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Prostitution à Bobo-Dioulasso :Ça tourne bien dans les chambres de passe
Publié le mercredi 31 aout 2016  |  Sidwaya




Les chambres de passe, hauts-lieux du commerce de sexe, poussent comme des champignons à Bobo-Dioulasso. Dans les débits de boissons et des concessions anonymes, dans les quartiers périphériques tout comme au centre-ville, c’est toute une chaîne d’activités lucratives qui ne profitent pas qu’aux seules prostituées. Les tenanciers de ces espaces, les agents de la cellule des stupéfiants et mœurs, les services des impôts, tirent aussi leur épingle du jeu.

Mercredi 3 août 2016, le soleil est au zénith quand nous arrivons au maquis SB, situé à Sikasso-sira, au secteur n°8 de Bobo-Dioulasso. C’est dans ce quartier qui se trouve en plein cœur de la ville que les jeunes ont organisé «une battue» pour en découdre avec de supposés gays résidant dans le secteur. Devant la porte du maquis, un jeune rôtisseur du nom de MS vend du porc au four. Les riverains, préoccupés par leurs activités quotidiennes, remarquent à peine ou feignent d’ignorer quelques «clients» venus chez les prostituées pour se «libérer» en ce midi. Pour mieux comprendre, nous engageons une causerie avec MS, le rôtisseur. Posté au même endroit chaque jour, il ne perd rien de ce qui se passe autour de lui. Des filles de joie et leurs «clients», il en voit chaque jour, ce qui lui fait dire qu’il y a des filles pour les hommes qui ont de l’argent. Est-il tenté de s’offrir lui aussi une partie de plaisir avec ces filles ? La main sur le cœur, il jure presque : «J’ai 18 ans mais je ne veux pas entrer là-bas». Des paroles qu’il prononce en cachant son visage, tel un gamin, avec ses deux mains. Nous prenons congé de lui pour aller à l’intérieur. Là, on y voit quelques clients. Sous un hangar, nous apercevons une fille en pourparlers avec un homme. A la caisse, nous demandons à voir le gérant. «Si c’est le maquis c’est moi, mais si ce sont les filles, il faut voir D.O.», répond un jeune qui dit s’appeler F.K. Il hèle sur le champ ce dernier. D.O. se montre aussitôt et ne se fait pas prier pour nous fournir des informations sur son activité. «Ici, il y a des filles de trois nationalités : une vingtaine de Burkinabè, une vingtaine de Nigérianes et pas plus de quatre Maliennes», indique-t-il. Chacune d’elle doit verser 500 F CFA par passage, c’est-à-dire dès qu’elle entre dans la chambre avec un client. Sans gêne aucune, il nous montre l’intérieur des cinq chambres dont la peinture des murs est délavée et crasseuse. Un lit à deux places couvert de drap et une chaise servant de porte-manteau pour les clients est posée non loin. Dans la douche, est posé un seau d’eau. Un autre plus petit se trouve à côté de la chaise. Et avant même que la question ne lui soit posée, D.O. clarifie : «C’est dans ce seau que les clients jettent les préservatifs une fois fini». Changez-vous les draps ? Réponse: «Souvent. Mais les filles ont un pagne avec elle. Elles l’utilisent quand elles ont un client». Autrement dit, les clients se couchent sur les mêmes draps ou sur les mêmes pagnes.

