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An I de l’Attaque du 15 janvier : quand la vive douleur côtoie le sentiment d’abandon
Publié le lundi 16 janvier 2017  |  L`Observateur Paalga
Le
© Ministère par D.R
Le Burkina Faso rend hommage aux victimes de l’attentat terroriste du 15 janvier 2016
Le Président du Faso, Son Excellence Monsieur Roch Marc Christian Kaboré a présidé dans l’après-midi du dimanche 15 janvier 2017, la cérémonie d’hommage aux victimes de l’attentat terroriste du 15 janvier 2016 sur l’Avenue Kwame Nkrumah




Vendredi 15 janvier 2016, 19h 40. Alors que les fidèles musulmans faisaient la prière d’Al Icha, la dernière prière du soir après la fin du crépuscule, les fous d’Allah, comme on surnomme les terroristes, avaient l’esprit à autres chose : verser le sang des innocents. Cappuccino, Splendid hotel et Taxi Brousse : les renégats ont semé la mort à tout vent. Bilan: trente personnes, dont vingt-deux étrangers, ont perdu la vie. Un an après, la douleur est toujours vive chez les parents des victimes et le sentiment d’abandon habite en permanence les rescapés et autres riverains de l’avenue K.K en particulier les commerçants qui ont vu leur affaires péricliter et peinent à survivre à ce malheur qui hante toujours les esprits.

Les soupçons ont commencé tôt le matin du vendredi 15 janvier 2016 et se sont poursuivis jusqu’à quelques minutes avant les premiers coups de feu. Issouf Nikièma, artisan sur l’avenue Kwamé N’Krumah, raconte : "Dans la matinée du vendredi, ils ont pris le petit déjeuner sur la table où la famille du propriétaire du Cappuccino a été tuée. Comme pour prendre leurs repères. Sans doute qu’en même temps que du café matinal se délectaient-ils à l’avance du sang de leurs futurs suppliciés. Leur comportement a suscité même la suspicion d’un jeune qui en fait la remarque à un policier mais ce dernier aurait rétorqué que ces gens ne pouvaient rien faire. Plus tard dans la soirée, vers 19h 30, j’ai vu les suspects habillés en manteaux derrière le Cappuccino. Une fille de joie qui s’est approchée d’eux pensant avoir des clients est revenue vers moi me dire qu’elle a vu des armes qui pointaient de leurs pantalons. Immédiatement j’ai su que quelque chose de dramatique se préparait. J’ai appelé immédiatement le 17, le numéro d’urgence de la police nationale. L’agent au bout du fil a voulu savoir quel type d’armes ils ont, je leur ai dit qu’elles doivent être différentes de ce que la sécurité tient habituellement. Quelques 5 minutes après, les premiers coups de feu ont retenti autour de 19h 40". Selon notre témoin oculaire, c’est la police qui a été la première à arriver sur les lieux et a commencé à les dissuader avec les moyens du bord. Ces propos sont corroborés par Adama Nyampa, vendeur d’objets d’art : "Dès les premiers tirs, c’était la débandade généralisée. J’ai rencontré dans la fuite un véhicule de la BAC (Brigade anti-criminalité) qui a commencé à se déployer dans la zone. Combien étaient-ils, les assaillants ? "Ils étaient trois jeunes hommes. C’est vrai qu’une autorité (Ndlr : il s’agit du ministre de la Sécurité intérieure, Simon Compaoré) avait parlé de la présence d’une femme parmi eux mais il n’en était rien, on a dû prendre une victime, Leila Alaoui, la photographe franco-marocaine, pour l’un des terroristes. Cette dernière, c’est un monsieur et moi qui l’avons transportée à la base aérienne pendant que ça tirait toujours ; malheureusement elle n’a pas survécu. Sa famille et d’autres journalistes marocains sont ensuite venus me voir parce qu’ils voulaient savoir si la défunte a été victime des terroristes ou si elle été prise pour cible par les agents de sécurité. Son chauffeur, qui a tenté de la protéger des criminels, est resté sur le champ"

L’arme que je vois ne me tue pas

"Vous êtes très courageux, pendant que ça crépite vous venez au secours des blessés", faisons-nous remarquer. Adama Nyampa, natif d’Alga dans la commune de Bourzanga, province du Bam, répond : "J’ai 61 ans, de quoi aurais-je peur ? Pas en tout cas de la mort, même si je ne suis pas un kamikaze, mais je vous assure, l’arme que j’ai vue ne tue pas; il me suffit de réciter quelque chose, je ne vous en dirai pas plus".

