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Scolarisation précoce : Eveil ne rime pas toujours avec intelligence
Publié le vendredi 12 aout 2016  |  Sidwaya
Burkina
© Autre presse par DR
Burkina : le préscolaire bientôt rattaché au post scolaire pour un cycle commun




Bien que la scolarisation précoce soit perçue comme une pratique illégale au Burkina Faso, des enfants de moins de 3 ans et de moins de 6 ans (âges requis) sont sans cesse inscrits respectivement au préscolaire et au primaire. Face à ce phénomène de plus en plus en vogue sur le territoire national, les avis sont partagés: des spécialistes de l’éducation voient en cette pratique un danger pour les enfants tandis que des parents l’appréhendent comme une option avantageuse pour peu que les élèves soient accompagnés.

La promotion de la scolarisation tous azimuts actuellement au Burkina Faso semble éprouver la psychologie des enfants. Cet assaut contre l’analphabétisme et l’ignorance est constaté dans quatre coins du pays avec parfois un mépris des principes liés à la psychologie de l’enfant. A l’école primaire publique "C” de Dano, province du Ioba, région du Sud-Ouest, environ une centaine d’élèves du CP1, contraints à abandonner à cause de la forte canicule d’avril, leur classe construite dans les années 1960 pour accueillir une vingtaine de personnes, suit les cours sous des arbres au titre de l’année scolaire 2015-2016. L’un d’entre eux éprouve de réelles difficultés à se concentrer pendant les leçons. «Physiquement et mentalement, cet enfant diffère des autres qui ont l’âge normal», explique son enseignant, Sounkalo Hema. Inscrit comme auditeur libre, Armel Somé va atteindre dans plusieurs mois les six ans officiellement requis pour être scolarisé à partir du CP1. Si son cas parait isolé à Dano, la scolarisation précoce est un phénomène récurrent aussi bien dans le primaire que dans le préscolaire dans la ville de Ouagadougou, notamment dans les établissements privés qui inondent d’année en année la capitale. A deux ans seulement, Porgo Amarde est admise à la petite section à l’école privé Mattania au quartier Paglayiri, au lieu des trois ans recommandés. Le décret n°2009-228/PRES/PM/MEBA/MESSRS/MASSN/MATD du 20 avril 2009, fixe les âges d’accès au préscolaire et au primaire respectivement à trois et à six ans révolus au 31 décembre de l’année considérée. Le non respect de cette règlementation constitue sans cesse un boulet au pied des apprenants et le personnel d’encadrement. Selon une monitrice à l’école Mattania, Yaba Pélagie Sidonie Atchognon, le suivi d’un enfant à scolarité précoce n’est pas du tout facile. «On veut travailler, lui, il ne fait que pleurer. Quand tu le touches, il te griffe ou te demande de le mettre au dos ou refuse même de rentrer en classe», déplore-t-elle. Le fondateur de l’école évangélique Good news au quartier Bonheur-Ville, Marcel Conombo, abonde dans le même sens pour signifier les difficultés éprouvées par les enseignants commis à l’encadrement des enfants n’ayant pas l’âge requis pour rentrer au préscolaire ou au primaire. Les spécialistes de l’Education sont unanimes qu’un enfant scolarisé au primaire avant l’âge de six ans, est confronté à des problèmes de compréhension. Quand bien même l’apprenant inscrit précocement est capable de parler correctement, il n’arrive pas à appréhender ce qui lui est enseigné. Marcel Conombo, explique que cette catégorie d’enfants, qui parvient à ‘’s’accrocher’’ dans sa scolarisation avant l’heure, excelle souvent dans les langues, mais elle éprouve d’énormes difficultés dans les matières scientifiques. Cette réalité est illustrée par Sibiri Ouédraogo, directeur de l’école SCOB (quartier Samandin): «Si tu leur demandes de résoudre un problème à six solutions, on constate que ceux-ci, au regard de leur âge mental, n’arrivent pas à traiter intégralement le problème donné». Ils sont nombreux, les parents d’élèves qui vivent cette situation embarrassante. Leurs espoirs de forger rapidement des génies "précoces” s’évanouissent devant un lot d’entraves psychologiques liées au bas âge des inscrits.