Du sexe en plein midi

Les minutes de conversation que nous avons avec D.O. semblent une éternité pour un client impatient. Debout et d’un air livide, il nous regarde et semble être gêné par notre présence inopportune. Peu après, il sort et revient aussitôt chercher une fille, petite de taille et filiforme, assise sur un banc. Les deux nous dépassent pour pénétrer dans une chambre. Ici, même en plein jour, le service fonctionne, nous dit D.O., le gérant. En un laps de temps, deux autres clients arrivent et la même fille leur «rend le service» avant de regagner le banc et s’asseoir, comme si de rien n’était. Elle n’est visiblement pas gênée! Pour ne pas la déranger, nous demandons à échanger avec une autre prostituée. Sans hésiter, D.O. appelle pour nous S, une jeune fille. En la voyant, nous nous apercevons que c’est celle que nous avions vue à l’entrée, sous le hangar. Engagée dans une causerie avec nous, elle avoue que son client, tombé sous son charme, la veut en mariage. S. est une Nigériane mais née d’une mère burkinabè qui serait allée faire le commerce au Nigéria. Mère de deux filles, elle dit les avoir prises avec elle, abandonnant son concubin à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Son projet était de venir faire le commerce d’ustensiles comme les plats, les seaux, les louches…en plastique à Bobo-Dioulasso et de s’occuper de ses deux filles. «La première a eu son CEP cette année, la deuxième fait le CE2», nous explique la maman de 28 ans qui dit poursuivre son commerce. Selon elle, c’est dans la quête d’un mieux-être pour ses enfants qu’elle s’adonne à la prostitution. «Cela fait trois ans que j’exerce ce métier. C’est une camarade qui m’y a invitée pour avoir plus d’argent et cela m’a aidée. Le premier jour, j’ai eu honte. Maintenant, je suis habituée. Je paie ma maison, je nourris bien mes enfants et je gagne bien ma vie», explique-elle avant de détailler : «Par jour si j’ai bien travaillé, je peux gagner 10 000 à 15 000 F CFA. Je prends 2 000 F CFA sans me déshabiller et 2 500 F CFA lorsque je me déshabille».

Quartiers de bonnes affaires

Même si certains "mordus" du sexe se font "servir" en plein midi, c’est beaucoup plus la nuit que ces lieux se métamorphosent en de véritables centres d’affaires. L’abondance de l’offre et la croissance de la demande ont fait passer le nombre des chambres de passe à Bobo-Dioulasso du simple au double, voire plus. D.O. donne des chiffres : «il y a 3 à Koko, 3 à St Etienne, 3 à Ouezzin-ville, 4 au secteur 21, 2 au secteur 25, 4 à Bindougousso et 2 à Sarfalao». A 21 chambres de passe, certains diront que c’est déjà beaucoup. Mais une source policière nous fait comprendre plus tard qu’il en existe 33, chiffre qui pourrait doubler si les données venaient à être réactualisées. La raison est que des hôtels figurent parmi les sites recensés, et aussi des concessions anonymes qui se transforment du jour au lendemain en «maisons de joie». Inutile donc de dire que cette activité rapporte gros aux tenanciers. «Le nombre de filles augmente parce qu’il y a de plus en plus de nouveaux visages. Avec 40 000 F CFA par jour, je peux dire que je gagne un peu mais je trouve que ce n’est pas assez», déclare DO sur un air de désolation. Sur ses indications, nous nous rendons à "Petit Paris" pour voir une autre chambre de passe, dans le même secteur. Il s’agit d’une cour anonyme, située à proximité du chemin de fer. A l’intérieur, il y a un gros manguier sous lequel nous trouvons le gérant, PS, assis sur une chaise. Sous l’auvent, trois filles sont assises. Une d’entre elles se lève et entre dans la maison. Les deux autres avec lesquelles nous avons échangé sont des Burkinabè : DS et SK. Venues faire fortune dans ce business lucratif, elles sont prêtes à offrir du "bon temps" aux clients pour 3 000 et 5000 F CFA, si le client les veut déshabillées. Dans cette activité, il y a parfois de bonnes surprises. SK nous fait savoir qu’un client lui a déjà offert 50 000 F CFA. Elle explique les circonstances : «Le type m’a amenée à l’hôtel pour 15 000 F CFA. Le matin mon téléphone a sonné et j’ai décroché. Il m’a demandé pour savoir qui est mon interlocuteur. Je lui ai dit que c’est ma fille. Il a pris le téléphone et a fait comprendre à ma fille qu’il est son oncle». L’homme en question a donné en plus 50 000 F CFA à SK, qu’elle a envoyés à sa fille. Ce fut une chance pour elle, car elle avait menti à son mari à Ouagadougou qu’elle partait faire du commerce à Bobo-Dioulasso. Mais en fait, cette mère de deux filles est venue se prostituer pour avoir de l’argent pour payer la scolarité de ses deux filles. «Je paie chaque année 300 000 F CFA pour la scolarité des deux filles qui sont au lycée. Sinon, vous ne pensez pas que c’est une abomination de se vendre aux hommes ?», dit-elle. Dans cette chambre de passe anonyme, pour chaque passage, les filles paient 1000 F CFA au gérant PS qui dit gagner 40 000 F CFA au moins par jour comme DO. De "Petit Paris", cap est mis sur une auberge située au centre-ville. Une cour banale dans laquelle sont érigées 10 maisonnettes, simplement crépies. Là également, les filles paient à chaque passage 1 000 F CFA. Le gérant MH déclare une recette de 30 000 à 35 000 F CFA les jours ordinaires et plus de 50 000 F CFA les vendredis et samedis.
Dans cette auberge, nous rencontrons une guinéenne : FK, 28 ans. Elle vit dans cette auberge depuis plus d’une année et paie le loyer à 5 000 F CFA par jour, soit 150 000 F CFA par mois. C’est une maison communément appelée «entrer-coucher» qui fait office de bureau. Le client qui n’a pas besoin qu’elle se déshabille totalement paie 3 000 F CFA. Ceux qui la veulent nue déboursent entre 4 000 et 5000 F CFA. A la question de savoir si elle arrive à payer régulièrement son loyer, elle répond: «Si je n’ai pas d’argent, je m’arrange avec le gérant» répond-elle. Celui-ci confirme cet arrangement qui consiste à attendre que la fille ait suffisamment d’argent pour rembourser sa dette.
FK partage ce lieu avec trois autres filles. Après cette auberge, nous nous rendons au maquis le N., un autre lieu de prostitution de 8 chambres. Le propriétaire du lieu, PS nous indique qu’il s’occupe uniquement du maquis. Les chambres sont sous-louées à FM. «Par mois, il me paie 150 000 F CFA et c’est tout», nous dit-il. BH, un employé nous donne des informations sur le gain journalier qui peut atteindre 35 000 F CFA.