Qu’elles aient vue l’arme de leurs bourreaux ou pas, l’irréparable est fait. La trentaine de victimes ont eu leur destin qui a basculé subitement, laissant leurs parents dans l’amertume. Un an après, Pascal Lankoandé, aujourd’hui président de l’Association des familles victimes des attentats du Burkina (AFVAB), qui y a perdu sa sœur Jacqueline, se console un tant soit peu de l’accompagnement de l’Etat, qui s’est chargé des formalités administratives et médico-juridiques de l’évacuation des victimes étrangères et des soins des blessés. Toutefois pour les dégâts matériels, il n’a pas connaissance de mesures prises et espère qu’en 2017 il y aura des prises de décisions fortes pour les familles des victimes et ceux qui ont perdu leurs matériels.

Combien de personnes riveraines de Kwamé N’Krumah ont été affectées par cet évènement ? On ne saurait le dire en l’absence d’une étude ou de statistiques fiables. Pour sûr, ils sont nombreux, des petits cireurs aux gérants d’hôtel en passant par les propriétaires des maquis, à pâtir de cette situation qui a fait perdre à la plus belle avenue du Burkina son lustre d’antan. Adossé au mur du siège du CDP (l’ex-parti au pouvoir), léché par les flammes de l’insurrection et des attentats, Alidou a une mine qui en dit long sur la situation de ses affaires. Visiblement anxieux il se remémore sa vie d’avant : "Avant les attentats, nous avions des locations au moins 6 jours sur 7 mais depuis, nous peinons à en avoir une par semaine, ce qui veut dire que les touristes sont moins nombreux et ceux qui sont au pays n’ont plus de moyens. Certains de nos véhicules ont brûlé, et jusque-là, l’Etat n’a rien fait pour nous, même pas venir nous remonter le moral", nous confie-t-il la main collée au menton en signe de désarroi. A côté de lui, Hector Aguiawabou sert sur le coup de 12 heures des plats de riz chaud à ses clients, mais à 15 heures ça sera de la vaisselle pour rentrer à la maison alors qu’avant c’était un service continu jusqu’à 19 heures. "Avant je faisais bouillir deux (2) fois ma marmite n°15 pour préparer en tout 40 kg de riz, mais je me contente actuellement de la moitié, pourtant je mets l’accent sur la qualité". Même galère pour Soumaïla Kongo qui n’a qu’un dixième de son chiffre d’affaires journalier d’avant les attentats (750 F CFA contre 7500 F). Les objets d’art ne font plus vivre Adama Nyampa qui, depuis 1993, est dans la zone. Mais grâce à un généreux donateur de 250 000 F, il a ouvert une échoppe où on peut trouver, entre autres, de la cigarette, des bonbons et du savon. "N’eût été ce don providentiel, je serais mort de faim car personne ne parle d’objet d’art".

Avec une boutique attenante à TB comme l’appellent les habitués, Sita Sawadogo a eu son stock de bazin riche endommagé avec une perte qui se chiffre à 3 millions de francs CFA, mais elle refuse de renoncer à se battre bien que la clientèle soit constituée désormais de nationaux. Son seul regret, c’est le silence des autorités, qui n’ont rien entrepris en leur faveur.

