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Univers carcéral au Burkina Faso : Bienvenue dans l’enfer !
Publié le lundi 8 aout 2016  |  Sidwaya
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© Autre presse
Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou ( MACO)




La population carcérale a considérablement augmenté ces dernières années au Burkina Faso. Cet accroissement a entrainé une surpopulation dans les établissements pénitentiaires avec son lot de conséquences : promiscuité, malnutrition, manque d’hygiène et de soins de santé, atteintes à l’honneur et à la dignité, problème de réinsertion sociale... Tour d’horizon de quatre Maisons d’arrêt et de correction (MAC) à savoir celles de Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Fada N’Gourma et Koudougou qui totalisent à elles seules près de 3 500 détenus.

Mercredi 26 avril 2016. Il est 10H 25 mn quand nous franchissons l’immense portail métallique bleu d’une hauteur d’environ 3 mètres de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), située dans le quartier Zone du bois, au bord de la route nationale n°4. L’un des Gardes de sécurité pénitentiaire (GSP) posté devant l’établissement, nous invite à laisser une pièce d’identité avant d’y avoir accès.

Une fois à l’intérieur, nous découvrons une vie «normale», à la limite banale. Une image qui tranche d’avec l’idée, que nous nous faisions des centres de détention : une vie originale. En effet, dans un coin de la cour, des détenus s’activent dans des ateliers de soudure et de menuiserie, tandis que d’autres arrosent, un peu plus loin, les plants du jardin.

Des GSP font des allées et venues entre l’administration et les différents quartiers de détention. Deux bâtiments se distinguent particulièrement par leur taille et leur apparence. Comparé à l’autre édifice récemment construit, l’un semble avoir subi l’usure du temps au regard de son état de délabrement. Il est 12H 55 mn, lorsque nous entamons notre « exploration » en compagnie de nos guides, deux GSP. Le soleil est au zénith.

La canicule atteint son paroxysme. Comment vivent les prisonniers entre les murs de ces bâtiments ? Nous nous hasardons de dire, au regard de la suffocante chaleur qui règne en ces lieux. « C’est la première fois, que vous visitez cette MAC ? », nous demande l’un des GSP qui a préféré garder l’anonymat. Affirmatif ! « Vous allez expérimenter aujourd’hui, ce que nous vivons au quotidien», nous prévient-il avec une pointe d’ironie.

A présent, nous pénétrons dans l’enceinte de l’un des quartiers de la MACO, un immeuble à trois niveaux. Communément appelé « l’ancien bâtiment », celui-ci abrite 800 détenus, pour une capacité d’accueil de 400 personnes. A quelques mètres de là, se dresse majestueusement un grand mur coiffé de barbelés. « C’est le lieu de récréation des prisonniers », apprend-on de notre compagnon du jour.

Devant le bâtiment, des prisonniers, munis de balais, nettoient fébrilement l’intérieur des locaux à l’aide d’eau et de savon. Face au liquide noir et huileux qui recouvre la surface du sol, nous «négocions» un passage sur la pointe des pieds. A l’intérieur de la bâtisse, une odeur pestilentielle embaume les lieux. Il y règne également une obscurité presque totale. «Imaginez le risque que nous courons, si nous devons intervenir dans ces lieux en cas d’incident», fait remarquer le GSP.

Devant l’une des cellules du bâtiment, des occupants d’une cellule sont en «récréation». Nous sommes accueillis par le «chef» de la cellule, un homme à la taille et à la musculature impressionnantes. Des matelas, des nattes et des effets d’habillement sont éparpillés à divers endroits sur la terrasse. Dans un coin de la pièce, un téléviseur et un ventilateur se disputent la place.

Un « camp de concentration»

Lorsque nous déclinons notre identité, notre interlocuteur rentre dans tous ses états. Il en a gros sur le cœur. « Vous voyez monsieur le journaliste, pour une petite cellule comme celle-là, on nous met à 10, comment pourrions-nous dormir ? Nous n’avons même pas de toilettes dignes de ce nom. Comment fait-on en cas de diarrhée », se plaint-il ? Après avoir visité trois cellules, nous nous dirigeons vers les quartiers d’amendement (ou des fonctionnaires), des mineurs et des femmes.

