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Enfants incestueux dans la région du Nord : la traque mortelle des fruits du "wibdo"
Publié le vendredi 19 aout 2016  |  Sidwaya




Les familles qui ont le «malheur» d’avoir un enfant incestueux, tentent par tous les moyens de le dissimuler ou de l’éliminer. Dans la province du Passoré et ses environs, ces enfants sont souvent destinés à une mort programmée par leurs proches. Sidwaya brise le silence ...

Dieudonné, 13 ans, est élève en classe de CE2 à l’école primaire de La-todin, localité située à 25 km à l’Ouest de Yako, chef-lieu de la province du Passoré. Vêtu d’une chemise à carreaux et d’une culotte kaki, il affronte, les pieds nus, Adama, visiblement plus âgé, lors d’un match de football. Il est 16h30, ce lundi 30 mai 2016. Nous sommes dans la cour d’une famille d’accueil gérée par Koudpoko Kiébré, âgée d’une soixantaine d’années. Les deux garçonnets s’adonnent à cœur joie au jeu, en témoignent quelques éclats de rires qui accompagnent les mouvements de la balle. Mais derrière cette joie, se cache une triste réalité. Né d’une relation incestueuse entre un frère et sa sœur, Dieudonné ne connaît ni son père, ni sa mère. La tendre enfance, il l’ignore. «Son cas relève plutôt du miracle», confie Mme Kiébré. Elle raconte que dès sa naissance à Yakin, village situé à une cinquantaine de km à l’Est de Yako, Dieudonné a d’abord été abandonné par ses oncles en pleine brousse. Car, explique-t-elle, il ne peut rester dans la concession familiale sous peine, selon la tradition locale, d’attirer le malheur dans la famille. Là-bas, une dame le retrouve, enfoui dans les feuillages, et le ramène chez elle. Informés, les proches de Dieudonné vont à sa recherche, le retrouvent, l’arrachent des mains de son «sauveur», le gavent de décoctions mortelles, et le reconduisent en brousse. Ils l’attachent, cette fois-ci, à un arbre. Au pied de l’arbre, ils déposent un mélange de poudre à canon et de munitions, et du feu devant provoquer une explosion qui causerait sa mort. Fort heureusement, «l’instinct maternel guida sa mère jusqu’au lieu du crime. Elle le sauva de justesse et le ramena chez moi», se souvient Koudpoko Kiébré. Le seul péché de Dieudonné est d’être né d’une union contre-nature entre sa mère Irène et son frère Jacques. Dieudonné, lui, ne retient de sa mésaventure que des bribes d’informations entendues ça et là. «On m’a amené en brousse pour que je meure. C’est tard dans la nuit qu’une femme est venue me chercher», dit-il. Nous n’aurons pas la version des deux parents, car le papa de Dieudonné vit en Côte d’Ivoire et sa sœur cadette s’est mariée à Kindi, village situé dans la province du Boulkiemdé. Dans leur Boulkon natal, dans la commune rurale de Arbollé (Passoré), Khaled, 7 ans, et Luc, 5 ans, sont eux aussi déclarés persona non grata. Fruits de relations incestueuses, Khaled et Luc sont sous la tutelle du pasteur Michel, à Téma-Bokin, localité située à 25 km à l’Est de Yako. Leurs parents respectifs (Yasia et Fati, et Bakari et Mariam) sont frères et sœurs. Pris au piège, les «amoureux» ont été sommés de quitter Boulkon, selon les dires de l’homme d’Eglise. Contacté par le service départemental de la Solidarité nationale de Téma-Bokin, Le pasteur a offert aux tout-petits, gîte et couvert.