Ni l’Etat ni les assureurs

A côté des petits commerçants et des vendeurs à la sauvette, il y a les gérants de grands établissements comme Splendid Hotel, le Cappuccino et Taxi-Brousse. Le premier cité a connu un cure de jouvence. Le bâtiment 1 est toujours en travaux, mais le bâtiment 2 est opérationnel. De loin le changement est visible : façade rénovée, balises infranchissables par les véhicules, parking sécurisé, des agents de sécurité veillant au grain et un hall plus attrayant où nous accueille le conseiller Adama Gansonré et le nouveau directeur administratif, Diakaridia Koné. Fin connaisseur de l’environnement hôtelier, ce dernier dit être venu de la Côte d’Ivoire pour faire revivre l’établissement fondé par Yamaba Emmanuel Zongo. Selon lui, le Splendid, en matière de qualité, doit être encore plus... splendide qu’il ne l’était.

"Les normes évoluent et nous évoluons avec, nous ne voulons pas nous limiter à ce qui existait déjà. Comme les travaux sont sur fonds propres, ça va au rythme de nos moyens", a souligné l’administrateur qui s’est félicité que l’UEMOA et certaines organisations sous-régionales comme AGRA, CTA aient accepté en avril 2016 de les soutenir en y tenant leurs rencontres. Quid des assureurs ou du gouvernement ? "Rien n’a été fait par les assureurs ni par l’Etat, alors que ce que nous avons subi nous a amenés à arrêter l’exploitation pendant six mois", relève le financier Adama Gansonré avant de plaider : "On peut comprendre que le budget de 2016 était bouclé, mais celui de 2017 aurait pu prendre en compte notre situation".

Pour le directeur administratif, même s’il n’est pas possible pour le moment d’avoir le soutien financier de l’Etat, il peut prendre des mesures comme conseiller l’adresse du Splendid aux organisateurs d’événements. La particularité de cet établissement, c’est que son promoteur a demandé que personne ne perde son poste ni ne subisse le chômage technique. Ce qui a permis d’assurer le salaire du personnel jusque- là.

Tel n’est pas le cas pour les 104 employés du Cappuccino, actuellement au chômage. Le restaurant, en reconstruction, ne sera pas rouvert au premier anniversaire de l’attaque, comme nous l’avait promis son propriétaire, Gaëtan Santomenna. En l’absence de celui-ci, nous y avons été accueillis par Abou Souyanne Ouédraogo. Le Cappuccino n’a pas non plus reçu le moindre kopeck. "Non, mille fois non. La preuve : nous avons des difficultés à achever les travaux. La responsabilité de l’Etat, c’est de protéger les personnes et les biens mais là, on se sent délaissés sans aucune forme de soutien", regrette le collaborateur de Gaëtan Santomenna avant d’ajouter : "Le propriétaire a tout perdu, tout ce qu’il fait, c’est pour la population et dire non au terrorisme, pour une victoire contre la peur et la fatalité; de ce point de vue il devait être soutenu par tous". Malgré l’absence d’assistance, le chantier est à un taux d’exécution de 80%.Et comme Splendid, le Cappuccino a choisi d’innover, notamment dans le domaine sécuritaire avec des vitres blindées et tout ce qui est anti-feu.

Elles sont nombreuses, les victimes qui dénoncent l’inaction des sociétés d’assurances. Secrétaire générale de l’association professionnelle des assureurs, Rainatou Bado s’en défend: "Nous n’avons rien fait en matière d’indemnisation sur le plan matériel, mais nous avons compati avec des messages. Les garanties des compagnies d’assurances excluent les types de dommage comme les grèves, les mouvements populaires et les catastrophes naturelles. C’est pourquoi ceux qui ont perdu leurs biens pendant les inondations de 2009 et lors de l’insurrection n’ont pas été dédommagés. L’assurance tout risque est un abus de langage ; souvent utilisé par les propriétaires de véhicules, elle couvre les risques de la circulation : que ce soit un accident contre une pierre ou tout autre objet identifié ou non. Mais dans les pays développés, notamment la France, il y a des organismes qui garantissent contre les risques de catastrophe naturelles comme la grêle et les inondations".

