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Construction de l’échangeur du Nord : les commerçants prennent la bretelle « Fermer »
Publié le dimanche 11 septembre 2016  |  L`Observateur Paalga
L’échangeur
© Autre presse par DR
L’échangeur du Nord.




Grand projet d’aménagement urbain de Ouagadougou, l’échangeur du Nord, dont les travaux ont été officiellement lancés le 26 novembre 2015, impacte la vie des riverains. En plus des désagréments occasionnés par le blocage de certaines voies, beaucoup de commerçants, contraints ou pas, plient bagages.

C’est sous les vrombissements d’un bulldozer, non loin de là, que nous avons rencontré Alassane Sakandé, la soixantaine, la barbe bien blanche et bien fournie. Assis devant sa boutique, du moins ce qu’il en reste, et contemplant le vide devant lui, il semble perdu dans ses pensées. Autrefois, cette zone qui jouxte la gare de Tampouy était très animée. Les petites échoppes, les boutiques et les marchands ambulants qui squattaient les lieux faisaient le bonheur des usagers de la gare et des riverains de cette portion de l’avenue Yatenga. Mais en cette matinée du 10 août, le décor est tout autre: l’exiguïté d’antan a laissé place au vide, et le brouhaha des marchandages mêlé au bruit des motos sur la voie a fait place à un silence qu’interrompent parfois les vrombissements des engins à l’œuvre. Tout comme sur ce périmètre, beaucoup de commerçants ont été déguerpis pour la réalisation de cet échangeur dont on dit qu’il sera l’un des plus grands de notre sous-région. Ceux qui n’ont pas été sommés de quitter les lieux préfèrent s’en aller d’eux-mêmes. En effet, le blocage de certaines voies crée à certains endroits des îlots perdus de boutiques difficilement accessibles à la clientèle. C’est le cas de l’échoppe d’Alassane Sakandé. Il a vu son commerce de mobilier décliner depuis mai 2016. « Ça fait dix jours que je n’ai rien vendu pourtant je dois nourrir ma famille », se plaint-il. Tout comme son voisin, El Hadj Souleymane Sawadogo, réparateur de montres, il est gagné par la fatalité : « Je me confie à Dieu », affirme-t-il.

Un mois plus tôt, ces commerçants ont reçu une visite qui allait tout changer. « Ceux qui construisent l’échangeur sont venus nous voir et ils nous ont dit qu’ils allaient devoir détruire nos hangars pour les besoins des travaux. On devait juste enlever les hangars sans toucher aux boutiques», explique Souleymane Sawadogo. Ils se sont donc exécutés et chaque locataire a reçu environ 200 000 F CFA pour enlever son hangar. Mais selon les commerçants, quelque temps après, l’ONATEL les a informés qu’il souhaiterait faire passer ses fibres sous leurs boutiques. Le bureau d’études leur a alors proposé une alternative : quitter définitivement les lieux ou permettre le passage de la fibre dont le drain pourra être bouché plus tard, gardant intactes les boutiques. Dos au mur, et après concertations, les marchands ont opté pour la première proposition d’autant plus qu’il serait inutile pour eux de rester, compte tenu du blocage de la voie, sans oublier l’insécurité. «Nous n’avons plus de vigiles pour garder nos boutiques et une fois la nuit tombée, nos échoppes sont plongées dans le noir », s’inquiète Souleymane Sawadogo. En prélude à leur possible déguerpissement, ces marchands affirment avoir cherché place ailleurs mais disent avoir été confrontés à des conditions de location inabordables. Au moment où nous les avions rencontrés, ils étaient toujours dans l’attente d’un possible dédommagement, qu’ils espèrent conséquent, avant de partir. Les locataires des boutiques communales avouent toutefois être plus chanceux que leurs anciens voisins tabliers et propriétaires de kiosque, lesquels auraient été sommés de quitter les lieux sans désintéressements. Beaucoup se retrouvent ainsi privés de leurs moyens de subsistance.