Un ostracisme à double vitesse

L’inceste est condamné avec la dernière énergie dans la région du Nord. Les adeptes de cette «relation contre-nature» sont purement et simplement bannis de la famille, voire de la société. Et, c’est le sort que vit Aminata. Le 22 décembre 2014, elle a mis au monde le petit Ali au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Kiétego, dans la commune rurale de Téma-Bokin. Ali est le fils du grand frère de Aminata (Inoussa). Agée aujourd’hui de 18 ans, Aminata raconte que son «conjoint», Inoussa, de retour d’un site d’orpaillage dans le Namentenga, aurait abusé d’elle en plein jour, en l’absence de ses parents partis pour les travaux champêtres. Elle avait 15 ans. «Il m’a surpris dans la maison où j’étais couchée», se souvient-elle. Après un long silence et presqu’au bord des larmes, elle ajoute, la voix tremblante et la tête baissée: «C’était mon premier homme». Elle gardera ce terrible secret plusieurs semaines durant. Deux mois plus tard, les premiers signes de grossesse contraignent Aminata à dénoncer le forfait d’Inoussa à ses parents. La fratrie est mise à la porte illico presto ! Aminata quitte son Kiétego natal et trouve refuge chez sa tante à Téma. Inoussa, quant à lui, retourne sur son site d’orpaillage. Joint au téléphone, il confirme les faits. «C’est le diable qui m’a conduit à poser cet acte. Ce n’est pas ma faute, moi-même je ne sais ce qui m’a pris ce jour-là», murmure-t-il. D’ailleurs, le chef de service départemental de la Solidarité nationale à Tema-Bokin, Boukary Ouédraogo, qui a rencontré le jeune homme dans le cadre de l’enquête sociale au moment des faits, décrit Inoussa comme un «laissé-pour-compte», connaissant «une certaine déviation, un laisser-aller».
Ce laisser-aller, c’est ce à quoi Abdoulaye, âgé de 20 ans, s’est adonné avec sa petite sœur en janvier 2015. Elève en classe de 3e au lycée départemental de Téma-Bokin, ce natif de Koullou était «bien lucide» lorsqu’il concevait le petit Pengdwendé avec Ruth. «C’était à notre retour de l’église, sur une colline…», se rappelle Abdoulaye. «On était à bicyclette. Nous avons voulu nous reposer parce que nous étions fatigués, et…», s’interrompt-t-il. Et…plus rien, le fruit défendu est consommé, sans aucune résistance de Ruth, confie Abdoulaye après moult bégaiements. Pourquoi as-tu couché avec ta sœur ? L’air gêné, il lâche : «Rien…». Ruth est bannie de la famille. Elle se «réfugie» dans un centre d’accueil, dans la région du Plateau central. Son frère, lui, se la coule douce à Tema-Bokin. Il est réadmis en famille après son échec au BEPC. De son père, il dit avoir reçu «seulement» une mise en garde et des conseils. «Lorsque la situation se produit, la fille doit quitter la cour familiale. Ses autres frères du village ne doivent pas la rencontrer. Elle est appelée à s’en éloigner pour toujours», explique Ousmane Nabaloum, un septuagénaire de Téma. Et pourquoi les hommes ne sont-ils pas aussi bannis? C’est lomerta. Toutefois, la jeune fille a la possibilité de rejoindre ses oncles maternels, se contente de glisser le vieux Nabaloum.