Selon un communiqué du procureur à l’occasion de ce triste anniversaire, une information contre X a été ouverte et trois personnes identifiées pour des faits d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, d’assassinat, de tentative d’assassinat, de dégradation volontaire de biens sont en détention préventive. L’enquête a permis d’établir une connexion avec les attaques du Radison Blu au Mali et de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire d’où une requête d’entraide pénale internationale adressée aux autorités judiciaires de ces pays. En une nuit, les trois disciples, âgés d’à peine une vingtaine années, d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont brisé le destin d’une trentaine de personne et laissé tout un pays dans le désarroi, tout cela au nom de ...Dieu. Mais de quel dieu parle-t-on bon sang !

Abdou Karim Sawadogo

Félicité Zongo

Encadré :

Paroles de rescapés

Kasagabou Basselebou, contrôleur aérien à l’ASECNA

"Mon costume a pris feu sous les véhicules"

L’ASECNA avait une cérémonie au Splendid Hotel dont j’étais le maître de cérémonie et vice-président du comité d’organisation. A ce titre, je devais rester pour faire le point. Etant devant l’établissement, j’ai entendu les premières détonations vers le Cappuccino et ils se sont dirigés vers l’Hôtel. Juste devant moi, il y avait un véhicule de type 4x4 et j’ai eu le réflexe de me cacher sous la voiture, puis une collègue m’a suivi dans cette cachette. A un moment les voitures ont commencé à brûler les unes après les autres et on rampait pour rejoindre celui qui suivait jusqu’à ce que mon costume commence à se consumer. Ayant réalisé que je n’étais pas en lieu sûr, je suis sorti, et dans ma fuite j’ai croisé un policier cagoulé qui m’a amené dans une enceinte clôturée où j’ai rejoint des policiers couchés à même le sol sous le commandement d’un homme de peau blanche. J’ai relaté ce que j’ai vécu, comme les Allah akbar que les djihadistes prononçaient à chaque fois. A un moment donné, j’ai demandé à rentrer, car j’avais très soif du fait d’être resté sous les flammes et la chaleur. A peine sorti, d’autres policiers avec un pick-up m’ont embarqué en direction de l’aéroport ; là-bas, d’autres corps habillés étaient postés, et il se disait qu’un ministre (NDLR Clément Sawadogo de la Fonction publique) se trouve dans le couloir et qu’un groupe devrait aller le chercher. J’ai fait savoir aux policiers qu’ils sont bien protégés par des gilets anti-balles, des casques, mais moi non, alors qu’ils sont des cibles privilégiées et que de ce fait je ne suis pas en sécurité en leur compagnie. J’ai insisté, et ils m’ont déposé devant le club SONAR, et un jeune qui passait m’a conduit à la maison.

En matière de dégâts, ma voiture a été fortement endommagée, car elle était garée devant l’Hôtel, elle a pris une dizaine de balles, la forte chaleur qui se dégageait a détruit les câbles qui permettaient de commander les vitres, et il y a eu beaucoup d’autres dégâts, si bien que le garagiste m’a tendu un devis de 7 000 000 de FCFA. Après l’attaque, il fallait s’occuper des corps et pleurer nos morts, car un de nos collègues est tombé sous les balles assassines ce jour-là, avant de penser aux biens matériels. Après tout cela, on a été auditionné par la gendarmerie et on croyait que l’Etat allait faire quelque chose. Ni l’Etat ni les Assurances n’ont rien fait jusque-là. J’ai été voir mon Assureur, la SONAR, qui m’a fait savoir qu’elle ne couvre pas ces genres de dégâts (le terrorisme, la guerre ou les catastrophes naturelles). Ailleurs il y a eu des attaques comme en France, en Côte d’Ivoire, je crois savoir que ces Etats et les assurances ont fait quelque chose pour les victimes. Même à l’ASECNA, on a écrit à la Direction générale et ils nous ont opposé un texte de 1998 pour dire que ces genres de situation ne sont pas prévus, mais les concertations se poursuivent.