La Gendarmerie du trésor et ses 10 000 F CFA par mois

Les chambres de passe ne profitent pas seulement qu’aux filles et aux tenanciers, mais aussi à un service et pas n’importe lequel : la cellule des mœurs et stupéfiants de la gendarmerie, logée dans l’enceinte de la trésorerie régionale des Hauts-Bassins. Des tenanciers ont déclaré verser chaque mois de l’argent à cette cellule. «Nous payons 10 000 F CFA par mois, sans reçu», indique DO. Une information confirmée par MH de l’auberge. Les 10 000 F CFA, c’est lui qui va les payer à la même brigade de gendarmerie. Un autre gérant du maquis le H., qui a demandé l’anonymat, nous a fait savoir qu’il paie 10 000 F CFA à la gendarmerie. Laquelle ? Il tergiverse, et nous fait savoir que peu importe. Pour lui, c’est une façon de bénéficier d’un regard particulier de ce service. Pour nous en convaincre, nous avons accompagné l’un d’eux à la gendarmerie pour s’acquitter de la «taxe». Ce jour 5 août 2016 vers 11h, nous sommes entrés au poste de gendarmerie.
Après un salut à l’agent, notre compagnon a tenté de monter l’escalier. «Où vas-tu comme cela ?» demande le gendarme. Finalement, ce gendarme a compris et nous sommes montés ensemble au premier étage, au premier bureau, à droite. Devant la porte il est écrit : «Cellule de stupéfiants et mœurs.» A l’intérieur, un agent (un gradé), nous reçoit. Notre compagnon lui tend l’enveloppe contenant le billet de 10 000 F CFA, sans rien dire. L’agent se renseigne sur le nom de la chambre de passe avant de rappeler qu’il n’est pas passé le mois dernier. Le gérant fait savoir que son patron avait pourtant promis de passer régler. L’agent appelle un autre (probablement son chef), pour avoir des informations sur les arriérés de la chambre de passe. Comme le haut-parleur du téléphone est activé, nous écoutons la conversation. L’autre au bout du fil hésite entre deux ou trois mois. Finalement, il convient qu’il s’agit d’un mois d’arriéré. Il demande à parler à notre compagnon et lui fait savoir que s’il ne vient pas régler le reliquat, «il va gâter le week-end». Ce dernier prend bonne note et promet d’informer son patron. Une fois hors de la cour, il nous explique que s’il ne vient pas payer, le week-end, les gendarmes peuvent passer ramasser tous ceux qui sont dans l’auberge et que chacun va payer comme contravention 6 000 F CFA, le demi-tarif.