Dans ces lieux, les détenus sont moins nombreux. «Nos conditions de vie ici sont acceptables. Nous n’avons pas de problème d’encombrement», confie Issa, un détenu mineur.
De là, nous allons au bâtiment annexe où sont détenus les «grands bandits ». Plus de 1000 prisonniers y sont gardés pour une capacité de 800. «Au regard de leur nombre et de l’espace limité, nous les faisons sortir quotidiennement cellule par cellule afin de leur permettre d’avoir une bouffée d’air pendant trois heures», explique le guide. De l’une des cellules, une voix retentit dans le couloir : « Chef, il fait très chaud, ouvrez-nous » !

Adamo est l’un des pensionnaires du quartier. Inculpé pour assassinat, il est arrivé à la MACO en 2006 et n’a pas été jusqu’à ce jour entendu par le juge en charge de son dossier. Las d’attendre, sa femme a fini par quitter le foyer conjugal au bout de trois ans. « Nous sommes 19 détenus dans une cellule qui devrait en réalité contenir 10. La cohabitation devient difficile étant donné que l’air y pénètre difficilement. L’air qui se dégage de notre bouche et de nos narines est notre unique recours», raconte-t-il sur un ton dépité.

A en croire Adamo, l’un de ses camarades de cellule a perdu la vie du fait de la forte canicule caractéristique du mois d’avril. (NDLR : nous étions le 25 avril).Autre lieu, même réalité. A l’image de celle de Ouagadougou, la Maison d’arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso(MACB) connaît elle aussi une surpopulation. Certains droits fondamentaux des personnes privées de liberté comme ceux relatifs à la santé, à la dignité et à une alimentation, peinent à être respectés.

Or, le kiti N° ANVI-103/FP/MIJ portant organisation et réglementation des établissements pénitentiaires au Burkina Faso dispose en son article 150 que : «L’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes ». Pour le directeur de la MAC de Bobo-Dioulasso (MACB), Frédéric Ouédraogo, le surpeuplement est à l’origine de nombreux problèmes de santé, d’alimentation et d’hygiène. « La cohabitation devient difficile, la réinsertion aussi, à cause du manque de moyens, donc l’élévation du taux de récidive », soutient Frédéric Ouédraogo. Incarcéré depuis 2008 à la MACB pour vol aggravé, Abou est toujours en attente de jugement.

Assis sous un manguier, l’air triste. Pour lui, c’est la lenteur de la justice qui est la cause principale de la surpopulation. « La prison est bondée. Nous y sommes entassés comme des sardines. Venez voir un jour comment nous dormons, vous serez découragés. C’est inhumain», raconte Abou. Et son compère Legma de renchérir: «La nuit, si tu pars au petit coin, tu perds automatiquement ta place. A ton retour, tu resteras debout tout au long de la nuit, parce que quelqu’un d’autre aura occupé ta place».

Même constat à Fada N’Gourma. Sam, un quarantenaire, gardé à la MAC de Fada N’Gourma (MACF) se rappelle d’une nuit, où, il a dormi dans une cellule à 30 pour une capacité de 10. « Nous sommes restés éveillés jusqu’au matin. On ne peut pas dormir ni lever le pied de peur de piétiner quelqu’un», avoue-t-il, l’air désappointé. Avec le nombre élevé des «bagnards » dans les établissements pénitentiaires, assurer une hygiène adéquate devient un gros défi à relever pour les responsables. C’est pourquoi, l’assainissement des locaux est confié aux détenus qui, dotés de matériel, se sont organisés en groupes.

Avec ce système, foi de Legma, détenu à la MACB, la propreté est assurée dans les toilettes. Car, chaque matin elles sont lavées avec du savon et de l’eau de javel qu’ils reçoivent de l’administration. Mais au regard du nombre, la vidange des fosses septiques se fait quotidiennement dans certaines maisons comme celle de la capitale avec un vidangeur acquis grâce au soutien d’un partenaire.

Par contre dans certaines MAC à l’image de celle de Bobo-Dioulasso, ce sont les détenus qui font le travail. Avec des seaux, les excréments sont vidés des fosses et coulés vers un canal d’évacuation. Si la propreté des lieux est passablement appréciée, l’hygiène corporelle est, elle, fonction du statut du prisonnier. Par exemple pour les femmes et les mineurs, c’est le service social de la maison qui leur vient en aide en vêtements et en savons.

