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Tribune : l’Europe dit non aux minerais de sang !
Publié le mardi 26 juillet 2016  |  FasoZine
Cécile
© Autre presse par D.R
Cécile Kyenge, chef observateur de la Mission d`observation électorale au Burkina Faso pour le compte de l`Union européenne




Cinq ans ! Il aura fallu cinq ans avant que l’Union européenne (UE) n’annonce un accord sur une règlementation pour encadrer l’importation de minerais des conflits dans l’espace européen. Aux termes d’âpres négociations, les trois institutions européennes se sont entendues en juin dernier afin que les entreprises importatrices de l’UE aient l’obligation de s’assurer qu’il n’y a pas de lien entre leur chaîne d’approvisionnement de minerais et les conflits armés.


Il faut le savoir, les smartphones, téléphones portables, tablettes et autres dispositifs électroniques que nous utilisons chaque jour sont fabriqués à partir de minerais extraits dans des zones de conflits. Chaque portable standard contiendrait en effet 6,6 g d’étain, 0,83 g de tungstène, 0,04 g de tantale et 0,63 g d’or. L’expression « minerais de sang » fait référence à ces ressources minières contrôlées par des bandes armées et des seigneurs de guerre qui exploitent les populations locales en les soumettant à des conditions de travail inhumaines afin de financer leurs guerres.

Au cours des soixante dernières années, 40% des conflits civils dans le monde ont été liés au commerce des ressources naturelles. Comme l’ont rappelé de nombreuses organisations de la société civile, l’Afrique a été, en 2015, le théâtre de 27 conflits, connus pour être liés aux ressources naturelles, dont ceux qui ont ravagé la République démocratique du Congo. Or, l’UE est un importateur majeur de minerais, sous forme brute ou transformée, grâce auxquels sont produits les ordinateurs ou téléphones portables pour lesquels les européens comptent parmi les plus grands consommateurs au monde.

En 2010, suite à l’adoption aux Etats-Unis de la loi Dodd-Frank qui contraint les entreprises inscrites à la bourse américaine à déclarer l’origine des minerais contenus dans leurs produits, des députés européens demandent à la Commission européenne des propositions législatives afin d’adopter une loi équivalente. Sans surprise, la Commission, alors dirigée par le conservateur Manuel Barroso, accueille cette requête, mais propose en mars 2014 un mécanisme européen d’auto-certification non contraignant.

Malgré les pressions exercées par le lobby industriel européen, une majorité d’eurodéputés votent en mai 2015 un amendement en faveur d’une traçabilité obligatoire sur les minerais pour contraindre les entreprises européennes à s’assurer que l’étain, le tantale, le tungstène et l’or qu’elles importent ne sont pas extraits de façon illégale dans les zones de conflits. L’objectif étant de rompre le lien entre l’exploitation illégale des minerais et le financement des groupes armés. Le vote du Parlement de l’UE avait été le résultat d’une campagne de sensibilisation extraordinaire menée par le Groupe des socialistes et démocrates européens (groupe S&D), et dans laquelle je me suis pleinement engagée, notamment avec l’appui de nombreuses organisations de la société civile européenne.

A la suite de ce vote, le dossier est passé entre les mains du « Trilogue », qui prévoit des négociations à huis clos entre les représentants des trois principales institutions européennes, à savoir le Parlement, le Conseil et la Commission. Ces négociations ont débuté le 1er février 2016 et, sous la pression du lobby industriel européen, certains Etats membres ont continué à opposer une fin de non-recevoir au devoir de diligence pour les entreprises européennes. Cette opposition était d’autant plus injustifiable que les minerais de conflits continuent de semer la mort dans des pays comme la RDC. Jamais je n’oublierai le désespoir que j’ai lu dans les yeux d’enfants-esclaves rencontrés dans une mine de coltan au cours d’une mission effectuée par le Groupe S&D l’année dernière au Kivu. Dans cette région orientale de la RDC, nous avons pu mesurer l’ampleur des ravages provoqués par l’exploitation des minerais sur les populations civiles. Le cas du Congo, auquel s’ajoutent la République centrafricaine, le Liberia ou la Sierra Leone, démontre à quel point l’importation de minerais exploités en Afrique et ailleurs dans le monde doit être soumise à une traçabilité rigoureuse dans l’Union européenne. Et lorsque Bruxelles exprime sa volonté de lutter contre les causes profondes des migrations irrégulières, c’est à ce type de tragédie humaine qu’il faut s’attaquer.

Heureusement, un accord a été trouvé. Certes, tout n’est pas positif. Les entreprises qui importent de faibles volumes de minerais seront exemptées, tandis que celles situées en fin de chaîne auront deux ans pour adopter des mesures comme les instruments d’audit, sous peine de se voir imposer les mêmes règles contraignantes qu’aux sociétés importatrices. C’est pourquoi nous devons poursuivre nos efforts afin que dans les prochains mois nous puissions adopter un texte définitif plus contraignant.

En France, un sondage CSA paru en octobre 2015 a révélé que 83% des Français souhaitaient que leur pays se prononce en faveur d’une législation contraignante. A Bruxelles comme ailleurs en Europe et en Afrique, nous pouvons aussi compter sur la mobilisation sans faille des réseaux catholiques africains et d’organisations comme EurAc, CIDSE, Amnesty International, Justice et Paix, Global Witness ou Focsiv.

Nous-mêmes, au groupe S&D, multiplions les campagnes de sensibilisation pour améliorer la vie de millions d’Africains et responsabiliser les consommateurs européens. Il s’agit d’une bataille pour la justice sociale et le commerce équitable que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre.



Par Cécile Kyenge, député du groupe des socialistes et démocrates européens et vice-présidente de l’Assemblée parlementaire paritaire UE-ACP
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