Un danger latent pour le cursus scolaire

Les projets de réussite et d’excellence rapides ne sont pas toujours au rendez-vous. «Mon enfant (10 ans) n’a jamais redoublé, mais cette année, il risque de reprendre la 6e. Il refuse d’apprendre ses leçons qu’il trouve trop élaborées», regrette Patricia Diallo, une parente d’enfant à scolarité précoce dans un collège de Ouagadougou. Pour le directeur de l’école "C” de Dano, Zoumana Fofana, l’intelligence de l’enfant est comparable à un ‘’élastique’’ qui évolue en fonction de sa croissance physique, psychique et psychologique: «Quand vous donnez à l’enfant, ce qui dépasse sa capacité intellectuelle, vous lui faites du mal. Ce qui est dangereux pour son cursus scolaire», explique-t-il. L’inspecteur, chef de la Circonscription de l’éducation de base (CEB) Ouaga-11, Simplice Sawadogo, ne cesse de rappeler l’application stricte de la réglementation à son personnel: l’âge prescrit doit être respecté pour que l’enfant connaisse une évolution psychologique et physique normale. «Un collègue a mal vécu cette situation à Tanghin Dassouri. Son enfant est arrivé en classe de terminale au BAC à l’âge de 16 ans, mais il a dû passer le Baccalauréat trois fois. Tout porte à croire qu’à un moment donné, il y a eu un blocage qui s’est produit », déplore-t-il. Les responsables des enseignements préscolaire et primaire sont d’avis que les enfants apprennent mieux s’ils sont inscrits à l’âge requis. Cette conviction éducationnelle est battue en brèche par certains parents qui estiment que les établissements scolaires sont susceptibles de contribuer à l’éducation des enfants, même ceux inscrits avant l’âge requis. Adissa Idogo, parent d’enfant précocement scolarisé, reste convaincue que l’école prépare progressivement les apprenants, ne remplissant pas le critère d’âge réquis, à affronter les apprentissages utiles en les amenant à adopter certaines habitudes telles que le lavage des mains avant les repas, la discipline. «De nos jours, on remarque qu’à deux ans, l’enfant est déjà éveillé. Donc on ne peut pas le laisser traîner à la maison comme dans le passé où les enfants partaient à l’école à sept ans», soutient-elle. Ce point de vue de Mme Idogo est perçu par des encadreurs comme une échappatoire préjudiciable à l’avenir scolaire de l’enfant. «En tant que professionnel, quand un parent dit que son enfant est éveillé, c’est qu’il est généralement un ‘’emmerdeur”, c’est-à-dire qu’il est prêt à déranger, à perturber et à s’amuser autrement», confie Gustave Tapsoba, coordonnateur des activités pédagogiques du Centre d’éveil et d’éducation préscolaire (CEEP) de Dano. Il invite les parents à faire la différence entre l’éveil et l’intelligence. "Léveil chez l’enfant se résume le plus souvent au développement rapide du langage et parfois au physique, tandis que l’intelligence renvoie à la maturité du cerveau”, relève-t-il. Le psychologue Boukary Pamtaba abonde dans le même sens pour rappeler qu’un enfant de six mois à deux ans a besoin d’un environnement familial qui le prépare à grandir réellement. «Une enfance mal négociée a une répercussion au niveau scolaire», prévient-t-il. M. Pamtaba explique que le fait pour de très jeunes enfants de passer toute la journée dans des établissements scolaires peut, à la longue perturber, la relation mère-enfant d’autant que celle-ci, primordiale à sa croissance psychique, se trouve désormais remplacée par une relation enfant-institution. Avec ce refuge derrière la scolarisation précoce, l’enfant court le danger de n’avoir aucun sentiment pour sa mère, c’est-à-dire que la présence ou l’absence de celle-ci lui est indifférente. «J’ai toujours inscrit mes enfants dans les CEEP en tenant compte des horaires de fonctionnement, parce qu’ils doivent être à la maison pour manger, se reposer et s’amuser comme il se doit », soutient-il. La scolarisation précoce est favorisée par les occupations des parents. «Concevoir un enfant est donc hors programme. Mais une fois qu’il est né et que l’on sent qu’il est éveillé, on veut s’en débarrasser en l’envoyant précocement dans une structure scolaire», ironise l’inspecteur Simplice Sawadogo qui relève qu’il y a une mesure qui empêche les enfants de se présenter à l’examen du CEP avant l’âge de dix ans, sauf sur autorisation spéciale du ministre de l’Education nationale. «De nos jours, cette loi semble être tombée en désuétude de telle sorte qu’une fois que l’enfant remplit les conditions de niveau de la classe de CM2, qu’il ait 8 ou 9 ans, il peut se présenter sous la pression de ses parents», regrette-il. S’il est vrai que tous les établissements préscolaires et primaires du Burkina Faso doivent se soumettre à la règlementation sur les critères d’âge, la loi évoquée par M. Sawadogo pour freiner la scolarisation précoce ne présente pourtant aucun caractère répressif. Si bien qu’ils sont nombreux à fonctionner en faisant fi des textes en vigueur.