De l’avis de l’attaché d’éducation spécialisée à la MACB, Siaka Siri, les dons reçus par sa structure sont exclusivement destinés à ces deux catégories de détenus en raison de leur insuffisance. «Nous avons des pincements au cœur, lorsque nous n’arrivons pas à accomplir correctement notre mission par manque de moyens. Nous ne recevons pas assez de dons, les partenaires se font rares», regrette-t-il.

Du tô mal cuit !

Si tous les acteurs rencontrés dans les quatre établissements apprécient « passablement » l’hygiène d’ensemble dans les prisons, ils sont aussi unanimes quant à la mauvaise alimentation des détenus. Le directeur de la MACF, l’inspecteur GSP Moussa Zomodo ne passe pas par quatre chemins pour le dire.

« Il faut dire qu’assurer une bonne alimentation est un véritable problème pour nous. Il y a les vivres mais, les condiments n’existent pas. Il faut jongler pour trouver la sauce et là, tous ceux qui n’ont pas de visite seront malnutris et tomberont malades », étaye-t-il tout en soulignant que la situation est en voie d’être résolue dans son établissement avec le fruit du jardinage.

Dans la plupart des MAC, les détenus doivent se contenter du même repas: le tô, (pâte de farine de mil, accompagnée de sauce) et rarement le haricot et le riz. Cependant, le nombre de repas quotidien diffère selon les MAC. « Nous mangeons une fois par jour. Comment peut-on se servir un plat qui fait office de repas de midi et du soir ? », se demande Adamo furieusement.

De l’avis du chef de service de l’action sociale de la MACO, Edith Ouédraogo, le problème de la qualité de la nourriture résulte d’un certain nombre de facteurs. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Les détenus ne sont pas des cordon-bleu ! De plus, le contenu des sacs de farine sortis du magasin est directement déversé dans les marmites. «Le tô étant mal cuit, certains préfèrent le laisser se fermenter avant de le délayer », fait savoir Mme Ouédraogo.

Legma de la MACB précise que ce qui est appelé tô, est en réalité de la bouillie « puisqu’il faut le déposer pendant 30 minutes au moins pour qu’il se solidifie ». La malnutrition et le manque d’hygiène ne sont pas sans conséquence sur la santé des détenus. Les consultations sont journalières, du lundi au vendredi dans les établissements pénitentiaires. A la MAC de Bobo-Dioulasso, le mardi 19 avril, c’est une longue file de malades que nous trouvons en attente d’être consultés par l’infirmier de ladite MAC, Boukary Dao.

Ces malades sont accompagnés par deux GSP. « Il y a des détenus qui sortent pour prendre de l’air. D’autres ne sont pas malades. Mais, ils ne vont jamais le dire », renchérit l’infirmier de la MAC de Koudougou (MACK), François Sawadogo. C’est le bureau d’un aumônier qui sert d’infirmerie à la MACK. Malgré ces conditions inconfortables, les agents de santé font, tant bien que mal leur travail. Selon l’infirmier Firmin Yaméogo de la maison d’arrêt et de correction de Fada N’Gourma, les maladies (toux, dermatoses, diarrhée et paludisme) sont essentiellement dues au manque d’hygiène, à la malnutrition et à la promiscuité.

Par ailleurs, regrette-il, la dotation en produits pharmaceutiques du ministère de la Justice est insuffisante. Sur ces entrefaits, M. Yaméogo présente le stock restant des médicaments et prédit déjà une rupture dans moins d’un mois. «Il faut au moins trois mois avant d’obtenir une nouvelle dotation. Et les détenus malades à cette période ne pourront pas bénéficier de soins», avoue impuissamment l’infirmier Yaméogo.

A l’écouter, plusieurs pensionnaires ont déjà rendu l’âme par manque de soin : « En 2013 et 2014, on comptait une dizaine de morts par an ». Mme Kanté est détenue à la MACO pour complicité d’escroquerie. Elle dit avoir été témoin de décès de prisonniers pour défaut de soins. Malade elle-même, celle-ci dit avoir mensuellement besoin de 25 000 FCFA pour ses soins. « Je n’ai pas l’argent, je n’ai pas de mari et mes enfants aussi sont encore jeunes pour me venir en aide et on ne veut pas me libérer provisoirement aussi pour que je me soigne », se désole-t-elle.