Le calvaire des enfants

Si la sanction des auteurs d’inceste est fonction de la localité, le «fruit» de l’inceste est qualifié de «wibdo», la «source de malheur» pour la famille et la communauté. Il ne mérite que la mort. «Un frère et sa sœur, un père et sa fille, une mère et son fils ne peuvent pas avoir un enfant digne d’une société», soutient le chef coutumier de Boulkon, Naaba Karfo. Une fois la relation incestueuse consommée, explique Adama Ouédraogo, un octogénaire de La-todin, le premier réflexe est d’«éliminer l’enfant. Si jamais cet enfant reste au sein de la famille, cela est une grande malédiction pour tout le monde». Il ajoute, que ce dernier peut «tuer» ses parents. Pour Salimata Songré également, la soixantaine révolue, les enfants incestueux n’ont pas le droit de vivre. Car, ils n’ont pas été conçus «normalement». «Lorsque cela arrive, il n’y a rien à faire. Un grand malheur s’abattra sur la famille, parce que l’acte provoque la colère des aïeux», argue la vieille, résidente du secteur n°4 de Yako. «Quand un enfant naît dans ces circonstances, on l’abandonne, on ne l’allaite pas, on ne le lave pas, jusqu’à ce qu’il parte», détaille le chef de service départemental de la Solidarité nationale à Téma-Bokin, Boukary Ouédraogo. A Arbollé, selon nos sources, on le gave de substances à base de racines et de feuilles de plantes toxiques jusqu’à ce que mort s’en suive. Pour beaucoup, l’inceste invoque la malchance, l’adversité, l’infortune, la mort, etc. Il déséquilibre et déshonore la famille, met à mal la cohésion sociale, affirme Salimata Songré. A l’en croire, il est interdit de parler d’un enfant né d’une relation de telle nature et aucune «réparation» n’est prévue pour une quelconque réintégration de cette «victime» dans la famille. C’est du tout sauf l’enfant, confirme le chef du service départemental de la Solidarité nationale de Arbollé, Alassane Kagoné.
M. Kagoné se souvient qu’en 2015, une femme originaire de Widgo a donné naissance à un enfant incestueux au centre médical de Yako, à 80 km de son village. Il dit être allé personnellement récupérer l’enfant auprès des responsables de la santé pour le placer dans un centre d’accueil. Les parents de la mère se sont rendus dans ledit centre à la recherche du bébé. «D’après nos derniers échos, ils sont allés le «tuer» à la maison», se désole-t-il.
Ali, le petit de Aminata et de Inoussa vit dans un orphelinat à Guié dans l’Oubritenga. Aminata dit n’avoir jamais vu son bébé depuis son départ pour ce lieu. Elle n’émet pas non plus l’idée de lui rendre visite. «Je ne sais pas si je le verrai un jour», laisse entendre, résignée, la jeune femme. Inoussa, pour sa part, dit qu’il pense à son enfant, lors de notre bref entretien téléphonique. «Elle (Aminata) va bien ? Et mon fils (Ali)? Je lui (Aminata) demande pardon», se confesse Inoussa. En réalité, la coutume leur interdit d’entrer en contact avec Ali, précise Ousmane Nabaloum, du village de Téma.
Asmao (5 ans), Hamza (3 ans) et Fatoumata (1an et demi) que nous avons rencontrés à Ouahigouya sont également sous la tutelle de Safiatou. Ils ne connaîtront jamais l’amour parental. «Personne ne cherche à les voir», affirme la promotrice d’un orphelinat dans ladite ville, Kanabo Ouattara.

Les stupéfiants pointés du doigt

Interrogées sur les raisons du phénomène, de nombreuses personnes rejettent la faute sur la mauvaise éducation. Pour le Naaba Karfo de Boulkon, les jeunes n’ont plus de repères. «La fin de l’initiation a sonné le glas de l’éducation fondée sur les valeurs traditionnelles», commente-t-il. Le chef coutumier dit être écœuré quand il apprend ces «absurdités». A l’entendre, un retour aux sources est plus que nécessaire. La direction provinciale de la famille du Passoré confie qu’aucune étude n’a été menée sur les causes profondes de l’inceste dans la localité. Mais le chef de service départemental de Téma-Bokin, Boukary Ouédraogo, croit que l’orpaillage y est pour quelque chose. En effet, les sites d’exploitation artisanale du métal jaune sont nombreux dans la zone. Pour M. Ouédraogo, les jeunes y consomment des stupéfiants qui les mettent hors d’eux-mêmes.
Sociologue à l’Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo, Roger Nana décrit l’inceste comme une pathologie sociale. Il n’a pas d’explications à l’ampleur de la pratique dans le Nord du pays. Toutefois, il émet des théories sociologiques. «On a d’abord la théorie de la déviance développée par Emile Durkheim», fait savoir Roger Nana. Ici, le comportement des acteurs sociaux s’écarte de la norme sociale. Et d’indiquer : «Les individus ont tendance à se soustraire des prescriptions sociales». A cela, s’ajoute la doctrine de l’anomie, le niveau supérieur de la déviance. C’est une situation de désagrégation des structures sociales. Dans ce cas, l’inceste devient une pathologie générale et est admis par tous, foi du sociologue. Il y rajoute le phénomène de l’imitation. «L’autre a fait, rien ne s’est passé, donc moi aussi je le fais», explicite M. Nana. Et ce, étant donné que l’inceste n’est pas un totem, mais un interdit en fonction des sociétés.