L’exception de la réussite ne confirme pas le miracle

Malgré le chapelet de reproches à l’encontre de la scolarisation précoce, des spécialistes et des acteurs de l’éducation renchérissent pour signifier que les effets pervers de ce phénomène peuvent être atténués grâce un suivi continu et rigoureux des scolarisés précoces. Leurs avis sont également partagés par des parents qui prétendent, à cor et à cri que ceux-ci peuvent réussir leur scolarité à condition que les moyens nécessaires à leur accompagnement soient réunis. «Les enfants scolarisés de façon précoce sont capables de tirer leur épingle du jeu s’ils font l’objet d’un bon suivi et d’un bon encadrement. Cela requiert aux parents de consentir d’autres efforts pour combler le gap manquant en terme d’équilibre physique, phychique et psycologique causé par l’âge non requis pour être scolarisé”, affirme, Zoumana Fofana, le directeur de l’école primaire "C” de Dano. Quant au fondateur de l’école News Good, Marcel Conombo, il suggère la prise en compte des conditions de vie à la maison de l’enfant concerné car ce paramètre contribue à sa maturité. Parente d’élèves à scolarité précoce, Justine Kafando est aussi d’avis que la réussite de cette catégorie d’apprenants dépend d’une attention à plusieurs niveaux. «Je partais à la bibliothèque avec mes enfants, je prends les livres pour enfants, elles feuillettent et je leur explique ce que cela veut dire. Nous pouvons passer parfois une heure à la bibliothèque et après je choisis encore des livres pour la maison où je continue les explications», ajoute-elle. Mme Kafando prévient qu’il faut éviter de mettre la pression sur l’enfant qui, s’il n’est pas compris, peut se décourager et baisser les bras. «A midi, je les obligeais à dormir, quand elles reviennent de l’école. A la maison, je reprends avec elles, les devoirs de maison et si je sens la fatigue chez elles, je les laisse se reposer parce que quand tu les suis, tu vois que les enfants très jeunes, ne peuvent pas rester concentrés toute une heure de temps», précise-t-elle. Grâce à ce regard éducatif de la mère, les deux enfants Kafando, scolarisées très précocement, n’ont présenté aucun signe de faiblesse dans leur scolarité. Le suivi permanent de leur parent les a permis d’effectuer leur cycle supérieur sans difficulté. Si la scolarisation précoce est, dans la plupart des cas, le fait des parents, il arrive souvent que ce soit les enfants eux-mêmes qui en réclament. Le cas de Flora Somda, partie d’elle-même à l’âge de 3 ans et demi, est éloquent. «Nous étions dans une localité dépourvue d’enseignement préscolaire. Elle est partie d’elle-même en classe de CP 1 pour se constituer auditrice libre. A partir de décembre, le maître a recommandé de l’inscrire parce qu’elle parvient à suivre les leçons», explique sa maman. Flora vient de franchir la classe de quatrième au cours de cette année scolaire 2015-2016 en se distinguant toujours avec de bonnes moyennes.

Florence OUEDRAOGO

Une réelle dynamique préscolaire à Dano

Le centre d’éveil et d’éducation préscolaire communal de Dano est l’un des plus grands établissements préscolaires au Burkina Faso. L’établissement se distingue par ses infrastructures, ses capacités d’accueil et la qualité des enseignements. Il comprend une salle de repos, une salle polyvalente où sont menées différentes activités, deux réfectoires, une cantine moderne, une salle de rencontre et une salle d’infirmerie. Au cours de l’année scolaire 2015-2016, son effectif global a été évalué à 270 enfants répartis dans neuf classes dont 90 en première année. Selon le coordonnateur des activités pédagogiques, Gustave Tapsoba, le recrutement des pensionnaires se fait à partir de 3 ans (l’âge recommandé) par un tirage qui tient compte de l’égalité entre filles et garçons ainsi que du milieu socioéconomique d’origine de l’enfant. «Les enfants issus de familles à revenu modeste (agriculteurs, artisans, menuisiers) sont environ 60%. Ceux des salariés ou des grands commerçants, qui ont des revenus réguliers, sont autour de 40%. Les orphelins et enfants vulnérables représentent 10%. Ces derniers ne paient rien», revèle-t-il. Le responsable des activités pédagogiques souligne qu’en plus des activités d’apprentissage à l’endroit des enfants, comme dans tous les autres CEEP, sa structure s’illustre également dans l’éducation parentale. «Nous éduquons certes les enfants, mais nous initions des actions en faveur de leurs parents à travers des sensibilisations, des visites à domicile. La structure se situe dans une zone où, il ne faut pas soustraire l’enfant de sa culture, il faut travailler avec l’enfant dans sa culture pour qu’il ne soit pas désorienté », soutient M. Tapsoba. Des activités socioculturelles, à savoir les danses traditionnelles (le balafon), les contes en dagara, les théâtres meublent la scolarité préscolaire.

F.O.
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