Le calvaire des GSP

Legma de Bobo-Dioulasso, pour sa part, estime que les choses ont évolué à la MACB. «Avant, si tu partais à l’infirmerie, on pouvait te remettre des médicaments de maux tête alors que tu souffres de douleurs gastriques. Mais, se faire transférer à l’hôpital sans accompagnement représente la tâche la plus ardue.

Si tu n’as pas de parents, personne d’autre ne le fera et tu pourrais ne pas t’en sortir», estime-t-il. Mais les malades ne sont pas les seuls à souffrir de la situation. L’assistant GSP à la MACO, Malamine Aïdougou, en sait quelque chose. Surtout quand un malade est évacué au Centre hospitalier Yalgado-Ouédraogo (CHU-YO). A l’en croire, les infirmiers refusent souvent de recevoir les détenus sous prétexte qu’il n’y a pas de place.

Il se demande, si cela est dû au fait que le malade est issu d’un milieu carcéral. Le service social, chargé d’exonérer les examens et ordonnances hors de la prison, se bat bec et ongle pour le faire. Mais, les moyens restent limités. A notre passage à la MACO, Edith Ouédraogo du service social confie qu’elle avait un malade qui devait subir une intervention chirurgicale, mais par manque de moyens l’opération n’a pas eu lieu. Ce qui, selon Moussa Zomodo, compromet énormément le combat pour la réinsertion sociale des détenus.

Ces situations amènent certains GSP à compatir à la cause des malades en honorant par moment leurs ordonnances. L’assistant Daouda Traoré de la prison de Bobo-Dioulasso dénonce par contre les conditions dans lesquelles ils prennent la garde dans les hôpitaux. « Nous faisons la garde à l’hôpital au milieu de toutes sortes de maladies sans aucune protection. Tu peux contracter une maladie et contaminer ta famille aussi », fait remarquer Daouda Traoré. S’il arrivait qu’un malade décède, c’est souvent eux qui se chargent de son inhumation. Pourtant, de l’avis de l’assistant Eric Tiahoun de la MACF, il devrait y avoir des pompes funèbres pour cette tâche.

Dans certains établissements pénitentiaires notamment à Fada N’Gourma, les malades sont évacués à motocyclette ou à pied. Là encore, plusieurs MAC ne disposent pas de véhicule d’escorte ou d’évacuation. A Fada, c’est le véhicule de service du directeur, une 4X4 double cabine qui sert de véhicule d’escorte.

« Même pour les jugements, c’est avec ce véhicule que nous les envoyons et s’il est en mission, nous le faisons à pied », confie l’assistant GSP, Eric Tiahoun, au vu et au su des populations puisque la MACF et le tribunal sont situés en plein centre-ville. Une situation qui met en danger la vie des populations et compromet aussi le travail des GSP. Ses propos sont corroborés par son directeur: «Nous avons un véhicule 4X4 qui sert à tout, à savoir le transport des détenus et du personnel, le service, les missions, le transfèrement. Alors que c’est un véhicule qui n’est pas adapté, puisque les détenus sont à ciel ouvert ».

Au regard des difficultés criantes constatées dans les établissements pénitentiaires, l’inspecteur GSP, Frédéric Ouédraogo propose que l’Etat accroisse la capacité d’accueil des prisons, l’effectif du personnel pénitentiaire et sa spécialisation. « Il ne s’agit pas seulement de garder les détenus. Mais, être aussi capables de les amener à changer de comportement », croit-il savoir. Pour ce qui est de la question sanitaire, son collègue de Fada N’Gourma estime qu’il faut dégager des lignes budgétaires à cet effet. «La prison ne doit pas se muer en un mouroir», soupire-t-il.

En 2015, par exemple, le budget alloué aux établissements pénitentiaires étaient de 400 067 000 F CFA soit une ration alimentaire de 155F/jour et par détenu. Pour Thien Hama, éducateur social à la MACF, les ONG spécialisés dans l’humanitaire doivent accroître leur intervention dans les prisons afin d’offrir de meilleures conditions de vie aux détenus. Il ajoute que les associations militant pour la défense des droits de l’homme doivent, quant à elles, dénoncer les abus et interpeller l’administration à chaque fois que les droits fondamentaux des prisonniers sont bafoués.

Joseph HARO
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