément, vous allez vous rendre compte que les dirigeants de ces Etats qui quittent la CPI ont des problèmes de droit de l’homme en réalité. Par exemple, l’Afrique du Sud, le Kenya, la Gambie, le Burundi, etc. Il faut que ces Etats disent quelle structure ils vont mettre en place après leur retrait, parce que d’ores et déjà, la compétence de la Cour pénale permanente pour l’Afrique créée par la Convention de Malabo pour juger des chefs d’Etat en exercice ou autres commandants, est décriée.

S. : Vous avez tantôt parlé de deux dossiers qui n’ont pas été envoyés directement à la CPI, lesquels?

G.G.K. : C’est le Conseil de sécurité qui renvoie les affaires relevant du droit pénal international au niveau du procureur de la CPI. Comme au Burkina Faso, le ministre de la Justice peut saisir le procureur général, des faits qui, s’ils sont avérés après enquête, sont renvoyés devant la Chambre.

S. : Parlant de la Gambie, avec l’entêtement de son président Yahya Jammeh, est-ce que l’on peut penser à un tribunal spécial pour la Gambie, s’il arrivait que des faits de crimes soient commis ?

G.G.K. : Je n’ai pas encore la teneur des faits mais s’il s’avérait que monsieur Jammeh, et éventuellement d’autres complices, ont commis des crimes de masse, qui peuvent être analysés comme tortures ou crimes contre l’humanité, ils peuvent faire l’objet de poursuites. Mais devant un tribunal spécial, ce serait très difficile car il existe déjà une Cour permanente qu’est la CPI. Si les Chambres africaines extraordinaires de Dakar ont été mises en place en 2012, c’est parce que la Cour permanente n’avait pas la capacité de juger Hissène Habré. Les faits lui ayant été reprochés étant antérieurs à la mise en place de la CPI.

S. : Pensez-vous que la CPI a encore longue vie?

G.G.K. : Oui ! La CPI a encore longue vie parce que, pour qu’elle ne puisse pas exister, il faut que la majorité des Etats signataires puissent abdiquer. Or, je ne suis pas sûr que ça soit le cas aujourd’hui. Et lorsque nous analysons les mobiles pour lesquels, la CPI a été mise en place, il n’y a pas de raisons qu’elle ne survive pas.

S. : Pour revenir au plan national, on se rend compte que la justice burkinabè a maille à partir avec les justiciables? D’aucuns la qualifient de justice à deux vitesses, de corrompue. Quel est votre point de
vue ?

G.G.K. : (Rires). C’est toujours très difficile pour moi qui suis juge, de pouvoir me juger moi-même. C’est vrai, beaucoup de critiques sont faites à l’égard des magistrats.
Certaines sont fondées et d’autres ne le sont pas. Il faut dire que le droit est une science qui n’est pas accessible à tout le monde. Généralement, celui qui gagne le procès vous oublie mais celui qui le perd ne vous oublie jamais. Nos justiciables ne font pas toujours recours à des avocats qui sont des praticiens du droit et qui comprennent les méandres de la justice souvent très compliquées. On peut perdre le procès simplement sur des questions de forme. Par exemple, pour des questions liées au délai, vous êtes forclos. Il appartient aussi à nous magistrats de nous faire comprendre et d’expliquer nos décisions bien que ce ne soit pas toujours notre rôle. Nous pourrions dans ce sens être bien compris. Surtout qu’aujourd’hui, le justiciable pense que nos conditions salariales et indemnitaires ont été améliorées, c’est à bon droit qu’il s’attende à une meilleure justice.

S. : Mais quelles sont les critiques fondées et
infondées?

G.G.K. : (Rires). Je ne peux pas dire que telle critique est fondée et telle autre ne l’est pas. Dans la généralité, il va sans dire qu’il y a des critiques fondées et d’autres infondées.

S. : Qu’est-ce qu’il faut concrètement pour rétablir la confiance avec les justiciables ?

G.G.K. : Il faut donner une motivation de la décision pour que les parties au procès comprennent pourquoi telle personne a perdu ou gagné le procès.

S. : Une autre actualité au plan national, ce sont les groupes d’auto-défense communément appelés Koglwéogo qui ne sont d’ailleurs pas reconnus par les textes. Et aujourd’hui, ils sont en odeur de sainteté avec les Dozos de l’Ouest-Burkina. Cela ne relance-t-il pas la question de leur existence juridique, même si on note quelque part une adhésion des populations?

G.G.K. : Oui, voyez-vous, les groupes d’auto-défense, lorsque je les compare à ce qui s’est passé au Rwanda, ne sont que des milices. Et si on n’y prend garde comme au niveau de la Centrafrique, nous risquons de tomber dans un système pervers. Le chef de l’Etat, au début de leur ’’institution’’, a fait savoir que pour lui, ce sont des structures qui sont inexistantes et qu’il n’est pas question de les dissoudre. Ce qui veut dire que de manière générale, le chef de l’Etat lui-même n’était pas d’accord pour l’existence des Koglwéogo. En tant que juriste, je vois très mal ces groupes venir résoudre des questions de sécurité alors qu’il y a des forces qui sont assignées à ces tâches. Cela pose problème ! Quelle sécurité alors, veut-on mettre en place ? Lorsqu’on sait que les méthodes utilisées sont loin d’être celles de droit. Donc, il appartient à ceux qui nous gouvernent d’être décisifs par rapport à la question, car tout le monde tourne autour du pot sans réellement prendre une décision. S’il faut les légaliser, qu’on légifère. Si on ne veut pas de ces groupes, qu’on prenne le taureau par les cornes et qu’on le combatte. Les gens de l’Ouest ne veulent pas de Koglwéogo et pourtant, de manière insidieuse, ils veulent s’y implanter.

S. : Quel est votre souhait pour l’avenir?

G.G.K. : Je souhaiterais que les magistrats africains soient outillés par des formations de haut niveau en matière de droit international pénal qui est un domaine très dynamique et de procédure internationale. Lorsqu’il y a des violations graves du droit international, humanitaire, commis au niveau national, il faut que les magistrats africains soient à même de les juger.

Entretien réalisé par Boukary BONKOUNGOU
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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