« … on va dire que tu es contre le développement »

Non loin de là (Ndlr : Il faut tout de même faire un grand détour pour y accéder), Ali Kaboré, le propriétaire d’une alimentation, ne sait plus à quel saint se vouer. Installé depuis 2011, il a constaté amèrement une baisse vertigineuse de son chiffre d’affaires depuis un mois. Lorsque nous le rencontrions, il était en discussion avec un de ses fournisseurs qui essayait de lui vendre son produit. « J’ai un trop grand stock de sacs de riz que je n’arrive pas à écouler, ce n’est donc pas la peine », expliquait-il impuissant à ce dernier qui est reparti sans avoir obtenu gain de cause. Le commerçant se plaint de n’avoir pas été informé par l’entreprise de construction alors que la voie est bloquée juste à hauteur de son alimentation. « Jamais personne ne m’a dit quoi que ce soit alors que je suis touché directement, ce n’est pas bien », déplore-t-il avant d’ajouter : « Lorsque j’entre en contact avec l’entreprise, on me dit d’aller à la mairie.» Mais ce qui le désole le plus, c’est qu’il n’a pas été dédommagé de l’impact des travaux sur ses affaires. A l’en croire, il y a à peine un mois qu’il a dû jeter environ 1 800 000F CFA de marchandises périmées. « Avant je pouvais vendre 1million par jour mais actuellement je vends autour de 100 000 F », poursuit-il. Ali Kaboré est désormais résigné : «Si tu veux parler, on va dire que tu es contre le développement ; l’échangeur, c’est bien mais il faut penser aux riverains.» Confronté à la baisse de son chiffre d’affaires, il affirme qu’il sera obligé de licencier au moins dix de ses quinze employés. « Je dois payer les salaires, le loyer, l’électricité. Si ça continue, je risque de fermer». Partir sans rien recevoir en retour, certains ont déjà franchi le pas ; c’est le cas de beaucoup de ses voisins qui, comme l’alimentation, ne font pas partie du champ des travaux mais sont impactés indirectement.

C’est le prix à payer…

Pour comprendre le processus de déguerpissement et ce deux poids deux mesures, nous avons rencontré le bureau de contrôle des travaux, AGEIM, le 26 août 2016. Selon Issiaka Zio, l’expert en plan d’action et de réinsertion, dès 2012, l’entreprise a réalisé une étude d’impact environnemental et social en vue de prendre en compte les préoccupations des personnes affectées par le projet. Cette étude, validée par le ministère des Infrastructures, a permis de recenser les commerçants installés sur l’aire des travaux, qui est d’environ 58 ha. Cela prend en compte les besoins de concessionnaires tels l’ONATEL et regroupe à la fois des domaines publics et privés. Mahaman Ouédraogo, chef du bureau de contrôle sur le chantier, tient toutefois à préciser que « l’installation sur les emprises publiques est encadrée et autorisée par la mairie». S’agissant des commerçants installés sur le domaine public, le chef du bureau de contrôle rappelle, en effet, que les boutiques qu’ils occupent le sont à titre temporaire. « Dans le contrat de location, il est bien mentionné que dès le premier besoin d’aménagement, l’Etat peut récupérer les lieux sans aucune compensation », ajoute Mahaman Ouédraogo, qui rappelle que l’échangeur a été déclaré d’utilité publique par le gouvernement.

Mais selon lui, pour des « questions de civilité», le maître d’ouvrage a estimé qu’il fallait accompagner les commerçants déguerpis sur la base d’une évaluation immobilière. « Il ne s’agit pas d’un dédommagement mais plutôt d’un accompagnement », précise le chef du bureau de contrôle, qui ajoute que le dédommagement est fait au profit des propriétaires privés pour lesquels l’évaluation est toujours en cours.

Pour les autres commerces qui ne font pas partie de l’emprise des travaux mais sont tout aussi impactés, aucune mesure n’est prévue. « Les travaux de l’échangeur du Nord ont une incidence directe ou indirecte sur environ 800 000 personnes. Nous ne pouvons pas avoir de traitement de faveur pour chacune d’elles mais nous travaillons à minimiser cet impact, car nous comprenons la détresse des uns et des autres », reconnaît Mahaman Ouédraogo. Issiaka Zio, l’expert en réinsertion rappelle que lorsque l’échangeur sera achevé, ceux qui ont été impactés par les travaux pourront faire fructifier leurs affaires, alors que les commerçants déguerpis ne pourront plus occuper leurs anciennes boutiques. En attendant donc l’achèvement des travaux dans trois ans, le calvaire se poursuit pour beaucoup de commerçants.

Hugues Richard Sama

Le bonheur des autres

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Certains commerçants, notamment les restauratrices installées autour de la base technique du projet, se frottent les mains. Elles ont repéré le filon et offrent un service de proximité aux ouvriers de l’échangeur qui, chaque midi, convergent vers les différentes gargotes. Ce qui n’est pas sans réjouir « Tantie Sala », qui propose une variété de mets à ses clients, avec qui elle est devenue familière. Ancienne vendeuse de fruits, après avoir été contrainte d’abandonner son commerce pour raison de déguerpissement oblige, elle s’est reconvertie dans la restauration. Et le moins que l’on puisse dire est qu’elle est satisfaite de sa nouvelle activité.
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