Lucien Tra Bi Tra dit Shadow, manager culturel

"Je suis sous Atarax"

J’avais, dans la soirée du 15 janvier, un rendez-vous avec Zeinatou Kontogomdé, la propriétaire du Taxi Brousse. Nous avons dû nous réfugier au premier étage de l’immeuble jusqu’à 6h du matin. A cette heure, je suis descendu pour aller dans les toilettes. Quand j’ai fini mes besoins, j’ai aperçu un monsieur qui entrait dans la cave. Pour moi c’était un ami que j’avais laissé en haut et j’ai commencé à l’appeler par son nom. « Ayuia Ayuia, tu as pu récupérer ta moto ? » deux fois de suite. Mais il ne répondait pas et quand j’ai voulu continuer mon chemin, j’ai vu le bout de son fusil et il me faisait signe par la main de venir avec un grand sourire en me rassurant qu’il n’y avait pas de danger. Dans ma reculade, j’ai fait tomber des casiers vides et commencé à crier tout en fuyant" : Il y en a un qui est caché là". Il m’a immédiatement visé et j’ai pris une balle à l’épaule. J’ai senti que ma main était devenue lourde, et j’ai continué ma course pour me cacher dans un restaurant en face de Coris Bank. C’est vers 10h que j’ai vu les gens de la Croix Rouge passer, je me suis présenté et ils m’ont évacué à l’Hôpital Yalgado. Pour dire vrai, le coup a été dur, jusqu’ à présent je suis sous Atarax pour pouvoir dormir la nuit et être calme. Actuellement, quand je vois une personne claire avec des cheveux un peu longs, ou les femmes qui s’habillent en noir, je sursaute, car la scène me revient automatiquement. Pour ce qui est des psychologues, j’ai été les voir à la Patte d’oie et c’est eux qui m’ont prescrit l’Atarax que je prends et je suis sous ça depuis le 18 janvier 2016. Depuis lors, c’est moi qui paye mes produits et ça me fait 60 jours avec 30 comprimés sécables, car mon sommeil est perturbé. La prise en charge a été, le premier jour de l’attaque, la visite d’un assistant social et c’est tout. Au moins les autorités devraient chercher à savoir notre état de santé, comment nos activités ont repris, et si nous tenons le coup. Souvent la chaleur humaine vaut mieux que l’argent.

Daniel Ilboudo, chargé des affaires sociales à l’ASECNA.

"Nous étions morts à 95%"

J’étais le président du comité d’organisation d’une présentation de vœux de l’ASECNA qui se tenait au Spendid Hotel. C’est au moment de sortir que nous avons entendu des tirs aux alentours et immédiatement à l’intérieur de l’Hôtel, et chacun cherchait à se sauver. Nous étions quatre à nous réfugier dans un petit coin très restreint où nous sommes restés de 19h à 3h du matin sans le moindre mouvement possible. Pendant ce temps, les voitures garées devant l’Hôtel brûlaient et explosaient et nous étions à 95% proches de la mort, car en plus de la fumée des véhicules calcinés, les gaz lacrymogènes nous étouffaient. Ce sont les militaires français qui se sont présentés et nous ont dit : « Nous sommes venus vous sauver ». Dieu merci, ils l’ont fait. Je me suis très vite remis de mes émotions, car j’ai reçu beaucoup de coups dans la vie. Ma voiture, pour l’acquisition de laquelle j’ai contracté un prêt, a été totalement calcinée. J’ai roulé à moto pendant longtemps et j’ai dû contracter un autre prêt pour une autre voiture, car vu ma corpulence je voulais éviter d’autres problèmes. Ni l’assurance ni l’Etat n’ont fait quelque chose en signe de soutien. Je souhaite que l’Etat prenne ses responsabilités vis-à-vis des blessés et des rescapés qui ont perdu leurs matériels, au moins qu’il pose un acte pour qu’on sache qu’il se souvient d’eux, mais avec un silence de cimetière on ne comprend plus rien.

