Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Burkina Faso    Publicité
aOuaga.com NEWS
Comment

Accueil
News
Politique
Article
Politique

Pr Moussa Willy Bantenga : «Les Américains ont voté pour changer»
Publié le jeudi 10 novembre 2016  |  Sidwaya




Enseignant-chercheur au département d’histoire et archéologie à l’Université Ouaga1 Pr Joseph Ki-Zerbo, le Pr Moussa Willy Bantenga est spécialiste des questions migratoires. Il a enseigné pendant une quinzaine d’années l’histoire de l’Amérique, ce qui lui a permis de se documenter suffisamment sur ce continent. Mieux, il a publié deux articles sur l’Amérique. Le premier a porté sur les élites politiques aux Etats-Unis et la question de l’esclavage. Dans le second, il a essayé de voir dans quelle mesure l’histoire de l’Amérique pouvait être source d’inspiration pour l’Afrique. A la faveur de l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, Sidwaya l’a rencontré afin qu’il en en donne sa lecture.

Sidwaya (S.): Tous les pronostics avaient donné Hillary Clinton vainqueur de la présidentielle américaine avec une courte avance. A l’arrivée, c’est Donald Trump qui la remporte. Quel est votre commentaire ?


Pr Moussa Willy Bantenga (M.W. B) : Les sondages ne traduisent pas forcément la réalité. Les élections aux Etats-Unis ont toujours quelque chose de complexe. Même dans les sondages, il y a des marges d’erreurs. Et on estime que la marge d’erreur est généralement de 5%. Quand on observait les sondages sur la présidentielle américaine, l’écart ne valait pas 5%. Il était situé entre 3 et 4%. On peut expliquer la victoire de Donald Trump de plusieurs manières. Il y a eu une campagne très dynamique. Il y a également eu des directeurs de campagne et des conseillers en communication qui étaient très bien positionnés. Ce n’est pas forcément parce que Barack Obama a mal travaillé que Donald Trump a été élu. Au contraire, Obama a bien travaillé. Le constat est que les Américains sont dans la démocratie depuis plusieurs siècles et ils sont habitués au changement de présidents. Même quand vous avez bien travaillé, ils veulent changer pour avoir autre chose. C’est un élément très important à prendre en compte dans cette élection de Trump.
L’autre élément est que Donald Trump a, dans sa campagne, misé sur la grandeur de l’Amérique. Et cela a fait mouche au sein de l’opinion américaine. Il a, par exemple, proposé de rapatrier certaines industries aux Etats-Unis et de donner du travail aux Américains. Il est vrai que l’Amérique est actuellement en plein emploi, mais le fait qu’il dise ‘’l’Amérique aux Américains’’, ‘’l’Amérique d’abord’’ a eu un effet considérable dans les cœurs de certains de ses compatriotes.
Il y a aussi le fait que Donald Trump ait joué sur la peur. De plus en plus, les politiciens de l’Occident utilisent cette idée de peur pour se faire élire. Cela est vrai aux Etats-Unis et l’est plus ou moins en France. Il y a la peur de l’islam, la peur des autres et le repli sur soi. Et quand on voit le contexte mondial avec l’Etat islamique, la guerre en Irak, en Syrie et la percée de la Russie en Syrie, cela fait naturellement un peu peur à certains Américains. D’autant plus que pour la Syrie, ils ne voient pas bien comment l’Amérique avec Barack Obama a réussi à faire front et à tenir face à cette hégémonie russe en Syrie. Je crois que ce sont des éléments qui ont, sans doute, permis à Donald Trump de gagner l’élection.
Un élément qui est peut-être secondaire, c’est qu’Hillary Clinton est une femme. Il y a des machos aux Etats-Unis comme partout ailleurs et qui ne sont pas prêts à voter une femme pour l’instant. Cela est bien dommage. Sentimentalement on aurait voulu que cette dame puisse remporter la présidentielle pour que l’Amérique continue à donner l’exemple au monde.


S : Est-ce que le principe tacite de l’alternance Démocrates/Républicains au pouvoir a aussi milité en faveur de la victoire de Trump ?


M.W. B : Comme je l’ai souligné à l’instant, les Américains veulent le changement. Ce n’est pas parce que les Démocrates ont mal travaillé qu’ils ont élu un Républicain. Ils sont dans la dynamique du changement. Dans tous les cas, ils ont une structure démocratique déjà solide. Ils savent que les Républicains ne peuvent pas remettre fondamentalement en cause la structure de leur démocratie. Ils savent qu’en votant ces Républicains, ces derniers ne peuvent qu’ajouter quelque chose à leur démocratie et à leur nation. Tantôt ils vont chez les Démocrates, tantôt chez les Républicains. C’est ainsi qu’ils évoluent.
Ce qu’il faut aussi ajouter est que dans la démocratie américaine, ce n’est pas le suffrage universel direct qui est pris en compte pour l’élection du président. En réalité, les électeurs vont voter des grands électeurs. Et la formule veut que quand vous êtes majoritaire dans un Etat, vous prenez la totalité des grands électeurs de cet Etat. C’est pour cela que les candidats mettent beaucoup l’accent sur les Etats à forte population pour battre campagne, parce que c’est proportionnel à ce niveau. Quand l’Etat a une forte population, il a en même temps un nombre important de grands électeurs. Celui qui réussit à être majoritaire, même à 50,50%, prend la totalité des grands électeurs de cet Etat. Ce qui fait que parfois, un candidat peut l’emporter si c’était au suffrage universel direct, mais à cause du système américain de grands électeurs, il n’arrive pas à le faire.