«Il faut légaliser la prostitution»

La prostitution au Burkina Faso n’est pas légalisée. Elle n’est pas non plus punie, sauf le racolage, selon le code pénal du pays. Selon son article 423, «Est puni d’un emprisonnement de 15 jours à deux mois et d’une amende de 50 000 à 100 000 F CFA ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque se livre habituellement à la prostitution par racolage sur la voie publique». Mais les filles de joie bénéficient d’un accompagnement des services de l’Etat. Il y a par exemple le service d’hygiène, où la clinique «Yérélon» (se connaître en Dioula) reçoit les travailleuses du sexe pour des tests afin de s’assurer qu’elles ne sont pas malades. S. nous montre son carnet. Cette fille dit apprécier ce service qui leur donne des conseils pour éviter de tomber dans un piège sans fin. «Nous ne couchons pas avec un homme sans préservatif. Quel que soit le prix. Nous ne partons pas non plus aux domiciles des clients», fait-elle savoir. Comme elle, SC rencontrée au maquis le N., nous fait comprendre que le test au service d’hygiène est capital pour son métier. «Si un client me propose un rapport sans préservatif, je lui dis que son avenir est derrière lui. Sinon, comment peut-on venir risquer sa vie ainsi dans une chambre de passe ?», se demande SC. Andy Charity est une médiatrice à la clinique «Yérélon» depuis 1998. Cette dame, trapue, foulard sur la tête, n’avait pas le temps dans la matinée du lundi 8 août 2016, pour échanger avec nous, tellement il y avait du monde.
Dans l’après-midi, elle nous a expliqué que les filles qui sont dans cette activité dépassent le millier. Il y a des Burkinabè, des Sénégalaises, des Maliennes, des Nigérianes. Selon elle, les travailleuses du sexe deviennent de plus en plus nombreuses. Et la cause, dit-elle, c’est le manque d’emploi. Andy penche même pour la légalisation de l’activité, quitte à ce que les travailleuses de sexe paient l’impôt. Elle va jusqu’à faire une mise en garde : «Si on met fin à la prostitution, le nombre de viols va augmenter au Burkina Faso». Encore faut-il que les mentalités changent et admettent cette pratique comme toute autre activité dans la société burkinabè. En effet, une chambre de passe a déjà subi la furie des habitants au secteur n°21. Ceux-ci l’ont simplement incendiée.

Rabalyan Paul OUEDRAOGO


Esclaves de proxénètes

Parmi les Nigérianes qui pratiquent la prostitution, certaines sont des esclaves de proxénètes. B, une jeune fille de 25 ans que nous avons rencontrée, a réussi à s’échapper. Elle confectionnait des chaussures pour hommes et femmes, quand une dame est venue lui proposer un emploi au Burkina Faso. Informée, sa mère l’a laissée partir.
Malheureusement pour elle, au bout de ce départ entouré de rêve et de promesses, il n’y a eu que calvaire et déception. Voici ce qu’elle nous a raconté : « Arrivée à Ouagadougou, la dame m’a vendue à une autre. Cette dernière m’a donnée une petite culotte le soir et des préservatifs. Je demande, c’est pour faire quoi? Elle répond que c’est mon travail qui a commencé. Que je dois travailler et la rembourser. J’ai refusé. Elle a dit qu’elle va me rendre folle. Elle a même tenté de me donner du médicament et nous nous sommes battues. Je lui ai dit de me laisser tranquille et j’ai pris l’engagement de payer jusqu’à 1 million 200 mille F CFA. J’ai fini et j’ai quitté la dame pour venir à Bobo-Dioulasso. » En partant, B. dit avoir pris une autre Nigériane qu’elle appelle sa petite sœur. Elle fait savoir que cette fille est également venue par le même circuit mais est encore très petite pour se prostituer.

R.P.O.


Des taxes pour un métier illégal

Les gérants des chambres de passe paient eux aussi des impôts. Le maquis SB qui dispose de cinq chambres, a payé 50 000 F CFA pour toute l’année 2016. Le propriétaire du maquis le N., PS dit payer 80 000 F CFA par an comme impôt à la division fiscale de Dafra. MH de l’auberge, lui, nous raconte que l’impôt est payé par sa tante, la propriétaire des chambres de passe. L’intérimaire du chef de service assiette (CSA) Karim Ouérémi, a fait comprendre que toute activité qui procure des revenus est imposable, qu’elle soit légale ou illégal, en référence au code des impôts.

R.P.O.
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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