Martin Convolvo, petit commerçant

"Mon seul souhait est que l’Etat me soigne"

Je travaille au Taxi Brousse depuis 2000. Le jour de l’attaque, j’avais installé mes CD sur les pavés devant le Cappuccino et je partais les ramasser lorsque j’ai entendu des tirs. Et en me retournant, j’ai vu un monsieur qui tirait à bout portant sur les gens. Dans la course en direction de Show-Biz pour chercher refuge, j’ai reçu une balle qui a traversé ma cuisse et je suis tombé. J’ai rampé et avancé un peu et c’est vers 22h qu’une équipe est venue pour amener les blessés dans les locaux de la Fonction publique ; après j’ai perdu connaissance et c’est le lendemain que j’ai su que j’étais à l’hôpital Yalgado. J’ai subi deux opérations, j’ai fait trois mois et pendant ce temps j’étais pris en charge par l’Etat. Après le médecin traitant m’a donné une facture pour la rééducation. Cela n’a pas pu se faire, car on m’a dit que le DG de l’hôpital Yalgado a dit de ne plus prendre de facture. Faute de moyens, je n’ai pas été complètement guéri, car mes orteils sont raides, je n’arrive pas à bien marcher comme vous pouvez le constater. Etant en location avec des arriérés, je suis obligé de sortir pour venir au maquis. J’expose maintenant des objets en bronze afin de gagner un peu d’argent pour subvenir à mes petits besoins. Mon seul souhait est que l’Etat me soigne, c’est tout ce que je demande.

Propos recueillis par

K.S. & F.Z

Encadré 2

Zeînatou Kotomgomdé, gérante de Taxi brousse

"Pour qu’on s’adresse à un gouvernement, il faut d’abord qu’il existe"

C’est peu de dire qu’elle est remontée contre les autorités, dont le silence à l’égard des affectés des attentats du 15 janvier est perçu comme du mépris. Pour lui arracher un mot, c’était la croix et la bannière, car, dit-elle, rien ne changera notre situation avec des autorités qui n’ont d’yeux que pour les forts. Qu’à cela ne tienne, elle s’est finalement résolue à nous répondre ne serait-ce que pour…

Il y a un an que vous avez subi un évènement douloureux pouvez-vous revenir sur cette maudite journée ?

Depuis 24 ans, je n’avais jamais vu ça. Ce fameux 15 janvier 2016, j’étais sur la terrasse de Taxi Brousse. Les djihadistes sont passés sous notre nez ; malheureusement on n’a rien compris.

Est-ce que vous les avez vus ?

Oui, je les ai vus longer l’Hôtel Yibi et tourner à leur droite pour aller vers le Cappuccino. Après quelques instants, les vigiles de l’Hôtel se sont mis à courir, juste après leur passage. J’ai cherché d’abord à savoir ce qui se passait, car les gens couraient en direction de la base aérienne. Quelqu’un m’a dit de fuir que c’est Boko Haram et je pouvais entendre maintenant les tirs qui retentissaient, 4 de mes employés et moi avons pris la tangente.

Quand les tirs ont commencé est-ce que il y avait des clients sur la terrasse ?

A ce moment, il n’y avait pas beaucoup de clients, car il n’était que 19h 30 mn, et je pense que ce n’est pas pour Taxi Brousse que les terroristes sont venus.

Quels sont vos clients habituels ?

Je reçois habituellement des étrangers, car mon établissement est à côté des hôtels, et bien entendu des nationaux

Est-ce qu’on peut avoir votre chiffre d’affaires avant et après l’attaque ?

C’est dur de répondre à cette question, car c’est terrible ce qui nous arrive maintenant. Un an après, rien ne va, personne ne veut venir sur l’avenue Kwamé N’Krumah, les affaires vont très mal, pratiquement c’est désert, la nuit ici. Il y a des clients habituels depuis des années qui viennent de temps en temps pour nous soutenir, mais c’est très difficile.

Avant l’attaque du 15 janvier, la rue était bondée et Taxi Brousse était un point choc. Souvent c’est à 6h du matin que certaines personnes rentraient chez elles et c’est à 8h qu’on fermait, car ça ne désemplissait pas et c’était vraiment agréable.