S : L’élection de Donald Trump à la présidence américaine ne va-t-elle pas bouleverser la géopolitique internationale ?


M.W. B : Dans l’ensemble, je ne vois pas grand-chose qui va être changé puisque les Américains ont une structure démocratique bien solide. Il y aura certainement des nuances. Même les promesses de renvoyer les migrants chez eux, il ne pourra pas le faire. C’était juste un message de campagne et il ne sera pas à mesure de l’appliquer. Il va apporter des touches personnelles et républicaines, mais fondamentalement, grand-chose ne va pas changer.
Il est vrai que parfois en Afrique, on a peur des Républicains parce qu’on voit en eux des va-t-en-guerre, qui voient d’abord l’Amérique et qui aident peu les pays en développement. Mais il faut nuancer ces positions parce que si vous prenez le cas du Burkina Faso avec son Millenium Challenge Account, c’est bien les Républicains qui nous avaient permis de l’avoir. Et cet appui a duré dix ans. Je ne pense pas qu’il y aura des changements fondamentaux, sauf quelques nuances et des touches inhérentes à l’idéologie républicaine qui est néolibérale. Donc, il faut comprendre cela et voir comment négocier fortement avec ces nouveaux dirigeants, sachant que ce sont des néolibéraux. Il va falloir mettre beaucoup plus l’accent sur l’individu, le capitalisme et le succès individuel.


S : N’allons-nous pas assister comme sous l’ère Bush à des théâtres de conflits avec M. Trump ?


M.W. B : Il faut reconnaître quand même que sous l’ère Bush, l’Amérique avait été attaquée. Et c’était la première fois que l’Amérique était attaquée de cette façon. De ce fait, l’argument était solide pour aller en guerre. Maintenant, de nos jours, l’argument est peut-être l’Etat islamique. Je crois que les Américains sont déjà en lutte contre l’Etat islamique d’autant plus qu’on note leur présence en Irak. Ils aident les Irakiens et les Kurdes à combattre l’Etat islamique. Donald Trump va peut-être renforcer cette présence.
Mais ce qui est à noter avec Trump, c’est que contrairement à Barack Obama, lui, il pense qu’il faut discuter avec les Russes, faire alliance avec eux pour combattre l’Etat islamique. Il pense que le premier ennemi est l’Etat islamique alors qu’Obama est plus nuancé à l’instar des Européens. Ces derniers pensent que l’Etat islamique est mauvais, Bachar Al-Assad l’est également et il faut faire partir les deux. Je pense que Donald Trump est beaucoup plus réservé sur le départ de Assad et met plutôt l’accent sur la fin de l’Etat islamique.


S : Le nationalisme prôné par Trump ‘’America first’’ durant sa campagne est-il possible sous l’ère de la mondialisation ?


M.W. B : Cela fait partie de l’histoire des Etats-Unis. On l’a vu dans les livres d’histoire, les Etats-Unis ont toujours prôné l’isolationnisme. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Ils l’ont toujours prôné, mais en même temps si le nouvel élu veut présenter les Etats-Unis comme le modèle du monde, le gendarme du monde, il est obligé de regarder les affaires du monde. S’impliquer dans les affaires du monde veut dire regarder les richesses du monde et soustraire une partie de ces richesses au profit des Etats-Unis. Mais après tout, qui ne défendrait pas son pays. Tous les présidents du monde, en Afrique tout comme en Europe, défendent les intérêts de leurs pays. Trump n’a fait que dire un élément qui est connu d’avance. Si je prends le cas de Barack Obama, beaucoup d’Africains ont pensé qu’il allait multiplier par X les appuis de l’Amérique en Afrique. Mais on a vu qu’il n’a presque rien fait pour l’Afrique. Tout simplement parce qu’il est président des Etats-Unis et il défend d’abord les intérêts des Américains. Il était encore dans une situation plus délicate parce qu’en tant que Noir, s’il apportait plus à l’Afrique, c’est toute l’opinion américaine qui allait se retourner contre lui.


S : Les Latino-Américains et les Afro-Américains ont-ils vraiment à craindre avec Donald Trump comme président ?