Les centres d’accueil, le salut

Les enfants incestueux doivent leur salut aux orphelinats, centres et autres familles d’accueil. Ces derniers leur offrent hospitalité, assistance et protection. Après les enquêtes sociales et avis du parquet, les services de la famille les «placent» dans ces endroits. Par an, Boukary Ouédraogo dit recevoir au moins 5 enfants issus d’une relation incestueuse. «Ce sont les cas dont nous sommes informés», précise-t-il. Pour la seule année de 2015, la direction provinciale de la Solidarité nationale du Passoré a reçu au moins 6 enfants incestueux, confie le chef du service, Hubert Ouédraogo. Angèle Zida a accueilli dans son centre, 3 de ces enfants. Tout comme la tutrice de Dieudonné, Koudpoko Kiébré. Installé à Téma-Bokin, depuis plus de 25 ans, le pasteur Michel et son épouse Martine se sont érigés en défenseurs des droits des enfants issus de relations incestueuses. L’«homme de Dieu» a dû transformer son domicile en foyer d’accueil pour ces exclus. De nos jours, le couple prend en charge 5 enfants : Wend-Lamdjèta, Wendemi et Palingwende âgés respectivement de 4 ans et demi et de 7 mois, en plus de Khaled et de Luc. La promotrice du Centre d’accueil des enfants en détresse (CAED) à Yako, Angèle Zida, assure à l’enfant une prise en charge totale, santé, éducation, alimentation... En tous les cas, Dieudonné s’en réjouit : «Je suis fier d’être chez Yaaba (grand, en langue moore). Tout ce que je demande, elle me donne». Le chef de service départemental de la Solidarité nationale de Arbollé, Alassane Kagoné, quant à lui, invite à multiplier les actions de sensibilisation en faveur des populations en vue de démystifier le sujet, et «oser en parler» pour trouver des solutions à ce «mal silencieux».

Djakaridia SIRIBIE
dsiribie15@gmail.com

N.B. : Tout au long de l’article, des noms d’emprunt ont été utilisés pour préserver l’identité des enfants et des parents.

Difficile de briser le tabou

Après notre entretien avec Aminata, le lundi 30 mai 2016, nous avons voulu rencontrer ses parents pour recueillir leurs témoignages. A la suite des présentations d’usage et de l’objet de l’appel, notre interlocuteur, présenté comme son père, s’empresse de raccrocher. Nous tentons vainement de le joindre, ce jour-là. Le lendemain, dans la matinée notamment, nous revenons à la charge. Sans succès. Dans la soirée, nous décidons d’utiliser un autre numéro. Là, il décroche immédiatement. Après les civilités, d’un ton colérique, il répond : « encore vous ? ». Et de nous interroger : «De qui parlez-vous ?». Nous lui fournissons de plus amples d’informations. Il lance d’une manière laconique : « Je ne connais personne sous ce nom ». Avec des détails à l’appui, le supposé père de Aminata craque : « Je ne veux plus entendre parler de cette histoire ». Fin de la conversation ! A Arbollé, notre guide nous conduit dans la famille de Fatim, mère d’un enfant incestueux. A notre vue, le vieux Halidou semble joyeux. Il entame un dialogue à cœur ouvert avec l’équipe, les échanges vont bon train, dans une ambiance bon enfant. Un sujet vient alourdir l’atmosphère : la relation de son fils ainé, Adama et de sa fille, Fatim. Il s’efforce de se retenir, en souriant d’abord. Ensuite, il remue la tête et s’adresse à notre interprète : « C’est pour cela que tu as amené un étranger chez moi ? ». Le vieux se lève et s’éclipse. Avant de franchir le seuil de la concession, il nous met en garde : « N’eut été le respect pour ton père, ton ami et toi… ?».

D.S.

Commentaire : Quel avenir pour ces «vomis» de la société ?

Au Burkina Faso, des enfants, victimes de la bassesse de leurs géniteurs, souffrent le martyre sous le regard complice et/ou impuissant des uns et des autres. Traqués par la coutume et bannis de la société, les enfants nés de l’inceste deviennent des réfugiés ou connaissent une mort immédiate. Ils réclament, à cor et à cri, leur droit à la vie. Les structures étatiques se contentent de les «placer» dans des centres d’accueil ou de leur délivrer des actes de parrainage ou d’adoption. Mais, quel avenir pour ces «vomis» de la communauté, dans cet environnement hostile ? Sinon, la vie éternelle dans l’anonymat. Quid de leur droit à l’identité ou à la protection ? En tout cas, personne ne semble en avoir cure. Ni leurs parents biologiques, ni les mouvements des droits de l’homme. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les enfants issus des relations incestueuses ne sont en rien responsables de leur situation. Car, ils n’ont pas demandé à naître dans ces circonstances. Il est temps que l’on ouvre l’œil pour prendre en compte les enfants incestueux. Déjà, leur permettre de jouir de leur droit à la vie serait une victoire en soi. Un point d’orgue pourra être mis sur leur réinsertion sociale, à l’issue d’une assistance des services spécialisés.

D. S.
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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