En dehors du chiffre d’affaires qui a baissé, vous avez perdu du matériel ; à combien vous évaluez vos pertes ?

Je ne sais pas quoi répondre. Les deux djihadistes étaient réfugiés à l’intérieur de mon bar. Pour les déloger, on n’y est pas allé de main morte, tous les moyens étaient bons pour les abattre et eux non plus ne se laissaient pas faire. Je n’ai rien récupéré après l’assaut de nos forces de défense: les chaises, les congélateurs, les appareils de sonorisation, les boissons et les portes étaient irrécupérables. Je peux évaluer mes pertes à plus de 30 000 000 F CFA.

Depuis lors, qu’est-ce que l’Etat a fait ?

On n’a reçu aucune autorité pour s’enquérir de certains détails. Comment on a commencé à travailler ? Quelle est notre situation après l’attaque ? Un an après, rien. C’est le protocole du ministre de la Sécurité qui est venu le lundi matin nous informer que le 15 janvier 2017 une commémoration est prévue et une plaque sera érigée sur l’avenue à la mémoire des victimes. Il nous a demandé si on voulait se joindre à eux. Mais sans eux, on allait faire quelque chose, car parmi les victimes, il y avait nos amis, nos clients, etc. Je suis écœurée, car je me dis que si c’était la maison d’un individu que l’Etat a bombardé, il se devait de revenir sur ses pas et de demander comment la personne va. C’est un commerce, certes mais pas mal de gens gagnent leur pitance quotidienne sur cette rue.

Avez-vous un message à l’endroit des autorités ?

Pour être honnête, je n’ai rien à leur dire. Je pense qu’un an après, si elles n’ont pas compris que le peuple et tous les gens qui sont dans cette rue et qui sont citoyens burkinabè ont besoin qu’elles viennent vers eux, et ne l’ont pas fait, ce n’est pas la peine de leur adresser de message. Pour qu’on lance un message à un gouvernement, il faut d’abord qu’il existe. Il y a des employés qui ont eu leurs motos brûlées, leurs marchandises volées, etc. Pour beaucoup de gens, une moto ce n’est rien, mais pour ceux qui étaient ici le soir du 15 janvier, c’est quelque chose.

Je veux qu’elles sachent qu’elles ont été un jour aussi des pauvres avant de devenir des riches et que les pauvres au Burkina Faso dépassent les riches. A ce titre, ils n’ont qu’à permettre aux pauvres de ne pas perdre le peu d’espoir qui leur reste. Par rapport à l’attaque, nombreuses sont les personnes qui ont perdu leur emploi; ne serait-ce qu’un petit geste leur aurait permis de recommencer leur petit commerce ; malheureusement ce gouvernement est sourd, car il ne veut pas entendre des revendications et c’est dommage pour eux.

Est-ce que vous avez tenté de les rencontrer pour leur faire comprendre ce que vous subissez ?

On a essayé de rencontrer le ministre en charge de la Sécurité, Simon Compaoré, avec toutes les personnes concernées, on n’a jamais eu de réponse. C’est après 6 mois que tous les ministres se sont rendus sur le lieu pour que le Cappuccino lève ses tôles. Même chercher à savoir comment les petits commerçants, comme eux-mêmes les appellent, vont, ils ne l’ont pas fait. Ils sont juste venus se pavaner devant le Cappuccino pour sa réfection. A ce moment il y avait des personnes meurtries qui n’ont eu droit à aucune visite de leur part ni ont été reçues. C’est injuste, les citoyens sont sur un pied d’égalité devant les autorités. Et pire, ce jour-là, elles nous ont dit qu’on n’a pas le droit de manifester. Alors que c’était notre manière de rendre hommage aux victimes après 6 mois, on voulait déposer une gerbe de fleurs sur les lieux de l’attaque.