M.W. B : Non ! Ils n’ont pas à le craindre sauf qu’il faut attendre un peu pour bien décortiquer ces élections en termes de pourcentage pour voir si les Noirs et les Latinos l’ont voté. Il est vrai que ces deux groupes ont tendance à voter pour les Démocrates et cela marche quand ils sont véritablement mobilisés. Il s’agit maintenant de savoir s’ils étaient mobilisés cette fois-ci pour voter Hillary Clinton.
L’autre aspect est qu’il faut faire une différence au sein des Latinos. Nous avons les Latinos cubains qui ont tendance à voter les Républicains. Dans ce cas précis, ils vont encore beaucoup se mobiliser pour les républicains, sachant qu’Obama a ouvert actuellement les portes de l’Amérique à Cuba et vice versa. Donc, ils lui en veulent terriblement et par ricochet aux Démocrates. Ce qui fait qu’ils ont voté Trump qui est républicain.
Pour le cas des Noirs, il va falloir attendre d’analyser pour voir s’ils s’étaient mobilisés pour voter Hillary Clinton. Par ailleurs, le pourcentage des Noirs est relativement moins élevé.


S : Comment entrevoyez-vous les relations entre les Etats-Unis et l’Afrique sous l’ère Trump ?


M.W. B : Actuellement, tout le monde court derrière l’Afrique et les Etats-Unis ne vont pas rester à l’écart. Partout dans le monde, c’est en Afrique qu’on voit des taux de croissance élevés. Tout est à construire en Afrique. Les Etats-Unis ne vont pas laisser les Japonais, les Chinois, les Européens, les Indiens et les Turcs venir ramasser le gâteau en Afrique. Ils vont plutôt batailler pour y avoir leur place.


S : Quel commentaire faites-vous de son premier discours après sa victoire ?


M.W. B : Je ne l’ai malheureusement pas écouté.


S : Il a parlé de rassemblement…


M.W. B : Généralement, les campagnes électorales sont très dures avec des mots très méchants aux Etats-Unis. Mais une fois élu, Donald Trump est devenu le président de tout le monde. Il n’est plus seulement le président des républicains. Il cherche à rassembler pour montrer qu’il est un président fédérateur, à l’écoute, ayant une vision, un président engagé, déterminé et qui défend les intérêts de son peuple.


S : L’on assiste depuis un certain temps à la montée des partis d’extrême droite en Occident. Qu’est-ce qui peut expliquer ces tendances ?


M.W. B : C’est la scène internationale. Mais en ce qui concerne les Etats-Unis, il faut nuancer. J’ai l’impression que Trump ne sort pas du moule de la Tea Party. La Tea Party est un groupe qui a fait parler de lui ces dernières années aux Etats-Unis. C’est un parti d’extrême droite qui pense que les Noirs-Américains ne sont pas Américains. Or Trump n’est pas sorti de ce moule. Il est un homme d’affaires qui a des contacts, un carnet d’adresses. Même s’il a une ignorance des affaires mondiales, il pourra sans doute, avec ses conseillers, faire marcher la machine administrative et politique américaine.


S : Donald Trump ne va-t-il pas remettre en cause certains acquis sous Barack Obama, notamment le Obama Care et les accords de Paris sur le climat ?

M.W. B : Il peut sans doute faire de petites retouches. Surtout qu’aux Etats-Unis, ce sont les lobbys qui marchent. Mais, est-ce qu’il pourra franchir le pas au risque que les Etats-Unis soient pointés du doigt par le reste du monde comme étant le pays qui ne respecte pas les règles? Ils veulent se montrer comme étant le modèle. Donald Trump peut faire quelques retouches, mais je ne pense pas qu’il puisse fondamentalement remettre en cause les accords de Paris sur le climat. En ce qui concerne les questions sociales aux Etats-Unis, on verra. Est-ce que Barack Obama a pu réellement faire appliquer cette mesure ? Si l’Obama Care n’a pas été véritablement appliqué, Trump peut faire un retour en arrière. Mais il va surtout écouter le peuple. S’il sent qu’il a vraiment besoin de ces mesures sociales, il va être obligé de les appliquer. S’il se rend compte qu’elles n’intéressent pas grand monde, petit à petit, sans les remettre en cause, il mettra sans doute des dispositifs pour marginaliser un peu ces mesures.


S : Barack Obama est à la fin de son mandat. Comment jugez-vous son bilan ?


M.W. B : Il a un bilan très positif. En ce moment, aux Etats-Unis, c’est le plein emploi. Le pays a une meilleure image actuellement à travers le monde. En plus, Barack Obama a été le premier Noir président des Etats-Unis. Il a fait rêver de nombreux Américains du fait qu’il ait une bonne prise de parole, qu’il ait pris de bonnes mesures et formé un bon tandem avec sa femme. Sur le plan international, il a réussi à débloquer une situation d’un demi-siècle entre les Etats-Unis et Cuba. Même s’il est vrai qu’il n’a pas pu faire avancer le problème palestinien. De même, l’on sent moins la présence américaine sur certains théâtres comme la Syrie et l’Irak. Surtout en Syrie où il a laissé la place aux Russes. Il a été mis en erreur, je le pense, dans l’affaire du bombardement de la Lybie qui fait qu’actuellement, tout le Sahel est en difficulté. Alors, l’Europe est aujourd’hui obligé d’accueillir des dizaines de milliers de personnes d’Afrique et d’ailleurs. Ce sont des erreurs que Obama lui-même a reconnues. Son bilan est positif. Et les Américains n’ont pas voté républicain pour sanctionner, mais pour changer.


Propos recueillis par
Karim BADOLO
Commentaires