C’est triste, quand les autorités viennent, elles s’arrêtent à un seul endroit, à côté du Cappuccino, or à ma connaissance il y a eu des morts à d’autres endroits. Les djihadistes ont été abattus sur la terrasse de Taxi Brousse, et aux alentours des magasins ont essuyé des tirs.

J’en profite dire un merci au personnel de la base aérienne, car ce jour, ils ont été très gentils, après ils nous ont accompagnés afin que nous rejoignions nos domiciles. J’ai fait 8 jours avant d’accéder à mon bar, et pendant tout ce temps le maquis est resté ouvert. Après tout cela, c’est nous qui avons nettoyé le sang des djihadistes abattus, et les médecins légistes se sont débarrassés de leurs gants sur le lieu du drame, c’est déplorable.

On sent du neuf, vous voulez redonner une seconde vie à votre maquis ?

Effectivement, ça fait un an, et on essaye de finir les travaux et doucement on y arrivera afin de permettre aux clients de revenir.

Vu ce qui s’est passé, avez-vous pris des mesures de sécurité ?

Personnellement, je n’ai pas les moyens de prendre les gens pour assurer la sécurité des lieux. Mais au cas où il y en aurait, je ne pense pas que cela puisse permettre d’éviter une attaque terroriste. Si on arrive à contrôler leur entrée dans notre pays, cela peut être la solution et ça nous rendrait plus service que les vigiles.

Encadré 3

Kwamé Nkrumah fait mieux que résister

Dès le crépuscule, l’avenue la plus célèbre de la capitale brille de mille feux. Parée des jeux de lumière des fêtes de fin d’année placés par les autorités municipales ou par les nombreux services qui s’y trouvent, Kwamé N’Krumah n’est pas près à se défaire de son surnom de la plus belle avenue du pays. Mais le fait est là, elle ne grouille plus de son monde habituel. Quelque chose s’est brisé ce 15 janvier 2016.

Il est 21h à Taxi-Brousse. C’est le désert ou presque. Seuls quatre clients sirotent la bière alors que le morceau de Sidiki Diabaté "fais-moi confiance" berce les oreilles. La prudence est de rigueur : "qui êtes-vous, monsieur, pour me poser des questions ? Déclinez votre identité", nous lance un des DJ, Kévin Arnaud, avant d’ajouter "nous ne sommes pas des policiers mais nous faisons désormais attention". Rassuré il nous confie qu’on ne se bouscule plus au portillon des maquis même si au fil du temps les choses sont en train de reprendre." Avant je vendais de 19h à 6 heures, mais maintenant, seuls les clients habituels sont là, on se connaît tous maintenant, car les étrangers ne viennent plus. Maintenant autour de 2 heures du matin il n’y a plus personne", relate Wangabou Ba Beri, tablier depuis 9 ans dans la zone. A 22 heures, le parking des deux roues et celui des voitures s’étoffe davantage, Kader Paré fait monter les décibels, créant une ambiance bon enfant : quelques client se trémoussent, les commandes de brochettes tendres et savoureuses fusent, la boisson coule à flots la serveuse redouble d’entrain surtout que les pourboires, même s’ils ne sont pas nombreux ni royaux, ne manquent pas. Nombreuses dans la zone, les chasseuses de mâles en chaleur prennent place, cigarettes dans une main un verre de bière dans l’autre reluquant d’un œil concupiscent les hommes qui vont et viennent. " Avant, ça marchait avec les étrangers, mais maintenant on se contente de ce qu’on a, car les gens n’ont pas l’argent", nous confie une péripatéticienne dans un mooré châtié. "Je suis un habitué du coin, et pour rien au monde, je n’arrêterai de venir ici, car la peur n’enraye pas le danger ; dans tous les cas, nous devons continuer de vivre jusqu’à ce que Bon Dieu décide du contraire", philosophe Casimir Sawadogo qui vient de vider sa première bouteille. A 1 heure du matin alors que nous quittons les lieux, l’ambiance est toujours au top, preuve que Kwamé N’krumah a fait mieux que résister à la terreur pour continuer de ...vivre



K.S. & F.Z.
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